L’Heptaméron des nouvelles/Prologue (quatrièsme journée)


QUATRIESME JOURNÉE


En la Quatriesme Journée on devise
principalement de la vertueuse patience
& longue attente des Dames
pour gangner leurs marys &
de la prudence dont ont usé les
hommes envers les femmes
pour conserver l’honneur
de leurs Maison
& lignage
L’HEPTAMÉRON
D E S   N O U V E L L E S
DE
LA ROINE DE NAVARRE

QUATRIESME JOURNÉE


PROLOGUE


adame Oisille selon sa bonne coustume se leva le lendemain beaucoup plus matin que les autres &, méditant son livre de la Saincte Escripture, atendit la compaignie qui peu à peu se rassembla. Et les plus paresseux s’excusèrent sur la parolle de Dieu, disans : « J’ay une femme, je n’y puis aller si tost » ; par quoy Hircan & sa femme Parlamente trouvèrent la leçon bien commancée. Mais Oisille sçeut très bien sercher le passaige où l’Escripture reprent ceulx qui sont négligens d’oyr ceste saincte parolle, & non seullement lisoyt le texte & leur faisoyt tant de bonnes & sainctes expositions qu’il n’estoyt possible de s’ennuyer à l’oyr.

La leçon finye, Parlamente luy dist : « J’estois marrye d’avoir esté paresseuse quand je suis arrivée icy, mais, puisque ma faulte est occasion de vous avoir faict si bien parler à moy, ma paresse m’a doublement proffité, car j’ay eu repos de corps à dormir davantaige & d’esperit à vous oyr si bien dire. »

Oysille luy dist : « Or, pour pénitence allons à la messe prier Nostre Seigneur nous donner la volunté & le moïen d’exécuter ses commandemens, & puis qu’il commande ce qu’il luy plaira ».

En disant ces parolles, se trouvèrent à l’église où ilz oyrent la messe dévotement & après se misrent à table, où Hircan n’oblia poinct à se mocquer de la paresse de sa femme. Après le disner s’en allèrent reposer pour estudier leur rolle &, quand l’heure fut venue, se trouvèrent au lieu accoustumé.

Oisille demanda à Hircan à qui il donnoit sa voix pour commencer la journée.

« Si ma femme », dist il, « n’eust commencé celle d’hier, je lui eusse donné ma voix, car, combien que j’ay tousjours pensé qu’elle m’ayt aimé plus que tous les hommes du monde, si est ce que à ce matin elle m’a monstré m’aymer mieulx que Dieu ne sa parolle, laissant vostre bonne leçon pour me tenir compaignye ; mais, puisque je ne la puys bailler à la plus saige de la compaignye, je la bailleray au plus saige d’entre nous, qui est Geburon, mais je le prie qu’il n’épargne poinct les Religieux. »

Geburon luy dist : « Il ne m’en falloyt poinct prier ; je les avois bien pour recommandez, car il n’y a pas long temps que j’en ay oy faire ung compte à Monsieur de Saint-Vincent, Ambassadeur de l’Empereur, qui est digne de n’estre mis en obly, & je le vous voys racompter :