CHAPITRE XXIII

Mlle HÉLIER RENSEIGNE LA PRESSE



Mlle Hélier, dont l’irritation ne demandait qu’à se manifester en une occurrence aussi désagréable à son amour-propre, fut rejointe dans la rue par la petite troupe des reporters, qui n’eurent, en somme, qu’à la laisser parler.

Elle ne leur cacha rien des événements qui venaient de bouleverser sa vie, et son indignation était si forte qu’elle ne s’aperçut nullement du plaisir malin que ces messieurs prenaient à d’aussi exceptionnelles révélations :

« Ni le professeur Jaloux, ni surtout le Dr Moutier, qui vient de se conduire si grossièrement à mon égard, n’ont le droit de se taire, leur dit-elle d’un trait, et puisqu’ils ne comprennent point leur devoir ou qu’ils en ont peur, je parlerai pour eux,

« Sachez donc que le monsieur qui revient de chez les morts, comme ils disent, est M. Jacques Munda de la Bossière, le propre frère de M. André Munda de la Bossière qui disparut d’une façon si singulière, il y a cinq ans, abandonnant ses enfants, le château de la Roseraie, son appartement à Paris et l’exploitation de sa manufacture de manchons Héron, près de la forêt de Sénart.

« La justice, vous devez vous en souvenir, essaya en vain de déchiffrer cette énigme ; elle y renonça. Mais il faudra bien qu’elle se remette à la tâche, car la vérité, un de ces quatre matins, finira bien par éclater : M. André de la Bossière a été assassiné ! »

« Qu’en savez-vous ? » demandèrent aussitôt les reporters qui ne perdaient pas une parole de Mlle Hélier et prenaient d’abondantes notes, avec le sourire.

« C’est M. de la Bossière lui-même qui est apparu à la jeune femme du notaire de Juvisy, M. Saint-Firmin, pour le lui dire !

— Pour lui dire qu’il avait été assassiné !

— Mais oui !

— Pas possible !… »

Et comme, à cette déclaration étrange, il y eut quelques murmures accompagnés de plaisanteries de mauvais goût, des « chuts » énergiques rétablirent le silence.

Alors Mlle Hélier put se lancer, avec une rapidité de parole extravagante, dans ses histoires de revenants, les seules qui, pour elle, fussent vraiment dignes de retenir l’intérêt de son auditoire.

Elle confia d’abord aux journalistes le rôle important qu’elle avait joué, pendant plusieurs années, au château de la Roseraie, et ne leur épargna aucun des événements fantastiques qui avaient précédé et occasionné son départ.

Ce furent tour à tour, l’histoire de la table tournante, les propos surprenants de Mme Saint-Firmin, ses évanouissements, le récit des apparitions du bord de l’eau qui lui avait été confirmé, quelques jours auparavant, par Mme Saint-Firmin elle-même, enfin les promenades du fantôme dans le château.

À l’entendre, ce fantôme de l’assassiné avait été rencontré par tout le monde dans les couloirs de la Roseraie et racontait le crime dont il avait été victime à qui voulait l’entendre.

Bien mieux, il avait sauvé d’une asphyxie par le gaz le plus jeune de ses enfants, avait ouvert une fenêtre et transporté son fils tout endormi dans le lit de Mme Jacques de la Bossière ; enfin, la nuit suivante, quelques instants avant l’accident, et par conséquent avant la fameuse opération pratiquée sur M. Jacques de la Bossière, le fantôme d’André était encore apparu au petit François qui avait poussé un cri si terrible que tout le personnel du château en avait été réveillé !

Jamais reporters à l’interview ne s’étaient tant amusés.

« En somme, fit observer le petit Darbois, d’Excelsior, dans ce château, tout le monde revient de chez les morts ! C’était un endroit prédestiné pour l’opération du Dr Moutier ! Mais vous, mademoiselle, avez-vous assisté à cette opération ?…

— Non, monsieur, on m’a mise à la porte. J’ai eu à peine le temps d’apercevoir le corps de M. de la Bossière mort, mais je ne l’ai plus revu depuis qu’il revit ! J’avais été « remerciée » auparavant, je ne faisais plus partie de la maison ! Et pourquoi, monsieur ? Parce que justement émue des apparitions de M. André de la Bossière et de ses rendez-vous au bord de l’eau avec Mme Saint-Firmin, j’avais prié les enfants de s’asseoir avec moi à une table d’acajou et de questionner eux-mêmes l’esprit de leur père sur les circonstances dans lesquelles le malheureux avait trouvé la mort ! Mme Jacques de la Bossière ayant appris la chose n’a pas hésité à me traiter de vieille folle !

— Cette dame est vraiment inexcusable ! » déclara le jeune Darbois, d’Excelsior.

« Si elle est inexcusable ! Dites donc qu’elle est criminelle !… J’agissais, en la circonstance, non point poussée par une malfaisante curiosité, mais dans le désir ardent de servir la vérité !

« Il est certain, continua-t-elle sur un ton qui n’admettait évidemment aucune réplique, que l’état de médiumnité dans lequel se trouve, à n’en point douter, Mme Saint-Firmin, retient dans le pays, au château et dans les environs, comprenez-moi bien, messieurs, comprenez-moi bien ! le peresprit du défunt ! Qu’y a-t-il de plus naturel pour une croyante comme moi, car je suis croyante, je ne le cache pas, et disciple d’Allan-Kardec depuis bien des années, qu’y a-t-il de plus naturel que j’aie essayé moi-même, avec l’aide des enfants du mort, de faire parler le mort qui rôdait autour de nous ?

« On m’a chassée : j’ai su depuis ce qui s’était passé au château, j’ai lu le premier numéro de la Médecine astrale, je suis venue à la conférence du professeur Jaloux. Pourquoi ces messieurs n’ont-ils pas voulu m’entendre ? Ce que j’avais à leur dire était pourtant bien simple : « Puisque vous avez ramené de chez les morts Jacques de la Bossière, interrogez-le sur la mort de son frère, c’est votre premier devoir ! » Il a dû rencontrer son frère ! Pourquoi nous cacherait-il ce que son frère lui a dit ? Enfin, messieurs, nous ne pouvons pas en rester là ! La justice doit se préoccuper à nouveau de l’affaire. Qu’elle enquête ! Qu’elle interroge elle-même le ressuscité ! Qu’elle interroge Mme Saint-Firmin !… Mon Dieu ! on a bien vu des juges d’instruction interroger des somnambules, et ils ne s’en sont pas plus mal trouvés !… »

Mlle Hélier eût pu continuer longtemps sur ce ton, mais elle s’aperçut que personne ne l’écoutait plus !

Les reporters étaient tous partis prendre le train pour Juvisy.