L’Homme qui rit (éd. 1907)/Notes-III-2

Texte établi par Gustave SimonLibrairie Ollendorff ([volume 9] [Section A.] Roman, tome VIII.p. 591-595).

sont plus critiques ou plus combattus. C’est le sort des belles et grandes choses. L’Homme qui Rit ne devait pas échapper à cette destinée.

Toujours est-il que Victor Hugo qui avait voulu écrire cette trilogie : l’aristocratie, la monarchie, la démocratie, abandonna son projet de volume sur la Monarchie, sans doute pour la raison qu’il donnait lui-même. Il ne voulait pas, pour l’instant, abuser du roman ; peut-être aussi les événements n’avaient-ils pas été étrangers à sa résolution ? L’empire s’effondrait l’année suivante, la République était proclamée. Son esprit s’orientait d’un autre côté à cette heure douloureuse.

Ce procès que Victor Hugo avait voulu faire au passé et qu’il méditait de poursuivre avait eu un dénouement tragique. Le mal du passé était dépassé par le mal du présent.

Le poète appartenait désormais tout entier à la patrie meurtrie, et en poussant, dans l’Année terrible, ces admirables cris de révolte contre la barbarie, il servait encore la cause du droit, de la justice et du progrès.


II

Revue de la critique

Le roman reçut du public français un accueil réservé. À l’étranger au contraire il obtenait le plus vif succès.

Les fâcheuses combinaisons commerciales dont nous avons parlé, une sorte de confiscation temporaire du livre, l’absence de toute publicité devaient nécessairement entraver la vente et produire une impression défavorable sur l’opinion. Le livre avait été mal présenté ; les épreuves n’avaient pas été communiquées aux journaux avant la publication, contrairement à tous les usages. Comment l’œuvre aurait-elle pu être jugée ? Victor Hugo considérait qu’elle n’était même pas publiée. La presse qui aurait eu des motifs de rancune fut cependant, en général, très favorable à l’Homme qui Rit.

Cette peinture vivante de personnages surhumains, leurs aventures dramatiques mêlées aux tragédies de la nature, cette résurrection du grand parlement aristocratique d’Angleterre, ces cris de révolte contre l’égoïsme des grands, des puissants et des heureux enfermés dans leur oubli des autres ; ces appels ardents à la pitié en faveur des pauvres, des petits et des souffrants, victimes des lois de fer, excitèrent l’admiration de la plupart des écrivains.

Il y eut des attaques. Quel est le livre de Victor Hugo qui fut épargné par ses adversaires habituels ? Les articles hostiles, peu nombreux, dénotaient la pauvreté des griefs et l’impuissance à rajeunir les procédés ordinaires de polémique. La critique la plus coutumière et d’ailleurs la plus vulgaire consistait à glorifier l’œuvre précédente au détriment de celle qui venait de paraître. Les adversaires découvraient la grandeur des Travailleurs de la mer seulement en lisant l’Homme qui Rit, comme ils n’avaient reconnu toute la beauté des Misérables qu’à l’apparition des Travailleurs de la mer. Notre-Dame de Paris passait chef-d’œuvre au moment de la publication des Misérables. Ainsi l’œuvre du passé, d’abord attaquée par un petit groupe, était louée par ce même petit groupe, sans souci des contradictions et dans le but de tenter d’amoindrir l’œuvre nouvelle. Ce procédé fut largement appliqué lorsque parut l’Homme qui Rit.

Il était de mode, dans quelques salons distingués par leurs prétentions, de parler du style redondant et ampoulé de Victor Hugo, de son abus des antithèses. Jouvin et Assollant obéirent à la consigne. Fâcheuse inspiration ; car le style n’avait jamais été plus « sobre d’épithètes et d’ornements ».

Nous avons cherché une critique un peu solide, un peu approfondie parmi les écrivains hostiles, nous avons trouvé seulement après l’article plus politique que littéraire de la Revue des Deux Mondes, cette étonnante affirmation d’Alfred Assollant : « les personnages, vraies poupées de carton peint, n’ont aucune vie réelle ». Théodore de Banville, Jules Janin et Émile Blémont ont répondu avec un sens très pénétrant et une inflexible logique. Ce n’était pas, en effet, le roman-type, mais un roman hors des proportions ordinaires, sorte de légende dans un cadre historique. Véritable drame de l’âme, qui dépassait par sa portée sociale et philosophique toutes les créations antérieures de Victor Hugo.

