L’Hermaphrodite (Le Nismois)/Texte entier

(alias Alphonse Momas)
[s.n.] (Tome 2p. 1-163).


Deuxième Partie


I


La porte de la loge de l’Ermite refermée sur elle, Josépha demeura quelques instants dans un grand effarement. Elle avait tenu tête à l’homme qui violait la loi des Bleuets, cette loi dans laquelle, elle et ses devancières crurent sincèrement à l’harmonie des sexes, à la vie exempte d’appréhensions et de terreurs.

Sur sa tête, l’orage s’abattait d’une façon inattendue, et tel le cyclone ravageant subitement une contrée prospère, tel l’acte d’Antioche bouleversait son esprit, éparpillant ses idées et ses rêves.

Le dépucelage de Marthe disparaissait devant la violence commise sur sa personne ; elle considérait la Communauté des Bleuets en péril par cette atteinte à sa suprématie.

Longtemps prostrée, elle ne se ressaisit que lorsqu’Antioche reparut, lui apportant des aliments ; elle lui témoigna le froid dédain dans lequel elle le tenait.

De nouveau seule, dînant, car femme d’action et de tempérament, elle ne boudait pas à table, elle envisagea avec plus de justesse sa position.

Elle était prisonnière d’un de ses subordonnés, avec la complicité de tout ce qui aurait intérêt à sa claustration, et même à sa suppression.

Elle examina cette éventualité. Elle ne pouvait être supprimée. Le cas était prévu dans la discipline du Couvent. Les absences non justifiées entraînaient la déchéance de l’abbesse. Cette déchéance provoquait l’interdit sur la Communauté, avec rappel de l’abbesse précédente. La suppression de l’abbesse se révélant dans le manque de nouvelles, dans le défaut de sa signature au bas des actes administratifs et sociaux chez Me Dollempt, dans le sceau du Couvent non remis à une mandataire, la déchéance ne se prononçait pas.

Or, si on lui avait pris l’anneau et le collier, on avait oublié ce sceau qu’elle gardait sur elle, et qu’elle cacha pour qu’on ne le lui enlevât pas dans la nuit.

Elle rejeta donc tout d’abord l’idée de sa suppression, mais dans les heures qui suivirent son repas, et dès qu’elle se fut couchée, elle aperçut la clause d’absence d’un mois de l’abbesse, sur laquelle, avec une complice intelligente, Antioche s’appuierait pour essayer d’obtenir sa déchéance, et en conçut de l’inquiétude. Elle se rasséréna ; là encore, une rebellion aussi bien organisée qu’elle fût, se heurtait à des clauses secrètes du manuel régissant les hauts pouvoirs de la Communauté et ses rapports avec les laïcs.

Le sommeil la fuyait, la solitude lui pesa ; elle eut une crise d’abattement après la visite nocturne d’Antioche. Elle envisagea avec tristesse le revers immérité qu’elle subissait après six ans d’une autorité, exercée avec plus de douceur et de mansuétude que de sévérité et d’autocratie.

Six ans déjà qu’elle était abbesse, six ans que sa beauté triomphante et universellement acclamée, lui fit réunir les suffrages pour succéder à une abbesse de cinquante-et-un ans, ne partageant déjà plus depuis près de quatre ans la vie de ses nonnes et de ses moines, restreignant de mois en mois les fêtes générales, sans oser proscrire ouvertement la liberté individuelle des plaisirs, ne pratiquant plus que ses débauches avec les galvaudeux qu’on lui ramassait !

Six ans, qu’en posant sur son front la couronne de sainte Sorignitte, fondatrice de l’Ordre des Bleuets, l’aumônier s’agenouillant ensuite pour lui baiser le genou et la cuisse nus, lui dit :

— Des cuisses de la femme sort la perpétuation de l’humanité, dans les cuisses de la femme règnent le bonheur et la volupté. Abbesse des Bleuets, je baise ton genou, je baise ta cuisse, et les proclame sources de félicité et de plaisir pour la Communauté.

Alors, tandis qu’il la montrait troussée, les jupes ramassées sur le côté où il s’était placé, deux par deux, les prêtres et les moines de la Communauté défilèrent, saluant son ventre et ses poils par une courte génuflexion, leur permettant de la contempler dans ses charmes ; puis les sœurs de toutes catégories, les nobles et belles dames de retraite, les servantes laïques, et enfin les représentants laïcs de l’Ordre au dehors. Tout ce monde ensuite rangé en cercle, on la fit monter sur une estrade élevée au milieu du salon de cérémonie, et d’où elle-même elle put se trousser et se montrer nue, de la ceinture aux pieds, à tous les regards avides, acclamant chaque partie de son corps.

Sur l’estrade, on installa un trône, et par groupes on vint lui présenter ses hommages, lui prêter serment de fidélité et d’obéissance. Rayonnante de grâce et d’émotion, elle en descendit pour se mêler à tous, permettre toutes les licences et tous les plaisirs, et se retira enfin avec son amant, l’abbé Hermal.

Toute sa vie d’abbesse se retraçait à sa mémoire, et elle n’y relevait aucun excès de pouvoir, autorisant des inimitiés.

L’abbé Hermal ne resta certes pas longtemps son amant, et comme ses devancières, elle se porta surtout sur le saphisme. N’était-ce pas fatal avec toutes ces jeunes, belles et ardentes nonnaines, qui se surpassaient pour attirer son attention !

Déjà lancée dans le mouvement par les trois ans de claustration qui précédèrent son élévation à l’abbétiat, elle ne s’y précipita qu’avec plus de furie, lorsque ses caprices devinrent comme une faveur pour celles qu’elle choisissait.

Elle eut du moins à cœur de ne pas priver les moines des délices de ses amours, et parut de temps en temps à leurs fêtes particulières, y prenant un amant de passage. Elle honora ainsi Victor-Étienne.

Victor-Étienne ! Elle le revit à son arrivée au Couvent, il y avait à peu près trois ans, beau et robuste jeune homme de vingt-cinq ans, de peau blanche et fine, s’éprenant de suite d’elle, à leur première entrevue, lui faisant une cour très assidue, et si heureux lorsqu’elle l’accueillit, qu’il faillit jurer de ne plus jamais approcher d’autre femme.

Approcher d’autre femme ! La loi des Bleuets ne l’ordonnait-elle pas pour dissiper les réticences et les jalousies ! Elle le passa à ses amies, à Espérandie entre autres, qui voulut le lui enlever d’une façon définitive, et qu’elle dut punir, malgré l’affection qui les liait, pour sa prétention à la dépasser dans son cœur.

Victor-Étienne fut un excellent conseiller, qui lui fit décréter de très bonnes mesures : la scène du paradis, dans le jardin des Délices, pour les novices ; les accouplements de sœurs cloîtrées avec des moines ; la tolérance des visites féminines chez les frères, choses qui n’existaient pas avant elle, et qu’elle dut cependant interdire quelques semaines auparavant, à cause de certaines sœurs qui y séjournaient un peu trop longuement.

Antonine effaça peu à peu le charme qui la liait à Victor-Étienne, et elle fit avec celle-ci autant de folies dehors que dans les murs du Couvent.

Son rôle d’abbesse l’enchaînait à deux fins : celle de la direction des sœurs et des moines, et celle de la représentation de l’Ordre et de ses mœurs, devant le monde religieux et devant le monde politique.

Avec le premier, elle traitait par les prêtres, les évêques, les légats, et obtenait ses franches coudées. Avec le second, elle luttait par ses complaisances, celles de ses femmes, celles des belles et grandes dames du monde, se rattachant à la Communauté par l’asile de retraite qu’elle leur offrait, par ses alliances avec les femmes de tous les mondes dont elle pouvait disposer.

Car elle commandait réellement à tout un petit peuple.

Cette autorité dont elle était investie, on ne la lui ravirait pas. On pouvait la paralyser à l’intérieur du Couvent pour un temps déterminé, on ne pouvait rien contre elle au dehors.

Il ne se passait pas de mois où elle ne fût appelée à causer avec quelque grand personnage de l’État, avec de puissantes notabilités étrangères, et son influence hors du Couvent s’affirmait encore plus considérable que son autorité sur le personnel des Bleuets.

La Communauté des Bleuets rendait toutes sortes de services qu’ignorait le vulgaire, que ne soupçonnait même pas la majeure partie de ses membres. Il fallait bien payer la tolérance dont elle jouissait auprès des pouvoirs publics, la protection occulte qui assurait le silence autour de la puissance qu’elle représentait !

Quelques jours auparavant, dans le cabinet d’un des grands directeurs de l’Administration, où elle avait été mandée pour recevoir un don princier d’un étranger, le directeur la plaisantant sur cette merveilleuse compréhension de l’amour et de ses plaisirs, lui dit :

— Pour nous, ma sœur (il m’est impossible de vous appeler ma mère), vous êtes une ressource sans pareille et qui nous aideriez à vaincre bien des difficultés, si la routine et la sottise qui règnent dans les esprits de nos gouvernants, ne les empêchaient de renoncer aux préjugés et aux idioties voulus par l’esprit clérical. Votre maison est le bordel par excellence pour les souverains et leurs représentants, et vos sœurs nous ont valu plus d’un triomphe secret, mais important.

— Le mot sonne mal, Excellence, nous pratiquons la religion et la charité d’amour. Vous nous méconnaissez en nous classant dans le monde qui se vend.

— Vous ne vous vendez pas, certes non, et ce n’est pas ma faute si notre langue manque d’un mot propre pour désigner votre Communauté.

— Communauté religieuse.

— Oui, oui, mais sachant faire ses affaires.

— Et celles du pays.

— Je n’en disconviens pas. Le prince de X… qui vous envoie ces cinq cent mille francs, est parti charmé, enthousiasmé de vous, tout reconnaissant pour nous, enchanté du pays, attestant que nulle autre part pareille institution existe. Vous l’avez empaumé.

— Le mérite n’est pas grand, et mes sœurs n’ont pour ainsi dire pas donné. Installé dans notre annexe, dit le Déversoir, il a fêté la duchesse de V…, la femme d’un sénateur, et votre servante. Sa satisfaction témoigne de nos bontés, non de notre vénalité. Le Couvent seul profitera de cette bonne aubaine.

— Et nous, ma sœur, pour le traité signé.

De ce directeur, lui remettant une aussi forte somme, elle obtint autorisation de passage sous une des rues latérales d’un des établissements des Bleuets, pour se relier à une immense maison particulière, achetée depuis peu.

Elle luttait au dehors, au dedans, dans l’intérêt du Couvent, et la sotte rebellion d’un moine, marchant sur ses brisées, risquait de compromettre la bonne renommée de l’organisation des Bleuets.

Elle en revenait à ses noires idées.

Marthe apparaissait à son tour, dans son souvenir, et elle regrettait de ne pas l’avoir menée avec elle dans son entrevue avec l’aumônier. Dépucelée, perdait-elle de son charme ? Elle réfléchissait et ne savait que répondre. Le fruit n’avait plus la même saveur ; elle voyait en Marthe un petit homme, ayant beaucoup de la femme, et à ce titre, pouvant mieux lui convenir pour une union presque maritale.

L’abbesse mariée à une hermaphrodite, voilà ce à quoi elle tendait, au milieu d’un cérémonial imaginé par un des esprits inventifs de l’Ordre, cérémonial dont la légende demeurerait éternelle.

Pour épouser dans l’Ordre, malgré sa toute-puissance d’abbesse, malgré la latitude laissée par la tolérance religieuse à tout ce qui se rapportait aux choses de l’amour, derrière les murs des Bleuets, il fallait au moins le pucelage féminin du mari. Elle le comprenait et se rendait compte que l’aumônier, déjà rétif à une consécration laïque dans les salons d’un pacte d’union avec l’hermaphrodite, regimberait fortement du moment où elle émettrait la prétention d’aller devant l’autel demander la sanctification de cette union.

Elle l’avait rêvé ce mariage avec l’hermaphrodite, mariage qui scellerait sa renommée d’abbesse d’un fait mémorable.

Elle s’endormit sur le matin d’un lourd sommeil, que ne troubla pas la nouvelle visite d’Antioche apportant son déjeuner.

Le moine se retira sans bruit, et ce fut le tapage d’une porte de fer, refermée plus loin, qui la secoua. Elle consulta sa montre dont on ne l’avait pas privée, et vit qu’il était onze heures du matin. Elle sauta à bas du lit et resta un instant toute pâle, interdite, regardant partout autour d’elle avec effarement, cherchant… une issue quelconque, révélant un ajout indispensable à la pièce.

Cette loge de l’Ermite, si elle la connaissait de nom, elle ne la connaissait pas de fait, ne s’étant jamais aventurée dans la partie des souterrains dépendant des bâtiments des moines.

Une crispation la saisit, elle tourna par la pièce et eut un éclair de joie. Un loquet se montrait sur un mur, elle le souleva, et par une porte qui s’ouvrit, aperçut un petit escalier ; elle le monta et arriva à un local, d’où on distinguait la clarté du jour.

Elle ne pouvait en croire ses yeux.

Une fenêtre existait à sa disposition ; elle étudia autour d’elle : elle se trouvait dans un long cabinet, assez étroit, mais offrant d’un côté un cabinet de toilette muni des ustensiles et de l’eau indispensables, de l’autre un water-closet assez confortable.

Une croisée en demi-lune, barrelée de fer, donnait le jour, et elle se rappela alors que le grand mur des moines s’étendait sur une ruelle isolée, et était construit sur une sensible élévation par rapport aux établissements des sœurs.

Regarder dans la ruelle, elle ne s’en priva pas ; la solitude la plus complète y régnait ; elle s’en convainquit en ouvrant la vitre, située comme un hublot de cave à hauteur de la chaussée. Elle n’apercevrait les passants que par les jambes.

Cette croisée, si infime qu’elle fût, la remit entièrement d’aplomb, elle avait la délivrance à sa portée, peut-être pas pour une évasion, mais certainement pour une communication avec le monde extérieur par l’obligeance de quelque promeneur qu’elle interpellerait.

Tout à fait à l’aise, tout désordre réparé, elle réintégra la loge de l’Ermite, toujours éclairée par des lampes, pour y réfléchir sur les événements et sur la manière dont elle invoquerait l’aide du dehors.



II


À trois heures, Antioche entra, accompagné d’une sœur, vêtue de noir, le visage masqué par la cagoule. Elle tressaillit à cette vue et s’écria :

— La rebellion se propagerait-elle, qu’une sœur se prête à ton abomination !

— Il n’y a de rebellion que par ton entêtement a oublier ton rôle de mère et à ne pas vouloir pardonner.

— Depuis quand, aux Bleuets, pardonne-t-on sans que le châtiment ait suivi son cours ?

— Le châtiment est sur ta tête, orgueilleuse abbesse, non sur la nôtre ! J’ai mené une de nos sœurs pour te démontrer le chemin fait dans une nuit. La lutte s’ouvre inexorable entre toi et moi. Tu n’as pas voulu pardonner, ton absence est justifiée, je suis le maître du Couvent.

— Cette fille, traîtresse à son abbesse et à l’Ordre qui autorise notre Communauté, est si peu sûre de ta maîtrise, qu’elle cache son visage !

— D’un geste rapide, Espérandie lança sa cagoule à terre et se découvrit.

— Toi ! s’écria l’abbesse.

— Elle est ici, reprit Antioche, pour te dicter et te faire écrire la formule d’investiture du pouvoir, que tu lui confères par l’entremise de Marthe.

— Vraiment !

— Nous te marquons ainsi notre désir de traiter plus tard et en paix, quand tu seras revenue à la saine notion de ta faiblesse actuelle.

— Lis la lettre.

L’abbesse, assise sur un fauteuil, les jambes allongées, écouta en silence cette lecture :

« Obligée de m’absenter, sans avoir fait reconnaître Marthe comme une moitié de ma personnalité, je ne veux pas qu’il soit sursis à cette reconnaissance, et je délègue notre sœur Espérandie pour me représenter auprès d’elle et auprès des sœurs dans toutes les circonstances qui se produiront dans la manifestation de l’Abbétiat. Salut et amour à nos sœurs et à nos frères. »

Au grand étonnement d’Antioche et d’Espérandie, l’abbesse ne se récria pas et dit :

— La lettre est bien telle que je l’eusse écrite ; elle est dans nos traditions.

— Rentrons-y, dit Antioche ému, oublions tout de part et d’autre.

— Non, répliqua l’abbesse, mais je ne refuse pas, pour la hauteur de la tâche qui m’incombe, d’écrire et de signer cette lettre. Je demande seulement jusqu’à cette nuit.

— Je la veux tout de suite, dit Espérandie.

— Tu parles trop vite, ma fille, pour une femme qui se pâmait à l’abandon de mes charmes ! C’est moi qui ordonne et non toi.

— Il me faut cette lettre pour ce soir.

— Tu ne l’auras pas.

— Antioche, je te l’ai répété, nous n’obtiendrons rien, agis.

— Ce n’est pas mon avis, Espérandie ; notre mère demande jusqu’à cette nuit, je lui accorde le délai, et je pense que nous trouverons la lettre prête et signée. Nous reviendrons à minuit, accompagnés, et nous emploierons les grands moyens si elle n’a pas cédé.

— Les grands moyens ! dit avec dédain l’abbesse.

— Voici du papier, de l’encre, tout ce qu’il faut, au revoir, Josépha.

L’abbesse se leva, vint à Espérandie, sur l’épaule de qui elle posa la main et dit :

— Tu es plus fautive que lui, ma fille, tu es criminelle ; Josépha ici n’est rien, mais tu atteins en la personne de l’abbesse, la Communauté et toutes tes sœurs.

— Avec ou sans ta lettre, Josépha je représente l’autorité, les principes qui nous régissent ne sont pas violés.

— Folle, folle, folle, dit l’abbesse lui frappant le front de l’index.

— Elle me frappe, Antioche ! s’écria Espérandie.

Antioche saisit le bras de l’abbesse ; elle le fixa dans les yeux et dit :

— C’est moi qui t’ai élevé, serpent, bas la main.

— Frappe-la donc, commanda Espérandie, elle ne cédera jamais, donne-lui un acompte de ses futures joies.

D’un mouvement brutal, Antioche jeta Josépha contre le lit, et avant qu’elle ne fût revenue de sa stupeur, il la saisissait à bras-le-corps, la troussait, et criait à Espérandie :

— Tu as le martinet, tape toi-même.

