L’Idée de la guerre au XVIIIe siècle selon les écrivains du temps

L’Idée de la guerre au XVIIIe siècle selon les écrivains du temps
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 90 (p. 702-715).
L'IDEE
DE LA GUERRE
AU DIX-HUITIEME SIECLE

Peu de siècles furent désolés d’autant de guerres générales que le XVIIIe. Si l’on y comprend les dernières luttes de Louis XIV contre ses ennemis coalisés et les combats héroïques de la république française contre l’Europe entière, ce sont des hécatombes perpétuelles de victimes humaines, c’est une horrible saignée qui recommence toujours. Cependant peu de siècles ont été plus ennemis de la guerre. Jusque-là, le sentiment de l’humanité se révoltait de loin en loin dans l’excès des souffrances ; des voix isolées que la pitié faisait éloquentes criaient seules à un vainqueur sans entrailles : « Assez ! assez ! » Les poètes surtout se chargeaient de maudire le fléau qui pousse les hommes à se détruire, et prêtaient aux douleurs maternelles, les plus profondes de toutes, l’écho touchant de leurs vers, bellu matribus detestata. Au siècle dernier, tous les philosophes, presque tous les écrivains, furent les avocats de la paix, lis plaidèrent cette cause non pas seulement dans quelques strophes plus ou moins poétiques, dans quelques pages d’un beau style ; pour la première fois, il y eut des traités sur la guerre avec un autre but que celui de l’enseigner. On écrivit méthodiquement, on raisonna, on composa des chapitres de morale, on rédigea des articles de dictionnaire et d’encyclopédie, pour désarmer les rois et les peuples. La philosophie prêcha sa « trêve de Dieu ; » mais, plus confiante que l’église, elle la prêcha éternelle, plusieurs de ses représentans du moins crurent de bonne foi que leurs paroles auraient de l’effet sur-le-champ et à perpétuité.

Cette illusion s’expliquait par la position des hommes de lettres auprès des princes autant que par une certaine mesure d’ingénuité que la philosophie n’exclut pas. Le moyen de croire qu’un souverain appelait près de lui des maîtres pour ne tenir aucun compte de leurs leçons ! Et ne fallait-il pas une longue habitude des cours pour savoir au juste ce que vaut un conseil qui n’est pas une flatterie ? Aujourd’hui l’on a trouvé le secret de persuader aux peuples qu’ils veulent la guerre ; alors les monarques la décidaient eux-mêmes, car « tel était leur bon plaisir ; » cela était plus franc. On ne parlait pas de guerres de race, de guerres nationales et saintes ; on ne précipitait pas un peuple entier armé jusqu’aux dents sur un autre, sachant à peine de quoi il s’agissait. Le roi voulait ou non la guerre, ses sujets n’avaient d’autre droit que celui d’obéir ; cela était plus simple. Il suffisait donc en apparence d’avoir l’oreille du prince pour délivrer l’humanité d’un des maux les plus horribles qu’elle endure, et l’on avait lieu d’espérer que des souverains ne se disputaient pas, ne s’arrachaient pas en quelque sorte les philosophes, pour rester sourds aux préceptes de la philosophie. Ce double préjugé sur leur toute-puissance et leur bonne volonté produisit deux conséquences, Les écrivains attachés à la royauté par l’intérêt comme par les principes comptèrent sur l’efficacité de la raison pour créer sur chaque trône un partisan convaincu de la paix. Ceux qui penchaient vers les idées républicaines se persuadèrent que les rois étaient les seuls obstacles à la tranquillité des nations, et que la suppression de la monarchie entraînait rigoureusement celle de la guerre. De là deux écoles que divisaient leurs idées politiques, mais qui s’accordaient à considérer les princes comme les seuls arbitres de la paix, gardant à toujours dans leurs mains les clés du temple de Janus. Il n’est pas prouvé qu’il n’en soit pas encore ainsi de quelques-uns ; mais, s’ils n’ouvrent pas toujours eux-mêmes ces portes redoutables, il n’y a trop souvent que cette différence qu’ils les font enfoncer par une foule aveugle. Tâchons, sans nous préoccuper de doctrines politiques, sans trop songer, ce qui est, hélas ! difficile, aux terribles circonstances qui nous pressent, tâchons ne parcourir rapidement la liste de ces philosophes qui ont voulu nous épargner les maux dont nous faisons la cruelle expérience, et dont la seule faute, faute bien française, avouons-le, a été d’en prophétiser trop légèrement la fin.

