CHAPITRE XXI

LE MORT RESSUSCITE



Elle fut persuadée qu’il s’était suicidé.

Mais au Dr Moutier et au professeur Jaloux, accourus avec tout le personnel de la maison, elle parla d’un accident.

« Jacques, leur dit-elle, aura voulu prendre son revolver dans le tiroir de la table et le revolver lui aura échappé ; le coup est parti et l’aura frappé. »

L’arme fut, en effet, retrouvée, non loin du corps, sur le parquet.

Pendant qu’elle donnait ces détails d’une voix égarée et entremêlait ses explications de sanglots déchirants, les domestiques avaient porté le corps sur le lit de Fanny et les médecins, après avoir coupé avec des ciseaux la chemise de Jacques, examinaient sa blessure.

Ils constatèrent qu’elle était mortelle et que le malheureux du reste venait, à l’instant, de rendre le dernier soupir.

La balle l’avait frappé au cœur.

Quand elle sut qu’il n’y avait plus aucun espoir, la douleur et l’égarement de Fanny atteignirent au paroxysme. Elle se jeta sur cette dépouille encore chaude et l’appela des plus doux noms.

Mais il ne répondit pas.

Il était mort, mort, bien mort !…

Et cependant elle ne pouvait le croire encore. En se tordant les mains, elle suppliait les « deux princes de la science » que le destin avait, comme par miracle, réunis chez elle cette nuit-là, de faire des choses impossibles pour lui rendre son mari.

Elle se rappelait ce que le Dr Moutier avait dit dernièrement et se souvenait aussi des singulières paroles prononcées par le Dr Tuffier : Nous pouvons maintenant rendre la vie à un mort ! si nous nous y prenons à temps !…

Après avoir renvoyé les enfants qui étaient, eux aussi, accourus en criant, et jeté encore une fois à la porte Mlle Hélier qui, dans une circonstance aussi extraordinaire, aurait bien voulu se rendre utile et ne rien perdre de ce qui allait se passer, elle supplia les deux hommes de tenter l’opération. Mais ils n’avaient point l’air de la comprendre ; et, devant l’embarras du Dr Moutier, mis, d’une façon aussi inopinée, dans un moment aussi tragique, « au pied du mur », elle lui jeta avec une rage délirante :

« Charlatan ! Charlatan !… Vous êtes tous des charlatans !… Vous ne croyez pas un mot de ce que vous dites !… »

Moutier, qui venait d’écouter le cœur du mort au stéthoscope se releva, très pâle :

« C’est bien, madame !… Votre mari est mort !… Nous allons essayer de le ressusciter ! »

On venait justement de lui apporter sa trousse qu’il avait envoyé chercher à tout hasard dans sa chambre.

Jaloux le regarda et murmura :

« Pourquoi pas, après tout ? »

Déjà l’opération l’enthousiasmait, car il voyait tout le parti à en tirer pour la Médecine astrale, si par hasard elle réussissait.

Mais, auparavant, il fallait être absolument sûr que celui qu’ils allaient opérer était tout ce qu’il y a de plus mort !… Lui aussi écouta le cœur au stéthoscope, pendant que le docteur demandait tout ce qu’il lui fallait, disposait ses linges, ses instruments et se lavait soigneusement les mains selon le rite aseptique.

Jaloux se releva et, déposant le stéthoscope, dit :

« Pour être mort, il est bien mort ! Le dernier organe qui meurt, c’est le cœur. Quand le cœur ne bat plus, c’est la mort ! Il est donc mort !… Vous avez vu, Moutier, que la balle doit être entrée dans le ventricule droit ?…

— Vite ! Vite ! Vite ! » suppliait Fanny dont l’agitation les gênait et qu’ils voulurent éloigner. Mais elle promit d’être calme et le devint instantanément, en effet, après avoir juré qu’elle se tuerait si le docteur ne parvenait point à rendre Jacques à la vie.