De dessous sa robe, elle sortit en effet l’instrument répressif, et Antioche maintenant l’abbesse qui, du reste, opposait l’impassibilité la plus méprisante à cette nouvelle violence, Espérandie cingla son cul de plusieurs coups, le zébrant et disant :

— Voilà pour t’assouplir, le titre d’abbesse n’implique pas le droit de méchanceté : tu fus méchante, Josépha.

— Je ne te fis jamais que du bien, Espérandie.

— Scrute ta conscience.

Les coups pleuvaient, tapant le gras des cuisses, et Josépha, malgré sa fermeté, faiblissait sur les jambes.

Antioche, qui la sentit trembler, intervint :

— Assez, Espérandie, elle réfléchira, et elle comprendra qu’il vaut mieux céder que de nous pousser à employer les pires moyens.

Les coups s’arrêtèrent, Antioche lâcha l’abbesse qui se laissa aller sur un fauteuil, les dents serrées, toute pâle, mais indomptable.

Enlaçant Espérandie, Antioche la baisa sur la bouche et dit :

— Merci de ton appui, Espérandie, retournons près de Marthe.

Ils ne virent pas couler une larme sur les joues de l’abbesse, ils l’enfermèrent et elle les entendit s’éloigner.

Elle souffrait terriblement aux fesses ; elle se tenait sur un côté pour éviter la cuisson que provoquait le frottement contre le siège.

En appelant à toute son énergie, elle grimpa au cabinet, se mit de la poudre adoucissante sur les chairs, et déchira une chemise pour s’en faire un bandage. Elle se porta alors à la fenêtre, guettant avec patience le passage du premier inconnu.

Plus d’une heure, elle demeura ainsi ; un pas enfin la fit tressauter. On venait de son côté ; elle distingua un pantalon, puis la silhouette d’un homme, et retint un cri de joie ; elle appela doucement :

— Maillouchet.

Le jeune homme était devant la croisée, il ne crut pas tout d’abord que le cri sortit de là, il regarda devant et derrière lui.

— Maillouchet, répéta-t-elle.

Il se pencha, eut un grand étonnement en la reconnaissant.

— Notre mère ! dit-il.

— Chut, ne perdons pas de temps, tu m’es dévoué ?

— Jusqu’à la mort.

— Tiens, ce mot chez M. Dollemphe, sans retard, tu m’apporteras la réponse ici.

— Je suis envoyé pour chercher une voiture, que dois-je faire ?

— M’obéir à moi.

— Vous obéir, oh, je le veux de tout mon cœur ; mais n’est-ce pas vous exposer à un danger que je pressens, en révélant que vous m’avez parlé et en m’empêchant d’accomplir mon ordre. Ne vaut-il pas mieux que je l’exécute et que je cherche une occasion de sortir. Vous savez que je puis le demander.

— Tu as raison, mais passe ici cette nuit vers dix heures, il faut que nous causions.

— Je vous jure d’y être, ma chère maîtresse, et votre commission sera faite d’ici là.

Maillouchet s’éloigna rapidement, tout en inspectant si personne ne l’avait vu, et en se promettant d’éclaircir cette mystérieuse affaire qui rendait l’abbesse prisonnière, justifiant ainsi les craintes de Suzanne et d’Eulalie.



III


Dans le Couvent, cet après-midi, la paix la plus profonde ne fut troublée par rien de discordant, et permit aux sœurs et aux moines de se reposer des fatigues de la nuit.

Marthe dormit comme une bienheureuse jusqu’à onze heures du matin, rêvant qu’elle commandait à un peuple d’esclaves, et que les hommes comme les femmes lui couraient après.

Au mouvement qu’elle fit en se soulevant sur un coude, Espérandie, qui causait à voix basse sur le seuil de la chambre, accourut toute nue, sauta sur le lit, la prit dans ses bras, et la bouche sur la sienne, murmura :

— Place vite ton petit machin sur mon petit bouton pour nous porter bonheur pendant cette journée.

Pelotant les seins de la sœur, qui en était assez bien munie, Marthe s’empressa de se caser sur le ventre satiné qu’on lui présentait, et de chatouiller délicatement le clitoris avec son hermaphrodisme.

Espérandie se tortilla, simula la grande extase, s’exclamant :

— Ah, ah, ah, oui, toujours, oh, ma chérie, oh, mon adorée, tu es mon amant, tu me fais jouir, oui, oui, pelote-moi bien, ah, que c’est bon ! le sens-tu ? ah oui, tu brûles aussi, nous jouissons toutes les deux.

Espérandie prenait possession de la fillette par cette habile luxure du réveil, et, l’entraînant ensuite au cabinet de toilette, elles se vêtirent, riant comme des enfants, à des bêtises, à d’inoffensives farces.

Le personnel, attaché à la personne de l’abbesse, avait repris ses services, et, avec le jour, les soupçons de la sœur Eulalie, très satisfaite de sa nuit avec Suzanne et l’abbé Hermal, s’étaient dissipés. Elle fit bon visage, comme de coutume, à Marthe, qui déjeuna avec les sœurs, occupées dans les appartements de Josépha.

Antioche ne survint que vers les une heure et demie, amenant cinq moines qui s’installèrent dans les bureaux de l’Économat, sous le prétexte de travaux laissés par l’abbesse. Il ne fêta pas Marthe qui en parut surprise, et s’enferma avec Espérandie pour conférer sur les événements.

À deux heures et demie, une cérémonie religieuse réunissait les deux sexes dans la chapelle ; Espérandie et Antioche en profitèrent pour se rendre à la loge de l’Ermite.

Sortis de la loge, marchant dans une demi-obscurité, Espérandie lui dit :

— L’ai-je secoué son cul, hein ?

— Elle en tremblait sous mon bras.

— Moi, la jouissance m’en venait aux plis qui couraient sur la peau, touche.

— Si je touche, on s’arrête.

— C’est ce que je veux, Antioche.

Il envoya la main sous sa jupe, saisit la motte, caressa le bouton et dit :

— Tu n’as pas mouillé !

— Tu vas me le faire.

— On ne sera pas à l’aise par ici.

— Que si, tiens, contre ce tonneau.

Elle s’appuya à une barrique, offrit la croupe toute troussée, magnifique paire de fesses, aux chairs blanches et rebondies, ressortant attirantes dans ce faux-jour et cette solitude des caves ; le moine bandant ferme, en approcha la queue dont il les flagella d’une douzaine de gros coups retentissants, qui les firent se tortiller voluptueusement, et l’enfila en levrette, la patouillant avec passion.

— Ce que c’est tout de même meilleur que la biquette de Marthe ! dit-elle. Quel drôle de goût Josépha peut-elle trouver à cette bécassine ?

— Et toi, tu es bien le meilleur morceau du couvent ! C’est gringalet, cette fillette, il n’y a pas de l’étoffe comme à ton cul et à tes nénés.

Sa queue était sortie du con et furetait le cul dans la fente.

— Tu n’es pas adroit, Antioche, dit tout à coup Espérandie, tu cherches trop au-dessus. Là, il est là, le trou, petit cochon, pousse, encule-moi, les coups de martinet dont j’ai régalé le cul de l’abbesse, l’ont mis en chaleur ! Tu vas trop vite, c’est étroit, tu sais, eh là, là, pousse doucement, ça mord, tu entres, mon chéri, tu prends le cul de la jolie sœur Espérandie, n’est-ce pas que je suis jolie, dis-le tout de suite ou je chie ta queue.

— T’es jolie, t’es jolie comme un cœur, comme un cul, Espérandie, là, là, ne me décavale pas, je te tiens bien maintenant, ton trou a tout avalé et voudrait me manger les couilles.

— Parle plus, pousse, pousse, manœuvre, mon enculeur !

Toute enculée et toute enfiévrée, elle l’arrêta encore un instant, et en riant lui dit :

— Hein, si on entrait comme ça cette nuit chez l’abbesse, elle en ferait une tête ! Une idée, pour qu’elle cède et pardonne, pour qu’elle se soumette, il y aurait un truc.

— Cochonne, tu dis de ne pas parler, et tu bavardes, nom d’un chien, ton cul me pompe, me pompe, et ça va venir.

— Oui, va, va, ah, ah, chatouille-moi en même temps, ah !

Les soupirs se succédaient, les jambes trépignaient, il la fit presque danser sous ses coups de queue, lui chatouillant le bouton, lui cherchant les seins sous le corsage, il éjacula une fois de plus.

— Si ça continue, dit-il, j’userai toute ma marchandise.

— Ferme ton magasin et écoute-moi. Dans ce que tu portes à manger à l’abbesse, mets des choses, tu sais, des cantharides par exemple, des choses qui excitent ; elle aura envie, et quand on a envie, on tuerait ses père et mère.

— Quelles garces, les femmes ! Tout de même c’est bien trouvé, on verra demain, si elle n’a pas marché.

— Pourquoi attendre demain ?

On sortait de prière et on regagnait les cellules, quand ils apparurent dans les appartements de l’abbesse. La sœur Félicia, venue pour donner sa leçon à Marthe, avait été renvoyée, et celle-ci, sachant que Raymonde se trouvait chez Izaline, se disposait à s’y rendre.

Espérandie la calma et lui dit :

— Pourquoi aller chez notre sœur novice, donne l’ordre qu’on t’amène Raymonde.

— Envoie-les chercher toutes les deux, je veux leur parler seule.

— Tu veux, Marthe !

— Oui, je veux. Josépha m’a dit que j’étais gentille, lorsque je disais : je veux.

— Dans ce cas, je m’incline, et moi aussi je te trouve gentille !

Il y avait une nuance d’ironie dans la réplique qui n’échappa pas à Marthe, pas du tout naïve, et depuis longtemps femme pour l’art de la parole.

Elle ne laissa cependant rien voir de sa perspicacité, et attendit l’arrivée d’Izaline et de Raymonde.

Cette dernière se présenta seule, et les deux enfants se jetèrent au cou l’une, de l’autre.

— Et la sœur Izaline ? interrogea Marthe.

— L’abbé Hermal l’emmène dehors pour une affaire particulière, à ce qu’il paraît.

— Elle t’abandonnait ?

— On allait me conduire chez l’aumônier jusqu’au retour de l’abbesse.

— Tu resteras avec moi.

Les deux fillettes se tenaient par la main, se regardaient, se souriaient ; Raymonde dit :

— Ah, Marthe, qui aurait pensé à ce qui nous arrive, quand nous étions en classe !

— Pas moi, pour sûr ! Tu sais que je suis la bonne amie de l’abbesse qui veut se marier avec moi, comme si j’étais un petit homme, à cause de ma petite machine.

— Tu l’as toujours, ce machin ?

— Vois, et ça éprouve beaucoup de plaisir en s’amusant avec.

— C’est drôle, ce n’est pas une chose d’homme et on dirait presque que c’en est une.

— Tu sais donc ce que c’est qu’un homme ?

Raymonde devint toute rouge, se pencha sur les cuisses de son amie, lui baisa l’hermaphrodisme et murmura :

— Oui, et toi ?

— Moi aussi ! Ah, ma petite Raymonde, que c’est gentil de me caresser comme tu caressais la sœur Izaline en étant sa mignotte !

— Je l’ai revue, la sœur Izaline, et je l’aime toujours ; il me semble que sous ses jupes, je ressens un bonheur sans fin ! Tu as vu un homme, quand ?

— Hier, on m’a dépucelée.

— Tiens, comme moi.

— Tu n’es plus pucelle ?

— Non.

— Montre ton petit trou, pour voir si tu as été bien percée !

— Le trou est couvert, ma chérie.

— Montre vite, Raymonde.

— Tiens, le voilà.

— Que c’est bizarre, d’avoir été dépucelées toutes les deux le même jour ! Dis, veux-tu être ma petite bonne amie ?

— Et l’abbesse ?

— Elle est absente ; puis, ç’a n’empêcherait pas, pas plus que toi pour Izaline ! Toutes les sœurs s’en fourrent entre elles, et cette nuit j’ai couché avec l’une d’elles et celui qui m’a dépucelée ; il nous a quittées très tard.

— Qui t’a dépucelée ?

— Un moine. Et toi ?

— Un jeune homme.

— Un jeune homme dans le couvent !

— Que ta machine est jolie, Marthe !

— Approche-la de ton petit trou, il te le fera jouir.

Raymonde écarta les cuisses, se poussa sur l’arrière du divan, et Marthe l’attaqua, comme l’eût fait un cavalier.

— Ça n’entrera pas, murmura Raymonde.

— Un tout petit peu, si ; mais ne languis pas, laisse-moi te chatouiller le bouton avec, tu commenceras à jouir et ça ira tout seul.

— Marthe, ma petite Marthe !



IV


Leur douce intimité fut troublée par l’entrée subite d’Antioche, qui s’écria en les voyant s’essayer au plaisir.

— Eh bien, eh bien, déjà en train, mes poulettes ! Elles vont bien les jeunesses de notre temps.

— Comme les sœurs des Bleuets, répondit Marthe sèchement, ennuyée d’être dérangée. Avec Josépha, il est défendu de pénétrer ici, dans ma pièce, sans que j’appelle ou sans frapper.

— Je croyais, ma petite chérie, dit Antioche avec une voix plus caressante, que j’étais pour ton cœur un peu plus que tout le monde.

— Hier, possible ! Aujourd’hui, je n’en sais rien.

Prêt à s’irriter de la boutade, Antioche considéra avec plus d’attention la fillette, et fronça les sourcils devant l’air décidé qu’accusait son visage.

Patelin, redoutant que l’auxiliaire dont il avait le plus besoin pour le moment, ne lui manquât, il se glissa près des deux fillettes enlacées et les jambes à demi-collées, les pelota en disant :

— Pourquoi me rudoyer, ma petite adorée, parce que je t’ai aimée et que je ne te l’ai pas prouvé aujourd’hui ? Ne fallait-il pas que je m’occupe de te préparer de belles distractions pour la soirée !

— De belles distractions !

— Sans doute ! Puis, on n’est pas égoïste aux Bleuets, le plaisir de l’un augmente le plaisir de l’autre, et tu es un morceau si rare, que te garder pour soi seul serait commettre un crime aussi bien à ton égard qu’envers nos frères et nos sœurs, désireux de te fêter.

— Tu penses très juste, Antioche, dit Marthe quittant sa position au-dessous de Raymonde pour s’asseoir à son côté et faire face au moine.

Antioche, agenouillé devant les fillettes, les pelotait, Raymonde se laissant entraîner par l’exemple de son amie et ne protestant pas davantage ; il se releva et reprit :

— Je pensais bien que j’aurais ton approbation, et en attendant les fêtes de la soirée qui, j’en suis certain, te charmeront, si tu consentais à venir te montrer à quelques-uns de nos moines, réunis ici tout près pour veiller sur ta sécurité et t’éviter des ennuis, tu jugerais encore mieux qu’Antioche, malgré l’amour qu’il t’a voué, ne demande qu’à passer au second plan pour te favoriser dans tes joies.

— Me montrer à des moines, Antioche, es-tu fou !

— Ignores-tu que presque toutes les fêtes des Bleuets se célèbrent dans l’état de nudité pour les deux sexes, et que pour s’y accoutumer, les sœurs novices recherchent les moindres occasions de marcher devant les moines, sans aucun voile sur le corps ! Ne mérites-tu pas l’admiration des hommes ?

— Si tous me touchent, ils me brutaliseront.

— Je serais là pour arrêter ceux qui dépasseraient les bornes ; d’ailleurs, ton amie Raymonde peut t’accompagner, et certainement des sœurs se joindront à nous pour attirer les plus entreprenants.

— Je ne voudrais pas non plus qu’ils n’osassent rien.

— Allons, venez, on s’amusera.

Raymonde affichait moins de résolution que Marthe, elle ne recula néanmoins pas, et on se rendit à l’Économat où s’étaient enfermés les cinq moines menés par Antioche, des hommes carrés des épaules, aux visages gais et émerillonnés par la bonne vie, ayant devant eux, sur une table, des carafes d’un vin doré qu’ils consommaient avec forces délectations.

À l’apparition des fillettes, ils se dressèrent tous les cinq d’un même mouvement, croisèrent les bras sur leur poitrine, s’inclinèrent et dirent :

Gloria Domine, les chérubins nous visitent !

— Et viennent trinquer à votre concupiscence, fratres mei, répondit Antioche.

Ostende culum tuum, dit le plus près à Marthe, et Dominus erit in nobis.

— Dans son patois de latin, le frère Lupinius te demande de lui montrer ton cul, pour que le Seigneur soit parmi nous.

Marthe pouffa de rire et cria :

— Si je ne le montre pas, il n’y sera donc pas ?

— N’est-il pas en toi pour te former une digne et belle fille ! Et toi, n’es-tu pas ici pour la joie de nos yeux, de nos mains, de nos pines !

— Il faut le montrer, Antioche ?

— Puisqu’il te le demande.

Marthe se troussa sans plus d’embarras, et présenta la vue de son cul aux cinq moines qui, toujours mûs de la même impulsion, tombèrent à genoux, levèrent les mains en l’air et dirent :

Benedie nos, Domine.

Une main agrippa les mollets de la fillette, l’attira contre un visage, et un gros baiser se plaqua sur ses fesses. Elle vit une queue devant elle, qui, sortie de dessous la robe d’un moine, paraissait la magnétiser ; elle aperçut Raymonde assise sur les genoux d’un moine. Une main lui tendit un verre de vin, elle but et murmura d’une voix émue :

— Ouf, il commence à faire chaud par ici !

La langue de Lupinius lui farfouillait à grandes léchées tout le cul, la secouant de ses chatouilles ; elle porta la main sur la queue qu’on lui approchait, elle ne refusa pas de sucer Antioche, assis sur le dossier d’une chaise, pour avoir les cuisses à portée de son visage.

Raymonde, sur les genoux d’un moine réjoui, le frère Constantin, se voyait avec un peu d’effroi trousser par devant, et sentait un audacieux index lui grattouiller le bouton.

Elle gigottait, essayait de se défendre du moine en forçant des bras sur sa poitrine ; Constantin riait, accentuait son pelotage, s’emparait des mains de la fillette, lui baisait tous les doigts et disait :

— Tourterelle, ne fais pas la cruelle ; tu es dépucelée, donc tu es mûre.

