L’Homme bicycle/04
iv
Le pauvre Marius finit par s’accoutumer à son étrange position. Même, il y trouva peu à peu du charme, un je ne sais quoi de piquant et d’imprévu. Il recevait des visites flatteuses, des hommages sans nombre et des compliments qui chatouillaient son amour-propre. Des femmes qui l’avaient dédaigné lorsqu’il n’était qu’un homme comme tout le monde tombèrent amoureuses de lui, et il eut la joie cruelle de les repousser à son tour. Plusieurs s’asphyxièrent par suite de leur désespoir.
Inutile de dire que les plus brillantes propositions lui furent faites par des impresarios américains. Mais il refusa énergiquement de s’exhiber sur une scène et voulut rester au milieu de sa famille dans sa ville natale dont il était l’orgueil. Il refusa également de se présenter à la députation, malgré la certitude d’être élu par ses concitoyens. Aucune ambition politique ne le tentait, et il ne cachait même pas son dédain pour les fonctions publiques. Au 14 juillet cependant, il consentit à être nommé chevalier de la Légion d’honneur.
Enfin, une année, passa en Provence une princesse belle comme le jour. Elle alla rendre visite à Marius, de même que le faisaient tous les touristes et devint éperdument éprise du jeune homme. Elle déclara à son royal père qu’elle n’aurait jamais d’autre mari que lui.
Le roi commença par refuser, mais, son médecin ayant dit que la princesse mourrait de chagrin si elle n’épousait pas Marius, il se laissa fléchir. Les noces se firent dans les délais légaux et d’une façon somptueuse.
Un an après, la princesse accouchait d’un fils monté sur un petit bicycle de chair et d’os, ce qui était facile à prévoir. Ainsi naquit parmi les hommes, au commencement du vingtième siècle, une race d’hommes-bicycles, analogues aux centaures de l’antiquité. Cette race fut fertile en esprits ingénieux et remarquables, et jeta un peu de distraction dans l’humanité.