L’Heptaméron des nouvelles/Oraison funèbre

I

ORAISON FUNÈBRE
DE LA MORT DE L’INCOMPARABLE
MARGUERITE, ROYNE DE NAVARRE
ET DUCHESSE D’ALENÇON
COMPOSÉE EN LATIN PAR CHARLES DE SAINTE-MARTHE
ET TRADUICTE PAR LUY EN LANGUE FRANÇOISE


Icy est le mirouer des Princesses.

es Anciens fort bien & sagement feirent, ô Alençonnois, quand ils instituèrent que ceuls qui auroient illustré leur nom par la gloire de leurs vaillances & prouesses, & délaissé quelque noble tesmoignage & exemple de vertu, fussent grandement loués. Car il n’est rien, certes, plus raisonnable que de payer à Vertu son salaire, qui est l’honneur, ne plus convenable à toutes bonnes personnes & nobles cœurs que de chasser & régenter le vice comme vil & deshonneste.

De là ont prins leur source les rémunérations constituées aux vertueux & héroïques faicts, comme les couronnes, les triumphes, les trophées, les images & statues, les magistrats, les dignités & aultres pareils honneurs. Or ne peut ceste institution tant louable estre si bien retenue & gardée en ses limites que telles louenges fussent ordonnées pour les vivants seulement, mais ont esté aussi estandues jusques à ceuls qui s’estoient si bien gouvernés en ce Monde qu’après leur mort ils avoient laissé, tant aux vivants qu’à leurs successeurs, des exemplaires de vertu comme d’éguillons à bien & heureusement vivre. C’est la cause principale qui émeut les Athéniens de louer tous les ans en public tous ceuls qui estoient morts pour leur Patrie. Les aultres nations de Grèce guardèrent aussi religieusement telle coustume & souloient réciter publiquement toutes les louenges des trespassés, commanceants à leurs premiers gestes.

Et à la fin descendit ceste bonne & louable institution des Grecs aux Romains, tant qu’à Romme souloient les plus apparents & plus anciens, ou ceuls qui toucheoient aux trespassés de plus proche consanguinité & alience, réciter par funèbre oraison leurs faicts, leurs dicts, & générallement tout le cours de leur vie. Or n’ont esté seuls les Grecs & les Romains qui trouvèrent honorable de commémorer la vie & les louenges des illustres personnes après leur mort ; mais aussi fut ceste coustume observée des Indiens, qui souloient créer un magistrat ayant charge expresse de réciter à l’entrée de la maison du trespassé non seulement ses louenges & actes vertueux, mais aussi racompter & comme paindre au vif ses mœurs, ses conditions & sa vie, & devoit apertement dire si, luy vivant, auroit ou dit ou fait aulcune chose deshonneste qu’on deust fuir, affin que ceuls qui l’entendroient suivissent ce qui se doibt suivre & laissassent ce qui se doibt fuir. Les Ægyptiens aussi loueoient les trespassés, de quelque estat & condition qu’ils fussent, mais, sans faire aulcune mention des choses externes, comme des richesses, ils loueoient seulement en euls piété, foy, justice & religion. Quant à la louenge des Roys & des Princes, certes, ils estoient bien plus diligents & plus sévères ; car ils ne faisoient les cérémonies de leurs funérailles que premièrement le Grand Prebstre, qui estoit second en dignité après le Roy, n’eust récité toute leur vie par ordre & dès le commencement, affin que, si les vertus eussent surmonté les vices & que leur splendeur eust éclarcy l’obscurité des actes mal faicts, ils fussent embaulmés mis en un magnifique sépulcre & honorés de toute manière de louenge ; mais, si les vices obscurcisseoient tant la lumière du tiltre royal qu’elle ne peust estre esclarcie & qu’aussi surmontassent les vertus de nombre & de grandeur, fussent privés de l’honneur de sépulture & demeurassent notés de perpétuelle infamie.

Pleust il à Dieu, ô Alençonnois, que ceste coustume fust aujourd’huy si bien gardée que ceuls qui louent les trespassés si véritablement déclarassent leur vie que, sans chercher par tous moyens, tantost la faveur & la grâce de quelques uns, tantost la gloire du peuple, & sans longuement préméditer les louenges du mort, ils ne feissent des vices vertus. S’il estoit ainsi, certes, plusieurs se trouveroient, lesquels encor que la crainte de Dieu ne retirast des actes illicites qu’ils commettent, toutefois ou la cupidité d’honneur contiendroit en leur office, ou la crainte d’infamie les retarderoit quand ils s’en iroient abandonner aux vices. On ne pourrait donc suffisamment louer l’institution d’honorer les trespassés, par laquelle, comme Aspasie monstre en Platon, les bons sont prisés selon leurs mérites, les vivants sont admonestés, leurs fils & leurs frères sont éguillonnés à l’imitation de leurs vertus, & leurs parents, si aulcuns les ont survescus, avec le grand plaisir qu’ils ont en leur esprit, sentent aussi une incrédible consolation. Cecy approuvant, Cicéron escrit la vie des morts servir à la mémoire des vivants. Aussi les Loys des Douze Tables, congnoissantes le fruict qui de ce provient, ont bien osté des cérémonies funèbres la grande despense, les pleurs & le dueil, & ont ordonné que la magnificence des sépulchres seroit diminuée, mais elles n’ont défendu que les louenges des honorables personnes fussent publiquement récitées.

Je dy cecy, ô Alençonnois, pour respondre à ceuls qui crient les Oraisons funèbres debvoir estre condannées & décriées pource qu’elles ouvrent la voye aux affectées & dangereuses flatteries & que telles louenges sont du tout inutiles aux trespassés, qui sont sourds ; affin aussi que je monstre qu’à bon droit pouvons nous glorifier que ce jourd’huy ne sommes icy assemblés que pour trèshonneste & trèslouable occasion, sçavoir est moy, à qui se présente très-ample, mais toutefois trop triste matière & argument d’Oraison, & vous, pour entendre les louenges de celle qui ne peut estre assés dignement louée par éloquence humaine, tant grande & féconde soit elle.

C’est la Marguerite, sœur unique de François, naguères nostre Roy ; c’est Marguerite, Royne de Navarre ; c’est la Marguerite, ô Alençonnois, vostre Duchesse & Princesse ; c’est, dy je, la Marguerite, femme incomparable, qui n’eut onc rien en ce Monde, sinon le corps, commun avec les aultres mortels. Quand je tiens ce propos, certes je ne crains estre accusé comme violateur & transgresseur de la Loy des Douze Tables, qui défendoit dire aux banquets funérauls aultre chose des trespassés que vérité. Car, quant à moy, & que maintenant je die vérité & que cy après ne diray que vérité, non seulement nostre France le tesmoignera, mais aussi la Germanie, l’Italie, l’Hespaigne, l’Angleterre & toutes aultres nations, tant soient elles barbares & élongnées de nous, lesquelles ont ouy parler de ceste grande Marguerite, Royne de Navarre.