Les mains jointes sur l’estomac, un autre moine regardait, le rire épanoui sur des lèvres lippues, suivait avec attention cette scène et criait :

— Sois sage, ma belle, ou on fessera ton petit cul.

— Tu entends, dit Constantin, on me conseille de te fesser.

Marthe, se détachant du trio auquel elle tenait tête, intervint avec ces mots :

— Si on la touche, si on la frappe, je m’en vais et je l’emmène.

Antioche lui appliqua le bout de la queue sur les lèvres, lui colla la tête sur ses cuisses en disant :

— Tais-toi et laisse faire.

Tout en grattant le clitoris de Raymonde, Constantin la maintenait troussée ; un autre moine, le dernier, ayant posé son verre, parce qu’il continuait à boire durant ces préliminaires de plaisir, s’abattit entre les cuisses de la fillette et se lança dans les minettes.

La scène s’amplifiait : trois moines par fille s’accordaient à merveille pour se faciliter dans leurs ivresses sensuelles.

Lupinius ne léchait plus le cul de Marthe, mais lui faisait minettes, ayant passé par devant entre ses jambes. Le moine qui montrait la queue, était venu derrière elle et remplaçait les feuilles de roses par de légers coups de queue, flagellant doucement le cul, avec promenades de plus en plus longues dans la raie, le gland se hasardant à coqueter avec l’anus qui ne le repoussait pas.

Marthe s’échauffait et ne s’effrayait pas ; elle se troussait elle-même pour mieux s’offrir à Lupinius dans ses minettes ; elle arrondissait le cul pour répondre à la fantaisie de celui qui s’apprêtait à l’enculer.

Raymonde tressaillait sous les larges sucées du frère Ovide, et apprenait l’art de la masturbation par celui qui menaça de la fesser, le frère Nestorien.

Marthe poussa un cri et échappa par une violente secousse à son trio de moines ; le frère Babylas ayant appuyé son gland sur le trou du cul, essayant de le franchir, et cette pression n’avait pas été heureuse. Le cul, un peu resserré de la fillette, pas assez préparé pour l’acte sodomite, se refusait à sa tentative.

Le cri de Marthe arracha Raymonde à l’engourdissement voluptueux qui la gagnait, elle se précipita vers son amie, et toutes les deux, face aux moines dont les yeux s’allumaient de lueurs luxurieuses, résolues à se disputer, les menacèrent du poing, criant :

— Non, non, plus rien, vous êtes trop nombreux.

— Les sales garces, dit Babylas, il faut qu’elles y passent toutes les deux ; on risque gros jeu pour l’hermaphrodite, il faut qu’elle soit raisonnable, n’est-ce pas, Antioche ?

— Bah, les frères, c’est trop jeunet pour de vaillantes pines comme les vôtres ! Ne les tourmentez pas et buvons ensemble, on fera la paix et on recommencera la manœuvre, quand on sera mieux disposé.

— Il y en a assez comme ça, dit Marthe, je retourne dans mon salon, avec Raymonde.

— Ton salon ! cria Constantin. Elle est à se tordre, cette poule, on va t’y mener à ton salon !

Antioche se plaça devant lui comme il se dirigeait sur Marthe, et voulant l’arrêter, lui dit :

— Ne fais donc pas l’animal, Constantin, on prépare les petits oiseaux avant de les croquer.

— Il ne nous croquera pas, et toi, tu ne me croqueras plus, répliqua Marthe. C’est une indignité de nous avoir conduites ici, Raymonde et moi ! Tu n’es pas amoureux de moi comme tu le prétendais !

Constantin avait repoussé Antioche qui, du reste, ne s’opposa plus à sa marche en avant. Marthe entraînant Raymonde, elles se réfugièrent derrière une table.

Ce fut un gros accès d’hilarité chez tous les moines, qui, se tapant sur les genoux et le ventre, crièrent :

— Ah, bonus Deus, qu’on va rire ! Les tourterelles qui se défendent ! Santa Maria, videte.

Antioche, se tenant à l’écart, les cinq moines entourèrent la table, Ovide parlementa :

— Cochonnettes de mon cœur, pas de sotte bégueulerie, on ne vous veut pas de mal, on ne vous veut que du bien ! De la complaisance comme tantôt, mes poulettes, tout se passera en douceur, ou sinon, foi de ma pine, de cette jolie pine que vous voyez, nous vous enculons toutes les deux et passons tous dans votre cul.

— Essaye, sale bête, répliqua Marthe saisissant un couteau qui se trouvait sur la table.

Qu’allait-il arriver ? Une lutte où les deux enfants eussent fini par succomber. Une porte s’ouvrit et Suzanne apparut.

Stupéfaite, elle dit :

— Que signifie ce désordre ?

Il y eut du désarroi chez les moines ; ils reprirent instantanément une attitude convenable, et Antioche répondit :

— Rien, on plaisantait avec Marthe et son amie.

— En se menaçant ! Explique-moi. pourquoi nos frères sont ici, sans que j’en ai été informée.

— Espérandie les a requis pour un travail urgent.

— Ce n’est pas dans les usages du Couvent.

— J’en avais été moi-même avisé par notre mère avant son départ, et mon titre joint à l’autorité de la sœur couvrant Marthe, suffit pour justifier cette exception aux règlements. Le cas n’est pas unique.

— Je veux bien l’admettre, mais la complaisance, que nous témoignons en toute occasion à nos frères, méritait la courtoisie de ne pas oublier les égards qui sont dus à la fonction que j’occupe.

— Je t’en aurais prévenue dès ce matin, Suzanne, si la fête de cette nuit ne nous eut pas éparpillés un peu partout.

— Le travail urgent, Antioche, n’est pas dans la violence qu’on s’apprêtait à commettre sur ces enfants.

— On riait et on plaisantait, il n’y aurait pas eu de mal.

— Est-ce bien vrai, Marthe, et consens-tu à rester avec nos frères ?

— C’est vrai, ma sœur, mais je tiens à me retirer.

Suzanne jeta un regard ironique sur les moines et dit :

— Travaillez, mes frères, je ramène les deux fillettes.

Ils n’osèrent pas s’opposer à leur départ, et le calme, un calme apparent, succéda au commencement d’orage qui avait grondé dans cette partie du Couvent.



V


Suzanne avait été mandée par Espérandie ; il était indispensable qu’elle sanctionnât les mesures que celle-ci décidait.

L’entrevue des deux sœurs, cependant jusqu’alors très amies, se revêtit d’une froideur instinctive, difficile à définir.

Accourue à l’appel de celle qui se proposait de culbuter son abbesse, Suzanne tressaillit en constatant le changement qui s’opérait dans la personne et dans le visage d’Espérandie.

Les yeux si doux se coloraient d’un air de résolution inaccoutumée ; la physionomie marquait l’empreinte de pensées réagissant sur les nerfs et les muscles, le corps affichait une attitude saccadée et hautaine.

Saisie de cette transformation, Suzanne ne put s’empêcher de dire :

— J’ai été heureuse du choix de Marthe te désignant pour la couvrir ; je désirerais cependant avoir communication de la lettre de notre mère, relative à son départ.

— Notre mère a ordonné que cette lettre restât secrète deux à trois jours ; je ne la montrerai donc que demain soir ou après-demain dans la journée.

— Le secret recommandé ne s’étend pas jusqu’à ma personne.

— Je pense différemment, et nous ne discuterons pas à ce sujet. Des événements se préparent qui étonneront notre maison, aie donc la patience d’attendre, et témoigne-moi la confiance que je te témoignerais si les rôles étaient renversés.

Suzanne ne jugea pas à propos d’insister davantage et accepta le programme pour la soirée que lui communiquait Espérandie.

C’est en sortant de cette entrevue, qu’elle délivra des entreprises des moines, Marthe et Raymonde.

Les deux fillettes, revenues dans le boudoir de Marthe, celle-ci appela Bottelionne et lui exprima quelques craintes sur ce qui s’ensuivrait de l’attentat commis envers l’abbesse.

— Nous avons été des folles, répondit Bottelionne, le mal est irréparable, Marthe, tirons-en le meilleur parti possible, et demeure l’amie d’Espérandie, crois-moi.

Demeurer l’amie d’Espérandie, elle ne lui conseillait là rien que de très agréable. Cependant, Marthe remarqua ce soir même, dans le dîner qu’elle prit en tête-à-tête avec la sœur et Raymonde, le même changement observé par Suzanne.

Espérandie ne soumettait pas ses idées à l’approbation de l’hermaphrodite, elle les indiquait et les imposait.

Étrange fête que celle qu’elle lui servit !

Sur les dix heures du soir, dans une galerie aux longues draperies de velours rouge, Marthe vint occuper un petit trône, ayant à sa droite Espérandie et à sa gauche Raymonde, sur sa volonté, toutes les deux installées sur des fauteuils. Derrière elles, et en demi-cercle, prirent place une quinzaine de sœurs et autant de moines. Au son de clochetons jouant une fantaisie musicale, elle vit entrer la sœur Félicia dans sa toilette de Requéreuse, la robe noire, le grand manteau, le béret, la canne à la main dont elle frappait le sol.

Derrière Félicia, marchaient six femmes, les épaules et les seins nus, un bonnet phrygien sur la tête, avec une blouse de velours noir, serrée à la taille par une ceinture à trois rangs d’or, les jambes nues, les pieds dans des babouches ; elles tenaient à la main un long jonc.

À leur suite s’avançaient dix autres femmes en toilette de ville, toilette sévère et montante de soie noire ; puis, six femmes nues, avec un chapeau cornette sur la tête, les cheveux détachés flottant par devant sur chaque épaule, un martinet à la main.

Après les femmes, venaient douze moines dans leur robe religieuse, nouée à la ceinture par une grosse corde, et ensuite, pour terminer cette procession, des sœurs cloîtrées, novices, professeurs, des abbés, des moines, des dames et des messieurs.

Tout ce monde s’installa sur des fauteuils contre les tentures murales des galeries, tout en laissant un espace libre devant le trône où siégeait Marthe.

Des servantes laïques apportèrent six prie-Dieu, et devant ces meubles, six des dames habillées de soie noire se placèrent comme pour prier, tournant le dos à Marthe. Soudain elles se troussèrent et exhibèrent leur cul, cul blanc et rondelet, bijou de chairs jeunes et fraîches, ressortant sous le cadre de la jupe et de riches jupons, par les bas grimpant jusqu’au gras des cuisses, cul qui se tortilla en mille grimaces lascives, et les six femmes nues s’approchant, en choisirent chacune un sur lequel elles passèrent d’abord délicatement le manche de leur martinet.

Les culs parurent accepter la proposition de flagellation qu’on leur soumettait ainsi, les raies dans un frissonnement semblèrent même vouloir s’emparer de l’instrument de supplice ; les femmes nues levèrent en l’air le martinet et brusquement en frappèrent les fesses rebondies qui les narguaient. Celles-ci ne s’en troublèrent pas. Les atours féminins remontèrent plus haut dans le dos, les rotondités se développèrent plus largement, une nouvelle cinglée de coups répétés les secoua. Puis les flagellantes prirent sous un bras la taille des flagellées, les éloignèrent des prie-Dieu, les martinets se levèrent et s’abaissèrent, frappant sans interruption, provoquant des tourbillonnements chez les flagellées, qui murmurèrent des mots entrecoupés :

— Encore, encore, plus fort, oh, que c’est bon ! Frappe, frappe, chérie, je te chatouillerai le bouton, je te mangerai ta motte, je boirai ton pissat, frappe, frappe !

Les martinets tapaient et tapaient ; les flagellantes s’animaient, leur teint se colorait ; elles tremblotaient sur les jambes, contorsionnaient leur cul, jetaient des regards d’invite sur l’assistance. Elles soupirèrent, se balancèrent sur les hanches, et leur corps accusa des défaillances ; elles tombèrent sur les genoux, et ne frappant plus, se mirent à lécher les culs flagellés, tandis qu’avec rage, elles se grattaient le bouton.

Survinrent les six premières apparues avec le jonc. Elles touchèrent à l’épaule les flagellantes qui se redressèrent, leur firent vis-à-vis, passèrent la main sur leurs poils, leur clitoris, les invitant à les honorer. Loin d’y consentir, celles-ci les repoussèrent contre les flagellées, ventre contre leurs fesses, et à leur tour les frappèrent à coups de jonc.

Sous les tressauts provoqués par les coups, elles frottèrent leur ventre contre le cul de celles qu’elles avaient flagellées, s’essayant à grimper par-dessus les croupes, et les douze culs s’agitant de plus en plus frénétiquement, on ne distingua plus que chairs blanches et dodues se tordant dans la raie du derrière avec des allures furibondes d’érotique jouissance.

Les clochetons reprirent un air musical, flagellantes et flagellées crièrent :

— Vive le cul !

Les contorsions de ces femmes excitaient une attraction magnétique sur toute l’assistance, il courut des frissons à travers les rangées des fauteuils, des jupes se soulevèrent, des mains s’égarèrent vers les cuisses, les femmes se chatouillaient elles-mêmes, les hommes massés derrière elles n’intervenaient pas encore.

Cependant les douze moines qui étaient entrés à la suite des femmes nues, s’approchèrent du groupe des flagellantes, détachèrent la corde leur servant de ceinture, corde munie de trois nœuds serrés à l’extrémité, et en distribuèrent de violents coups indistinctement aux flagellantes et aux flagellées.

Il y eut un sauve qui-peut général parmi ces femmes, les coups atteignant plus durement les fesses, et elles se précipitèrent vers le milieu de la galerie, défense leur étant faite de franchir les rangs de curieux et de curieuses, assemblés tout autour.

Tournant et retournant, s’élançant à droite, s’élançant à gauche, allant et venant du haut au bas de la galerie, poursuivies par les moines, elles se saisissaient entre elles, et de la main se fouettaient impitoyablement, ne se séparant que sous les coups de corde des moines, coups bruyants sous lesquels rebondissaient les chairs.

Les moines, en pleine érection, se débarrassèrent de leur robe et, nus dessous, continuèrent encore quelques instants la flagellation terrible dont ils pourchassaient le cul des femmes ; puis, peu à peu, ils les attirèrent sur le sol où le fornicage s’accomplit avec une sauvage frénésie.

Bien des culs empourprés par les coups reçus, éraflés même par les exploits de la corde, furent enculés, sans que nulle protestation de la part de leur sémillante possesseuse ne s’élevât contre la fantaisie du rut masculin.

Les grandes draperies tentures qui pendaient sur les murs, s’ouvrirent de distance en distance, démasquant des salons brillamment éclairés ; on abandonna les sièges, on s’éparpilla par ces luxueuses pièces, Marthe et Raymonde suivirent Espérandie qui les mena par les groupes et les couples, afin qu’elles s’inspirassent de l’ardeur générale et se mêlassent à l’orgie qui commençait à se dérouler.

Étourdies de ce qu’elles avaient vu, enveloppées par la luxure qui s’étalait de toutes parts, entraînées par le pressentiment des débauches raffinées, elles regardaient tout avec de grands yeux effarés, qui provoquaient les apostrophes licencieuses des hommes comme des femmes.

Elles étaient maintenant seules, noyées dans un flux et reflux d’êtres des deux sexes, vêtus, demi-vêtus ou nus, et elles ne savaient que voir, écouter, observer et rire.

De gros moines paillards avaient déjà porté la main sur les fesses et les cuisses de l’une et de l’autre, elles avaient esquivé une attaque plus directe, en se jetant sur des hommes plus calmes ou sur des femmes plus curieuses de l’hermaphrodisme de Marthe que de lascivités excessives, et elles ne se décidaient à rien qui pût les séparer.

Se tenant par le bras, elles marchaient droit devant elles, s’arrêtaient pour examiner, ou étaient arrêtées par une audace passagère s’exerçant sur leur personne, Espérandie, Antioche, Bottelionne, n’étaient plus près d’elles, on les abandonnait à leur inspiration.

Une femme nue, superbe incarnation de la beauté, une main sur la hanche, l’œil libertin, la lèvre dédaigneuse, heurta Marthe et lui dit :

— Hé donc, petite qui nous commande aujourd’hui, es-tu fille, es-tu femme, es-tu homme, qu’es-tu ? Moi, on le voit, on le sait. Baisée par devant, baisée par derrière, je donne tout de ma personne pour faire jouir un sexe fort, un sexe faible, la bouche pour sucer, la main pour masturber, les yeux pour exciter, la langue pour engluer, tout, tout, et toi, mets-tu ou te met-on ?

Sur ces mots, un doigt sur son clitoris, elle parut attendre que la fillette lui manifestât une intention de minettes ou de chatouillage ; comme elle ne répondait pas, elle la prit par les épaules, pencha la tête vers la sienne, et les yeux dans les yeux lui cria :

— Elle te mange donc tout, l’abbesse, que ton œil ne sait pas me voir, que tes sens ne s’émeuvent pas par instinct de la cochonne que je suis, et que tu ne me montres pas ta quiquine !

Un abbé saisit par la taille la magnifique créature, l’attira à quelques pas de Marthe en disant :

— Sœur Geneviève, le diable n’est pas de ce côté.

— Crois-tu, mon petit prêtre ? Je pensais, moi, que cette nouveauté en avait un au cul !

Le flot de luxure montait et montait.

À leurs pieds, Marthe et Raymonde contemplèrent, le cœur ému, une des dames en toilette de ville, roulée comme un saucisson par deux hommes nus, agenouillés chacun d’un côté, se l’envoyant et se la renvoyant, pour se faire happer d’un coup de langue adroitement lancé vers leur queue, tandis que d’une main crispée ils lui attrapaient la jupe ou le corsage, les fripant, les déchirant, sans encore parvenir à la mettre en lambeaux.

Soulevée sur les coudes, la jeune femme aspirait avec délices une queue ; l’autre cavalier, à quatre pattes, la saisissait, l’attirait vers lui, en la roulant, et essayait de la dévoiler dans ses parties sexuelles ; elle se retrouvait la tête sous ses cuisses, près de sa queue, elle se relevait sur le coude pour la prendre des lèvres, et le même jeu recommençait avec le premier.

