Calmann-Lévy (p. 73-76).

VI

PETITS CISEAUX D’OR ET D’ARGENT

 « Petits ciseaux d’or et d’argent,
On vous appelle au bout du champ… »


Ainsi commençait une série de courtes phrases, incohérentes mais rythmées, que tous les petits enfants de mon époque et de mon pays savaient par cœur. Cela se chantait très vite, sur une seule note, et cela servait à compter pour savoir qui y serait, avant de jouer à cache-cache, ou à l’oiseau perché, ou bien aux quatre coins.

Dès ce temps-là, ces petits ciseaux d’or ou d’argent me faisaient toujours penser aux minuscules tiroirs des chiffonnières d’aïeules, où j’en avais vu, de ces vieux petits ciseaux, démodés, cassés quelquefois, mais conservés comme souvenirs, en compagnie de vieux dés, de vieux poinçons, de mille choses menues, ayant servi aux patientes broderies d’autrefois. Et dans nos paisibles maisons de province, transmises de père en fils, ils sont innombrables, les tiroirs de chiffonnières ou de bonheurs-du-jour, remplis de pauvres objets pareils, que l’on hésite à détruire. Sans parler des coffrets surannés où dorment, tant de vieilles bagues ayant perdu leurs pierres, tant d’alliances de mariage demi-usées, et des bouts de chaînettes d’or, des montures de faces-à-main, des broches trop vieillottes pour être portées mais pas assez pour jamais redevenir jolies…

Eh ! bien, un comité de Françaises a eu l’idée de se spécialiser dans la récolte de ces débris, qui semblaient d’humbles riens, mais qui, accumulés, puis fondus en lingots à la Banque de France, ont déjà permis de faire de larges aumônes. Donc, on en demande d’autres, d’autres encore, et je suis heureux d’être le porte-parole de ces femmes si ingénieusement charitables ; elles ont trouvé un filon auquel personne n’avait pensé, elles ont comme fait sortir de la poussière nombre de beaux billets de mille francs, que çà et là elles distribuent, soit à l’Œuvre des aveugles de la guerre, soit aux Asiles de grands blessés, soit aux orphelins de nos soldats.

Oh ! je sais bien que parfois on y tient beaucoup, à ces débris que je réclame, peut-être surtout aux vieux dés d’argent ou d’or, à cause des doigts des chères aïeules mortes qui les ont portés. Mais il faut songer que nous traversons des jours inouïs, et qu’elles seraient les premières, ces aïeules, à dire : « Mais oui ! Mais je crois bien ! Vous ne sauriez nous faire plus de plaisir ! Sans perdre une minute, pour nos soldats, donnez, donnez tout ! »


« Vieux petits dés d’or et d’argent,
On vous appelle au bout du champ… »


Oui, on vous appelle ; accourez, bonnes et gentilles reliques. Au fond des vénérables tiroirs vous deviez souffrir de votre inutilité, quand la France entière s’est dressée pour la défense suprême. Accourez vite, car, dans les creusets où tout s’anéantit et puis se transforme, vous trouverez une occasion, qui sans doute ne se renouvellera jamais plus, de très noblement mourir, en soulageant la misère de nos chers soldats mutilés.



(Les dons sont reçus chez Mme B. Roullet, présidente de l’Œuvre, 43, quai des Chartrons, Bordeaux, et partent de là pour la Banque de France.)