L’opération commença. Les domestiques affolés s’étaient enfuis. L’idée que leur maître était mort et que les docteurs allaient tenter de le ressusciter les dépassait ; la femme de chambre, Lydia, la cuisinière, se signaient comme si le diable était venu habiter, cette nuit-là, le château.

Quand Moutier enfonça son bistouri pour la première incision sur la peau, il pensait qu’il n’y avait pas plus de cinq minutes que « son client » avait rendu le dernier soupir.

« Si je réussis l’opération en dix minutes, fit-il, tout bas, à Jaloux, il y aura du bon !… »

Jaloux, qui l’éclairait en tenant une lampe au-dessus de la poitrine de Jacques, lui dit :

« Tâchez de la réussir en cinq. Vous avez fait beaucoup de chirurgie autrefois !…

— Oui, mais tout dépend de la place occupée par la balle… »

Et ils ne se parlèrent plus. Jaloux, voyant Fanny effroyablement calme, lui confia la lampe et se disposa à aider son ami.

Déjà, après avoir ouvert un volet sur la peau et avoir « tourné » cette peau comme on tourne la page d’un livre, Moutier était arrivé sur le « gril costal ».

Jaloux lui passait les pinces hémostatiques, destinées à arrêter toute hémorragie. Le docteur, armé du « costotum » se mit à scier la deuxième, la troisième, quatrième et cinquième côtes, ouvrant ainsi un second volet qu’il tourna et rabattit comme le premier et sur le premier.

Aussitôt, il incisa le péricarde, la membrane qui entoure le cœur et arriva au muscle du cœur lui-même.

Comme l’avait pensé Jaloux, la balle était allée se loger dans l’épaisseur du muscle du ventricule droit, après avoir lésé le nerf « innervateur » du cœur, si l’on peut dire.

Le cœur, en effet, s’était arrêté de battre, parce que ce nerf, qui a pour mission de dilater et de contracter, tour à tour, le cœur, avait cessé de fonctionner.

Sans s’occuper d’abord de la balle, le docteur « alla au plus pressé », c’est-à-dire au fonctionnement du cœur. Il enfonça sa main dans le péricarde et prit le cœur à pleine poigne comme il eût fait d’une poire à vaporisateur et il lui imprima les mêmes mouvements de contraction et de dilatation.

Le moment était si solennel pour ces hommes de la science qui, avec de la mort, allaient faire de la vie, que la respiration des trois vivants qui étaient là s’en trouvait comme suspendue… Ils attendaient pour reprendre leur souffle que le mort respirât !… les deux docteurs avec une anxiété au moins aussi aiguë, aussi douloureuse que l’angoisse purement sentimentale de la femme qui attendait la résurrection de l’être aimé.

Le mouvement de contraction était des plus durs et, répété régulièrement, des plus fatigants, mais le Dr Moutier ne se lassait pas, pas plus que dans certaines circonstances d’asphyxie il ne s’était lassé d’opérer la traction rythmique de la langue… et, cependant, quelle différence entre les deux opérations : avec celle-ci, il arrachait un vivant à la mort, mais avec celle-là, il rendait un mort à la vie !…

Et tout à coup, il lui sembla que la circulation revenait… elle revenait, elle revenait !…

Jaloux constata avec un cri de triomphe les battements de la radiale !…

Et Fanny eut une clameur sauvage d’espoir, car la face du mort se colorait !…

Alors, tout se passa avec une rapidité inouïe : de la pointe de son bistouri, Moutier fit sauter la balle de sa prison musculaire, puis se mit à recoudre la lésion et, le point de suture terminé, à refermer les volets de chair et d’os, les rappliquant l’un sur l’autre, avec une précision mathématique qui devait permettre la soudure rapide, presque immédiate…

Et le mort continuait à respirer !…

« Madame, dit Moutier à Fanny d’une voix tremblante, votre mari revit !… Si aucune complication ne se produit dans l’état du ressuscité, il sera tout à fait guéri dans huit jours, et pourra se promener dans quinze ! »