L’Heptaméron des nouvelles/Prologue (troisième journée)

L’HEPTAMÉRON
D E S   N O U V E L L E S
DE
LA ROINE DE NAVARRE

TROISIESME JOURNÉE


PROLOGUE


e matin la compaignye ne sçeut si tost venir en la salle qu’elle n’y trouvast Madame Oisille qui avoit plus de demie heure avant estudié la leçon qu’elle devoit lire, &, si le premier & second jour elle les avoit rendus contens, elle n’en feyt moins le troisiesme &, n’eust été que ung des Religieux les vint quérir pour aller à la grand messe, ils ne l’eussent oye, leur contemplation les empeschant d’oyr la cloche.

La messe oye bien dévotement, & le disner passé bien sobrement pour n’empescher par les viandes leur mémoire à s’acquicter chacun en son reng le mieulx qu’il seroit possible, se retirèrent en leurs chambres à visiter leurs registres, attendant l’heure accoustumée d’aller au pré, laquelle venue, ne faillirent à ce beau voyage, & ceulx qui avoient déliberé de dire quelque folie avoient desjà les visaiges si joyeux que l’on espéroit d’eulx occasion de bien rire. Quand ils furent assis, demandèrent à Saffredent à qui il donnoit sa voix pour la troisiesme Journée :

« Il me semble, » dist il, « que, puisque la faulte que je feis hier est si grande que vous dictes, ne sçachant histoire digne de la réparer, que je dois donner ma voix à Parlamente, laquelle pour son bon sens sçaura si bien louer les Dames qu’elle fera mettre en oubly la vérité que je vous ay dicte.

— Je n’entreprens pas, » dist Parlamente, « de réparer vos faultes, mais oui bien de me garder de les ensuivre, par quoy je me délibère, usant de la vérité promise & jurée, de vous monstrer qu’il y a des Dames qui en leurs amitiez n’ont cherché nulle fin que l’honnesteté, &, pour ce que celle dont je vous veulx parler estoit de bonne Maison, je ne changeray rien en l’histoire que le nom, vous priant, mes Dames, de penser qu’Amour n’a poinct de puissance de changer ung cueur chaste & honneste, comme vous verrez par l’histoire que je vous voys compter :