L’Herculanum d’Irlande

L’HERCULANUM D’IRLANDE.

Dans le comté de Wexford, en Irlande, est une petite baie resserrée entre deux montagnes, et dont le rivage sablonneux et inégal est couvert d’une végétation maigre et clair-semée. En y descendant, on reconnaît bientôt que ce terrain est parsemé d’une foule d’éminences parallèles ou se coupant à angles droits, et d’une égale quantité de dépressions dans le même sens, le tout affectant une direction trop régulière, pour ne pas faire soupçonner le travail des hommes. Ce qui surtout peut ajouter à cet idée, c’est l’aspect d’une pointe de clocher élevant, du milieu de cette solitude, sa flèche dont on reconnaît avec quelque peine, la forme et les débris. Le voyageur ne tarde pas à apprendre qu’il se trouve au dessus de la ville de Bannow, ensevelie par les sables aussi complétement, quoiqu’avec moins de rapidité sans doute, que Pompeia et Herculanum le furent jadis par les cendres du Vésuve. Les éminences parallèles sont formées par les sommets des maisons, et les dépressions sont les rues, dont on reconnaît la direction et le nombre, avec une telle précision que de ce point, il ne serait pas difficile de tracer le plan de la ville. En suivant une de ces rues, on voit qu’elle se rendait à la mer, où l’on découvre, en creusant légèrement dans le sable, les restes d’un quai construit en briques.

À l’extrémité de la ville, et assez loin de la mer, un bâtiment à demi enseveli laisse encore apercevoir le sommet de ses murs noircis par les siècles. C’est une église où l’on descend par le toit, et dont l’intérieur a peut-être été déblayé par les soins de quelques voyageurs, ou qui, fermé de toutes parts, au moment de la catastrophe, n’a pu donner accès aux sables qui ont recouvert l’extérieur. Quoi qu’il en soit, on reconnaît au-dedans une architecture remontant à une époque bien antérieure à celle de l’invasion des Normands dans la Grande-Bretagne.

Le silence et l’isolement qui règnent sur cette plage sont faits pour inspirer à celui qui la parcourt de mélancoliques réflexions, lorsqu’il pense que les ossemens d’une population entière sont peut-être ensevelis sous ses pieds, au milieu des monumens encore debout des arts et de la civilisation. Il est à regretter qu’on n’ait pas entrepris dans ces lieux quelques fouilles qui eussent pu être d’un grand intérêt. À défaut de ce secours, on ne peut former que des conjectures sur la destruction de cette ville, en s’en rapportant, d’ailleurs, pour ce qu’elle fut jadis, aux récits des historiens. Il paraît, d’après Maurice Regan et sir James Ware, que Bannow fut une ville assez considérable par ses richesses, sa population et son commerce. Dans les archives du comté, à Wexford, il existe encore des registres de perception d’impôts de cette commune, dont la date remonte à plus de huit cents ans, et où se trouvent des indications qui annoncent une population opulente et active.

On ne saurait préciser l’époque où Bannow fut enseveli par les sables ; mais le même phénomène qui amena sa destruction, se remarque encore de nos jours. Il existe aux environs, de grands amas de sable fin et mouvant, que le vent fait changer à chaque instant de place et de gisement. Il s’élève en petites colonnes, s’entasse autour du plus léger point qui l’arrête et lui sert de noyau, et dans un espace de temps très-court, change totalement la forme et l’aspect des lieux. Aussi, les environs de Bannow ont subi des altérations non moins sensibles que celles de la ville. Sur une carte topographique du Comté, de 1657, on remarque dans la baie et en face de la ville dont elle est séparée par un canal, l’Île de Slade. On trouve encore dans un recueil d’observations nautiques, des instructions données aux marins pour traverser ce canal et éviter quelques récifs qui en rendaient la navigation dangereuse. Le canal, l’île et les rochers ont cessé d’exister, ou du moins d’être distincts ; d’énormes couches de sable ont égalisé le tout et un chemin que parcourent de lourdes charrettes, a remplacé le port où flottaient les pavillons des vaisseaux.

Puppibus illa priùs, patulis nunc hospita plaustris.

La baie et les environs de Bannow, quoique dignes d’attirer l’attention par la fertilité du sol, la douceur de la température, la beauté des sites et les souvenirs qui s’y rattachent, sont peu visités par les voyageurs. Les ruines de quelques vieux châteaux dont les remparts noircis et démantelés couronnent les collines d’alentour, et une ville entièrement disparue de la surface du sol, sont les seuls témoignages d’une ancienne prospérité dont la mémoire même n’existe plus.

La…