L’Hospice (Verhaeren)
L’HOSPICE
Et qui sont lents, et qui sont vieux,
À ceux qui, jour à jour,
— Depuis quels temps ! — ont fait le tour
De leur misère sédentaire,
Aux pauvres gens des durs métiers :
Portiers, veilleurs, gardiens et cantonniers,
Les petites villes octroient, parfois,
Le bénéfice
De boire et de manger et de dormir, sans joie,
Et ses anciens pignons, s’assoit
Au bout de la grand’rue.
Angles, bosses, plaques, verrues,
Font leur saillie à sa façade ;
Il est d’un bloc — et sa largeur est perforée,
De part en part, de fenêtres carrées
Qui regardent la cour symétrique et maussade.
Et c’est là qu’ils végètent, les vieux,
Autour de grands poêles de fonte.
L’hiver est froid, le vent hargneux.
Oh ! que de fois, les soirs, ils font le compte
De leurs malheurs, de leurs chagrins,
À sourde voix, à lentes mains,
Devant les autres vieux qui n’écoutent plus guère !
Il en est qui s’en furent en guerre,
Si loin que les astres de leur bruyère
N’éclairaient plus ces pays de là-bas ;
Ils en sont revenus, minés et las,
Heureux du maigre emploi que leur offrait la ville ;
D’autres survivent seuls à leur famille ;
D’autres songent à leur enfant,
Qui s’embarqua vers les levants,
Sans rien leur en apprendre,
Et c’est leur mal de chaque jour,
De repenser encore à son retour
Et de ne plus y croire, et, néanmoins, toujours,
Au long de blancs murs droits,
Traîner les vieux, de fenêtre en fenêtre ;
Et ces couloirs où l’on entend
Sonner le bruit intermittent
De leurs bâtons de hêtre ;
Et ce piteux et pauvre banc,
Où, deux par deux, au jour tombant,
Ils s’arrêtent et longuement se taisent,
Quand leurs pipes, comme des braises,
Brûlent seules, de leurs points d’or,
Le vide obscur et mort
Et leurs regards lointains, et leur défunte voix,
Et leurs craintes durant les insomnies,
Et leur patience à compter le temps,
Et l’égoïste et mécanique entêtement
Voici leurs lents départs, comme les mots
Monotones des litanies,
Et leur silence, au fond du vieux dortoir,
Où les cierges éclaireront, un soir,