L’abbé de Saint-Pierre est le premier en date de ces esprits généreux, dont quelques-uns, lui compris, ont poussé la philanthropie jusqu’au point où elle devient chimère. Tout modeste qu’il fût, il eut accès auprès des princes. Sa charge n’était pas bien élevée : il confessait la duchesse d’Orléans, mère du régent ; elle n’était pas non plus bien pesante : cette princesse bavaroise, convertie à la hâte, au moment de se marier, n’abusait guère des services de l’abbé. L’aumônerie de celui-ci était à peu près une sinécure. A la cour de Versailles, il resta le même homme que dans sa maisonnette du faubourg Saint-Jacques, studieuse demeure qu’il appelait sa cabane ; il continua de travailler au bonheur des états de la même manière, sans sortir de son cabinet, entre son écritoire, où il puisait abondamment, et son papier, dont il composait avec rapidité des volumes sans nombre, peu lus de ses contemporains, lus encore moins de nos jours. Que put-il observer touchant les hommes dans cette foule où il s’était fait une solitude artificielle ? Que put-il apprendre de politique dans ce tourbillon où il n’avait d’yeux que pour ses livres et d’oreilles que pour un petit nombre d’amis ? Il avait pour ainsi dire transporté à Versailles sa cabane du faubourg Saint-Jacques, en y ajoutant seulement un confessionnal qui ne servait guère que d’ornement. Après dix ans de séjour à la cour du grand roi, l’abbé de Saint-Pierre en savait juste autant qu’avant d’y venir ; mais il avait écrit son Projet de paix perpétuelle. Voyez comme il avait profité de l’air de Versailles : il avait appris à croire que les monarques faisaient la guerre faute de connaître les avantages de la paix, qu’ils envoyaient leurs sujets à la mort faute d’avoir lu son livre. Il publia donc cet ouvrage, qui devait faire des miracles. Un ministre lui dit : « Vous avez oublié d’envoyer des missionnaires pour toucher le cœur des princes et leur persuader d’entrer dans vos vues. »

L’abbé de Saint-Pierre avait trouvé dans ses livres un certain projet de confédération européenne attribué au roi Henri IV. Autant qu’il est possible de démêler la vérité dans des souvenirs de conversations que Sully avait eues avec son maître et qu’il se plaît, dans la mélancolie d’une retraite de ministre congédié, à étendre, à disposer en vue de l’effet, Henri IV voulait tout simplement nouer une ligue des puissances contre la maison d’Autriche. Il s’agissait de grouper tous les souverains contre un seul ; ce prince ne songeait probablement qu’à l’établissement de l’équilibre. Le bon abbé, heureux de rencontrer un tel garant de son système, eut la modestie de renoncer à son privilège d’inventeur et d’en attribuer toute la gloire à Henri IV. Pour le bien de l’humanité, il était capable de tous les sacrifices. Il prit au sérieux les développemens complaisans de Sully sur les conséquences des beaux desseins dont l’ancien secrétaire d’état avait reçu la confidence. Son livre parut sous le titre de Projet de Henri IV éclairci par l’abbé de Saint-Pierre. Singuliers éclaircissemens qui changeaient un plan de politique en une utopie, et une perpétuelle coalition en une paix perpétuelle ! En vérité, le système du bon abbé lui appartenait bien, et il était trop désintéressé à l’égard de ses droits d’auteur.

Le système de ce publiciste rêveur se composait de cinq articles, dont les puissances européennes conviendraient entre elles, pas un de plus, et des réponses à quinze objections que l’on pourrait élever contre le projet, pas une de moins. Que les ministres de toutes les cours consentissent à signer les cinq articles, que les raisonnemens opposés aux quinze objections fussent déclarées satisfaisans, tout était fini, il n’y avait plus de guerres possibles en Europe, l’âge d’or commençait le lendemain. Quant aux moyens de persuader à des personnes royales d’abdiquer le premier attribut de la royauté, à des maîtres absolus possédant des armées régulières de renvoyer des soldats réunis à grands frais, le philosophe ne doutait pas qu’il y parvînt, grâce a une réflexion très simple. On avait le droit de se confier dans les lumières des souverains, qui ne manqueraient pas d’apercevoir aussitôt l’utilité du projet, — dans leur courage, qui les porterait à vaincre les ennemis, s’il en était, du bien public, — dans leur ardeur, qui se mettrait sur-le-champ au service de l’humanité, — dans leur piété, qui ne pouvait faire défaut à des représentans de Dieu sur la terre, — dans leur constance, qui rendrait leur première résolution inébranlable. Tels sont les motifs que l’auteur jugeait tout-puissans sur l’esprit d’un Louis XIV et de tous ceux qui avaient des revanches à tirer de l’ambition du grand roi, sur les dispositions d’un Charles VI d’Allemagne, dont l’idée unique était de perpétuer l’empire dans sa maison, d’un roi d’Angleterre qui ne songeait qu’à chasser les Brunswick, s’il était Smart, ou à chasser les Stuarts, s’il était Brunswick. Il se figurait qu’avec son livre il arrêterait Charles XII et Pierre le Grand prêts à se dévorer. Grands et petits princes, il les réconciliait tous par la magie de ses exhortations. Un honnête philosophe, sous le petit manteau d’abbé, s’avançait au milieu de ce champ de bataille de l’Europe, tenant d’une main le rameau d’olivier, de l’autre le livre de la Paix perpétuelle, aussitôt ces milliers d’hommes ivres de sang, furieux, se jetteraient dans les bras les uns des autres. On le voit, le trait caractéristique de l’abbé de Saint-Pierre est la confiance dans les vertus des hommes et en particulier de ceux qui les gouvernent. Il ne leur parle que de gloire pacifique, d’héroïsme pur, de bonté, de bienfaisance, on lui attribue la création de ce mot, et cela seul suffirait à le faire aimer. D’autre part, il s’efforce d’entamer la renommée trop éclatante des conquérans, dont la gloire reçoit de lui le nom méprisant de gloriole, encore un mot qu’il a créé, non moins heureusement que le précédent, mais qui aurait dû conserver la même application pour le châtiment des ambitieux et des despotes. Heureux philosophe ! heureux même le temps où ces choses pouvaient s’écrire et rencontrer quelques lecteurs ! S’il était douteux que le livre pût ramener le siècle de « Saturne et de Rhée, » il est certain que l’auteur portait dans son âme l’ingénuité, de l’âge d’or. L’abbé de Saint-Pierre représente à merveille les naïves espérances du XVIIIe siècle naissant.