Que si quelcun veult dire qu’il est véritablement louable & honneste de parler de la louenge des morts, mais, combien que Marguerite semble excéder toute louenge, que toutefois elle ne doibt estre publiquement honorée, veu que les anciens n’ont cela ordonné que pour les hommes seuls, cela certes seroit subtilement & véritablement dit si les Histoires ne nous asseuroient que les Matrones Romaines, pource qu’au temps de Camille soullagèrent la nécessité du trésor public de leurs dorures & ornements, obtindrent par leur libéralité que le Sénat ordonna par arrest que leurs louenges seroient récitées à leurs funérailles comme celles des hommes.

Dirons nous celle ne devoir estre mise en ce nombre, qui n’a seulement obligé à soy, par toute manière d’humanité & de largesse, les siens, je dy les François, mais aussi toutes aultres nations ? Que s’il a esté permis à Crasse louer publiquement Popilie, sa mère, & à Jules César sa femme, nous sera il défendu décorer par semblable oraison Marguerite, Royne de Navarre, femme & Princesse trop plus excellente qu’elles ?

De mon entreprise ne me pourra retirer que jadis il n’estoit licite parler de la louenge du mort à aultre qu’à celuy qui publiquement estoit ordonné pour ce faire. Car ce que les Indiens permettaient au Magistrat qu’ils y avoient député, & les Romains aux plus proches & plus honorables amys du mort, certes à bon droit me le vendiqueray. S’il est à tous egallement permis de louer la vertu, de l’embrasser, de rendre aux louables personnes leur honneur, de tenir propos & faire exercice de ce qui est de soy honneste, pourquoy ne me sera il licite de racompter les vertus d’une tant illustre Royne & de traicter de chose tant honneste & tant louable ? Davantage, si monstrer tesmoignage de gratitude ne doibt estre imputé à vice, certes personne, s’il n’est juge inique, ne me condemnera de témérité que je m’efforce aujourd’huy louer celle qui, de sa grâce, m’a tant fait de bien & d’honneur que je lui devois & ce qui est à moy & moi-mesmes, tel quel que je sois. Mais que me dit icy mon esprit ? Qu’est ce que je pense ? Que dy je que je vueille louer celle, les vertus de laquelle quand on vouldroit dignement exprimer, la fertilité d’Homère en deviendroit stérile, le torrent de Démosthène en déseicheroit, la lumière & splendeur de l’éloquence Tulliane en seroit estainte ? Et moy le pourrois je faire, qui ne suis exubérant en résonantes paroles & n’ay abondance de sentences copieuses, en quoy éloquence consiste, voire qui ay esté distraict, presque l’espace de vingt ans, de la mamelle des bonnes lettres, qui nay aulcune fécundité, ne d’esprit ne de langage, & qui me seuls le plus foible & en tout plus inepte entre ceuls que Marguerite avoit couchés en son estat ; moy, dy je, qui congnois mon impuissance, mettray je la main à célébrer les vertus de Marguerite ? O trop audacieuse & trop folle entreprinse ! Il me vault donc mieuls, en baissant la voille, désister du voyage entreprins & laisser ceste charge à d’aultres, qui pourront mieuls que moy contenter la grandeur de cest affaire.

Mais vostre maintien, ô Alençonnois, m’incite & contraint à parachever ce que j’ay commencé, & desjà je sents en moy mon cœur, vous veoiant ainsi attentifs, s’estre tant enhardy que je ne puis plus résister à vostre autorité, qui ha sur moy puissance. Car la grande révérence & crainte que toujours avés portée à Marguerite durant sa vie, & qui rend tesmoignage de vostre gratitude, me prommet que vous escouterés très-voluntièrement les louenges de sa vie, quelque personne puisse estre qui les racompte.

Vous veoiant donc délibérés de me prester l’aureille, suyvant la doctrine de Platon, je parleray premièrement des Ancestres de Marguerite ; après, de sa nourriture & institution, &, finallement, de ses mœurs & de sa vie, qu’elle a si heureusement passée en la compaignie de toutes les vertus que, de la mémoire des hommes, l’on n’a onc veu plus perfaicte femme.

Mais, si nous commenceons à louer Marguerite de l’excellence de ses Ancestres, aulcuns diront que telle louenge, tirée de la noblesse du sang, est trop froide, trop maigre & trop stérile, pource que, du temps de nos prédécesseurs, plusieurs se sont peu jacter de ce tiltre, qui toutefois ont par leurs vices obscurcy la clarté & splendeur de leur lignée. Trèsbien, certes, & trèsvéritablement escrit Euripide, quand il appelle celuy noble qui est bon & juste ; car, quoy que l’homme injuste soit descendu de plus noble & plus ancienne race qu’onc Juppiter ne descendit, il demeure toutefois tousjours vil & abject.

Je ne veuls aussi nier que, si Marguerite eust esté interrogée sur la noblesse du sang, elle eust respondu, avecques Phalare le Tiran, qu’elle ne congnoissoit aultre noblesse que vertu, & que le reste, comme les honneurs & les richesses, elle laissoit à Fortune. Mais, quand le mesme Euripide dit, en un aultre passaige, que c’est une trèsnoble & trèssouveraine marque entre les hommes d’estre descendu de bonne, noble & ancienne race, à mon advis ne veult il dire que la noblesse du sang doit estre du tout mise en arrière. Aussi, le divin Homère, voulant donner à entendre que certains secrets & incongnus principes & semences de vertus se communiquent aux enfants en la génération, disoit à Thélémac, fils d’Ulysse : « Ô enfant, la vertu de ton père est dans toy instillée », &, pour ceste cause, Platon, en son Alcibiade, juge les natures estre par trop milleures en une noble lignée qu’en une roturière, & lui semble que ceuls qui sont issus de noble sang plus aisément parviennent à la vertu quand ils sont bien nourris & bien institués. Je croy qu’en Mécène, patron & support des bonnes lettres & des gens doctes, les escripvants de son temps ne peurent aulcune chose désirer, car il estoit assés ennobly de vertu, de prudence & d’intégrité des mœurs ; ce néanmoins, il est salué par Ovide Chevalier, descendu d’ancienne ligne de Roys, & a ouy Horace, qui l’appeloit son appuy & refuge, engendré d’ayeuls & bisayeuls Roys.