La robe craquait, les jupons s’enroulaient, les mains masculines touchaient les chairs, les queues bandaient de plus en plus, les yeux de la suceuse s’égaraient sous le charme de l’extase sensuelle, Marthe et Raymonde pouvaient-elles se fixer au spectacle d’un seul épisode ? À trois pas plus loin, une femme nue, penchée en avant, les bras croisés sur la poitrine, tendait les fesses en relief à un laïc d’une quarantaine d’années, vêtu d’une sévère redingote, une bonne tête de bourgeois aisé, qui lui appliquait une magistrale fessée sur son invitation réitérée.

— Fouette, fouette, Beaurain, marche, mon cher, tes claques me plaisent, puis ça te fout en train et tu baises en enragé.

Soudain, deux jolis pieds féminins saisirent Marthe à la taille, par derrière, l’entraînèrent sur le sol, où elle tomba sur les cuisses largement ouvertes de la sœur Georgette qui, la main sur son clitoris et ses poils, lui dit :

— Je t’enlève au passage, ma belle poulette, fais-moi minettes.

Elle retira la main pour présenter son con si laborieusement travaillé la nuit précédente par Ribourdin et Hilaire ; la Georgette était enragée, et une telle effervescence se dégageait de toute sa personne, que Marthe, le visage collé sur l’entre-cuisses, se hâta d’accorder les minettes sollicitées, pelotant les fesses, les chairs de cette nouvelle conquête.

Raymonde, indécise, suivait le jeu de son amie ; Beaurain l’aperçut, vint à elle, la saisit par un bras, puis l’attira derrière la femme qu’il fouettait et lui dit :

— Lèche-lui le cul, cela me le préparera pour l’enculage.

Raymonde agenouillée ne pouvait refuser ; d’ailleurs, la jeune femme qui s’était retournée pour l’examiner, le lui plaquait en plein visage, riant et disant :

— Il paraît que tu as du talent pour la chose, ma jolie morveuse, lèche bien mon cul, le cul de la princesse de Hautesikolle, Adélaïde pour ses amis.

Que leur était-il possible de distinguer encore à ces deux fillettes, emportées par la luxure qui s’épanouissait de tous côtés ! Agissant et affolées, elles ne voyaient plus que dans un brouillard les attouchements qui se multipliaient entre les sexes pour raviver les désirs, redonner des forces aux faiblissants. Il semblait que dans ces salons et ces galeries, une population sans cesse renouvelée de bacchantes et de faunes, apportât une fièvre voluptueuse inassouvissable et invincible, et les corps dépouillés de tout vêtement ne cachaient plus leurs attraits et leur attirance séductrice.

Les femmes jeunes formaient la grande majorité des représentantes du sexe féminin : une quinzaine tout au plus accusaient la quarantaine, un peu franchie pour quelques-unes, aucune ne perdait de son charme voluptueux. Les visages, illuminés par la passion, éclairaient d’une beauté plus parfaite les corps aux proportions plus amples, et par cela même aux chairs plus appétissantes, plus absorbantes. Rien de disgracieux ne choquait dans des hanches plus accentuées, dans des gorges plus fournies. La gentille allure féline de la femme leur donnait au contraire une saveur de plus.

Tombée entre les jambes de Georgette, Marthe y laissa toute raison et se trouva, sans s’en rendre compte, dans la chambre de la sœur, en face de son lit, sur lequel dormaient les deux pupilles Ribourdin et Hilaire.

Georgette grimpa sur le lit, lui ouvrit les bras, et d’un tour de main, jeta à terre les deux garçons, avachis de l’excès dans lequel elle les entraîna.

— Ils n’ont pas cessé de gigoter sur moi depuis hier, dit-elle en riant, il ne sortait plus rien de leur gourde d’amour, ils se remplaçaient pour essayer de jouir et de me faire jouir, et ce qu’ils m’ont énervée ces gosses ! Tu m’as remis du baume dans le sang avec tes minettes, tu es bien gentille de m’avoir suivie à travers les salons et de n’avoir pas voulu me quitter ! Marthe, est-ce bien vrai que tu pourrais me baiser avec ta machine, montre vite, tire-moi, l’idée m’en chavire l’âme.

Déjà l’hermaphrodite était sur elle, déjà elle lui dardait au conin l’appendice dont la nature la gratifia, déjà elles se suçaient les lèvres, la main de Ribourdin, debout dans la ruelle, se posa sur le cul de Marthe, et d’une voix éraillée le pupille cria :

— Ah, ben non, on ne me lâche pas comme ça, qu’est-ce que cette olive, une fille et un garçon en même temps ? Veine des veines, j’en mangerai un morceau.

Hilaire, allongé en travers sous le lit, geignait :

— Il parle de manger, ce bougre merde, je ne veux que du sommeil, moi, ou je crache tout ce que j’ai dans le ventre.

— Soulard, lui dit Ribourdin, dors et ne chouine pas ; dirait-on pas qu’on l’a avalé ! Eh, la sœur, je bandouille, je te donnerai mieux que la seringue de cette garcette ! Je préfère ton con à son cul.

Marthe, que gênait son intervention, se tourna brusquement vers la ruelle où il restait debout, lui envoya un coup de pied en pleine poitrine et dit :

— Sale pourceau, roule à terre, mon cul n’est pas pour ton nez, et son con est pour me faire jouir !

— Attends que je t’apprenne à vivre, moucheronne, répliqua Ribourdin, furieux du coup de pied.

Il saisit la jambe de Marthe, l’attira et la fouetta vigoureusement, sans qu’elle pût se défendre.

Georgette, amusée, n’intervint pas.

Était-elle fixée sur le peu de possession dont elle jouirait avec Marthe ? Pensait-elle à une nouvelle escapade dans les salons ? Les bras sous la tête elle murmura :

— Que vous êtes bêtes, les petits, vous allez vous battre, ne vaudrait-il pas mieux que vous vous accordiez ! Ne fais pas le dégoûté, Ribourdin, tu as presque une pucelle sous la main, je suis sûre que cette pucelle ne se plaindrait pas si tu lui agrandissais le trou avec ta queue.

De fouetter la fillette et de lutter avec elle, le garçon se retrouvait en bonne disposition, il envoya la main au conin et cria :

— Vrai de vrai, si elle le veut, je lui bouchonne son ouverture.

Il lui branla avec douceur l’hermaphrodisme, Marthe se tortilla, replaça la tête dans les cuisses de Georgette pour lui faire minettes, et sur un signe de celle-ci, Ribourdin, montant sur sa croupe, l’attaqua en levrette.

Bientôt les efforts du jeune garçon aboutirent ; Marthe enfilée se trémoussa, négligea ses minettes à Georgette, aplatit le cul contre le ventre de Ribourdin pour qu’il enfonçât davantage la queue dans son conin.

Georgette se souleva pour assister aux péripéties de la fête, et constata que Ribourdin avait un restant de virilité. Elle éprouva un regret de ne pas se l’être réservé, mais il était trop tard. Les soubresauts s’accentuaient, Marthe répondait aux secousses un peu courtes et sèches de son amant, elle ne jouit pas, elle prit néanmoins un vif plaisir à la chose.

Des sonnettes retentirent, Georgette sauta à bas du lit, arracha Marthe, toute surprise, à l’étreinte de Ribourdin et dit :

— Vite, vite, lave-toi et suis-moi ; c’est le banquet qu’on annonce, le banquet qui termine la veillée de cette nuit, le banquet où l’on s’amusera encore davantage, viens, viens, le plaisir est maintenant à table, allons vite en profiter.

Comme une somnambule, Marthe répara le désordre de sa toilette, quitta la chambre avec Georgette qui y laissa les deux pupilles.

Les sonnettes s’agitaient toujours, et partout, des couples, même des groupes, regagnaient les salons et les galeries qui avaient été abandonnés un instant pour les joies discrètes de l’alcôve, joies recherchées par les dilettanti de la volupté et aussi par les amateurs de l’amour intime.



VI


La table du festin apparut immense à la jeune Marthe, dans une salle où des glaces interposées la développaient à l’infini, avec un luxe inouï de fleurs et de lumières.

Avant de s’asseoir, chaque convive revêtait une fine tunique de soie et se ceignait le front d’une couronne, à l’instar des vieux Romains.

— Marthe, Marthe, cria une voix, celle de Suzanne.

— Me voici, répondit la fillette.

— Viens donc, c’est en ton honneur, tu dois présider.

Suzanne la fit installer au milieu de la table et prit place à son côté, tandis que Félicia occupait l’autre.

Marthe remarqua que les sexes se trouvaient séparés, les femmes encadrant les hommes assis à la suite les uns des autres. Étonnée des deux voisines qu’on lui donnait, elle s’informa d’Espérandie, et Suzanne la lui montra à l’extrémité de la ligne féminine, ayant à sa gauche Antioche avec lequel elle causait à voix basse, sans plus se soucier d’elle que si elle n’eût jamais existé ; à l’autre extrémité des deux sexes, Eulalie voisinait avec Victor-Étienne.

Une soixantaine de femmes et une quarantaine d’hommes étaient réunis à cette table que servaient les servantes laïques, très court vêtues.

Malgré les orgies charnelles commises aux heures précédentes, malgré l’animation de certaines femmes, parmi lesquelles Georgette, toujours dans les infatigables, il régnait une espèce de contrainte qui pesait sur chacun des convives et arrêtait les élans qui, d’habitude, faisaient de cette partie du programme, le digne couronnement de la fête.

Des mets succulents et des vins généreux alternaient, on ne s’apostrophait pas d’un sexe à l’autre, et les colloques particuliers semblaient l’emporter.

Suzanne et Félicia, de chaque côté de Marthe, affectaient de la gravité et répondaient brièvement aux questions que leur adressait l’hermaphrodite.

Celle-ci interrogea pour savoir ce qu’était devenue Raymonde ; on lui apprit qu’elle avait dû se retirer dans la chambre d’Izaline.

Que se passait-il donc pour étouffer cette joie si naturelle qu’on goûte à une table bien servie, surtout avec la conscience de pouvoir, après comme avant le repas, se livrer à toutes les jouissances de la chair ! Avaient-ils trop forniqué, ces hommes et ces femmes, qu’ils ne se défiaient plus aux doux combats de Cupidon, et que parfois des regards furtifs s’échangeaient où se lisait toute autre préoccupation que celle de la volupté !

Espérandie et Antioche, seuls dans cette assemblée, affichaient une attitude de triomphe et d’entente parfaite ; ils ne cessaient de babiller et de rire, se disaient quelques mots à vois basse qui les amusaient sans doute beaucoup, car leurs yeux s’irradiaient d’une expression d’orgueilleuse satisfaction.

Certes le silence ne régnait pas absolu ; des éclats de voix retentissaient, tantôt sur un point, tantôt sur un autre ; mais ces éclats de voix ne trahissaient que des faits isolés et perdus dans l’ensemble du festin.

Marthe éprouvait-elle de la fatigue ? Elle se laissait aller à la quiète félicité de gourmandise et ne songeait plus à la lancinante ivresse de la luxure. Elle mangeait, buvait, ne manifestait d’étonnement que parce qu’elle constatait une affluence de gens bien moins grande que dans les salons.

La centaine de personnes festoyant ne représentaient pas les trois à quatre cents qu’elle avait croisées en quittant la salle de flagellation.

Continuait-on l’amour dans les salons ? S’était-on enfui dans les chambres ? Elle le demandait à Suzanne ainsi qu’à Félicia qui répondaient invariablement :

— Cela se peut.

Le dessert circulait, dessert copieux et savamment combiné ; des vides se produisirent à table, des hommes, des femmes sortirent. Il en résulta de la détente et un éveil charnel chez les restants.

On abandonna sa place pour s’accoupler entre amoureux et amoureuses ; les baisers recommencèrent, et voilà que tout à coup on entendit un chant d’église, un De Profundis, entonné au loin, et qui, par ses sons allant crescendo, annonçait l’approche d’un cortège.

Les portes étaient grandes ouvertes ; la stupeur remplaça les caresses qu’on s’apprêtait à se faire ; à toutes les portes, au nombre de six, apparurent des pénitents noirs, les yeux luisants derrière la cagoule, et ces pénitents clamaient le De Profundis.

— Lugubre plaisanterie, cria Antioche lâchant Espérandie qu’il avait enlacée, et sur les lèvres de qui il croquignollait une praline.

Les pénitents pénétrèrent dans la salle et entourèrent les convives ; sur le seuil des portes, d’autres hommes, vêtus de velours rouge, le masque sur le visage, se montrèrent ; leur costume se composait d’un haut-de-chausse, d’un veston, de longues bottes, d’un grand chapeau ; ils avaient un bâton à la main surmonté d’un globe traversé par une flèche. Des femmes masquées survinrent derrière, et les festoyeurs se trouvèrent noyés dans cette invasion de gens continuant à chanter à tue-tête le De Profundis.

À la porte principale, un vide s’opéra, on s’écartait, et le même cri sortit des lèvres d’Antioche et de celles d’Espérandie, en apercevant l’abbesse Josépha dans sa toilette rouge, froide et impassible qui, levant la main vers le ciel, suspendit instantanément le chant funèbre.

Elle s’avança lentement, et déjà deux hommes vigoureux avaient saisi Antioche et le garrottaient, tandis qu’on agissait de même avec Espérandie.

Parvenue près de ces deux coupables, l’abbesse dit :

— Sœurs et frères, la trahison est entrée dans notre maison par ces renégats ; il sera statué à leur égard, ils ne sont pas les seuls.

Elle se tourna vers la place où, muette et tremblante, se tenait encore Marthe, la désigna et reprit :

— Celle-ci fut la cause du trouble, jetez-la sur cette table, Félicia, et qu’on la fouette pour débuter.

Avant qu’elle n’eût proféré une parole, Marthe, brutalement saisie par Félicia et par Suzanne, était couchée sur la table où elle se garait tant bien que mal des verres et des bouteilles renversés, se voyait retrousser la légère tunique qui la recouvrait, et plus de vingt mains se précipitaient pour la frapper, au milieu des hurlements d’épouvante qu’elle poussait.

— Frappez, ordonna l’abbesse, et vous, chantez le De Profundis, que ses beuglements ne s’entendent pas !

Les moines amis d’Antioche qui l’entouraient, opérèrent prestement volte-face, puis s’agenouillèrent pour que l’abbesse les bénit, ainsi qu’elle allait le faire à tous ceux qui lui étaient restés fidèles.

Scène comique et grandiose en même temps ; dans cette foule d’éléments religieux et laïques, dans cet assemblage d’êtres d’allure sévère et d’allure libertine, dans ce cadre riche et somptueux, avec les services de table éparpillés, l’abbesse apparaissait grandie, se détachant en relief, dominant tout son monde, et bien telle qu’il la fallait pour commander, s’imposer.

De nouveau elle leva la main, l’étendit par-dessus les têtes, et dit dans un arrêt du De Profundis.

— Les responsabilités seront limitées : la tête qui conçut le viol de mon autorité, le bras qui commit l’attentat, seront seuls punis ! Que tout rentre dans l’ordre, emmenez cette chiffe de fille dans la Salle de punition des enfants, elle n’est pas encore d’âge à mériter notre colère.

Deux hommes au costume de velours rouge s’emparèrent de Marthe et l’emportèrent ; l’abbesse vint alors près d’Antioche et d’Espérandie, garrottés et étendus sur le sol.

Elle les contempla quelques secondes, hocha la tête et murmura :

— La pitié serait de la faiblesse et la faiblesse tuerait l’Ordre des Bleuets. Me  Dollemphe, retournez sur le ventre cette femme. Vous, Messieurs les Lunaires, mettez cet homme sur les genoux, et maintenez-le, afin qu’il assiste à la première punition de sa complice.

Espérandie, couchée sur le ventre, les fesses nues, exposées aux regards de tous, entendit l’abbesse ordonner :

— La pelote.

Prise d’un tremblement nerveux, la révoltée supplia :

— Non, non, pas ça, grâce !

Dollemphe, un des pénitents noirs qui avait retiré la cagoule, sortit d’une poche une petite et étrange boule, dont il dévissa une moitié ; ces deux parties de la boule présentèrent deux pelotes d’où s’élançaient des pointes d’épingles.

Il jeta un regard sur ceux qui l’entouraient, fit un signe, et deux des hommes costumés de rouge s’approchèrent : l’un se pencha pour maintenir l’immobilité du haut du corps d’Espérandie, l’autre s’agenouilla sur les jambes de la jeune femme pour les lui contenir.

— Pas de grâce, dit l’abbesse, toi qui fus de mes amies, n’as-tu pas agi en implacable ennemie ?

Dollemphe s’accroupit près du cul d’Espérandie, appliqua la première moitié de la pelote sur une de ses fesses, les pointes d’épingles piquant la chair, et d’une brusque pression de main enfonça, déchirant les blanches chairs.

Un hurlement de douleur s’échappa des lèvres de la patiente, hurlement qui fut couvert par toute l’assistance entonnant un chant religieux.

Impassible aux gouttelettes de sang qui perlaient, coulaient sur la fesse meurtrie, Dollemphe planta de même la seconde moitié sur l’autre fesse.

Les deux hommes rouges cessèrent de retenir Espérandie, Dollemphe se releva, sur le parquet on vit la sœur se replier sur elle-même, se convulsionner, s’agiter quelques secondes, puis ne plus bouger, elle avait perdu connaissance.

Tout pâle, Antioche cria :

— La force appartient toujours aux bourreaux.

— Serpent, répondit l’abbesse, ne l’as-tu pas prouvé le premier ! Ta femelle ne hurle plus, elle n’étale plus son insolente fierté, ton tour viendra.

Elle se tourna, et d’un simple geste, ordonna qu’on emportât les deux corps hors de la salle.

— Frères et sœurs de ce Couvent et d’au-delà de ces murs, dit-elle alors, allons prier pour ces deux grands coupables et implorer Dieu pour qu’il nous inspire dans la tâche qui nous reste à remplir.

Elle marchait pour prendre la tête du cortège, elle aperçut Maillouchet, timidement debout à l’encoignure d’une porte et observant ce qui se passait. Elle se dirigea vers lui, lui tendit la main et dit :

— Maillouchet, si dans un passé lointain, tu eus des torts, et si tu ne vins pas au monde dans les hautes sphères de la société, tu as effacé ces torts et tu as agi en cœur loyal et chevaleresque, te rendant digne de frayer avec ceux qui semblent tes supérieurs. Accompagne-moi à la chapelle, nous causerons ensuite.