L’auteur de la Paix perpétuelle vécut quatre-vingt-cinq ans, pas assez cependant pour voir son ouvrage repris par un disciple autrement illustre que le maître. Il écrivait mal, mais il en prenait son parti ; entendant un jour critiquer devant lui le discours de réception qu’il devait prononcer à l’Académie française, il répondit : « Mon discours est médiocre, tant mieux ; il me ressemblera d’autant plus. » On dédaignait de le poursuivre, comptant sur sa prose pour rebuter les lecteurs : son mauvais style le mettait à l’abri de la Bastille. Le disciple fut un des plus grands prosateurs du siècle ; l’abbé de Saint-Pierre eut l’honneur d’être commenté par Jean-Jacques Rousseau. Quarante-huit ans s’étaient écoulés ; le siècle était mûr pour ses plus grandes audaces. L’ingénuité n’était plus le caractère de la philosophie nouvelle. Dans son opuscule sur le projet de paix perpétuelle, Rousseau juge de haut son maître. Il le traite en enfant, admire sa simplicité, remanie son livre comme un habile ouvrier refait l’œuvre d’un apprenti. Aux longueurs complaisantes, aux explications touffues du faible écrivain, il substitue le tissu serré de sa logique victorieuse. À cette morgue, il est aisé de reconnaître Rousseau, qui faisait volontiers bon marché de lui-même, à la condition de juger les autres encore plus sévèrement. Cependant il finit par déclarer l’ouvrage de l’abbé bon et solide, malgré ses défauts. Il semble que l’entreprise n’ait échoué que par le défaut de talent, et que, cette lacune une fois remplie, le projet devienne excellent. Au fond, le nouvel athlète ne fait pas un bien meilleur emploi de ses forces que l’ancien. Rousseau est à peu près aussi chimérique que l’abbé de Saint-Pierre. Parce qu’il ne travaille pas à Versailles, sous l’influence amollissante des cours, est-il certain qu’il soit mieux instruit des secrets de la politique. Je rends pleine justice à la générosité de sa pensée. Rousseau, qui était sans ambition, quoique pauvre, n’a pas cessé un instant de travailler à l’affranchissement des hommes, surtout des moins heureux. Il est permis de dire pourtant que le séjour de l’Ermitage ou du château de Montmorency n’était pas le mieux choisi pour les études d’un publiciste, et que l’ours de Mme d’Épinay ne se souciait pas plus de l’observation des faits que le confesseur de Mme la duchesse d’Orléans.