Il ne sera donc impertinent que nous loueons Marguerite de la trèsancienne & trèsnoble extraction d’où estant descendue, a par ses vertus si haultement eslevé le reng de ses Ancestres & tant illustré leur noblesse & leur splendeur que ne les a seulement ensuivis, mais aussi surpassés.

Et, pour donner à congnoistre à ung chascun combien est noble la lignée de laquelle a esté procréée, sçaichés que Phelippe de Valois, sixiesme de ce nom, engendra Jhean, duquel issit Charles cinquiesme, & de luy vint Charles sixiesme, dont fut procréé Charles septiesme, qui fut père de Loys onziesme, duquel descendit Charles huictiesme. Estant iceluy décédé sans hoirs, & défaillant en luy la ligne directe de ceuls de Vallois, il heut pour successeur Loys douziesme, qui fut fils de Charles, Duc d’Orléans, le père duquel, nommé Loys, aussi Duc d’Orléans & fils de Charles cinquiesme avec Charles sixiesme, heut avec luy d’enfants : Jhean, Conte d’Engoulesme, & Philippes, Conte des Vertus. De Jhean nasquit Charles, celuy qui heut à femme Loyse de Savoye, & de ce mariage sortirent Marguerite premièrement &, après elle, François, son frère, depuis Roy.

Quant est aux nobles, vertueux & héroïques faicts de tous ces Roys & Princes, tant, au temps de Paix, en leurs Principautés & Seigneuries, que dehors, en temps de guerre, & de leurs publiques occupations, jaçoit que cest endroit semble requérir que nous en disions quelque chose, affin toutefois que nostre Oraison ne s’égare par trop loing, nous les tairons. Car nous havons entre les mains les Françoises & domestiques Histoires, qui pourront abondamment satisfaire à ceuls qui desireront sçavoir telles choses.

Vous veoiés donc, ô Alençonnois, comment nous sommes du premier degré descendus par ordre aux parents de Marguerite, en sorte que personne ne peut plus ignorer qu’elle soit issue d’Ayeuls, de Bisayeuls & Ancestres non seulement venus de Royalle ligne, mais qui ont aussi possédé & tenu l’autorité & puissance Royalle. Parquoy, si nous devons tenir l’opinion de Simonide pour vraye, lequel nous lisons avoir respondu à un aultre, luy demandant que c’estoit de Noblesse, celuy estre vraiement noble qui est procréé d’Ancestres lesquels ont esté de leur temps amplement & longuement riches, ou que nous adjouxtons foy au dire de Plutarche, appellant noblesse les anciennes richesses & ancienne gloire, qui vouldra & pourra nier Marguerite avoir esté ornée de la noblesse du sang ? Je dy de noblesse doublement illustrée, du costé de Loyse, sa Mère.

Ô Seigneur Dieu, si un tas de glorieux & superbes Nobles du jourd’huy pouvoient nombrer ainsi par ordre les rengs & lignes de leurs Ancestres, par quel moyen pourroit estre leur impudente violence arrestée & abbatue ? Qui dureroit devant euls ? Ils sont peut estre descendus de Porchiers, de Cousturiers, de Chaussetiers ou d’aultres gents méchaniques, & encor de plus vile & plus abjecte condition, & sont les premiers du Nom, je dy les premiers Nobles de leur race. Nobles, dy je, à bon & loyal tiltre, Dieu le sçait ; ce néantmoins ils hont le cœur si orgueilleus & si enflé, & sont tant coustumiers de mespriser toutes personnes qu’ils cuident qu’il n’y ait hommes qu’euls. Mais ceuls qui sont illustres d’ancienne noblesse, extérieurement, je dy à leurs mœurs & façon de faire, monstrent assés leur noblesse, car ils hont en euls je ne sçay quoy d’une bonté naifve, qui les sépare manifestement de la férocité des fauls nobles. Et comme, si tu dores un vaisseau de cuivre, pour un certain temps il haura bien la couleur de l’or, mais à la longue la dorure se consume & efface, en sorte que le cuivre demeure & apparoit nud ; ou, si ce vaisseau est de pur or, plus l’accommoderas à ton usage & service, plus il reluira, & plus beau & plus fin apparoistra l’or. Ainsi, tous ceuls qui faulsement se ventent du tiltre de Noblesse, quoy qu’il tarde, découvrent à la fin par leurs mœurs & conditions leur villennie & lâcheté à ceuls avec lesquels ils conversent ; mais les vrays Nobles monstrent, à la fréquentation extérieure, l’intérieure noblesse & expriment leur générosité, tant en faicts qu’en parolles.

De ceste sorte de Nobles jadis fut Marguerite, & espère ce jourd’huy vous donner à congnoistre combien elle a tousjours esté éloignée de jactance & d’insolence, & combien peu s’est jamais enorgueillie de sa noblesse. Mais, pour autant que tous les Roys, Princes & grands Seigneurs ne doivent se glorifier de la noblesse du sang devant qu’ils ayent uny & joinct avec elle la noblesse de l’Ame, & qu’en leur esprit doit estre à jamais imprimé ce que dit Euripide à grand honneur tourner aux enfants si, euls estant nais de bons & de nobles parents, leur sont semblables de mœurs & conditions ; car, comme Pythagore disoit ; « Les mœurs sont les tesmoings de la vraye & haulte noblesse », c’est à moy de vous monstrer ici que Marguerite a tellement respondu à la noblesse de son sang qu’elle l’a surpassée par la noblesse de ses mœurs.

Et, pour mieuls le vous faire entendre, me semble qu’il ne sera impertinent de dire en cest endroit quelque mot de son infance. Quand donc elle fut sortie du ventre de sa mère, si tost ne fut entrée en ce Monde que si grands signes & certains indices d’une très excellente indole apparurent au visaige de cest enfant que quiconques la regardoit, comme touché d’un divin augure, soudainement se promettoit d’elle je ne sçay quoy de bon qui excedderoit la naturelle inclination de la mortalité & condition humaine. Elle monstroit un visaige riant à tous ceuls qui la regardoient, &, estant nue, présentoit à un chascun sa main, comme si elle eust voulu donner sa foy de ne se laisser jamais surpasser à personne en humanité, doulceur & libéralité. Et, venu le jour quand elle deut estre baptisée, les Princes & Seigneurs, qui là estoient assemblés, assés longuement alterquèrent & débattirent sur le Nom que ses Parreins & Marreines luy donnereoient. Or eussent ils peu, suivant la coustume de France, la nommer Loyse ou Charlotte, veu que la plus grand part de ses prédécesseurs avoient heu les noms de Loys & Charles, qui sont en France des noms de Princes ; mais le plaisir de Dieu fut luy faire bailler nom qui respondroit aux grâces futures en elle.

