L’Heure nocturne (Verhaeren)

Poèmes (IIIe série)Société du Mercure de France (p. 186-187).

L’HEURE NOCTURNE


 
Près d’une porte où luit du sang, sur les battants,
Mon cœur, là-bas, est haletant ;
Près d’une porte, en des sous-sols, voisins de havres,
Mon cœur surveille au loin de terribles cadavres.

Ce sont des morts qu’on y apporte,
À bras d’hommes ou sur des brancards noirs ;
Des morts anciens qu’on apporte, le soir,
Et que l’on jette en blocs,
Avec des chocs, contre la porte.

Là-bas, mon cœur surveille un multiple remords,
Le sien, qui heurte et bat la porte ;
Et moi je suis son âme effrayée — et la mort
Près de mon cœur, s’est assise contre la porte.


Ce qu’ils se disent entre eux, on ne le comprend pas,
Mais ce qu’ils se disent, qu’importe !
Je n’entends rien, sinon mon cœur
Pleurer et se tuer contre la porte.

C’est étouffé comme de l’ombre,
Ce battement, contre la porte,
À l’unisson de chaque mort
Que l’on jette contre la porte.

La nuit surplombe les tombeaux.
Et je meurs d’écouter contre la porte
Mon cœur blessé, mon cœur cassé,
Morceaux de cœur, contre la porte !