Maillouchet passait par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ; toutes ses timidités renaissaient devant cette femme en qui il personnifiait la puissance et la divinité, il balbutia :

— Vous accompagner, notre mère, marcher près de vous, je n’ose pas.

— Tu osais davantage tout à l’heure, dit-elle en souriant, et tu as couru du danger, viens, viens.

Elle lui prit la main et l’entraîna.

À la chapelle, l’aumônier Hermal et des abbés, en grands costumes sacerdotaux, attendaient l’arrivée de l’abbesse.

À son entrée, un Hosannah fut entonné.

Contraste extraordinaire avec le précédent aspect du Couvent ; à la débauche la plus outrée succédait la dévotion la plus caractérisée, de telle manière qu’il eût été impossible d’admettre la pensée qu’on se trouvait en présence des mêmes personnages.

Les costumes légers, comme par un coup de baguette de fée, s’étaient transformés en costumes religieux, chacun et chacune ayant facilement sous la main ce qu’il fallait pour cette métamorphose : les pénitents noirs, les hommes rouges, se complétaient de pénitents blancs et gris, de moines et d’abbés, la plupart nus un quart d’heure auparavant ; les sœurs des Bleuets, revêtues d’une robe uniforme bleue jetée sur leur nudité, et les femmes du monde assistant à la fête sensuelle arrangées de même ; aussi dans la chapelle rien ne trahissait l’orgie qui emportait tout le personnel du couvent et ses invités, il y avait à peine quelques minutes, ni le scandale qui la termina.

Les chants religieux retentirent, le jour bleuissait les vitraux de l’église.

À son banc abbétial, Josépha agenouillée, priait, la tête dans les mains. Elle priait et se remémorait l’affreuse journée qu’elle venait de vivre.

Prévoyaient-ils que leur triomphe serait de courte durée, Antioche et Espérandie, s’excitant mutuellement à leur félonie, ne laissèrent passer un instant sans la torturer.

Elle se croyait tranquille jusqu’à la nuit ; ce fut pour son repas que cela commença.

Antioche le lui servit plus tôt, et goguenard, lui dit :

— Mange et dors, ma chère mère, le couvent est en fête pour cette nuit, fête d’amour et de volupté, il te serait pénible d’en entendre les échos, dors et repose-toi.

Elle ne répondit pas ; elle avait hâte qu’il fut parti pour rêver à l’espoir de sa prochaine délivrance.

Écoutant le conseil donné par le moine, elle mangea pour tuer le temps.

Oh, ce repas ! Certes les mets étaient soignés et délicats, mais quel feu la dévora de suite dans les veines !

Elle se sentit devenir la proie des plus violents désirs, elle ne put résister à la folie de déchirer ses vêtements, de se rouler sur le tapis, de s’emparer de toutes sortes d’objets pour satisfaire les idées lubriques qui voltigeaient par son cerveau, qui lui détraquaient les nerfs.

Elle monta au cabinet de toilette, s’inonda d’eau de la tête aux pieds, éprouva un calme momentané, redescendit au bruit de sa porte qu’on ouvrait, faillit mourir de honte et de douleur, à la vue d’Espérandie et d’Antioche, déboutées robes relevées et se pelotant.

Leurs paroles vibraient à ses oreilles.

— Ton sang, Josépha, murmura Espérandie, est donc changé en lait que le spectacle de nos caresses de la main et de la bouche te laissent insensible et froide !

— Tu t’es foutue dans l’eau, notre mère, ajouta Antioche, ça ne suffira pas, Nous ne sommes pas méchants ; elle te permet de sucer ma queue pour apaiser ta soif. Dans tes yeux luisent les instincts les plus cochons.

Elle ferma les yeux, s’adossa tremblante à son lit ; Espérandie masturba avec forces grimaces de chatte en chaleur Antioche et susurra :

— Elle préférerait peut-être me faire minettes ou feuilles de roses ! Tiens, Josépha, regarde mon petit con, regarde mon joli cul, tu les connais déjà, c’est vrai, mais c’était plutôt moi qui t’encensais ! Je suis certaine qu’aujourd’hui ta langue se délecterait à me farfouiller, et avec un plaisir d’autant plus vif, qu’Antioche m’a baisée deux fois, que tu sentirais aussi sur mon con les lèvres de ta petite Marthe. Ne ferme donc pas les yeux.

La main d’Antioche la toucha en cet instant ; elle fit l’effet d’une pile électrique lui redonnant des forces, elle appliqua une paire de gifles à l’homme, sauta au cou de la femme, manqua de l’étrangler.

Antioche la lui arracha avec beaucoup de peiné ; ils se précipitèrent tous les deux sur elle et la battirent avec une rage folle. Elle ne se défendit pas, elle crut à la mort. Ils la quittèrent enfin.

Une vigueur surhumaine était née en elle ! Ses désirs excités embellissaient sa captivité ; elle entr’apercevait dans un rêve des légions d’amants et d’amantes qui chantaient sa gloire, qui l’honoraient dans ses charmes, et l’ivresse sensuelle, loin de l’énerver, la magnifiait, la rendait infatigable.

Il n’était pas encore dix heures, elle grimpa au cabinet pour y attendre Maillouchet et elle l’entendit :

— Maillouchet, murmura-t-elle dans l’obscurité, est-ce toi ?

— C’est moi, notre mère ; je suis étendu contre la fenêtre, approchez que nous parlions bas.

À travers les barreaux, elle reconnut le jeune homme couché sur le sol, et son visage près du sien, il lui raconta le résultat de ses courses.

Il avait remis son billet à monsieur Dollemphe qui, dans une colère épouvantable, s’était mis en campagne pour convoquer au couvent vers les minuit tous les éléments étrangers, affiliés à l’Ordre. Il l’avait accompagné et il agissait dans ce moment même, participant à la fête, triant les bons d’avec les mauvais, étudiant le moyen de la délivrer sans secousse, d’étouffer autant que possible cette sotte histoire, pour qu’il n’en subsistât pas des germes de discorde.

À mesure qu’elle écoutait ce jeune garçon, son âme s’était dilatée ! Elle se revoyait maîtresse et souveraine, elle savourait les avant-goûts de la vengeance, et, son souffle se mélangeant à celui de Maillouchet, sa chaleur commençait à la pénétrer, avec d’autant plus de force qu’elle distinguait ses yeux extasiés fixés sur les siens.

Sa fièvre se réveillant, elle sentait l’homme jeune et ardent à sa portée ; et, malgré les barreaux de fer qui les séparaient, elle approcha la bouche, l’approcha tant et si bien qu’à travers leur entrecroisement, ses lèvres se rencontrèrent avec la bouche du jeune homme.

Il poussa un cri plaintif et murmura :

— Oh, notre mère, si vous me touchez ainsi, je ne pourrai plus rien vous apprendre !

— Tu m’as appris tout ce qu’il importait, mon ami ! Je te devais un baiser en remerciement, je l’ai fait avec plaisir.

Elle comprenait le sentiment délicat qui s’imposait à Maillouchet, elle cherchait à lui inspirer de la confiance.

Un court silence régna entre eux, puis elle reprit :

— Maillouchet, tu assisteras à ma délivrance et ce que tu me demanderas, je te l’accorderai.

— Ce que je vous demanderais ! Que puis-je vous demander, sinon de me garder toujours sous votre autorité.

— Je t’y garderai, et tu vivras plus près de ma personne ! As-tu donc peur que tu te recules !

— Peur de vous, jamais ! Peur de moi, oui.

— Pourquoi peur de toi ?

— Votre baiser m’attire, et je ne voudrais pas risquer de perdre votre amitié.

— Je t’ai donné le baiser, Maillouchet, et tu ne me l’as pas rendu.

— Quoi, vous y consentiriez !

— Je te le commande.

— Au milieu de la prière qu’elle adressait au ciel pour sa délivrance, dans les chants qui unissaient à cette heure matinale tout le personnel de son couvent, le cœur de Josépha battait de doux émoi à cette scène du baiser rendu.

Le visage collé contre les barres de fer, ils approchèrent l’un et l’autre la bouche, leurs lèvres se rejoignirent, et comme à cette réunion Maillouchet se disposait à se reculer, elle murmura :

— Laisse-les.

Ce fut une lutte de délices où la bouche, se déplaçant par instant, à cause de la difficulté de la pose, ils cherchaient vite à se reprendre, et où saisissant les battements de plus en plus violents du cœur du jeune homme, elle lui dit :

— Es-tu bienheureux, Maillouchet ?

— Heureux à perdre le souffle.

— Conserve-le pour me défendre contre mes ennemis, et je te le jure, ce soir comptera dans notre existence à tous deux.

La patricienne qui vivait sous la peau de l’abbesse des Bleuets descendait vers le plébéien, elle savait qu’elle pourrait l’élever jusqu’à elle, jusqu’à son monde.

— Il comptera éternellement dans mon souvenir, répondit Maillouchet.

— Pour l’éternité, enfant, il faut qu’on aime vraiment. M’aimerais-tu… d’amour ?

— Pardon, pardon, si je vous l’ai laissé supposer, je suis fou, je le sens, mais depuis que je vis dans votre couvent, depuis que je vous vois, je ne pense, je ne rêve que par vous.

— Malgré la volupté où tu m’as vue sacrifier ! Malgré la volupté que j’ai voulu qu’on te donnât, à toi et aux autres pupilles !

— Je ne suis qu’un humble ver de terre, notre mère, et le ver de terre sait distinguer l’éclat particulier des étoiles, malgré l’entrecroisement de leurs rayons.

Un bruit de pas les rejeta loin l’un de l’autre ; elle demeura anxieuse contre la croisée. Maillouchet s’était pelotonné comme s’il dormait.

Deux individus se penchèrent sur lui, le secouèrent, dirent :

— Qu’est cet os !

— Un macchabée.

— Un soulaud.

— Les poches sonnent.

— Ramasse.

— Si y rechigne, ce fragot ?

— Troue-le.

— Merde ! On a les clochantes.

— Combien ?

— Dans les vingt-deux, chic !

— Des verres pour l’aspiratoire, frérot.

— Filons.

— Si on lui fourrait du rêve.

— Lâchons le récif.

On avait fouillé le jeune garçon, simulant l’endormi, on l’avait dévalisé, on le laissait.

Les pas s’éloignèrent, il se retourna de son côté ; elle avait suivi la scène avec une vive émotion ; elle avait cru son jeune amoureux perdu, assassiné, il murmura :

— Notre mère, nous voici seuls.

— Rentre au couvent, ne cours plus de danger.

— Je me serais défendu.

— Je ne veux pas qu’on te tue. Tu m’as dit que tu m’aimais. Je mettrai à l’épreuve ton amour.

— Vous me permettez donc de vous aimer ?

— Ne t’ai-je pas donné le baiser de gage !

— Un baiser de remerciement, notre mère, un baiser de pitié.

— Eh bien, je vais te donner un autre baiser qui, celui-là, sera un baiser de gage, et qui t’enhardira, mon jeune chevalier, approche ton ventre.

— Oh, que me voulez-vous ?

— Donne à ma bouche le bout de ce qui est dans ta culotte, j’y ferai le baiser et ce sera le baiser de gage.

— Vous me feriez ce baiser ?

— Obéis et sauve-toi ensuite.

Avec beaucoup d’adresse, entre les barreaux, Maillouchet glissa sa queue, et sur le bout, elle déposa un rapide baiser. Puis, elle recula et dit :

— Va-t-en, et à bientôt.

Telle était la vision que Maillouchet avait voulu oublier en se tenant discrètement sur le seuil de la porte, d’où elle l’appela, appréciant cette délicate réserve qui le portait à ne pas s’imposer.



VII


La cérémonie religieuse se termina. Un abbé monta en chaire pour, en quelques mots, recommander le calme, le silence, le repos, pendant la journée qui commençait, le recueillement pour la semaine, la reprise de l’harmonie monastique.

Peu à peu on évacua la chapelle pour regagner les cellules, les chambres, les appartements, le justicier Dollemphe se chargea des deux coupables.

Lentement, l’abbesse, après s’être inclinée devant le maître-autel, sortit à son tour, suivie de Suzanne, Félicia, de plusieurs autres sœurs, et s’arrêta sur le seuil pour chercher Maillouchet.

Elle l’aperçut, pâle et tremblant, à l’entrée de la galerie qu’elle devait prendre pour revenir dans ses appartements, et lui fit signe d’approcher.

— Mes sœurs, dit-elle aux femmes qui l’entouraient, repos toute la journée ! Vous veillerez néanmoins sur votre mère, selon votre habitude, mais après avoir pris jusqu’à cet après-midi le sommeil dont vous avez besoin. J’ai à causer avec mon jeune sauveur.

Dans sa toilette rouge, seule en face du jeune homme vêtu de sa blouse, elle apparaissait la déesse, heureuse de faire le bonheur d’un pauvre mortel.

La fiction pouvait être dans la réalité ; toute femme n’est-elle point déesse quand elle le veut ! Souriant à Maillouchet, elle lui dit :

— Agenouille-toi devant la femme, mon doux amoureux, et révèle-lui tout ce qui est le fond de ton cœur, de ton âme.

Il tomba sur les deux genoux, enveloppé déjà de ce fluide subtil et extasiant qu’est le sourire de la femme aimée, prête à vous aimer ; vivant quelques secondes la profonde émotion qui le dominait, il ne sut que la regarder et non parler.

Elle plana sur cette adoration silencieuse, le laissant savourer le bonheur qu’il éprouvait, maîtresse-femme dans l’art des nuances délicates de la sentimentalité et de la volupté ; elle approcha les deux mains de ses lèvres, il les saisit dans les siennes pour les maintenir contre sa bouche, et enfin il balbutia :

— Est-il possible que parfois le ciel descende sur terre, est-il possible qu’on conserve le souffle lorsque tout vous pousse à mourir aux pieds de la femme trop bonne, trop belle, trop divine, pour qu’on ose espérer l’effleurer d’une caresse, et votre voix, ma mère, me commande le courage et l’audace ? Oui, je vous aime, je vous aime depuis longtemps, depuis toujours et pour toujours. Agenouillé devant votre surhumaine beauté, je doute d’atteindre une plus exquise ivresse. Votre personne, votre supériorité, me tiennent subjugué, anéanti, vous pouvez seule discerner ce qui est dans mon âme, dans mon cœur.

Il parlait et il couvrait de petits baisers les mains qu’elle ne retirait pas de ses lèvres ; elle savourait elle-même cette effervescence d’amour qui, malgré son expérience de femme aimée et capricieuse, la pénétrait d’un charme qu’elle ne connut jamais encore, elle se pencha pour parler à son oreille et murmura :

— Enfant, puisque tu aimes d’un amour surpassant la volupté celle qui est ta souveraine, ta mère, derrière les murs de ce Couvent, celle qui reconnaît te devoir les joies de la sensualité, pour te récompenser de la transformation que tu sus accomplir dans ton être, pour te remercier de ton dévouement, de ton sentiment d’exaltation, puisque tu aimes celle qui aspire à cette heure à vibrer de la même ardeur que la tienne et que tu ne peux définir, apprends d’elle le catéchisme d’amour des temps de demain, et jure d’être croyant, de le respecter.

Dans la solitude du vaste vestibule qui précédait la chapelle et d’où partaient des galeries desservant les divers bâtiments, avec le jour matinal croissant lentement, la vue de cette femme très belle, encore pâle des émotions ressenties durant sa claustration, somptueusement habillée dans sa toilette rouge, coupée de la croix d’or, de cette femme que l’amour idéal caressait de ses ailes, contenant les désirs charnels surexcités par les ingrédients mélangés à ses aliments, de cette femme debout devant ce jeune adolescent extasié de sa beauté et de sa grâce, le tableau revêtait une grandeur inconnue où se révélait tout un nouveau monde d’impressions et de sensations.

À sa douce voix, Maillouchet cessa de baiser les mains qu’il garda néanmoins dans les siennes et répondit :

— Parle, apprends-moi, fais de moi l’homme qu’il te faut pour demain, pour toujours.

— La femme, tu aimeras et serviras : tu la voudras toujours belle et amoureuse pour toi et pour tes frères, me comprends-tu ?

— Je te comprends. Je t’aimerai et te servirai toujours.

— La femme, ce n’est pas seulement l’abbesse Josépha ; c’est la femme en général, sans quoi, demain tu trahiras pour la violenter et l’empêcher de remplir sa mission d’éducatrice de civilisations. Tu aimeras la femme dans Josépha, mais tu l’aimeras aussi dans les sœurs de Josépha, et tu sauras respecter le bonheur de tes frères, si la femme, si Josépha, ne veut pas qu’ils souffrent du désir qu’elle leur inspirerait. Tu comprends ?

— Je sais ce qui est dans ce Couvent, et faible vermisseau, je n’en changerai point les lois.

— Ici et ailleurs, si je t’emmène au loin, m’entends-tu ?

— Ta volonté est et restera ma loi.

— Aimant et servant la femme, tu croiras en un Dieu d’amour et de paix, voulant les femmes belles et les hommes sains.

— Je croirai tout ce que tu m’ordonneras de croire.

Elle sourit et reprit :

— Moi aujourd’hui, hier Izaline, demain une autre.

— Toi, toujours toi, derrière les autres femmes.

— Tu nuances, mon amoureux, soit, j’accepte ta nuance. Croyant en un Dieu d’amour et de paix, tu suivras les prescriptions des initiés du temple, et tu subordonneras ta volonté à celle des supérieurs féminins et masculins qu’on te fera connaître.

— Je vivrai dans ce couvent sous ta loi, sous celle des sœurs et des frères, je pratiquerai la religion que vous m’enseignerez, j’obéirai aux ordres de mes chefs.

Elle était de plus en plus penchée sur lui ; il s’était à demi redressé sur les genoux, un de ses bras avait glissé sous sa taille, la chair reconquérait ses droits, les paroles sortaient plus brèves, elle sentit son souffle à sa ceinture, une chaleur voluptueuse l’envahit, elle murmura :

— Plus tard, plus tard, nous continuerons, viens, mon doux amoureux, viens, que tes désirs nous unissent, viens tâcher d’être et de demeurer l’élu, viens, je te prends pour demain, pour toujours.