Cecy pourra sembler à d’aulcuns ridicule comme un songe & resverie de vieilles, pource que, de prime face, il n’est trop croiable que les Dieus Célestes se soucient de quels noms les hommes mortels soient appellés. D’avantage il semblera chose absurde de nous vouloir persuader qu’il y ait quelque mystère caiché soubs les Noms propres, veu que plus tost ils sont donnés au plaisir des Parreins & Marreines que pour y avoir dessoubs aulcune religion comprime & caichée. Mais, si nous accordons que foy doive estre adjoustée au divin Philosophe Platon, quoy que les Noms propres soient souvent imposés des surnoms des prédécesseurs, lesquels toutefois ne conviennent tousjours à ceuls qui les portent & soient aussi souvent donnés selon le vœu des impositeurs, comme si quelcun désire que son fils aime Dieu & soit aimé de Dieu, le nomme Théophile, toutefois plusieurs noms sont institués plus par une occulte providence & disposition divine que par la délibération & puissance humaine. Car, puisque le Nom, ainsi que le mesme Platon dit, est comme une paincture, imitation & instrument, par lequel les substances des choses sont monstrées au doigt & séparées d’ensemble, certes, il fault celuy qui impose les Noms appeller les choses de Noms qui leur soient propres & convenables, ce que bien & deuement faire n’apartient aux imperits, & n’est commun à un chascun, ains est plustost l’œuvre de Divinité.

Que si l’observation des Noms n’eust été comme religieuse & sacrosancte aux Anciens ainsi qu’une chose couverte & adumbrée de grands & profonds mystères, certes, Homère n’eust tant travaillé à faire convenir les Noms aux choses & n’eust appelle : Agamemnon, de souffrance, de labeur & de peine ; Oreste, de nature sylvestre ; Atrée, d’inexorabilité ; Tantale, d’infélicité.

Mais à quoi cercheons nous des ethniques & estranges exemples, veu que nous en havons entre les mains de familiers & domestiques, qui assés confirment ce que nous disons ? Je dy des exemples dont personne ne se mocquera, & ne les impugnera, s’il n’est extrêmement enraigé & impie. Car, si nous disons que fortuitement, & non par Divin décret, le nom de Jésus ait esté imposé au Christ, servateur du genre humain, l’Escriture Saincte nous contredira, qui suffisamment nous tesmoigne qu’il fut envoyé du Ciel & apporté par l’Ange pour nous servir de gaige qu’il donneroit salut a son peuple. Par quoy l’opinion de Platon n’est absurde quand il commande qu’on assigne des trèsbeaux noms aux trèsbelles choses.

Par conséquent, on ne pourra plus dire que je m’abuse & que je resve, ainsi que des vieilles, si je dy & croy qu’il est advenu par la dispensation du Divin Conseil que Marguerite ayt heu le nom par lequel le Seigneur Dieu, comme par un extérieur instrument, a voulu donner à entendre de quels dons de grâces il vouloit enrichir & reparer sa créature. Car la Marguerite est une précieuse pierre, que Pline dit emporter l’honneur & le pris sur toutes choses précieuses & havoir perfection en blancheur, grandeur, rotondité & pois. Quand ces trois ensemble se trouvent, ils leur donnent si grande majesté que celle qui en est ennoblie est achaptée à quelque pris que ce soit, & de là il advient que, quand nous voulons signifier quelque chose estre de grand & précieux pris, nous l’appelions communement Marguerite. Cecy nous est confirmé par Jésus-Christ, qui, n’ayant aultre chose a qui peust convenablement comparer la parolle de Dieu, en l’Évangile l’appelle Marguerite ; car, ainsi que dit S. Augustin, elle reluit de la splendeur de vérité, elle est solide de la fermeté d’éternité, & de toutes parts est tousjours semblable de la beaulté de divinité.

Or, fault il donc que la chose soit de grand pris qui pourra estre comparée avec la Marguerite, que les Latins ont appellée union pource qu’on n’en pourroit trouver deus qui ne soient différentes. Les François en leur langage nomment la Marguerite « Perle », & la chose perfaicte en toute perfection, & estimée n’avoir sa pareille, ils appellent une Perle. Et pource, sans grand mystère, ne devoit estre nommée Marguerite celle qui devoit reluire d’une candeur de cœur & d’intégrité de vie, qui devoit estre grande de noblesse ancienne de sang, de grands biens de fortune & de Royalle Majesté, qui devoit estre égalle & unie de vertu & tousjours une, mesmes en ses escripts ? Je dy que celle à bon droit est appellée « union » qui ne devoit laisser au monde sa pareille.

Les Médecins donnent des grandes vertus aux Marguerites, lesquelles nous ne réciterons présentement par leurs noms & ordre, car seroit chose trop ennui[eu]se pour la prolixité, mais nous en parlerons briefvement d’aulcunes. Les Marguerites & Perles servent de souverain remède au mal de cœur & à tout évanouissement, & pource l’on dit qu’elles confortent & fortifient les esprits. Or, à quelles personnes les esprits défaillent plus qu’à ceuls qui sont agités d’adversité & ne veoient aulcun port où se puissent tirer à saulveté ? Marguerite devoit estre le divin instrument & organe par lequel le Dieu de consolation réconforteroit les affligés. Les Perles sont grandement utiles contre l’humeur mélancolique, d’ont surviennent maintes pernicieuses & mortelles maladies ; Marguerite devoit estre illustrée par le Seigneur de Royalle dignité, de grandeur d’auctorité & d’abondance de biens de fortune pour secourir & soullager tous pauvres nécessiteus & indigents, & tous ceuls qui seroient en tribulation d’esprit. Les Perles proffitent singulièrement aux nerfs des œils, deseichent leurs humeurs, nettoient leur ordure & éclarcissent la veue ; en Marguerite devoit estre la main de Celuy qui tire les souffreteus hors de la fange & du fiant pour illustrer par elle ceuls qui seroient venus de la maison & race obscure & contemptible & élever aux honneurs les personnes de basse condition, les colloquants auprès des Roys, Princes & Seigneurs de ce Monde, a leur costé, à leurs aureilles, a leurs secrets, & les constituants administrateurs des Républiques.