Qu’on parcoure le discours de Rousseau ; on y trouve non sans surprise le solitaire, le misanthrope brouillé avec la société humaine, s’occupant néanmoins de régler les intérêts des états, de préparer les voies à une confédération européenne, de compter le nombre des souverains qui auront voix délibérative. Il y aura dix-neuf voix sans plus, et elles seront sur le pied d’égalité. L’empereur d’Allemagne n’aura pas le moindre avantage sur l’électeur de Bavière, et le pays de Naples vaudra tout autant que le royaume de France. Dix-neuf états seulement seront représentés ; tant pis pour les autres, s’ils sont trop petits. Petits et grands devront également obéir. Rousseau emprunte à l’abbé de Saint-Pierre ses cinq articles, et démontre à son tour que moyennant cette panacée la paix est assurée. L’Europe n’a qu’à les prendre, à se les administrer en quelque sorte, et elle sera guérie de la maladie de la guerre. On sait combien une assemblée de diplomates vieillis dans les travaux des chancelleries a de peine à déterminer les cas de guerre : le philosophe à lui seul décide qu’il n’y en a que six, et il prouve que son projet les supprime tous le plus aisément du monde. Pour juger de son plan, il suffirait des prédictions dont il gratifie les générations présentes et à venir. A l’en croire, les grandes révolutions étaient désormais impossibles, et savez-vous sur quel pays il comptait le plus pour établir la tranquillité universelle ? Sur l’Allemagne. Le corps germanique, entendez-vous bien ? le corps germanique est l’appui le plus solide de la paix perpétuelle. Le peuple allemand ne songera jamais à conquérir le bien d’autrui. A quoi sert un beau talent ? à quoi servent les longues études ? Il n’est que trop vrai que les hommes, même quand ils ont du génie, ne voient pas au-delà de l’horizon du temps présent ; l’avenir est la chose la mieux cachée aux yeux des mortels. Un fait imprévu survient, et voilà tous les systèmes qui s’écroulent. Philosophes, historiens, politiques, ressemblent à ces navigateurs qui croient aborder à un terrain solide, à une île nouvelle qui va les mettre à l’abri des tempêtes. Ils y plantent leur tente ; ils s’y établissent. Tout à coup l’île se retourne ; c’était une immense baleine endormie qu’ils prenaient pour un territoire. La tente, l’établissement, les hommes, sont à la mer. Ne croyons pas trop aux systèmes, avançons pas à pas dans notre voy.tge vers les régions de l’avenir, et tenons grand compte des observations de nos devanciers.

D’où venait la confiance de Rousseau ? Il ne croyait pas aux lumières, à la piété, à la constance des rois ; mais il se persuadait qu’ils avaient assez de clairvoyance pour voir leurs intérêts, et il comptait sur sa logique pour les convaincre que personne au monde ne leur rendait un plus signalé service. C’est par là surtout qu’il se distingue de l’abbé de Saint-Pierre. Rousseau est un disciple qui sourit de la bonhomie optimiste de son maître, et qui s’estime beaucoup plus habile avec sa misanthropie. Il propose aux monarques sa ligue européenne comme un moyen d’affermir leurs possessions, de les assurer contre les révoltes, de supprimer les armées qui leur coûtent si cher, de garantir le commerce, dont ils profitent, de favoriser l’agriculture, qui les enrichit. Il vient à eux avec des paroles sévères et des discours républicains, mais avec les mains chargées de présens : comment n’a-t-il pas vu que les paroles pouvaient plaire aux peuples, sans que les présens fussent pris au sérieux par les rois ? Il est impossible de faire des offres d’une manière moins engageante, et de présenter aux gens des avantages avec plus de hauteur et de mépris. Après avoir lu Rousseau, on se demande s’il a voulu réellement procurer la paix perpétuelle ou faire entrevoir qu’elle ne pouvait se concilier avec la royauté. S’il a cru à la perpétuité de la paix, il a partagé une croyance généreuse, chimérique peut-être de son siècle ; s’il a pensé que les souverains y feraient toujours obstacle, il est tombé avec son temps dans cette erreur, que les peuples avaient toujours la sagesse de haïr la guerre. Quoi qu’il en soit de son intention, gardons-nous de mal juger de son cœur : en consacrant sa plume à la cause de l’abolition d’un horrible fléau, il cherchait le bien de ses semblables ; en supposant que les princes rendaient cette abolition impossible, son préjugé, si c’en est un, a bien été justifié quelquefois.

Avec Montesquieu et Voltaire, nous entrons dans le monde des faits réels. L’un circonscrit la guerre, sans se flatter de l’abolir ; l’autre la couvre de ridicule, sans s’imaginer qu’elle n’y pourra survivre. Suivant le premier, elle est une nécessité qu’il s’agit de limiter dans des bornes de plus en plus étroites ; aux yeux du second, elle est une folie monstrueuse contre laquelle il n’y a d’autres armes que la moquerie et les sarcasmes du philosophe. « J’ai trop aimé la guerre, » disait en mourant Louis XIV. L’auteur de l’Esprit des lois s’est inspiré de cette parole d’une sagesse tardive. Dévoué au principe de la monarchie modérée, il a combattu dans tous ses écrits l’idée de la domination universelle ; il a flétri les mensonges de gloire, de bienséance, d’utilité, au nom desquels des flots de sang inondent la terre. Qu’aurait-il dit des tueries entreprises pour je ne sais quelles théories patriotiquement inhumaines ? Qu’aurait-il pensé de certaines ambitions royales cachées sous le mot hypocrite d’unité ? Ce genre de brigandage ne mérite pas le nom de royauté : quoi de plus simple et de plus beau que cette parole du livre X de l’Esprit des lois : « les états despotiques font des invasions, il n’y a que les monarchies qui fassent la guerre. »

