Fables de La Fontaine (éd. Barbin)/1/L’Homme entre deux âges, et ses deux Maîtresses

Pour les autres éditions de ce texte, voir L'Homme entre deux âges et ses deux maîtresses.


XVII.L’Homme entre deux âges, & ſes deux Maiſtreſſes.



Un homme de moyen âge,
Et tirant ſur le griſon,
Jugea qu’il étoit ſaiſon
De ſonger au mariage.
Il avoit du contant.

Et partant
Dequoy choiſir. Toutes vouloient luy plaire ;
En quoy noſtre amoureux ne ſe preſſoit pas tant.
Bien adreſſer n’eſt pas petite affaire.
Deux veuves ſur ſon cœur eurent le plus de part ;
L’une encor verte, & l’autre un peu bien mûre ;
Mais qui reparoit par ſon art
Ce qu’avoit détruit la nature.
Ces deux Veuves en badinant,
En riant, en luy faiſant feſte,
L’alloient quelquefois teſtonnant,
C’eſt-à-dire ajuſtant ſa teſte.
La Vieille à tous momens de ſa part emportoit
Un peu du poil noir qui reſtoit,
Afin que ſon amant en fuſt plus à ſa guiſe.

La Jeune ſaccageoit les poils blancs à ſon tour.
Toutes deux firent tant que noſtre teſte griſe
Demeura ſans cheveux, & ſe douta du tour.
Je vous rends, leur dit-il, mille graces, les Belles,
Qui m’avez ſi bien tondu ;
J’ai plus gagné que perdu :
Car d’Hymen, point de nouvelles.
Celle que je prendrois voudroit qu’à ſa façon
Je vécuſſe, & non à la mienne.
Il n’eſt teſte chauve qui tienne ;
Je vous ſuiſ obligé, Belles, de la leçon.