Encor adjouteray je que les Perles naissent dans la mair & se trouvent en la mair ; toutefois elles hont plus grande société avec le ciel qu’avec la mair. Ainsi, combien que Marguerite deust converser au Monde, elle estoit toutefois gardée par le Seigneur pour depriser ce Monde & ce qui luy appartient, & eslever au Ciel toutes ses affections & pensées. Davantage, les Perles ne doivent estre maniées avec les mains sales ; autrement elles seroient incontinent tachées de macules. Nostre Marguerite n’a esté nourrie & entretenue en voluptés & délices ordes dont elle peust estre maculée. Il fault aussi soigneusement contregarder les perles affin qu’elles ne perdent leur plaisante blancheur ; nostre Marguerite n’a point esté instituée avec trop molle & trop délicate éducation, laquelle luy peust corrompre & la force & vigueur du corps, & la vivacité de l’esprit. L’on doit pareillement prendre bonne garde que les Perles ne trempent aulcunement en vinaigre, car bien tost se résouldroient en liqueur ; nostre Marguerite n’a esté instruicte d’aspres, durs & rustiques mœurs, ains de pudiques & humains, sévères toutefois & vraiement Royaulx, & tels qu’ils devoient tesmoigner que la nourriture respondroit à l’attente de sa grande noblesse. Et, pour faire apertement congnoistre ce que je vous dy estre véritable, nous dirons quelque chose de sa nourriture & institution.

Je croy, ô Alençonneis, que vous avés lu en Xénophon, ou bien entendu par d’aultres, les Perses avoir jadis esté fort religieus à instituer leurs enfants, je dy si tétriques & sévères que, quand nous desirons aulcuns précepteurs pour la réformation des mœurs de la jeunesse, nous prenons nostre recours aux préceptes des Perses. Or avoient ils acoustumé les enseigner, jusques a l’aige de dix-sept ans, tempérance, continence, justice & toutes les aultres vertus, affin qu’avec la mammelle ils sugseassent aussi bonne discipline & saine institution qui les rendist dès le commencement tels que, parvenus à l’aige d’adolescence, n’eussent aulcun désir de meschanceté & de villennie. Je vouldrois certes, ô Alençonnois, ceste louable coustume des Perses estre tant aujourd’huy religieuse & sacrosancte aux Pères, Mères & aultres, qu’en suivant leurs Lois & façon de vivre, ils n’instituassent point leurs enfants de l’instruction, que nous veoions & sentons, au trèsgrand regret & dommage tant de nous que de la République, estre trèscorrompue, trèspernicieuse & trèsdétestable. Si ainsi le faisoient, des maulvais & dépravés esprits ils en feroient de bons, & ceuls qui de leur naturelle inclination sont bons, ils rendroient meilleurs. Car, si l’éducation, comme Platon escrit, & la bonne érudition est gardée, elle rend les esprits bons, & les bons esprits, ayants rencontré ceste bonne nourriture, en deviennent milleurs, tant à toutes choses générallement que spéciallement pour engendrer de bons enfants.

Loyse de Savoye, mirouer trèslucide de prudence & matronale gravité, trèsbien entendoit ce que nous disons, d’out elle print telle diligence & tel soing à la nourriture de sa fille Marguerite qu’à la veoir on l’eust plus tôt jugée une Perse, instituée de la sévérité Persienne, qu’une Françoise. Lors le roy Loys douziesme régnoit, & n’estoit encor l’espérance certaine que la lignée de Savoye montast si briesvement au siège Royal. Et, de ce temps là, Charles, Conte d’Engoulesme, n’ayant des biens de ce Monde respondants à la noblesse de son sang, sembleoit devoir emploier tout son esprit, son estude & sa puissance à faire amas d’un riche & opulent douaire pour sa fille Marguerite, & de grands trésors & rentes, revenus, maisons, chasteaus & possessions pour François, aussi son fils. Mais le trèssage Prince ayma par trop mieuls pourveoir à l’esprit de ses enfants qu’à leurs corps, comme mettant son principal soing à la chose qui estoit plus principalle & plus nécessaire. Car il avoit entendu ce que dit Xénophon celuy qui nourrit des chevauls & leur donne foing, avoine & pasture à l’abandon, sans les exercer ce pendant à la guerre, havoir certes des chevauls gras & en bon point, mais toutefois du tout inutiles à ce que les généreus & courageux chevauls doivent faire. Ainsi sçavoit il que ceuls qui prennent jour & nuit grand peine d’advancer leurs enfants aux honneurs, dignités & grandes richesses, sans havoir soucy que leur esprit soit orné, instruict & enrichy de bonnes meurs & des vertus, peuvent bien havoir des enfants riches, & peut estre Princes & grands Seigneurs, mais le plus souvent maulvais & trèspernicieux à leur Patrie. Ce que préveoiant, le sage Conte s’efforçea de toute sa puissance faire instituer Marguerite, sa fille, ainsi que les préceptes des Philosophes commandent les enfants des Princes estre instruicts & institués. Au reste, — pour autant, comme dit Platon, qu’il fault sur toutes choses prendre peine de choisir entre les bons un trèsbon & trèsexpert instructeur des enfants, veu que, comme le plus souvent, ce que l’expérience assés nous tesmoigne, l’enfant tient du laict de sa nourrice, ainsi celuy qui est institué participe communément des mœurs, je dy des vertus ou des vices de son instituteur, dequoy les Histoires nous proposent un notable exemple en Alexandre le Grand, — Loyse, subtile & providente mère, donna à sa fille Marguerite, pour maistresse de ses mœurs, une trèsexquise & trèsvénérable Dame, en laquelle toutes les vertus, l’une a l’envie de l’aultre, s’estoient assemblées. Quant est de son frère François, je croy que personne ne doubte qu’il ayt aussi esté nourri & institué de pareille diligence ; mais, pour autant que Monsieur Castellanus, Evesque de Mascon, homme de grand jugement & de profonde littérature, a escrit, en une trèsornée & trèsrenommée Oraison, de l’adolescence & vie dud. Seigneur, où il a fait un epitome & brief discours de ses gestes, & après luy Pierre Galand, personne trèsdocte, Professeur des bonnes Lettres pour le Roy en son Université de Paris, a mis en lumière une fort élégante louenge, & pleine de grande érudition, qui traicte de mesme matière, pour le présent ne parlerons que de Marguerite seule.

Ceste noble donc & sage Dame ne laissa celle qui luy estoit baillée en charge estre dissolue par voluptés, abandonnée à superfluités & vains boubans, ne corrompue de parolles oisifves & deshonnestes, qui est, de nostre temps, l’institution presque de tous les grands Seigneurs, mais prudemment l’occupa à tous louables & vertueus exercices, dignes du nom & tiltre de Princesse & d’une future Royne. Aussi luy furent baillés des domestiques Précepteurs, hommes bien expérimentés en maintes bonnes choses, prudents & excellents en toutes manières de Science &, pour dire en somme, tels que les Philosophes requièrent trouver aux Courts des Princes & aux Maisons des Seigneurs au lieu d’un tas de flatteurs, de fols & de gens du tout inutiles.