De là une certaine surprise, quelques résistances sincères qui devaient disparaître avec le temps. L’œuvre mieux comprise se dressait alors dans sa beauté allégorique comme la superbe protestation du peuple contre les iniquités sociales, l’image de l’homme déformé symbolisant les mutilations du droit, de la raison, de l’intelligence, de la justice et de la vérité.

Le Gaulois.
Émile Zola.

… Je ne peux m’empêcher de jeter le premier un cri d’admiration. Jamais Victor Hugo n’a été plus puissant. Ce volume, qui ouvre l’œuvre, n’est rien et comprend tout. Pas d’action, à peine l’indication du drame rien que des tableaux, mais des tableaux d’un ampleur magistrale. Le roman débute comm une épopée familière et terrible.…

Après quelques citations Émile Zola reprend :

… Les éléments de ce volume sont d’une simplicité extrême, et j’espère avoir donné une idée des effets superbes que le poète a su tirer d’un bateleur voyageant avec un loup, d’une barque sombrant en mer, d’un enfant perdu dans les ténèbres ; et encore n’ai-je cité que des lambeaux. Il faut lire chaque page, suivre le grand souffle qui monte, dans les moindres épisodes, du réel à l’épopée. Tout mon désir a été de communiquer aux lecteurs le besoin de lire ce prologue et de connaître la suite du drame.

Plus tard je jugerai.

Émile Zola, dans un second article, raconte longuement tout le roman et il ajoute :

… Ainsi finit cette œuvre puissante et grandiose que j’ai analysée page par page.

Mon intention était après l’analyse de faire la synthèse, c’est-à-dire un article de critique générale. Aujourd’hui, je sens l’inutilité de ce travail. Mes lecteurs connaissent l’œuvre dans ses plus minces détails, ils l’aiment comme moi, ils la jugent comme moi bonne et grande.

Le National.
Théodore de Banville.

L’Homme qui Rit a obtenu un immense succès en Europe et dans le reste du monde. Immense mais non pas incontesté, et la raison en est toute naturelle. En aucun temps d’abord l’auteur de Ruy Blas et de la Légende des Siècles n’a donné une œuvre nouvelle sans qu’elle excitât autant de colères et de haines que d’enthousiasmes…

Est-il facile de dégager l’idée mère de l’Homme qui Rit ? Oui, sans doute, car cette idée si grande, qui n’est autre que l’idée stoïque et l’idée chrétienne, est de celles que le poète a mille fois affirmées et défendues…

… Voilà donc l’idée du livre. Le juste persécuté semble malheureux et ne l’est pas ; le méchant triomphant semble heureux et ne l’est pas…

… Le style de Hugo s’est transformé pour sa mission nouvelle ; il est devenu tout muscles comme un Hercule, sobre d’épithètes et d’ornements, il emploie toujours le mot juste et qui frappe, et le met à une place décisive…

… Pourquoi donc — car il faut aborder la question brutalement et résolument — pourquoi donc l’Homme qui Rit n’a-t-il pu du premier coup devenir populaire, comme la Légende des Siècles ou Notre-Dame de Paris ? Ayons le courage de dire toute notre pensée, car le mensonge n’a jamais servi a rien ni à personne.

Victor Hugo, pour les nobles causes, est resté exilé, et l’exil a été fatal pour lui plus qu’il ne l’a été pour qui que ce soit au monde. Le mot de Voltaire : « Faites tous vos vers à Paris », semble avoir été écrit pour lui plus que pour personne, et Victor Hugo avait besoin de Paris autant que Paris avait besoin de lui…

Celui qui, dans l’Homme qui Rit, a écrit le chapitre intitulé : la Titane, est bien aussi né géant et titan ; enjamber les abîmes, brûler sa chevelure aux comètes, déranger pour passer les chariots d’astres, effrayer les tonnerres en parlant plus haut qu’eux, avoir dans son regard les fournaises des enfers et les sérénités des mille azurs célestes, voilà ce qui lui est naturel. Mais comme à Paris tout le monde subit Paris, l’esprit, les nécessités et les convenances de Paris, lorsqu’il était ici, force lui était bien de se baisser à notre taille, d’adoucir sa voix pour que nous puissions entendre, et de modérer la flamme de ses yeux pour que nous n’en soyons pas consumés.