Elle se laissa aller dans ses bras, ils se trouvèrent agenouillés l’un contre l’autre, elle lui tendit les lèvres, il y posa les siennes. Le baiser qu’ils échangèrent parut ne devoir jamais se terminer ; l’abbesse disparaissait derrière la femme ; elle sentit autour de sa taille ses mains qui tremblaient, la pressant avec plus de passion ; elle dégrafa la grande croix d’or qui fermait le corsage et le haut de la jupe, elle lui guida la main vers les seins ronds et fermes, elle lui dit :

— Je vis ton amour, tes désirs, mon amant, mon sauveur, nous sommes des insensés de nous attarder ici ; que ma chair t’inspire la patience nécessaire, tu es fort, tu es puissant, emporte-moi, ne restons pas davantage dans ce vestibule, je te le commande, tu as assez touché.

D’un bond, il fut debout, la prit dans ses bras comme si elle eût été une petite enfant, et courut à travers une longue galerie, atteignit rapidement avec son cher fardeau l’appartement abbétial.

Elle appuyait la tête sur son épaule, et à son tour lui couvrait le cou de petits baisers.

Ils arrivèrent ainsi dans sa chambre, où, dès qu’il l’eut posée à terre, elle s’élança vers un meuble-secrétaire où se trouvait un agenda ouvert, lut le nom du saint du jour et dit :

— C’est aujourd’hui la saint Hugues, je te nomme Hugues au lieu de Maillouchet, et je te ferai comte de Maillouchet d’ici cinq ans, je te le promets.

— Permets-moi de t’aimer, ô ma mère, de te le dire, de te le prouver.

— Je te le permets.

Bientôt elle fut toute nue devant ses yeux ravis, non qu’il ne l’eût déjà vue ainsi, mais parce que cette fois elle l’était pour lui tout seul ; et nue, encore plus magnifiquement belle que dans sa toilette d’abbesse, elle le contempla se roulant à ses pieds, la mangeant de caresses depuis le bout de ses ongles roses à la divine entrée du paradis terrestre que les femmes ont entre les cuisses, à ce conin, fruit exquis et dont on rêve, même quand on en médit.

Elle avait soif de la possession après ces secousses ; elle l’arracha à ses caresses pour l’entraîner sur le lit où, le serrant dans ses bras, elle se livra avec une fougue qu’elle n’eut jamais. Il palpitait d’allégresse et de volupté, elle le favorisait dans ses élans, et les éternels cris des amants, s’échappant de leurs lèvres, unirent cette femme de trente ans à ce garçon de dix-huit ans, cette femme de haute aristocratie à ce garçon de naissance douteuse, tiré des bas-fonds de la société.

L’équilibre s’établissait ; l’intelligence masculine percevait l’affinement féminin ; à quelque chose malheur est bon, l’acte d’Antioche et de Marthe remettait dans leurs aspirations naturelles les sens de l’abbesse Josépha.

Adorée par Maillouchet, Josépha, dans cette poussée d’amour délicat, où elle s’abandonnait avec toute l’ardeur de sa féminité, n’en étudiait pas moins les fines attaches du corps de son amant, trahissant un sang dévoyé plutôt qu’un sang perdu. Elle écoutait avec émotion les exclamations délirantes que lui provoquait son bonheur ; elle reconnaissait avec joie la réalité et la profondeur du culte qu’elle inspirait, et elle s’amollissait, s’amollissait, à mesure que le contact de plus en plus intime, non repu d’une station à Vénus, se renouvelait presque sans désemparer pour fondre les corps en un seul, reculant la séparation, obligeant les moindres mollécules charnelles à se coller dans une ivresse infinie.

Il restait entre ses cuisses, la queue dans son con, l’érection se prolongeait au-delà de la sensation, il ne cherchait pas à se retirer, elle n’avait nul besoin de le retenir en elle, leurs lèvres se poursuivaient de caresses, leurs mains ne se lassaient pas de pelotages. S’il glissait, c’était pour poser la bouche sur un de ses seins, où il suçait une nouvelle force qui les rejetait dans les spasmes. Elle l’attirait, l’attirait, et il se pâmait à noyer ses yeux sous le flux de ses regards au voluptueux velouté ; il implorait alors le dard de sa petite langue, se plaquant à ses lèvres pour pénétrer dans sa bouche, en ressortir, tandis qu’elle disait :

— Hugues, mon Hugues, tu seras ma création, Je ferai de toi un homme puissant, un grand seigneur.

— Ton amant, ton esclave.

— Mon amant, mon bien ! Quelle folie me poussa à penser à cette gamine de Marthe.

— Tu lui pardonneras.

— Le veux-tu ?

— Si tu m’autorises à vouloir.

— Je te l’autorise, mon petit amant.

— Oui, je voudrais que tu pardonnasses ! C’est une enfant. Je l’étais quand on m’amena dans ce couvent. Le ciel s’y est dessiné à mes yeux.

— Elle sera pardonnée, grâce à toi. Demande-moi ce qui te plaira, je te l’accorderai. T’ennuies-tu dans notre maison ? Désires-tu mener la vie d’un jeune homme riche dehors, jeter l’argent par les fenêtres, tu le peux. J’ordonnerai qu’on te loue un appartement, tu auras autant d’argent qu’il t’en faudra.

— Non, non ! Vivre pour toi, près de toi ! Travailler pour mériter mon bonheur, te sentir toujours disposée à m’aimer, le rêve devient la réalité.

— Tu ne parles pas là en enfant, mon chéri, tu parles en homme et tu me rends fière de ton amour. Tu m’aimeras donc toujours ?

— Toujours ! N’est-ce point dans le catéchisme d’amour ?

— La femme en général, pas Josépha.

— La femme est dans celle qui, par ses regards, nous apporte la joie de vivre, l’espérance du bonheur.

— Je suis vieille par rapport à toi.

Il eut un sursaut d’indignation, s’agenouilla sur le lit entre ses cuisses, et murmura :

— Vieille, avec tant de merveilles !

— Vite, vite, veux-tu reprendre ta place, petit fuyard.

La vue, la seule vue de tant de beautés, après déjà deux joutes consécutives, n’en finissant plus, le fit rebander, et il réenfila le conin de sa queue, entrant toute droite, pour la fêter de ses plus tendres tressaillements.

Leurs lèvres se ressaisirent. Ivresse des ivresses, ils parlèrent la bouche sur la bouche, leur salive se mélangeant, il dit :

— Ce n’est pas moi qui te prends, Josépha, c’est toi, toi qui m’attires tout en toi.

— Tu m’as appelée Josépha, jamais cela ne retentit aussi doucement à mon oreille. Répète, répète mon nom.

— Josépha, l’ange du Seigneur ! Josépha, l’idole du temple d’amour ! Josépha, ma Josépha, en cette céleste minute !

— Ta Josépha ! Josépha à toi, à toi, délice des délices !

Elle jouissait et elle se tordait dans des convulsions de volupté qui auréolaient son visage d’une joliesse inoubliable, qui donnait à ses chairs un satiné encore plus attrayant ; ils parurent bien mourir dans une succession de baisages ininterrompus ; une cloche sonna qui les arrêta au milieu d’une pamoison plus vigoureuse, sans que cependant leurs bras se détachassent, leur bouche se séparât. Elle murmura :

— Cette cloche m’annonce une visite importante. C’est extraordinaire. Il est vrai qu’au dehors on ignore ce qui s’est passé dans ce couvent, sauf Dollemphe et les renforts qu’il a menés. Passe dans la ruelle et attendons.

On frappa à la porte de la chambre, l’abbesse cria d’entrer, sachant que c’était la sœur Eulalie, seule autorisée à la prévenir de ce qui survenait.

Eulalie apparut en effet, s’approcha du lit, n’éprouva aucun étonnement en apercevant Maillouchet dans la ruelle et dit :

— Je te demande pardon, ma mère, de te déranger en aussi agréable moment ; mais on vient du ministère. Il y a urgence à ce que tu prennes connaissance d’un pli qui doit t’être remis en mains propres.

— As-tu dit que je dormais, que j’étais indisposée ?

— Les ordres sont précis. Je l’ai dit.

— Bon, passe-moi ma robe de retraite. Je recevrai ici, ce ne sera pas long.

Elle se tourna vers Maillouchet, le baisa sur le front en disant :

— Ne remue pas trop, je serai vite de nouveau à ton côté.

Sautant à bas du lit, elle laissa retomber les tentures qui le dérobaient, chaussa des mules et endossa rapidement sur une chemise une longue robe noire qu’elle noua à la ceinture d’une cordelette en or.

Eulalie introduisit un monsieur très bien mis et très distingué, d’une quarantaine d’années, qui salua et dit :

— Je vous présente mes hommages, ma mère, mais ma venue vous révèle déjà l’importance de ma visite.

— Vous, comte !

Elle fit signe à Eulalie de sortir, et seule en apparence en présence de l’importun qui la troublait dans ses amours, elle lui tendit néanmoins la main et demanda :

— Qu’y a-t-il, parlez ?

— Voici une lettre du ministre, je dois transmettre votre réponse.

— C’est si pressé ?

— Très, très.

Elle décacheta le pli, le lut avec un froncement du front et murmura :

— Cela se présente mal à propos, mon cher comte.

— Pourquoi cela ?

— Êtes-vous au courant de ce qu’on me demande ?

— Oui, un voyage à Berne pour vous y rencontrer avec le grand duc.

— Je suis dans de tristes dispositions pour une telle conquête.

— Vous retrouverez votre liberté d’esprit en route ; d’autant plus que vous nous devez bien cette corvée. On a signalé un mouvement inaccoutumé dans votre couvent et ses dépendances ; on soupçonne qu’un événement important s’y est accompli ; on ferme les yeux, vous pouvez seule assurer le succès de nos démarches.

— Je partirai.

— J’en étais assuré. Avez-vous besoin d’un coup de main de l’Administration pour quelque difficulté… de discipline ?

— Nullement. On s’est réuni plus qu’à l’habitude. Le calme règne dans le couvent. On ne me fixe pas de jour pour mon départ ?

— On le laisse à votre convenance.

— D’ici trois à quatre jours, cela suffira-t-il ?

— Tout à fait. Le ministre vous attendra la veille du jour que vous aurez choisi pour ce voyage.

— Je me rendrai à son cabinet. Qu’il m’envoie la lettre d’audience nécessaire.

Le comte s’inclina, et Josépha ayant sonné, Eulalie se présenta pour le prendre et le reconduire.

L’abbesse demeura pensive et rêveuse, debout au milieu de la chambre, relisant la lettre suivante :

« Ma mère, nous négocions avec la Finlande un traité commercial très important. Ce traité dépend beaucoup de la bonne volonté du grand duc de Vlosbourg, qui se montre rétif à nos ouvertures. Il est enragé coureur de femmes, de femmes… dans votre genre. Il réside à Berne pour quelques jours. Cette conquête s’offre à vos hauts talents de femme et de diplomate. Nous vous serions très reconnaissants de votre aide, et j’y compte personnellement. Bien à vous. »

« Le comte de Pontoillet vous remettra cette lettre et rapportera votre réponse. »

— Encore, encore l’engrenage ! murmura-t-elle. Cela m’eût amusée il y a huit jours, cela me pèse aujourd’hui, pourquoi ?

Elle poussa un soupir, se tourna du côté du lit, aperçut la tête de Maillouchet qui apparaissait entre les plis du milieu, lui sourit, et d’un signe de tête l’appela.

Il se précipita à ses genoux.

— Mon chéri, déshabille-moi vite et reporte-moi sur le lit. Je vois que tu n’as pas fini tes dévotions amoureuses, il faut les hâter et puis dormir. Il fait grand jour. Je te nomme mon secrétaire et tu m’accompagneras en voyage.

La robe et la chemise gisaient sur le sol, elle riait comme une enfant aux baisers qui lui couraient sur le corps, elle murmura :

— Petit cochon, ce que nous devons sentir l’amour ! Mais bast, c’est odeur sainte quand on aime, et je crois que je t’aimerai comme tu m’aimes !

Les amants, vraiment amants, ne font pas les dégoûtés ; ils s’adorent dans les mille inconvénients de l’amour glouton et vorace, ne permettant pas le plus léger répit aux actes de la chair ; Josépha et Maillouchet se retrouvèrent sur le lit, tête bêche, avant de repartir pour un nouvel assaut.



VIII

L’abbesse dormit jusque vers les trois heures de l’après-midi, sans que nul ne la dérangeât. Se réveillant, ses regards tombèrent sur son jeune amant, plongé dans le sommeil, sommeil bien gagné après les exploits amoureux accomplis.

Se soulevant avec précaution sur un coude, pour ne pas le troubler dans son repos, elle le contempla dans sa nudité et dans son calme, l’admira, s’étonnant de ne pas l’avoir remarqué plus tôt.

L’avoir remarqué plus tôt ! Pensait-elle aux hommes quelques jours auparavant ! Elle revécut la folie qui l’entraînait vers l’hermaphrodite, et avant cette folie, les toquades qu’elle eût pour les femmes de son couvent, les rares sacrifices qu’elle fit à l’amour naturel, à l’amour du mâle, depuis sa rupture avec Victor-Étienne.

Il était vraiment beau, ce jeune Maillouchet, Hugues, comme elle l’avait appelé ! Beau, avec une peau blanche et fine, avec son visage aux traits réguliers, que soulignait une légère moustache naissante, avec son corps aux formes sveltes et masculines, sans rien de grossier.

Ses yeux examinèrent sa queue au repos, d’une bonne moyenne, très prometteuse par son bout pointu, et elle sentit son cœur s’émouvoir d’une flamme toute nouvelle, d’une joie comme jamais elle n’en ressentit.

Il dormait encore, ce chérubin, ce cher amour, qu’elle ignorait et qu’elle eût dédaigné la semaine précédente ! Il l’aimait depuis longtemps, et elle ne s’en doutait pas ! Maintenant bien des faits lui revenaient en mémoire !

Elle l’apercevait toujours à sa suite, l’escortant d’une façon plus ou moins discrète, suivant les circonstances, tenant les yeux baissés lorsqu’elle le regardait, se lançant à des hardiesses sur les sœurs si son regard pesait trop lourdement, comme s’il eût voulu échapper à l’attraction exercée.

Soupçonnait-elle cette attraction ? Non. Elle s’intéressait cependant à ses histoires voluptueuses, plus qu’à celles des autres, par la crainte de le voir perdre le fil des études entreprises, dans l’appréhension de ne pas le voir atteindre le progrès moral et physique dont elle le reconnaissait capable, avec l’effroi d’une chûte possible qui le rejetterait au niveau des autres pupilles.

C’est qu’il travaillait avec ardeur, ce jeune garçon qui faillit devenir un bandit, qui le fût même puisqu’il viola et assomma une fille ! Il travaillait et se formait, révélant une nature d’essence supérieure et délicate ! Il travaillait, se formait, poussé par l’amour, par le culte qu’il lui vouait, et, il était enfin son amant !

Son amant !

Elle, Josépha de Frochement, elle, l’abbesse souveraine des Bleuets, elle, la grande, noble, belle et puissante dame, qui traitait d’amour avec les plus hautes personnalités du monde ; elle, la voluptueuse sirène qui se délectait aux ivresses de la chair avec ses femmes et ses moines, elle, dont on vantait l’irrésistible charme au dehors, elle, elle avait pour amant Maillouchet.

Les lèvres du jeune homme s’entr’ouvrirent dans un sourire, comme s’il eût pressenti l’étude que sa maîtresse faisait de son individualité, et ce sourire pénétra le cœur de la jeune femme. Elle se pencha pour le cueillir sur sa bouche, elle s’arrêta, se recula, murmura :

— Ne l’éveillons pas.

Debout au pied du lit, elle lui envoya un baiser où toute son âme vola, puis se réfugia dans son cabinet de toilette, où Bottelionne s’occupait de préparer tout ce qui lui était nécessaire.

En la voyant apparaître, la complice de Marthe se laissa aller sur les genoux et balbutia :

— Il n’y a pas de ma faute dans ce qui s’est passé, notre mère, je le jure !

Josépha plongea les yeux dans les siens, garda un moment le silence, puis dit :

— Je suis en veine de clémence ! Je te pardonne, tu es trop bête pour être dangereuse. À ta prochaine défaillance, tu ne sortiras pas vivante de ce couvent. Mon bain est-il prêt ?

— L’eau coulait comme vous sautiez du lit.

— Bien, accompagne-moi,

Quand elle fut dans l’eau, elle ordonna à Bottelionne d’aller lui chercher Eulalie et celle-ci, accourue, s’écria :

— Que je suis heureuse de te revoir !

— À quoi sert d’être entourée d’amies dévouées, pour qu’un attentat aussi stupide puisse se commettre sur ma personne !

— N’avais-tu pas donné la consigne de respecter tes solitudes avec Marthe ?

— Respecter cette consigne ne vous interdisait pas de vous inquiéter de ma disparition !

— Suzanne et moi, nous nous en sommes inquiétées sur le champ et en avons causé avec Maillouchet, pensant que l’état de son esprit le porterait à s’alarmer plus que nous. Il a discuté notre inquiétude.

— Vous saviez donc ce qui était dans son cœur.

— Il eût fallu être aveugle pour l’ignorer.

— Je l’ignorais, moi ! Il n’a donc pas cru, lui, à un danger ! Son état d’esprit, comme tu dis, ne s’est pas inquiété !

— Malgré ton mouchoir déchiqueté que je lui avais montré.

— Le cœur subit donc d’étranges aveuglements ! Je pardonne à tout le monde, autour de moi, à cause de lui, de Hugues, tu entends : Maillouchet s’appelle Hugues, à partir de ce jour.

— Tu pardonnes à Antioche, à Espérandie ?

— Non, pas à ceux-là ! Je prononcerai cette nuit à leur sujet. Communique-moi ton rapport quotidien. Y a-t-il des demandes d’entretien ?

— L’aumônier désire te parler avant de retourner en ville.

— Il est là ?

— Oui.

— Amène-le moi. Je ne veux pas le retarder. Nous reprendrons ensuite notre conversation.

Ses nerfs se détendaient dans l’eau ; elle reçut l’aumônier Hermal, qui lui embrassa la main, lui fit compliment sur sa beauté, toujours aussi absolue et lui communiqua ses actes, depuis sa disparition jusqu’à la réunion de Raymonde et d’Izaline.

