L’Honneur de souffrir/I. Dans l’âpre solitude où tu vis désormais


Librairie Grasset (p. 11-12).


I


— Dans l’âpre solitude où tu vis désormais,
Faut-il que jamais plus nul désir ne pénètre ?

— Je suis seule, en effet, et suis digne de l’être.
J’habite la ténèbre où sont ceux que j’aimais.

— Que fais-tu des vivants ?
Que fais-tu des vivants ?— Plutôt que de descendre
À des choix moins parfaits, je préfère les cendres.

— Ne veux-tu plus goûter d’exaltantes saisons ?

— L’instinct est un bonheur que n’est pas la raison.
Pour l’esprit renseigné, comblé, triste et lucide,
Tout est douleur. La mort a des sucs moins acides.

— Pour supporter le jour, ou ne le point haïr,
N’est-il pas de plaisir dont tu veuilles jouir ?


— La volupté contient les choses infinies :
La musique, les cieux, la gloire, l’agonie.
Mais, ne recherchant pas d’éphémères essais,
Je veux gémir encor des plaisirs que je sais.

— Rien ne fléchira donc ta plaintive exigence,
Ô corps plein de savoir, esprit plein de refus ?
Ne te reste-t-il rien du trésor que tu fus,
Et que tu répandais, même par négligence !
Rien ne te reste-t-il ?
Rien ne te reste-t-il ?— Non, rien. L’intelligence.