Dans l’exil, malheureusement, il n’en a pas été ainsi. En face des cieux, des mers, des rochers qui sont aussi des géants et des dieux, le poète n’a plus songé à se rapetisser, à se contraindre, il a naïvement étiré ses membres pour se trouver plus à l’aise, et, tout doucement, il a repris sa taille de colosse.

Traduction du Courrier de l’Europe.
Algernon Charles Swinburne.

… Pour apprécier dignement ce livre, écartons la lampe du réalisme et lisons-le sous les rayons ensoleillés de l’imagination du poète se réfléchissant sur la nôtre. Par là seulement nous le verrons tel qu’il est. Sa beauté, sa portée sont idéales. L’œuvre a en elle-même une certaine qualité dont, pour ainsi dire, l’empreignent les éléments. Elle est grande parce qu’elle traite grandement de grandes scènes émouvantes. C’est une pièce où n’agissent pas seulement des êtres humains, mais où vent et mer, tonnerre et clair de lune ont des rôles à remplir. Et ce n’est pas tout : l’œuvre même participe de la nature de ces choses, agitée qu’elle est du souffle vital des éléments. Cela vous transperce et secoue jusqu’aux plus profondes fibres du cœur. Cela saisit et étreint l’esprit, telle Pallas tordant la chevelure d’Achille…

Ce n’est point chose facile que de parler des derniers chapitres du livre, cela est divin, impalpable, indéfinissable. Il faut que j’emprunte l’expression qui me manque : « Traînée d’étoiles ! Pleurs immortels ! », ou, pour citer Shakespeare après Carlyle : « C’est tout ce qu’il y a de plus délicieusement doux et triste ». En fait de pathétique, la poésie d’Eschyle n’est pas plus celle de Dante, et celle de Dante pas plus celle de Shakespeare que celle de tous ces génies réunis n’est celle de Victor Hugo. Tout maître de l’art possède un secret particulier pour ouvrir la source des pleurs ou de ce plaisir à la fois vif et mélancolique qui réside au-dessus et au-dessous de la région des pleurs

De quel côté devons-nous donc ranger le plus grand poète du siècle ? Cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Je ne crois pas qu’il ait jamais d’une main plus sûre tiré du clavier de la douleur des notes aussi profondes. Son œuvre ne renferme pas de beauté plus céleste. Et cependant — ou peut-être est-ce là la véritable cause — chaque mot a la vibration de l’émotion terrestre. Mais à travers le tout — mieux qu’au-dessus de tout — perce et monte une note d’une divine tendresse, effusion suprême de la pitié qui, avant nous, a rendu fou plus d’un sage…

Avant tout, du moins, ayons le bon sens d’en jouir et la gracieuseté de nous en montrer reconnaissant. C’est assez que le livre soit grand et héroïque, tendre et fort, — plein d’un bout à l’autre d’amour divin et passionné, d’une sainte et ardente pitié pour tous ceux qui souffrent par la faute des hommes — plein également de grâce lyrique et de force lyrique.

Je me contente donc d’être tout simplement heureux et reconnaissant — et c’est dans cette simplicité d’esprit que j’accepte ce livre comme un nouveau bienfait du chantre suprême qui vit aujourd’hui parmi nous la belle et noble vie d’un homme chérissant l’humanité qu’il sert et que l’humanité chérira à jamais.

Revue des Deux-Mondes.
Louis Étienne.

Ce roman est inférieur aux Travailleurs de la mer autant que celui-ci l’était aux Misérables.