— Ah, dit-elle, tu as rendu cette petite à sa grande-amie !

— N’ayant pas tes instructions nouvelles, je me suis déchargé de ma mission sur notre sœur novice.

— Izaline ! N’est-elle pas sortie hier !

— Oui, pour aller chez les Lunaires, avec qui elle est revenue, lorsqu’ils ont été appelés pour concourir à ta délivrance.

— Ma délivrance, murmura-t-elle, il en était temps ! Si je n’avais pas eu le bonheur d’apercevoir Hugues ; qui sait, l’abbesse Josépha n’existait plus.

— Hugues !

— C’est le nouveau nom de Maillouchet.

Leurs regards s’entrecroisèrent, Hermal reprit :

— Tu l’as élevé jusqu’à toi !

— Il est mon amant.

— Bien jeune pour le rôle, Josépha !

— Préfères-tu que je conserves Marthe.

— Non, non pas ! Il te fait revenir aux hommes, on lui devra toujours cela.

— Parle-moi de sa visite à Dollemphe et ce qu’il en résulta.

— Ton avis à Dollemphe le jeta dans la colère que tu conçois. Il accourut chez moi et nous y décidâmes le plan de campagne qui a si bien réussi. Nous convoquâmes les Lunaires, les membres étrangers au couvent, afin qu’ils assistassent la fête que nous savions avoir lieu le soir ; nous visitâmes dans le couvent les sœurs et les frères que nous jugions les plus fidèles et les plus disciplinés, adressâmes de violentes observations à Victor-Étienne pour avoir cédé à Antioche. Il montra un tel chagrin de cette rebellion inattendue qu’il demanda à se placer à la tête du mouvement destiné à te rendre la liberté et à t’assurer de la personne des félons. Il t’a rejointe de bonne heure ?

— À minuit et demie. J’étais couchée, m’attendant à une nouvelle brutalité d’Antioche et d’Espérandie pour mon refus de lettre expliquant mon absence.

— Ils t’ont frappée !

— Hélas.

— Ils avaient donc perdu l’esprit ! Comme conséquence du concours des Lunaires, qui ont renoncé à leur réunion d’hier soir, il leur a été promis que l’hémicycle du couvent leur serait ouvert aujourd’hui à dix heures, et qu’avec une vingtaine de femmes, tu figurerais dans tous les exercices qui enivrent leurs sens.

— Moi !

— Toi, et c’est bien juste. Deux de leurs délégués attendent du reste que tu veuilles bien les recevoir pour emporter ton consentement à notre promesse. Tu ne peux refuser ; ils te désirent à l’autel et ils ont été les plus forts soutiens de ta cause. Je ne dois pas te le dissimuler, il y avait déjà beaucoup de désordre dans la maison.

— Cette méchante affaire ne laissera-t-elle pas de traces ?

— Nous y travaillerons par les pratiques religieuses pendant plusieurs jours, par une sévérité momentanée. Tout rentrera dans l’harmonie avec le châtiment des coupables.

— Après la réunion des Lunaires, le Conseil de l’Ordre tiendra séance pour prononcer à leur sujet. Tu t’y trouveras, tu te reposeras ensuite.

— Tu agrées donc notre promesse ?

— Ne le faut-il pas ? Envoie-moi les deux délégués, je la confirmerai avant de sortir du bain.

L’abbé Hermal se retira, et Eulalie introduisit deux des hommes habillés de rouge.

Ils s’inclinèrent devant la jeune femme, elle leur sourit et dit :

— Grand merci à vous, mes frères, d’avoir mis votre force et votre intelligence au service de mon autorité. Je vous suis profondément reconnaissante du sacrifice de vos plaisirs d’hier à ma cause, et ce soir, je monterai à votre autel pour y favoriser vos jeux. Allez et voyez.

Elle se dressa debout dans sa baignoire, leur tourna le dos, et l’un après l’autre, ils promenèrent l’annulaire dans la fente de son cul ; puis elle se rassit et ils sortirent.

Bottelionne prévenue par Eulalie, survint, la sécha, la poudra, la parfuma, et quand elle fut habillée, elle se rendit à son cabinet de travail.

Un volumineux courrier était entassé sur une merveille de table-bureau : elle s’installa pour en prendre connaissance et dit à Eulalie qui l’avait suivie :

— Hugues est mon secrétaire ; dès qu’il sera éveillé et costumé, tu me l’amèneras.

— Il est éveillé, tu le verras dans quelques minutes.

Restée seule, elle s’accouda sur sa table et rêva, les yeux perdus dans le vague. Elle ne pensait plus à son courrier.

Le bruit de la porte qui s’ouvrait la secoua, et elle accueillit avec un sourire Hugues, fort bien habillé de noir, qui la rejoignait.

— Mon cher secrétaire, dit-elle, voici un monceau de lettres qu’il faut m’aider à parcourir. Vous entrez et fonction. Il y a là une petite table, installez-vous et travaillons. Toi, Eulalie, transmets à nos sœurs l’ordre de retraite et de méditation. Tu assisteras Messieurs des Lunaires pour la convocation des femmes qu’ils désirent : elles dîneront avec moi à six heures, va.

Les deux amants se retrouvèrent en présence, Hugues assis à la table désignée par l’abbesse, attendant qu’elle lui fixât sa besogne.

Elle prit un paquet de lettre, vint occuper un fauteuil près de sa chaise et lui dit :

— Allons, décacheté, et résume-moi le contenu de ces missives.

Des demandes de secours, des demandes d’audience, demandes d’admission au couvent, formaient la plus grande partie de cette correspondance.

Hugues parcourait les lignes, en signalait l’objet à l’abbesse qui indiquait une annotation, et les classait ensuite dans un dossier.

Plus d’une heure ils travaillèrent ainsi, goûtant du plaisir à cette occupation, et le courrier fut dépouillé sans qu’on y relevât rien de trop particulier.

Debout, elle posa les mains sur ses épaules, se pencha, l’embrassa en disant :

— Es-tu content de ton sort, mon chéri ?

Il se remit à ses genoux ; dans le même regard extatique que la veille, il balbutia :

— Vrai, vrai, tu me gardes près de toi ; vrai, tu m’aimerais ?

— Je t’aime, je le crois, j’en suis sûre ! Aime bien de toutes tes forces et tâche de cultiver cet amour que tu me fais entrevoir ! N’oublie pas que je suis l’abbesse des Bleuets et que je me dois à ma haute situation dans la volupté et aussi dans l’orgie.

— La femme, tu aimeras et serviras ; la femme, j’aimerai et servirai en toi.

— Dans mes sœurs, si je sacrifie ailleurs que dans tes bras.

— Je penserai à ton charme.

— L’ivresse des sens, Hugues, cache parfois l’amour de sentiment. Il ne s’éteint pas ce pur amour, si l’amant vit comme la maîtresse, en communion de volupté avec le monde qui entoure. Ce soir, je présiderai les plaisirs des Lunaires, et j’aurai ensuite à déterminer la punition des traîtres ; nous ne nous verrons pas avant demain. Tu dormiras dans la cellule qu’on va te donner, et tu apprêteras tes forces.

Sous sa longue robe rouge, il avait passé la tête, et ses lèvres, en baisers frénétiques, en suçons ardents, couraient dans les cuisses et sur les fesses. Elle tremblait sur ses jambes, le feu des désirs la ressaisissait, elle eut l’énergie de s’arracher à la folie sensuelle qui l’entraînait, elle le repoussa avec douceur, et d’une voix mi-empreinte de sévérité, lui dit :

— Je ne t’ai pas autorisé à ces caresses, et si dans le travail tu t’oublies si vite, comment pourrai-je te conserver au poste que je te confie.

— Pardon, pardon.

Elle lui tapota les joues et répondit :

— Oui, je te pardonne, mais je tiens à ce que nous n’abusions pas de si doux bonheurs ! Il faut que tu complètes ton instruction, il faut que tu répondes à ces lettres, il faut que j’entre en communication avec ceux et celles qui m’attendent dans mon salon d’audience. À demain, mon amour, Eulalie te guidera dans ce qui te reste à faire.

Maillouchet, devenu Hugues, succédait à l’hermaphrodite Marthe, qui avait si mal récompensé l’abbesse de l’empire qu’elle lui accordait.

Il travailla avec ardeur à la tâche fixée, puis descendit vers ses anciens compagnons, pour se rendre compte s’ils avaient tous réintégré leur local, et dans quel état ils se trouvaient.

Tous, attablés et à demi-saouls, buvaient encore, se racontant des histoires plus que graveleuses.

Ribourdin, les traits décomposés par les excès, piaillait :

— J’ai foutu plus de vingt fois dans le con et le cul de la sœur Georgette ; elle ne voulait plus d’un autre homme. J’ai baisé la petite Marthe, la bonne amie de l’abbesse, et je baiserai l’abbesse quand ça me plaira.

— Toi, s’écria Maillouchet, tu baiseras le cul de cette bouteille et tu ne baiseras plus autre chose.

Il levait la bouteille pour la lui aplatir sur la tête. Aldour se cramponna à son bras, empêcha le coup et cria :

— Mouche, touche pas le camaro, ou on te fait ton affaire.

— Mouche, tu m’appelles mouche, toi, sale avorton.

Tu somellailles toujours dans les appartements de l’abbesse, pour narrer ce qu’on mijote par ici ! Ton abbesse, elle bousigue sa poire et elle embête tout le couvent. On s’amusait pendant qu’elle s’astiquait le cul avec les pines du dehors.

— Ne dis pas d’imbécillités, intervint un long maigre de dix-sept ans, Cocarrac Justin, et ne vous engueulez pas entre copains : Maillouchet n’est pas une vache ; il cherche à le foutre à l’abbesse, bravo s’il la tire ou l’encule. Moi, ce matin, j’ai enculé la sœur Eulalie et elle m’a promis qu’on s’amuserait encore bougrement si on était bien avec Maillouchet. Je suis ton ami, moi, pas vrai !

— C’est bon, c’est bon, je suis l’ami de tous, mais pas de boucan ou on ne rigolera plus.

— Est-ce toi qui m’empêchera de baiser Georgette, cria encore Ribourdin ?

— Je n’empêcherai rien du tout, mais tu me ficheras la paix.

Il les laissa continuer de boire, et revint auprès de la sœur Eulalie.



IX


Le salon, appelé salon de l’hémicycle, était, ainsi que l’indiquait son nom, un salon en demi-cercle ; dans ce demi-cercle, s’étageaient jusqu’au plafond des divans capitonnés, à des hauteurs les uns des autres d’un demi-mètre. Sur le milieu de ces divans, une large niche présentait une couche matelassée, couverte de velours noir aux franges d’or, une glace très épaisse en garnissait le fond.

La première ligne des divans était coupée de distance en distance par des trous dans lesquels, en se plaçant debout, on arrivait à hauteur de la deuxième ligne, non coupée celle-là, mais ayant en face de ces trous et au-dessus, des rebords descendant en pente, la reliant en plan incliné à la troisième ligne.

Au plafond, un lustre voilé sous des verres de couleur, lançait un jour tamisé.

Vers les neuf heures, dans ce salon, s’assemblèrent autour de l’abbesse une vingtaine de femmes et une douzaine d’hommes, les femmes, en longues robes sans tailles, tombant sur le corps en plis amples, à partir des seins qu’elles laissaient découverts.

L’abbesse et les hommes étaient nus.

Sur la deuxième rangée des divans, les femmes s’étendirent sur le ventre au-dessus des trous, et l’abbesse Josépha prit place sur la couche de velours noir.

Un homme s’approcha de cette couche, située à mi-hauteur entre la première et la deuxième rangée de divans, s’agenouilla, frappa du front le sol recouvert d’un épais tapis, se redressa, appuya le visage sur le ventre de Josépha et dit :

— Amen, que la lune se lève et que ses fidèles serviteurs la voient et l’adorent.

L’abbesse instantanément se tourna sur le ventre, présenta le cul à son cavalier, dont le visage ne quitta pas son corps, durant son évolution.

En même temps, toutes les femmes se troussèrent pour exhiber le leur, et dans les trous des divans se placèrent les hommes, le visage à hauteur de leurs fesses, entre leurs jambes pendant de chaque côté des rebords rembourrés.

Il y avait plus de femmes que d’hommes, mais une certaine partie d’entre elles étaient grimpées sur la troisième rangée des divans, mettant leur croupe au-dessus de la tête de leurs compagnes.

Le servant de l’abbesse, tout le monde se trouvant en place, se prosterna de nouveau, se redressa, de ses deux mains entr’ouvrit la raie du cul, en parcourut toute la longueur avec un pouce en disant :

— Voie secrète, voie sainte, voie mystérieuse, voie de l’infini, tu cèles et révèles la beauté, tu es la félicité, tu es la joie du regard, l’ivresse des sens ; en vain la nature cherche à t’outrager, tu restes la pureté ; tu as la ligne qui perce les immensités, tu possèdes le cercle et la courbe qui ne finit pas.

L’abbesse se recroquevilla sur les jambes et les bras, bombant le cul ; l’homme y appliqua un long, long baiser.

Dans les trous des divans, les hommes pelotaient le cul des femmes placées devant eux, en approchaient le visage, les embrassaient, se reculaient ensuite pour admirer les fesses étalées au-dessus des têtes féminines ; ces fesses se balançaient de droite et de gauche, accusaient la lascivité par la main de leurs possesseuses s’y égarant de façon plus que polissonne.

Deux femmes, qui étaient demeurées debout au milieu de la salle, vinrent près de l’abbesse, et l’une d’elles s’agenouillant derrière le servant, le fouetta de trois claques en disant :

— Comte Armstang, les astres sont levés, unis l’acte à la parole et à la pensée.

Armstang posa une main sur le cul de l’abbesse, se tourna vers les deux femmes et répondit :

— Que vos divinités brillent devant nos yeux, et cette lune sacrée sur laquelle s’appuie ma main vous conviera aux caresses sans fin, où tout s’oublie.

Les deux femmes, debout, soulevèrent leurs légers voiles jusqu’à la ceinture, se cambrèrent sur les reins, jetèrent le ventre pour développer les fesses qu’elles tortillèrent, invitant du regard le comte aies peloter ; celui-ci plaça le corps de l’abbesse en travers du lit, sur lequel elle resta à quatre pattes ; il écarta ses jambes, s’assit sur le rebord du lit entre elles, de manière à appuyer l’épine dorsale contre le cul de Josépha, il prit dans la main sa queue en érection, et les deux femmes, le ventre en avant, continuant à tortiller le cul, il leur fit signe d’approcher leurs fesses de ses genoux.

Elles s’empressèrent d’obéir, glissèrent à cheval sur ses cuisses, et se balançant, s’appliquèrent à donner chacune à leur tour un coup de cul à sa queue, qu’elles finirent par agripper de leurs doigts, lui leur pelotant les fesses. L’abbesse se levant droite sur le lit, appuya le cul contre sa tête, ce qui le fit s’écrier :

— La lune monte, gloire aux femmes !

Toujours dans les trous des divans, les hommes avaient glissé la tête sous les jupes des femmes et leur faisaient feuilles de roses.

Les tressauts qui agitaient ces jupes, témoignaient de l’activité des caresses.

Les femmes qui étaient à la troisième rangée, descendirent près de leurs compagnes, se mirent à cheval par-dessus leur cou, et, comme elles n’étaient guère éloignées les unes des autres, se troussant, elles se pelotèrent réciproquement.

À l’apparition du cul de l’abbesse au-dessus de la tête d’Armstang, elles se prosternèrent par-dessus leurs compagnes, les fesses en l’air ; celles-ci se troussèrent de nouveau, les cavaliers reculèrent et saluèrent les deux lignes de culs qu’on leur présentait, en portant la main à leur queue et en frappant ensuite d’une claque chacune des deux femmes qui leur échéait. Ils grimpèrent à leur tour sur cette deuxième rangée de divans, séparèrent les femmes et revinrent avec elles au milieu de la salle.

Lentement, l’abbesse, debout sur le lit, contourna la tête du comte, de telle façon que son cul passa sur les cheveux, sur le visage, et retourna ensuite se placer face à la salle.

Les deux femmes montèrent sur le lit à ses côtés, on se groupa dans le milieu de l’hémicycle, l’homme multiplia ses caresses, ses attouchements, imité par chaque cavalier avec son couple féminin.

Une agitation indescriptible s’ensuivit où les culs dominèrent, et où il sembla qu’ils remplissaient la salle.

L’abbesse sauta à bas du lit, après toute une longue série de feuilles de roses reçues et échangées, leva les bras en l’air, toutes les femmes l’entourèrent, échappant aux hommes, toutes s’élancèrent par les gradins des divans.

Les hommes coururent après elles, une bousculade se produisit, les queues étaient en érection, un enculage monstre commença où les femmes se disputaient à qui serait la première saisie.

L’abbesse s’esquiva par une porte située au haut de la dernière rangée. Elle se trouva dans un couloir étroit, faiblement éclairé, mais sur lequel ouvraient des logettes, nids d’amour ou de repos, et aperçut Eulalie l’attendant sur le seuil de l’une d’elles.

Prestement restaurée par sa femme de confiance, revêtant la toilette abbétiale aux dessous luxueux, elle dit :

— Mène-moi où est Marthe, je lui dois sa grâce demandée par Hugues ; il faut qu’elle conserve l’impression de la faute commise, elle assistera au jugement de ses complices.

— Le spectacle ne sera-t-il pas trop fort pour une enfant de cet âge ?

— Elle n’est plus une enfant, ayant livré son pucelage.

Marthe avait été enfermée dans une pièce mi-obscure, très bien meublée ; on lui laissa la liberté de ses mouvements pour s’y diriger à sa fantaisie, se coucher sur les divans, les fauteuils… ou les tapis, le lit faisant, défaut.

Très prostrée et très effrayée sur le premier moment, la fatigue ne tarda pas à l’emporter et elle s’endormit d’un lourd sommeil.

Elle fut réveillée par la sœur qui lui apportait à manger, un repas plus que frugal. On ne lui refusa pas de la conduire à une salle voisine pour les divers soins de son corps, et on la renferma ensuite.