Ces sages personnes proposoient à Marguerite certains bons exemples, tantost des Lettres prophanes, tantost des Sainctes Escriptures, pour les luy faire suivir. Une aultrefois luy récitoient aulcuns préceptes de vertu, qui enseignent à bien & heureusement vivre, pour de plus en plus l’enflamer & exercer à toutes choses vertueuses. Et, pource que par longue & certaine expérience nous avons aprins la sentence de Platon estre vraie que lors les Républiques seront heureuses quand, ou les Philosophes y régneront, ou que les Roys & les Princes y philosopheront, ses Précepteurs luy tenoient tousjours quelque salutaire propos de Philosophie à celle fin que, quand elle entendroit qu’on doit fuir une telle chose & suivre l’aultre, elle imprimast en son esprit qu’ainsi le failloit faire, puis que tel estoit l’advis des Philosophes.

Il me semble, ô Alençonnois, qu’en tenant ces propos j’en veoy d’aulcuns, non des hommes, mais des bestes, qui se mocquent que Marguerite ait heu des Précepteurs qui l’aient instruicte des préceptions philosophiques, comme si Philosophie n’avoit rien commun avec le régime & gouvernement d’un Royaume. Certes, je ne puis nier que, comme le nom de Sophiste, jadis tandis honorable, est aujourd’huy odieus à tous bons espris par l’opiniastreté d’un tas de babillards questionnaires, ainsi que le surnom & tiltre de Philosophe, que les Roys, un temps fut, heurent en délices & grandement honorèrent, ne soit de nostre ciècle mesprisé, hay & mocquè, non par la coulpe de Philosophie, mais par le vice de ceuls qui, s’approchants du sanctuarie de Philosophie avec une âme orde & souillée d’affections corrompues & un esprit tout vicieus, ne deviennent moins fols & perturbés de l’estude de Philosophie que, par expérience, les tygres apparoissent enragés du douls & mélodieux son de la Musique. Mais, celuy qui pourra faire essay du fruyct que Philosophie nous aporte avecques soy, certes il confessera quelle est nécessaire, non seulement aux personnes privées, mais aussi aux Magistrats, mesmement aux Princes, qui lors commenceront d’estre Tirans quand ils désisteront d’estre Philosophes.

Car, comme nous lisons en Stobée le Philosophe Musone avoir autrefois dit à un Roy de Syrie : « À qui appartient il mieuls de garder bien les hommes & de juger des choses qui leur seront ou bonnes ou maulvaises, utiles ou inutiles, proffitables ou dommageables, permises ou défendues, qu’au Prince ? Et qui fera juste discrétion de telles choses, sinon le Philosophe, qui met tout son esprit & emploie toute son estude à la cognoissance de ce qui regarde l’utilité de l’homme ? À qui est il nécessaire, fors au Prince, de contenir les pœuples & les subgects en leur devoir & exercer justice, & la rendre à ceuls qui la requerront ? » Mais à quelle fontaine irons nous puyser ceste fustice ? Je dy, de qui apprendrons nous que c’est que de Justice que des préceptes des Philosophes ? Qui sera plus apte & commode au gouvernement d’un Royaume que celuy qui peut se gouverner soi-mesmes & qui aussi se régente le premier ? Car comment pourra commander aux aultres qui ne peut commander à soi-mesmes ? Or la seule Philosophie pare le chemin à Tempérance, & généralement à toutes les aultres Vertus, lesquelles enseignent ce que nous disons ; je dy qu’elles nous aprennent le régime & gouvernement de nous mesmes. Devra celuy estre nommé Roy, ou qui efféminement obéit aux délices, aux plaisirs de la chair comme un Sardanapale, ou qui est magnanime & insuperable contre les furieuses concupiscences ? C’est Philosophie qui enseigne Force & Constance, & monstre que Vertu ne peut demeurer au Royaume de Volupté. Appelleras tu celuy Roy, qui ne sçait establir des Lois, ne vivre selon les Lois ? La seule Philosophie en est la maistresse, & appelle un Roy Ame de la Loy pource que le Roy doit fortifier son Royaume de Lois. Si les Princes considéroient ces choses, certes ils ne dépriseroient ainsi les Philosophes, ains les révéreroient & estudiroient en Philosophie, qui n’est aultre chose sinon l’exercice de bien & d’honnesteté, & par cecy il demeure manifeste à tous que Philosophie est proffitable aux Grands, aux petits & moïens, mais qu’elle n’est a personne tant nécessaire qu’aux Princes.

Ce que considérants les experts & saiges instructeurs de Marguerite luy inculquèrent & meirent en l’esprit des plus nécessaires préceptes & institutions de Philosophie, & aimèrent mieuls la rendre vraie Princesse qu’en luy apprenant ce qu’un jour luy conviendrait desaprendre, empoisonner son Ame de disciplines corrompues & de vénéneuses sciences. Il ne fault toutefois qu’on pense, quand nous faisons mention de Philosophie, que nous ne parlons que de celle qui s’aprend ès escrpits de Platon & des aultres Philosophes, car nous entendons aussi de la Philosophe Evangélique, qui est la Parolle de Dieu, des saints & salutaires préceptes de laquelle Marguerite fut par ses instituteurs si bien endoctrinée & instruicte qu’encor n’estoit venue à l’aige de quinze ans quand l’Esprit de Dieu, qui avoit saisy tout son esprit, commencea se manifester & apparoistre en ses œils, en sa face, en son marcher, en sa parolle & générallement en toutes ses actions.

Et, comme ceuls quelle avoit attirés à son admiration semoient par tout & à tous les rares vertus d’elle, tantost fut la renommée espandue jusques à Charles, aujourd’huy Empereur & lors Roy des Espaignes, qu’en la Court du Roy de France estoit une jeune fille, Princesse, excellente en beaulté & resplendissante de vertus comme d’une clarté estincellante par ses raïons. Charles, esmeu de ce bruit, commençea se sentir frappé de l’amour de la vierge, qu’il n’avoit onc veue, dont il envoia en France ses Ambassadeurs la demander pour luy en mariage. Mais ce ne fut le plaisir de Dieu, gouvernant les cœurs des Parents de Marguerite, que France perdist sa tant précieuse Perle, ains fut espousée à celuy auquel elle estoit par divin arrest destinée.

Ce fut, ô Alençonnois, à vostre duc Charles, le trèsmodeste, trèsprudent & trèsliberal Prince entre tous les Princes qui oncques furent soubs le soleil. Je dy Charles, frère de Françoise, trèsillustre Duchesse de Beaumont, Douairière de Longueville & de Vendosmois, qui sçait si noblement tenir son reng entre les Princesses que ses vertus souveraines avoient donné à nostre France grande occasion de se complaindre de Nature de quoy ne l’avoit faicte homme ; mais elle luy a osté toute matière de plaincte quand a esté si favorable aux François que de Françoise d’Alençon, comme du cheval du Troye, ont esté procréés tant de très-nobles Princes, frères, à l’honneur, proesse & vertu desquels toute l’espérance des François, après l’appuy de leur Roy très magnanime, pour aujourd’huy se repose.