L’analyse peut s’achever en deux mots. Les trente dernières pages où Gwynplaine retrouve Dea mourante et se jette à la mer pour ne pas lui survivre, contiennent tout ce que le roman a de plus pathétique, tout ce qui laisse dans le cœur une impression profonde. Pour y arriver il en faut traverser plus de trois cents qui manquent trop de vérité ainsi que d’intérêt.

La lecture de l’Homme qui Rit aboutit à la même conclusion que celle des œuvres précédentes de l’auteur, mais autrement décisive et impérieuse. Il y a des habitudes intellectuelles qui tiennent à l’air que l’on respire ; les organisations les plus puissantes, les tempéraments les plus robustes n’y sauraient résister. Que sera-ce lorsque la perspective de l’exil y ajoutera leur illusion ?

Le Journal des Débats.
Jules Janin.

C’est un livre irritant et charmant tout ensemble. On le quitte, on le reprend ; on l’exècre, on l’admire. Il s’agite éloquent depuis tantôt six mois au fond de mon cerveau, tour à tour charme et remords, épouvante, enchantement. On ne peut se défaire de ces créatures surnaturelles dans un monde odieux. Fuyez au fond de la caverne, et vous retrouverez ces yeux de fantôme qui rencontrent les nôtres comme dans un rêve. Allons, c’est décidé, ne résistons pas davantage. Parlons de l’Homme qui Rit en nous souvenant de la loi universelle de ce monde livré aux disputes : la nature n’a rien engendré sans querelle et sans opposition

Notez bien que là-bas, pendant que les hommes se livrent à leurs crimes, l’océan, la nuit, la tempête, les agents frénétiques du septentrion (frenetici scptentrionum) accomplissent leur tâche insensée.

Dans un récit de voyage écrit en latin en 1645, il était fort question des tourmentes que décrit M. Victor Hugo dans son chapitre intitulé « la Neige et la Nuit » : La neige était dure comme une pierre et la poussière était mêlée à de la grêle[1].

Voilà ce que le poète aura pu lire dans le récit d’Adam de Brème.

Et, dit-il encore, la glace était si noire et si sèche à cause de son antiquité qu’elle brûlait comme du charbon. À chaque page de l’Homme qui Rit, on démontrerait facilement la science et l’autorité de M. Victor Hugo. Sa gloire en ce moment est de ne rien inventer. En revanche, il appuie hardiment sur les preuves les plus authentiques. Il sait par cœur les Portulans, les Miroirs de mer et les Flambeaux du marin[2]. Même il en relève avec soin toutes les erreurs comme un pilote intelligent et dévoué.

Jules Janin décrit la tempête et montre l’enfant trouvant la petite fille dans la neige, et il ajoute :

Peu de gens à ces signes de désolation, d’accablement, de force exagérée, reconnaîtraient dans ces tristesses et dans ces fièvres le poète heureux de nos belles années, quand il vivait avec nous, sous les peupliers de son jardin. … à côté de sa belle et charmante épouse envolée il y a juste une année, les enfants se roulant dans la mousse avec des cris joyeux…

M. Hugo, dans son livre, a décrit le moindre accident de la terre et du ciel. Cerveau fait pour tout comprendre, langue écrite pour tout exprimer ; il sait le germe, il sait l’embryon ; il voit des choses que ne saurait voir aucun regard mortel ; il découvre le fantôme au sein de l’ombre ; il se promène à l’aise au fond du gouffre.

Le Livre d’or.
Émile Blémont.

L’Homme qui Rit est une des plus hautes conceptions de Victor Hugo, peut-être sa conception la plus spiritualiste. Dans cette œuvre, lui, l’artiste complet et souverain, l’admirateur triomphal de toutes les splendeurs plastiques, de toutes les révélations des sens, de toutes les harmonies et de toutes les floraisons de la substance, il prend pour héroïne Dea, une aveugle, debout sur le seuil du surnaturel, qui n’aperçoit que l’âme, et qui aime un héros monstre. Réalisation sublime du vieux conte de fées, la Belle et la Bête ! Pure et sainte exaltation de l’immatériel ! Protestation suprême contre la sanglante ironie de la destinée, qui donne la laideur physique pour expression à la beauté morale ! La poésie vengeresse crève les yeux à l’Éternel féminin. L’iniquité absolue est abolie. L’Éden est reconstruit par deux damnés. Ces deux négations de la forme s’unissent en une idéale affirmation du bonheur. Puis, sous la superbe figure de Josiane, la chimère ressaisit sa proie. La loi terrestre, la loi d’ombre et de douleur s’accomplit : « Il y a un bas-relief antique qui représente le sphinx mangeant un amour ; les ailes du doux être céleste saignent entre ces dents féroces et souriantes. »