Montesquieu ne s’est pas occupé des lois qui régissent la guerre ; il n’a pas cherché jusqu’à quel point un fils qui rassure son père sur sa vie et sa santé peut être considéré comme coupable d’entretenir des relations avec l’ennemi ; il n’a pas prévu qu’en s’échappant à travers les airs et par un chemin invisible au-dessus des horreurs qui se commettent sur terre on méritait le titre d’espion. Tout absolus qu’étaient alors les rois, ils étaient primitifs, et Montesquieu ne pouvait deviner comment le raffinement des lois de la guerre enseignerait à sortir de ces lois. Cependant sa distinction vraiment humaine des lois civiles et du droit des gens faisait déjà comprendre que la guerre elle-même n’a pas le droit de vie et de mort sur ceux qui ne portent aucune atteinte à ses entreprises. Est-il nécessaire d’insister sur les chapitres de l’Esprit des lois où l’auteur s’efforce d’amollir la férocité des vainqueurs, ou d’alléger le poids de la conquête, pour m’autoriser à regarder Montesquieu comme le publiciste qui, dans la question proposée à notre étude, a rendu les services les plus réels à l’humanité ?

Voltaire s’efforce d’obéir au précepte des critiques suivant lesquels l’historien ne doit être d’aucune nation. Il la dit lui-même, et cela dans une lettre à un roi étranger, il est cosmopolite. Il ne lui coûte pas de mépriser la tourbe des hommes employés au métier des armes : ces hommes étaient alors des mercenaires. Il ose faire du mot de voleur un synonyme du beau nom de soldat. Ne nous hâtons pas trop de l’accuser. C’était l’homme de lettres qui parlait ainsi. Il s’exprimait en artiste, et trouvait naïvement que la guerre doit être quelque chose de bien vilain, puisque les détails en sont si ennuyeux. A son avis, tout cela était bon pour faire l’entretien d’un vieux major et d’un lieutenant-colonel retiré dans sa province. Telle était sa philosophie sur cette folie humaine. La guerre dégoûtait son imagination encore plus qu’elle ne révoltait son cœur, et il ne manquait ni de l’un ni de l’autre. Il estimait que par la fureur des batailles l’homme se rapprochait des animaux, dont chaque espèce est née pour en dévorer une autre. Il ne concevait pas que la raison, présent divin accordé à l’homme, ne l’empêchât point d’agir comme s’il avait reçu de la nature des armes meurtrières pour tuer ses semblables et un instinct cruel pour sucer leur sang. Voltaire était un satirique ; mais qu’importe, si la satire contenait une forte leçon ?

Dans son article Guerre du Dictionnaire philosophique, un prince fait prouver par un généalogiste qu’il descend en droite ligne d’un comte dont les parens avaient fait un pacte de famille avec une maison dont personne n’a entendu parler. Cette maison avait des prétentions douteuses sur une province éloignée ; cette province ne connaît pas le prince, et ne veut pas le connaître. C’est la moindre difficulté : le prince ne doute pas de ses droits ; il assemble « un grand nombre d’hommes qui n’ont rien à perdre ; il les habille d’un gros drap bleu à cent dix sous l’aune, borde leurs chapeaux avec du gros fil blanc, les fait tourner à droite et à gauche, et marche à la gloire. » Nous pouvons inscrire sur cette page une adresse et un nom, le nom de Frédéric. Le roi de Prusse daigna s’y reconnaître et s’en plaindre à Voltaire ; c’était avouer son méfait. Une confession de roi n’entraîne la réparation que s’il le veut bien. Comme on le pense, Frédéric ne fut pas d’avis de restituer Clèves ou la Silésie : une province ne se rend pas ainsi.


On respecte un moulin, on vole une province,


et on la garde. Cependant autant qu’il dépendait de Voltaire, justice était faite, et le coupable avait pour châtiment les rires du public. Frédéric en était quitte pour des railleries, mais l’Europe cessa de croire aux testamens qui changeaient un peuple en un parc de moutons. Grâce à l’esprit de Voltaire et à celui de tout le monde, il fut désormais ridicule et bientôt impossible de faire la guerre pour cause d’héritage. Il est vrai que l’ambition a trouvé un autre tour. Elle réclame des provinces en vertu d’une prétendue nationalité, en vertu de l’origine, de la langue, des noms de villes, de montagnes et de rivières. Elle entre en campagne non plus avec des testamens, mais avec des traités d’ethnographie ; elle prend à sa solde non plus des généalogistes, mais des professeurs d’histoire qui oublient les droits sacrés de la vérité. Il y a plus de passion dans leurs factums, mais il n’y a pas moins de poussière et de pédanterie. L’avenir, nous l’espérons, fera crouler ces édifices de mensonges, et le temps viendra sans doute où les princes n’oseront plus revendiquer des pays libres avec des argumens de grammaire. On ne peut mieux saisir sur le fait l’idée que Voltaire et plus d’un honnête homme de son temps se formaient de la guerre qu’en lisant la correspondance de cet esprit si vif, si intelligent, si grand malgré ses erreurs. Il s’est exposé aux reproches de la postérité en se montrant parfois quelque peu prussien. Il a exprimé en vers, ce qui est une circonstance atténuante, le vœu singulier d’être un sujet de Frédéric ; mais c’était en 1740, lorsque le prince qui se faisait son flatteur était l’allié de la France. À ce moment, Frédéric était son héros. Voltaire avouait de bonne grâce qu’il lui était impossible de croire qu’un roi avec lequel il soupait et qui l’appelait son ami pût avoir tort. Ces soupers et cette amitié n’aveuglaient pourtant pas sa raison. A celui qu’il appelait Salomon et Alexandre, il envoyait des vers où les réserves tenaient plus de place que les louanges.