Or n’estoit Charles inférieur à l’aultre Charles, aujourd’huy Empereur, de noblesse de sang & d’antiquité de Maison, ce qui se vérifiera clairement s’il vous plaist que je vous récite sa généalogie, non que nous commencions au premier chef, mais seulement à ceuls la mémoire desquels vous est congnue & trèsgracieuse, je dy de Charles, Duc de Vallois & Conte d’Alençon, de qui fut engendré Charles, qui mourut à la bataille de Creiquy, & de luy Pierre, dont descendit Jhean, second du nom, & de luy vint René, & de René Charles, dernier Duc, mary de Marguerite. Or descendirent tous ces magnanimes & illustres Princes, prédécesseurs de Charles & de Françoise, de la trèsnoble & trèssaincte race du Roy S. Loys, que l’Église Romaine a escrit & enrollé au catalogue des Saincts & de qui Philippes estoit fils, dont Charles est venu.

N’ayant heu Marguerite des enfants de ce mariage, & vostre duc & Prince, ô Alençonnois, vous estant osté par trop précipitée & soubdaine mort, il pleut au bon Dieu, affin qu’il demourast en ce Monde quelque semence de si précieus grain, unir & assembler de rechef nostre Marguerite par lien de mariage au Roy Henry, Roy de Navarre, trèsnoble, trèspuissant & trèssage Prince, dont sont issus & procréés, premièrement Jhean, Prince de Navarre, qui fut ravy devant son aige par l’envie des fatalles Déesses, & Jheanne, aujourd’huy espouse du très-preus & très-magnanime Prince Antoine, Duc de Vendosmois, duquel les vertus admirables ont si bien attiré toute la France à l’amour & révérence de luy que les Princes, les Gentilshommes, le Peuple, les Grands, les petits & tous généralement si tost n’entendent le nom de Monseigneur de Vendosme & de Messieurs ses Frères que soubdain ne leur soubhaittent & requièrent à Dieu santé & prosperité.

Ô incrustable, ô indicible, ô redoutable la Providence Divine, qui a tant heureusement disposé de l’estat de ceste bonne Dame que le trèsnoble & trèsparfaict Prince a esté joinct par un indissoluble lien à la trèsnoble & trèsprudente Princesse, faisant tant pour elle quelle fust entée en la mesme souche dont sa mère Marguerite estait aultrefois sortie.

Vous avés jusques icy entendu, ô Alençonnois, de quelle parenté est issue Marguerite, comment elle fut nourrie & à qui elle fut donnée en mariage. Maintenant que demandés vous plus ? Est ce que je vous racompte par ordre tous ses faicts & ses dicts pleins de vertu ? Certes je ne sçay si, entre les hommes mortels, aulcun peut estre si superbe que de se venter de le pouvoir faire ; mais, quant à moy, je ne feray l’essay de si haulte entreprinse &, à mon advis, si difficile pour la conduire à la fin que quiconques s’y hazardera n’y fera non plus que s’il essaioit de compter tous les rayons du Soleil les uns après les aultres. Toutefois je diray bien qu’il n’y a préceptes escripts de l’office du Prince par Platon, Isocrate, Aristote & les aultres Philosophes, Précepteurs des Roys & Princes, que Marguerite n’ait en sa vie si bien accomplis que l’on n’eust peu trouver qu’y redire. Est il aulcun de vous, ô Alençonnois, qui m’estime plus parler par flatterie & adulation qu’à la vérité ? Quant est de ceuls d’Alemaigne, d’Italie, de Venise, d’Angleterre, d’Espaigne & de toutes aultres nations estranges, je n’ay aulcune crainte qu’ils m’arguent de mensonge, car les Ambassades qu’ils ont envoiés vers le defunct Roy François pourront faire foy qu’il n’est aulcune manière de piété, de bonté, d’humanité, de candeur, de plaisir, que Marguerite n’ayt libéralement practiquée à l’endroit d’euls tous, & tesmoigneront aussi que par sa faveur ils ont tousjours obtenu qu’ils disoient au Roy, & librement & quand ils vouloient, ce qu’ils havoient en charge.

Et toy, Charles Cæsar, si sur ce propos nous t’appellons à tesmoing, tu pourras nous faire certains si Marguerite a esté la plus providente & la plus prudente, voire la plus perfecte de toutes les femmes que tu congnus onc. Car tu as fait tel essay de sa prudence à la délibération de ses entreprises, de sa constance à la poursuite d’icelles, de la modestie dont elle usoit après qu’elle les avoit conduites jusques à leur fin, que tu as publiquement & souventefois confessé, tant has tu le jugement bon à congnoistre les esprits des personnes, que Marguerite de France te sembleoit plus un prodige de Nature qu’une femme. Tu as, dy je, essayé à loisir si sa présence respondoit à la renommée, lorsqu’elle te fut veoir en ton pays d’Espaigne, quand à grande difficulté tu élargis Françoys son frère, trahy des siens & prins des tiens, quelques conditions de paix qu’on te peut proposer & offrir. Dy moi, ô Charles, toy, tes Princes, tes Espaignols, que pensiés vous de Marguerite quand vous la veoiés avoir fait tant de chemin, ou pour delivrer & emmener avec elle son frère, ton prisonnier, ou, si elle ne l’eust peu tirer de tes mains, pour demourer aussi captive & finir la vie avec luy captif ?

Que cuiddons nous, si Platon vivoit aujourd’huy, qu’il diroit de Marguerite ? Quelle sentence donneroit il pour un cœur si héroïque ? Je dy, Platon, si équitable estimateur des vertus d’aultruy, que jugeroit il de Marguerite ? Lequel des deus loueroit il plus, ou la piété & amour d’elle envers le Roy son frère, ou bien sa charité vers France, sa Patrie ?