La toute-puissance créatrice du poète s’affirme d’autre part en ce que, d’un seul élan, il vous emporte au cœur d’un monde nouveau.

Dès la première page, on se sent distinctement dans l’atmosphère de son génie. Les mots, la langue, le style, semblent tout neufs, et pétris tout exprès de sa vie et de son âme pour susciter des phénomènes inouïs, des sensations et des idées inconnues.

Opinion nationale
Jules Levallois.

L’auteur, et c’est selon nous un trait de génie, a personnifié l’aristocratie anglaise du dix-septième siècle dans une femme, la duchesse Josiane. Ce trait est doublement profond. L’intuition qu’avait eue Juvénal, Victor Hugo l’a élucidée…

En face de Josiane, Gwynplaine. L’homme qui tiendra tête un jour à la Chambre des lords exaspérée, affolée de colère, est déjà tout entier dans l’enfant abandonné qui va droit devant lui, malgré la solitude, la nuit, la tempête, la neige, et qui, au fond du malheur, à l’extrême degré du dénuement et du désespoir, trouve moyen de réchauffer, de sauver une créature plus petite, plus faible que lui. À coup sûr, il y a bien des scènes touchantes, émouvantes, originales, extraordinaires, dans l’Homme qui Rit ; mais je n’y ai rien trouvé qui m’ait causé une impression plus intense que ces deux points culminants, ces deux sommets de la grandeur morale, gravis, l’un par l’enfant, l’autre par l’homme, avec un égal courage : la nuit de l’abandon, la séance de la Chambre des lords. Je n’y admire pas seulement deux morceaux de premier ordre ; j’y vois surtout deux situations extrêmes, capitales, harmonieusement reliées, en vertu d’une conception profonde, par la science du maître…

Victor Hugo a persisté à ne négliger, à ne sacrifier aucune des parties, aucun des aspects de la vérité humaine. L’étendue et la plénitude de la conception, la sûreté et l’impartialité du coup d’œil jeté par le maître sur la société, sur la nature, ont déterminé chez lui ce procédé large, vaste, qui embrasse en quelque sorte l’univers et l’attache, non seulement à tout englober, mais aussi à tout pondérer.

Le Temps
X. Feyrnet.

… Il se peut raconter en une heure au coin du feu. Sa donnée en est presque celle d’une légende ou d’un conte. La féerie en est absente, mais il touche à l’extraordinaire ; les simples et les ignorants en seront charmés et attendris. Ce que le génie de l’écrivain, ce que sa force prodigieuse d’imagination a tiré de cette donnée a de quoi émerveiller les hommes les moins faciles à l’étonnement. Je ne crois pas que M. Victor Hugo ait frappé aucune de ses œuvres précédentes en prose d’une aussi vigoureuse et magistrale empreinte, et l’ait marquée à ce point du caractère de la grandeur…

Que s’il se trouve des gens timides tentés de crier à M. Victor Hugo : « Moins grand ! Moins grand ! », qu’ils se disent que cet excès-là est devenu bien rare, peu d’hommes en étant capables, et, lorsque par hasard ils le rencontrent, qu’ils se résignent et lui fassent grâce, en songeant à cette effroyable quantité d’œuvres qui n’ont, elles, d’autres excès que celui du petit et du médiocre…

  1. Frigido ab axe vcnti crumpunt, secum terentes tegulas, ramos sirus — après il tomba de la grêle dure, luisante et de l’épaisseur du petit doigt.
  2. Le Portulan, de la mer ou le Vrai guide des pilotes côtiers, par Henri Michelot, pilote sur les galères du roi.