Vous êtes un héros, mais vous êtes un sage :
Votre raison maudit les exploits inhumains
Où vous força votre courage ;
Au milieu des canons sur des morts entassés,
Affrontant le trépas et fixant la victoire,
Du sang des malheureux cimentant votre gloire,
Je vous pardonne tout, si vous en gémissez.


Frédéric s’accommodait de cette distinction entre sa raison et son courage, entre le philosophe et l’homme de guerre. L’homme de guerre augmentait dès le début de son règne les armemens dont il s’était moqué sous le règne de son père ; il mettait sur pied 200,000 hommes, accablait d’ennemi vaincu, comme si l’effusion du sang n’avait pas la paix pour terme et pour but, pratiquait cette maxime rédigée par lui « qu’après avoir abattu un arbre, il est bon d’en détruire jusqu’aux racines pour empêcher que des rejetons ne les remplacent avec le temps. » L’homme de guerre portait l’espionnage à la hauteur d’une théorie dans un chapitre de ses Principes généraux de la guerre. Après avoir cité Voltaire, on me permettra bien de citer Frédéric. C’est placer à côté du langage bienfaisant de la paix celui de la guerre dans toute sa crudité. En les appelant à la vie dans le même temps, en les unissant par l’amitié, il semble qu’une destinée ironique ait voulu faire le rapprochement entre les vœux crédules de la philosophie et la cruauté froide de l’ambition guerrière. Combien nous-mêmes nous pouvons profiter de ce contraste pour apprendre où finit la générosité, où commence la duperie ! Les fragmens qu’on va lire semblent écrits d’hier.

« Il y a, dit Frédéric, quatre sortes d’espions : les petites gens qui se mêlent de ce métier, les doubles espions, les espions de conséquence, et ceux enfin que l’on oblige par violence à ce malheureux emploi…

« Lorsque par aucun moyen on ne peut avoir dans le pays de l’ennemi de ses nouvelles, il reste un expédient auquel on peut avoir recours, quoiqu’il soit dur et cruel : c’est de prendre un gros bourgeois qui a femme, enfans et maison ; on lui donne un homme d’esprit que l’on déguise en valet (il faut qu’il sache la langue du pays). Le bourgeois est obligé de le prendre comme son cocher, et de se rendre au camp des ennemis sous prétexte de se plaindre des violences que vous lui faites souffrir. S’il ne ramène pas votre homme après avoir séjourné dans le camp ennemi, vous le menacez de faire égorger sa femme et ses enfans et de faire brûler et piller sa maison. J’ai été obligé de me servir de ce moyen lorsque nous étions au camp de Chlusitz, et cela me réussit.

« Les guerres que j’ai faites m’ont donné lieu de réfléchir profondément sur les principes de ce grand art qui a élevé ou renversé tant d’empires. La discipline romaine ne subsiste plus que chez nous ; il faut de même qu’en suivant leur exemple la guerre nous soit une méditation et la paix un exercice…

« On prend alternativement à la guerre la peau du lion et la peau du renard ; la ruse réussit où la force échouerait. Il est donc absolument nécessaire de se servir de toutes les deux. C’est une corde de plus que l’on a sur son arc, et comme souvent la force résiste à la force, souvent aussi la force succombe sous la ruse. »


Ces pages du vrai fondateur de la monarchie, de la politique, de la stratégie prussiennes, ne vous semblent-elles pas comme à moi une trouvaille ? Et cependant devrait-il en être ainsi ? Il faut bien l’avouer, nous autres Français, nous aimons à être surpris ; lettrés, nous ne lisons pas, surtout les étrangers, lors même qu’ils écrivent dans notre langue ; soldats, nous dédaignons les précautions, les reconnaissances, les abris, nous offrons notre poitrine aux balles ; combattans chevaleresques, véritables arrière-petits-fils de Bayard, ne doutant pas de la victoire si nous sommes sans peur, contens de nous si nous sommes sans reproche !

