L’Homme à la longue barbe/8. Assassinat du Maire de Toulouse



CHAPITRE VIII.

Assassinat du Maire de Toulouse.


Groussac, maire de Toulouse pendant la terreur, sous le gouvernement plus supportable du Directoire, s’était conservé de nombreux et mortels ennemis.

Un jour, sur le point de retourner de Bordeaux à Toulouse, et prêt à monter dans la malle-poste, on le prévient que trois individus ont formé le projet de l’assassiner. Il ne tient aucun compte de cet avertissement, il part ; mais à une lieue de Bordeaux, ce qu’on lui avait prédit arriva. Les trois assassins le firent descendre de la chaise, le mirent à genoux avec violence ; et après l’avoir sommé de recommander son âme à Dieu et d’implorer le pardon de tous les prétendus crimes qu’il avait commis, ils l’exécutèrent à coups de poignard.

La dangereuse réputation du Superbe ne manquait jamais d’attirer sur lui les premiers soupçons. Il fut cité comme l’un des auteurs de ce meurtre ; mais au moment où il se commit, à une lieue de la ville, ainsi que nous l’avons rapporté, le Superbe dînait dans une maison de Bordeaux ; il se justifia plus tard, prouva l’alibi, et fut acquitté.

Il n’en resta pas moins quatre mois détenu, sous le poids d’une accusation terrible, que ses ennemis s’étaient empressés d’élever, et il rentrait dans cette prison de la Commune, d’où, plus heureux que lui, venaient de sortir ses camarades.

À l’instant même, un gardien nommé François voulut le traiter brutalement ; le Superbe s’empare soudain d’une cruche qu’il trouve sous sa main, et l’appelant : « Valet ! » la lui brise sur la tête. Quelques personnes ont prétendu que ce n’est pas la cruche, mais la tête qui fut brisée : toujours est-il que cinq gendarmes se présentèrent pour l’arrêter et le plonger dans un cachot. Mais à leur vue, le Superbe s’élance sur l’un d’eux, lui arrache son sabre, et se met en garde au milieu du vestibule de la prison, en leur criant : « Que celui qui a du cœur m’approche ! » Les gendarmes prirent la fuite, dressèrent un procès-verbal, et l’on commanda main-forte pour transférer le coupable au fort du Hâ.

C’est ce fait que l’on qualifie d’espièglerie dans un des billets qui sont joints à la suite des lettres et en font partie.

Quelques jours après, deux gendarmes se présentent à la prison pour mener Duclos à l’interrogatoire, et le placent dans une voiture au milieu d’eux. Tout-à-coup, le Superbe saisit d’une main par la poitrine un des exempts, qu’il tient en respect, et à l’aide de son dos et de ses reins, écrasant le second contre le coffre, il ouvre la portière de l’autre main, s’élance avec la rapidité de la foudre, traverse les allées d’Albret, et va se blottir au milieu des décombres d’une maison démolie.

Les gendarmes, pour ressaisir leur proie, crient à la foule ameutée que c’est un voleur ; mais le fugitif avait disparu, lorsqu’un enfant, qui l’avait vu se glisser dans la retraite où il espérait attendre la nuit pour s’évader, le fit découvrir. Une force supérieure fut employée à l’arracher de l’espèce d’antre, où il se défendit comme un lion ; et de retour au fort du Hâ, quatre mois de détention furent le prix de cette nouvelle escapade. Ce temps expiré, le procès s’instruisit, et un considérant solennel le déclara innocent et lui rendit la liberté.

Un des meurtriers du maire de Toulouse, faisant parade, long-temps après, de ses exploits contre les jacobins, raconta ce fait au Superbe, avec l’orgueil et la complaisance d’une belle action : « Vous me faites horreur ! s’écria Duclos ; je ne vous reverrai de ma vie ! »