Elle passa cette journée dans des alternatives de peur et d’effroi, n’ayant de rapports qu’avec la sœur désignée à lui servir sa nourriture, laquelle observa un mutisme absolu pour toutes ses questions.

Les heures s’écoulèrent, la nuit survint, l’obscurité l’environna, elle ressentit une inquiétude sourde, se crut définitivement condamnée à la solitude éternelle, pleura, s’effara du silence, n’osa plus remuer ayant entendu de violents coups frappés non loin, elle trembla de tous ses membres, en voyant apparaître Josépha, accompagnée de Suzanne, Félicia et Eulalie.

Leurs visages marquaient une telle sévérité, que toute saisie, elle tomba sur les deux genoux et implora :

— Ne me faites pas du mal, renvoyez-moi chez mes parents, chassez-moi, ce n’est pas ma faute si on s’est servi de moi !

L’abbesse vint jusqu’à elle et lui dit :

— Petit ver de terre, quelqu’un que j’aime a demandé ta grâce. Je l’ai accordée. Te renvoyer, te chasser, est chose impossible avec ce que tu sais. Tu nous prouveras par ta conduite future ton repentir, et plus tard, quand tu seras vraiment femme, on décidera de ton sort. Jusque-là, tu nous appartiens.

Elle voulut baiser les genoux de l’abbesse, celle-ci se recula et reprit :

— Lève-toi et suis-nous auprès de tes complices.

— Mes complices ! Ce sont eux qui se sont joués de ma crédulité !

— Ne les renie pas après avoir usé de leurs plaisirs.

Un cortège composé de prêtres, de moines et de sœurs, accompagna l’abbesse dans les sous-sols.

On pénétra dans une vaste crypte, fermée par de solides portes en fer et qu’éclairaient faiblement deux lampes placées à chaque extrémité.

Un des moines alluma un lustre, et un jet de lumière permit de distinguer tous les objets.

La crypte était parquetée de dalles en pierre et soutenue par des colonnes cintrées ; contre les murs se trouvaient des sièges à hauts dossiers et divers instruments ; dans le milieu, entre deux colonnes, se dressait une cage en fer.

Dans cette cage, on avait enfermé Antioche, avec tout juste une chaise pour s’asseoir et le sol pour s’étendre et se reposer ; près de cette cage, sur un lit pliant, était couchée Espérandie, pâle, décomposée, désespérée.

À la vue du cortège qui entrait, une folle terreur s’empara de son esprit, elle se cacha sous ses draps. Antioche se leva debout et attendit.

En face de la cage et du lit, on arrangea les sièges à hauts dossiers où s’installèrent l’abbesse avec les principaux de sa suite. Quatre robustes moines se tinrent près du lit d’Espérandie.

L’abbesse dit :

— Que la sœur Requéreuse parle.

Félicia, très émue, quitta le siège où elle s’était assise, vint à son tour près d’Espérandie, leva la main et dit :

— Je jure de parler sans parti pris et sans esprit de rancune, je le jure avec d’autant plus de sincérité que mon âme désolée doit s’élever contre des êtres chers à mon cœur. Le crime de forfaiture et de rebellion a été commis dans cette enceinte où la femme est maîtresse pour inspirer l’amour, la concorde et la joie. Il s’est trouvé un coupable, un homme, un élu, pour abuser d’une enfant et d’une de nos sœurs, et les pousser ensuite dans la funeste voie de la révolte. Notre mère a été outragée, séquestrée et frappée.

À ces mots, un cri d’indignation s’éleva dans toute l’assistance, et une clameur retentit :

— La mort.

— Nous n’avons pas droit de vie et de mort, mes frères, mes sœurs, reprit Félicia, mais nous avons des équivalents. Cependant si, indignée et irritée, je note ce droit d’à côté, je n’en ferai pas moins appel à votre esprit de générosité, pour ne pas punir par l’irréparable ce qui peut s’expier. La cruauté n’est excusable que vis à vis des ennemis féroces et décidés, coûte que coûte à votre ruine ; elle est inutile vis à vis des membres de notre communauté, dont l’âme, aujourd’hui édifiée sur leur mauvaise action, est certainement repentante.

— Je proteste contre toute indulgence, dit un moine.

— Et moi, je demande l’indulgence la plus large, dit l’abbesse, mais en usant d’un châtiment indispensable comme exemple pour l’avenir.

Un prêtre prit Marthe par la main (Marthe encore terrifiée et ne sachant si elle pouvait compter sur une véritable clémence), et vint la faire asseoir sur un escabeau au pied du lit d’Espérandie.

— Le crime est d’autant plus grand, dit-il, qu’on s’est appuyé sur l’affection vouée par l’abbesse à cette enfant, pour le concevoir et en commencer l’exécution.

— Il n’y a qu’un seul coupable, cria Antioche, moi, et je revendique la responsabilité des événements.

— Tu n’as pas encore la parole, Judas, dit l’abbesse debout. Cette fille, pourrie de vanité, que j’adulais, a répondu à tes propositions, et unis tous les deux, vous avez entraîné cette malheureuse créature. Toi et Espérandie, vous avez alors marché la main dans la main, et vous devez vous souvenir quel est celui des deux qui commanda les violences contre ma personne.

— Moi, répondit Espérandie dans un gémissement. L’expiation corporelle que tu m’as fait infliger et qui, depuis le retrait des pelotes d’épingles, malgré les onguents, jette le feu dans mes chairs et mon sang, la torture et la souffrance dans mes esprits, ne te suffit-elle donc pas ?

— Qui a eu l’idée de m’enflammer le corps pour m’inspirer la folie de luxure, grâce à laquelle vous espériez briser l’abbesse ? Crime sur crime vous avez commis, je ne veux pas votre mort, je veux votre repentir éprouvé.

— Je requiers, dit Félicia se dressant, que monsieur l’aumônier interroge.

L’abbé Hermal apostropha Antioche en ces termes :

— Antioche, tu fus dans les élus parmi nos frères, et tu obtins droit de séjour illimité chez nos sœurs. L’abbesse te voyait avec bonté, les cellules s’ouvraient à tes moindres désirs, pas une femme n’était rebelle aux sollicitations de ta chair, quelle fut ton idée dans cette odieuse affaire ?

— Je voulais Marthe, je cherchais à l’avoir, je l’eus ; notre mère nous surprit, se montra impitoyable, je perdis l’esprit, je me jetai sur elle, je l’emportai, la descendis dans les caveaux. Le mal était commis. La folie me tua toute raison.

— Est-ce bien le désir du corps de Marthe, la cause initiale de tes fautes ?

— Qu’on le lui demande.

— Tu as entendu. Marthe, dit-il la vérité, t’a-t-il courtisée, l’as-tu écouté, encouragé, l’as-tu reçu en secret, lui as-tu livré ta virginité ?

Elle ne sut que répondre en pleurant :

— Il m’a entraînée.

— Tu n’es plus pucelle ?

— Vous ne l’ignorez pas.

— Laissez cette enfant, ordonna l’abbesse, elle n’est que comparse.

— Antioche, reprit l’aumônier, tu as commis l’acte de soustraire à ta supérieure une enfant qui lui appartenait, tu as suborné une fille vierge et inconsciente de ses actions, tu as violenté ta supérieure, tu l’as séquestrée. Pourquoi as-tu persisté dans ta folie ?

— Qui n’a pas péché peut seul me condamner.

— Nous dénies-tu le droit de te juger ?

— Vous devenez des bourreaux du moment où vous frappez sur des êtres impuissants en refusant de lire dans leur âme. Vous avez martyrisé Espérandie, vous m’avez enfermé comme une bête fauve, à quoi bon ce simulacre de justice ? Vous ne questionnez que pour allonger le supplice de ces deux êtres faibles, si vous ne voulez pas me reconnaître seul responsable de ce qui s’est accompli. Les délits sont palpables, prononcez le jugement et ne perdons pas davantage notre temps.

— Je requiers, cria de nouveau Félicia : voici la sentence que je crois la plus équitable.

Elle fit circuler un papier sur lequel elle avait libellé quelques lignes, en commençant par l’abbesse et en finissant par l’aumônier. Chacun apposa au-dessous une marque, soit d’approbation, soit de refus, un oui ou un non.

La majorité fut pour l’approbation, et Félicia, venant se placer entre la cage en fer et le lit d’Espérandie, prononça :

— Par notre très aimée mère, belle et gentille dame, Josépha de Frochemont, avec avis de la majorité du Conseil, déclarons coupables de forfaiture et de trahison, le frère Antioche, la sœur Espérandie ; rejetons hors-procès l’inclassée Marthe, laquelle n’ayant pas juré ses vœux est de plein droit impoursuivible ; condamnons le frère Antioche à un emprisonnement de six mois avec privation de toute société, après quoi il sera expulsé hors de la communauté, sur son engagement signé d’oublier les jours qu’il vécut au milieu de nous ; condamnons la sœur Espérandie à un emprisonnement de trois mois, avec service pénitentiaire de travail, à un an de service parmi les sœurs converses, et ensuite à son transfert à notre maison de Lyon ; ces diverses pénalités ne commenceront qu’après un séjour d’accouplement des deux coupables dans cette crypte, séjour de quinze jours, et où ils seront soumis à une très sobre nourriture. Ils épuiseront ainsi, s’ils en ont encore la force, l’ardeur perverse qui les associa dans la volupté, contre notre très aimée mère Le Conseil a jugé.

L’abbé Hermal se leva et dit :

— Frère Antioche, jures-tu soumission à cet arrêt, contre lequel du reste, toute rebellion ne servirait qu’à aggraver ton cas ?

— Je jure soumission et sollicite l’indulgence pour qu’on me garde aux Bleuets après mes six mois de prison.

— La peine est prononcée sans appel. Sur ta soumission, tu sortiras de cette cage et jouiras d’un lit près de celui d’Espérandie.

— Pauvre femme, qui ne peut se remuer sans souffrance !

— Avec tes soins, dans trois jours il n’y paraîtra plus. Sœur Espérandie, jures-tu soumission à cet arrêt ?

— Je le jure et me repens.

— Que Dieu vous garde, dit l’abbesse se levant et donnant le signal du départ, tout en faisant signe à Félicia d’emmener Marthe.

Les quatre moines qui s’étaient placés autour du lit d’Espérandie et qui étaient restés les derniers, ouvrirent la cage d’Antioche, et lui dirent qu’ils allaient lui apporter le lit promis.



X


Le mal soulevé par la faute de Marthe était arrêté. Le jugement prononcé, l’abbesse se retira dans sa chambre, se coucha, pour goûter le repos auquel elle avait tant de droits et se préparer aux diverses charges de sa haute position. Sa pensée, sur la limite du sommeil, s’égara vers ce jeune amant dont elle se privait, mais qu’elle savait retrouver au matin dans son cabinet de travail. Elle dormit bien cette nuit.

Rayonnante de jeunesse et de beauté, sur les dix heures, elle apparut aux yeux de son secrétaire, déjà attelé à la besogne. Elle lui tendit la main et lui dit :

— Eh bien, Hugues, t’es-tu reposé ?

— Je n’ai fait qu’un somme et tout le temps je t’ai rêvée.

— Après le travail, nous tâcherons d’effacer le rêve : la réalité est préférable, ne le crois-tu pas ?

— La réalité consacrant le rêve rend la vie trop belle !

— Ne t’en effraye pas, mon mignon.

— Après le déjeuner, lui prenant le bras, elle le conduisit aux fameux jardin des Délices, ce jardin où fauta Izaline et, s’installant sur le banc, près du tabernacle, lui murmura :

— Ici, l’amour seul est le maître : parle-moi du tien et aime-moi ; mon cœur et mes sens ne demandent que ton bonheur.

Il l’enlaça, approcha la bouche de la sienne, leurs lèvres s’unirent dans une chaude caresse.

Minute exquise où l’âme semble prête à quitter le corps, pour aller dans l’infini s’unir à celle de l’aimée ; sensation inoubliable qui rachète tous les tourments de cette terre, mais qui laisse ensuite, hélas trop souvent, le désespoir dans le cœur, le doute dans l’esprit, le chagrin dans l’existence, par les soufflets méchants et pervers qui souvent s’abattent sur les amants.

Il n’en était rien dans ce lieu enchanteur, où une femme adorable sous tous les rapports, pénétrée de l’amour de cet enfant, cherchait, par l’ardeur de ses caresses, à s’assurer l’homme qui se dessinait dans cet enfant, de la vérité, de la tendresse amoureuse.

Et, pourquoi cette vérité se discute-t-elle ? Parce que chacun voit dans l’amour le sacrifice de l’autre et que nul n’y découvre le pacte des individualités s’unissant pour poursuivre le sentiment et la poésie au-delà de l’invisible.

Les lèvres de Josépha et de Maillouchet ne pouvaient plus se quitter ; leurs yeux à demi-clos s’énamouraient ; leur haleine se confondait ; les frissons de la volupté les secouaient ; elle s’abandonna à ses mains, la dépouillant hâtivement de son peu de voiles, et de nouveau nue devant ses regards extasiés, elle le laissa, prostré à ses pieds, se repaître des fougueuses aspirations dont il honorait ses charmes.

Sur le gazon, elle tomba dans ses bras, ils se pressèrent l’un contre l’autre dans l’étreinte de la possession, ils ne se lassaient pas de goûter à la divine ambroisie qu’est la liqueur d’amour.

Les deux corps entrelacés, reposant sur l’herbe, les baisers reprirent de plus belle ; du tabernacle s’éleva un chœur d’amour, un hosannah à la volupté, qui les berça mollement et ensuite les arracha à leur vertige.

Nus, la main dans la main, ils ouvrirent la porte du tabernacle, non plus interdit, et descendirent les marches.

Dans la vaste salle, ornée d’un seul tapis, salle cette fois brillamment éclairée, Maillouchet aperçut debout, sans vêtements, Marthe et Raymonde, entourées par Izaline, Laurette, Eliane, Félicia, Isabelle.

À l’approche de l’abbesse, les deux fillettes se précipitèrent à ses genoux, et les lui baisant, attendirent qu’elles les fit se relever en disant !

— Hugues, pour toi j’ai pardonné à cette petite ingrate ; mais elle doit rester dans le couvent et j’ai décidé qu’elle vivrait, unie à Raymonde, dans ce jardin, pour y apprendre à se développer en grâces et en charmes, en séductions et en savoir, sous la direction de ces jolies déesses. Tu seras le dieu de ce jardin pendant l’absence que je suis obligée de faire, et je veux que mes sœurs et ces enfants y demeurent pour t’aider à supporter le vide momentané que je te causerai. C’est donc avec elles que nous allons vivre ces quelques heures.

L’amour d’Hugues était si profond qu’il murmura :

— Je connais Izaline et aussi Laurette, Felicia et Raymonde, je te remercie, ma noble maîtresse de ce choix paradisiaque. Je te demande de me garder ces quelques heures tout à notre amour, et puis de me permettre de rêver à toi jusqu’à ton retour.

— Comme il te plaira, mignon. Sœur Izaline, tes épreuves sont terminées : tu as été la plus heurtée de nos novices ; tu prononceras tes vœux dans deux mois et tu remplaceras la sœur Espérandie.

— Sœur cloîtrée, s’écria Izaline, se jetant sur la main de l’abbesse pour la baiser.

Celle-ci la reçut dans ses bras et répondit :

— Sœur cloîtrée, et de mes amies ! Je sais que tu ne t’insurgeras jamais contre mes décisions et que tu fus des plus fidèles dans les heures de tristesse dont nous sortons !

Superbement campée sur ses hanches dodues et appétissantes, Laurette enlaçant Eliane, lui dit :

— Adam et le serpent feront la paix en elle.

— Et nous fêterons cette joie, dirent Félicia et Isabelle.

Josépha, poussant une porte, entraîna Maillouchet dans un couloir sombre, et au bout de ce couloir, par un judas, lui montra la crypte où étaient enfermés Espérandie et Antioche.

Le moine, agenouillé devant le lit de la jeune femme, la tête sur les draps, paraissait prier : Espérandie, les reins soutenus par un oreiller, le contemplait de ilence. Elle murmura :

— Antioche, puisque tu quittes le couvent, ta peine est expirée, je solliciterai de le quitter aussi et nous nous marierons dans le monde.

— Cela ne peut-être, ma colombe, je suis de petite bourgeoisie et tu es de haute famille.

— Hors de ces murs, la sœur Espérandie qui aime le frère Antioche et qui souffrit avec lui, restera la sœur Espérandie pour être l’épouse du frère Antioche.

Il lui baisa les mains et elle poussa une légère plainte, Antioche ayant appuyé involontairement sur le bandage appliqué à ses chairs pour les guérir des plaies formées par les épingles.

— Douleur des douleurs, gémit le moine, ma tendresse te coûte un supplice.

— Oh non, mon aimé ! Souffrir par qui on vit, par qui on croit à l’amour, à la volupté, est encore un délice. Je n’ai pas été maîtresse de mes lèvres, elles t’implorent une caresse.

L’abbesse referma le judas, elle mit le bras autour du cou de Maillouchet et lui dit :

— Là aussi, on aime, on s’aime. Aimer, s’aimer, c’est tout le bonheur possible en ce bas monde, enfant. Aime-moi, aime la femme, et sois heureux.

Oui, aimer, s’aimer, vivre dans la volupté, accordée par la femme prêtresse du temple, rien ne saurait égaler les joies de cœur et d’esprit, que provoquent les sens dans l’entente des sexes.

Il n’y a plus d’âge pour les amants dignes de ce titre, l’amour établit les compensations, les voluptés accroissent les forces. Les femmes deviennent impeccablement belles, dès qu’elles sont accueillantes, les hommes conservent leur sève dès qu’ils consentent à s’incliner devant la beauté et la gentillesse des femmes.

Les lèvres de Maillouchet ressaisissaient les lèvres de Josépha,

L’abbesse semblait planer de plus en plus dans un ciel radieux : elle illuminait son amant des rayons lumineux qui auréolaient son visage et son corps ; le jeune homme se sentait enchaîné aux attraits de cette déesse qui, pour la première fois peut-être, vibrait devant un véritable amour mâle. Elle dit dans un soupir qui réunit leur souffle :

— Ah, mon amour, je suis ton aînée, mais si le rôle te revenait et que tu le fûsses de beaucoup, je t’aimerais encore et croirais que le ciel veut nos tendresses et nos félicités.


FIN