Voilà donc l’homme de guerre dans la personne de Frédéric. Quant au philosophe, il proteste de son humanité, excuse la guerre comme un mal passager, comme une fièvre qui ramènera la santé, une saignée que l’on fait à son ennemi en délire ; seulement, s’il faut s’en rapporter à sa maxime de tout à l’heure, il s’agit d’une saignée à blanc. Entre l’homme de guerre et le philosophe, où était le véritable Frédéric ? Il était tantôt l’un, tantôt l’autre, ou plutôt tous les deux à la fois, obéissant au caprice de sa destinée. Cela convenait mieux à ses desseins ; cela lui permettait de nier sa liberté morale, paradoxe favori du prince allemand, subtilité germanique dont sa fortune se trouvait aussi bien que son esprit.

La première moitié de la correspondance de Voltaire avec son interlocuteur couronné semble parfois une discussion en règle entre l’hôte de Cirey qui lance ses argumens de son paisible cabinet d’étude et le royal guerrier qui renvoie les réponses assis au bivouac, écrivant sur un tambour. Si cette partie, malgré ses complaisances et ses faiblesses, fait honneur à Voltaire, la seconde est entièrement à l’éloge de son patriotisme. J’aime à le voir ici se rapprocher des sentimens qui animaient tous les Français contre le vainqueur de Rosbach ; j’aime à le voir, quoique à la distance du lac de Genève, se serrer avec ses concitoyens sous le drapeau de la France. Ne cherchons pas si sa brouille avec Frédéric eut quelque part au changement de ses dispositions. Quand je relis la correspondance de cet homme illustre, je ne songe qu’à l’applaudir de sa rupture avec le prétendu philosophe assis sur le trône. Je ne puis penser sans inquiétude à ce qui serait arrivé de cette grande réputation chère à la France, s’il s’était endormi dans les loisirs d’une académie de Berlin, s’il était resté près d’un souverain ennemi de sa patrie. Heureux plus que jamais d’avoir suivi les conseils de la fierté, d’avoir écouté cet esprit d’indépendance qui ne trompe guère, il juge désormais Frédéric avec une sévère franchise. Il ose soulever d’une main hardie son masque de champion de la liberté. Les rois de Prusse ont toujours pris sous leur protection les libertés germaniques. Voltaire n’en est pas dupe, ce qui ne l’empêche pas de se montrer généreux envers son ancien ami, quand il lui offre le secours de ses conseils dans la crise où ce prince songeait à finir par un suicide sa carrière aventureuse.

La Correspondance générale durant cette période remplit de la manière la plus honorable les lacunes de celle qu’il entretenait avec le roi de Prusse. Légèrement indifférent au début de la guerre de sept ans, il plaint ce pauvre genre humain qui s’égorge sur notre continent à propos de quelques arpens de glace au Canada. Le Canada est bien loin, et l’intervention anglaise ne touche pas beaucoup Voltaire ; mais, quand l’incendie envahit l’Europe, celui dont les mains l’ont allumé reçoit de lui le nom de roi des Vandales. Nos défaites le piquent au vif. La journée de Minden, où M. de Contades mène à la boucherie nos braves soldats, lui perce l’âme. « Je suis Français à l’excès, » dit-il. Il en oublie presque les intérêts de la philosophie : au lieu du livre de l’Esprit d’Helvétius, il demande à Thiériot de lui envoyer quelque bon atlas nouveau, où ses vieux yeux voient commodément le théâtre de la guerre et des misères humaines. Que dis-je ? il oublie qu’il a toujours plaidé pour la paix ; l’auteur du Dictionnaire philosophique préférerait quelque victoire. « Je vous avoue, écrit-il, que j’aimerais encore mieux pour notre nation des lauriers que des olives. » Au fond de sa retraite des Délices, il souffre des railleries que les étrangers se permettent sur la France abaissée, et se compare à celui qui voulait bien dire à sa femme ce qu’elle était, mais qui ne voulait pas l’entendre dire aux autres. Est-ce Voltaire ou quelque chauvin du temps qui fait vœu de n’aller habiter le château de Ferney que quand il pourra y faire la dédicace par un feu de joie ? Ce n’est pas assez, et la palinodie ne serait pas complète. Luc, car il ne donne plus d’autre nom au roi prussien, Luc lui semble abattu ; il veut qu’on l’écrase, et offre de parier trois contre un que Luc sera perdu avec ses vers et ses plaisanteries et ses injures et sa politique, tout cela étant également mauvais. Voltaire se trompait non sur les vers, mais sur la politique de ce prince ; il se trompait avec la France, qui, n’écoutant pas assez ses intérêts, avait soutenu jusqu’au bout la Prusse quand il fallait se rapprocher de l’Autriche, et maintenant soutenait jusqu’au bout l’Autriche quand il était grand temps de se tourner du côté de la Prusse. Honneur cependant à Voltaire pour avoir été citoyen plus encore que philosophe, pour avoir poussé son devoir de Français jusqu’à une courageuse inconséquence !

La guerre de sept ans interrompit brusquement ces agréables rêves de paix perpétuelle : le fait brutal imposa silence à la philosophie. Pendant que celle-ci aimait à se figurer les nations signant la paix du genre humain, au fond des marais et des sables de Brandebourg une famille obscure, une maison de soldats parvenus, rois seulement de la veille, produisait un prince qui battait nos généraux et se moquait d’eux. Quel triste démenti donné aux utopies philosophiques, et combien d’autres devaient les suivie pour nous de plus en plus cruels ! La France amoindrie, abaissée, raillée, voilà le premier fruit de ces belles idées, qui n’avaient fait que détourner l’esprit français du métier des armes ! Faut-il donc que notre nation, après avoir répudié, expié les actes de ses despotes, répudie, expie encore les paroles de ses philosophes, qu’elle souffre pour avoir fait la guerre, et qu’elle soit punie pour avoir voulu la paix, pour avoir prêté l’oreille à ces théories généreuses auxquelles son cœur est toujours prompt à s’attacher ? Ces théories mêmes en effet se retournent contre elle. Plus confiante encore dans ses intentions que dans ses forces, elle se laisse alors surprendre, et la bataille la trouve désarmée : elle écoute ses poètes quand elle devrait fondre des canons.

La seconde moitié du XVIIIe siècle ne fournit pas de successeurs aux avocats de la paix perpétuelle. A la révolte des colonies anglaises d’Amérique, la nation française se réveilla tout enflammée de l’esprit guerrier. La liberté y était pour beaucoup ; les rancunes contre l’Angleterre firent le reste. Qu’étaient devenus les beaux projets de l’abbé de Saint-Pierre et de Rousseau ? Leurs disciples les mettaient. en oubli, ou plutôt de leurs livres ingénus, dignes de l’âge d’or, ils faisaient des cartouches. De nouveau la France sacrifiait au génie de la guerre, entraînée cette fois, non plus par les projets ambitieux d’un gouvernement, mais par sa propre volonté et sous l’impulsion d’un sentiment national. La révolution de 1789 ne fut pas longtemps étrangère à l’ardeur des combats, et dès la première année de ses pacifiques délibérations l’assemblée constituante fut sur le point de lancer le pays dans les hasards des batailles. Il tint à bien peu que la voix du canon ne vînt se mêler aux éclats de l’éloquence de Mirabeau dans la discussion sur le droit de paix et de guerre. Ce mémorable débat est le dernier mot de la question au XVIIIe siècle. Les utopies étaient-elles entièrement oubliées ? Non, et Barnave croyait encore, comme Rousseau, qu’enlever au pouvoir exécutif le droit de déclarer la guerre, c’était la supprimer. Mirabeau osa dire à la tribune que les nations ne sont pas moins guerrières que les rois ; il ajouterait aujourd’hui qu’elles ne sont pas moins impitoyables quand on les mène avec des sophismes, quand on les fanatise par un faux semblant de gloire ou de prépondérance.

Tel est justement l’ennemi que nous avons devant nous. Il est plus que temps de secouer les beaux rêves pour voir la sinistre réalité qu’ils nous cachaient. La philosophie n’est plus de saison, ou plutôt sa leçon doit se confondre désormais avec celle du patriotisme. Publicistes, philosophes, écrivains de toute sorte, ont maudit cette fureur des armes qui fait de la société humaine une mêlée sanglante. Pour la conjurer, ils ont employé tous les moyens : ils se sont adressés tour à tour à l’humanité des rois, au bon sens des peuples, à l’expérience des hommes d’état ; mais le jour où ils ont vu que l’humanité, le bon sens, l’expérience, sont des barrières insuffisantes, le jour où la nation qui avait été la première à jeter au milieu de l’Europe le cri du poète, « la paix ! la paix ! » le jour où la France a montré à ses enfans ses plaies saignantes, tous, philosophes et soldats, hommes pratiques et publicistes méditatifs, se sont pressés autour d’elle. Aujourd’hui, devant une invasion comme les temps barbares même n’en connurent jamais de pareille, devant cette explosion sauvage d’une haine qu’on eût pu croire éteinte, et qui n’était que cachée sous les dehors d’une fausse amitié presque séculaire, que diraient, que feraient ces généreux idéalistes de paix et de concorde ? Combien ils rejetteraient au loin leurs belles théories dont la France s’est laissé trop aisément bercer, et combien ils regretteraient d’avoir voulu nous désapprendre la guerre en présence d’un ennemi qui ne nous laisse plus désormais aucune autre voie de salut que la guerre, la guerre à outrance !


LOUIS ÉTIENNE.