Les Sœurs de Phaéton sont consacrées à l’éternité de la mémoire pour autant qu’elles déplorèrent leur frère, déchassé du Ciel, par tant continuelles & inconsolables pleurs que, comme les Poètes disent, elles contraignirent les Dieus Célestes d’en prendre pitié. Pour mesme cause sont prisées Antigone, la sœur d’Etéocle, & les Hyades, lesquelles, mort leur frère Hyas, deseichèrent d’une misérable tristesse, dueil & ennuy d’esprit. Que dirons nous de Marguerite ? Lequel des deus est le plus louable & plus à estimer, pleurer comme une femme celui qui est ou absent ou mort, ou refraindre & tenir les larmes d’une magnanimité & constance de cœur, & cercher & suivre l’absent, en quelque pays & lieu qu’il puisse estre, ou, s’il est mort, ne s’en contrister non plus que d’une chose transitoire & mortelle ? Le Phrygien Anchure, fils de Myde ; Sperte & Bule, Lacédémoniens ; les Dèces ; les Curtes ; Codre l’Athénien, grande matière laissèrent à leur postérité de les louer pource que de leur sang ils racheptèrent la liberté & le salut de leur patrie. Effacerons nous de ce rolle François, Roy trèscourageus, qui s’exposa au péril de mort pour défendre la liberté des siens, je dy la franchise de son Pœuple, & sa sœur Marguerite, qui abandonna, & sa patrie, & ses parents & amys, & tous les biens que Fortune luy avoit donnés, pour rendre son frère à nostre France ? Marc Régule est grandement estimé dequoy, pour l’utilité, proffit & commodité de sa patrie, il garda aux Carthaginiens, ses mortels ennemis, la foy qu’il leur avoit prommise, où toutefois il esioit assés adverty mort trèscruelle luy estre apprestèe. Ne louerons nous Marguerite qui ne doubla point d’abandonner sa liberté & sa vie au Prince victorieus, de la volunté & délibération duquel n’estoit encores asseurée ? Il est escript que Persée délivra de mort & de péril Andromède, exposée à un monstre marin ; Luculle Cotte, estant assiégé dans Chalchedone ; Balsacie Calphurne le gras, qui estoit pareillement condamné d’estre immolé. Mais il nous fault avec euls mettre Marguerite, par la prudence de laquelle le mariage de son frère François & d’Alienor fut faict, sans lequel nostre bon Roy fust mort en captivité & jamais n’eust esté rendu aux siens.

Ô France, que tu es obligée à Marguerite, qui avoit cerché une telle Royne à ton Roy, Royne, dy-je, que personne ne me contredira devoir estre nombrée au rolle des illustres femmes qui ont par leur vertu consacré & dédié leur nom a l’immortalité.

Que si vous désirés en Marguerite un aultre exemple d’une force & magnanimité rare, je vous en proposeray un qui est domestique & duquel, vous, ô Alençonnois, pourrés estre tesmoings. Que peut-il arriver aux parents, mesmes à la mère, qui leur soit plus aigre, plus ennuieus, plus triste & plus dur à porter que d’estre privés de leurs enfants, & encor enfants uniques ? Et, si nous veoions que non seulement ne s’émeuvent d’entendre si facheuse & moleste nouvelle, mais aussi asseurent & consolent les aultres, qui les vont visiter pour leur donner quelque consolation, les dirons nous estre cruels & havoir le cœur endurcy comme un rochier, ou si plus tost les appellerons forts & magnanimes ? Pour ceste cause, grand honneur jadis acquirent Anaxagore, Bibule, Antigone, Rutilie, Symphorose, Félicité & Sophie, car la mort de leurs enfants ne peut onc les esbranler d’un seul pied pour les getter hors du siège de constance. Mais nostre Marguerite, ayant perdu son aisné & unique fils, Prince de Navarre, encor qu’elle fust doublée de stérilité, toutefois ne fut veue, ou estre estonnée & esperdue, ou getter des souspirs & gémir profondément, ou monstrer aulcun signe que son esprit fust troublé d’aulcune tristesse. Mais, où presque toutes les femmes en telle fortune accusent le Ciel, mauldissent la Mort, remplissent l’air de hurlements & vaines plainctes &, du tout faillies de courage, demeurent ainsi que mortes, estonnées & stupides,Marguerite ouit la triste nouvelle de la mort de son fils de cœur constant & asseuré, &, au lieu des flebiles cantiques qu’on ha de coustume chanter aux funérailles, elle feist dire un joyeus Hymne, c’est le Cantique des Saincts Augustin & Ambrois, commenceant Te Deum Laudamus, que le pœuple chante communement en signe d’une nouvelle & inespérée joye. Cela certes sembla chose inaudite & inacoustumée à ceuls qui jugent grande injure estre faicte aux trespassés si les vivants ne sont vestus de noir, ne se tourmentent de dueil, ne frappent leur poictrine, ne s’arrachent les cheveuls, ne se deffont eulxmesmes d’impatience & de désespoir.

Mais la trèsmagnanime Royne avoit entendu Euripide avoir escrit que ceuls qui naissent en ce Monde doivent estre reçeus en grands pleurs, en dueil & tristesse, comme estants entrés en la mair de tous mauls, misères & calamités, mais que ceuls qui sont morts doivent estre portés & conduits au monument en grande joye & liesse comme libres & échappés de toute misère. Aussi sçavoit elle qu Hérodote a mis en son Histoire les Thraces avoir acoustumé d’environner les enfants nays, & là tesmoigner par leurs lamentations combien de calamités & d’infortunes leur convenoit endurer au Monde, mais qu’ils espandent toutes sortes de fleurs sur les corps des trespassés, les portent au sépulchre en mélodie & célèbrent leurs funérailles en incrédible resjouissance, voulants ainsi donner entendre le bien & la félicité des morts.

Veoiant donc la prudente Royne que telle force & constance avoit esté en ceuls qui, oultre ce qu’ils estoient barbares, n’avoient aussi aulcune espérance d’une meilleure vie après la mort corporelle, elle considéroit en son esprit les Chrestiens devoir estre trop plus contants qu’euls, veu mesmement qu’ils hont desjà une certaine espérance de l’imortalité, qui nous est acquise par le sang de Jésus, duquel la trèsheureuse victoire, qu’il emporta en la Crois sur la Mort ensepvelie & sur Sathan vaincu, prommet un glorieus triumphe à ceuls qui attendent à son advènement la résurrection de leur corps & ensemble la prommesse de la vie éternelle. C’est la cause pourquoy Marguerite, contre la coustume de toutes les aultres femmes, porta constamment, & sans aulcune testification de douleur, la mort de son fils, lequel elle sembleoit devoir pleurer à cry & lamentation pitoyable. Davantaige, elle sçavoit trèsbien qu’elle ne devoit pleurer son enfant, l’esprit duquel estoit entre les mains de Celuy qui avoit crié sur la terre : « Laissés venir les enfants à moy. » Et pource, après qu’elle eut par une Chrestienne consolation conforté le roy Henry, son mary, par tous les coings des carrefours de nostre ville, vous scavés, ô Alençonnois, que je dy vérité, elle feist attacher des pappiers où estoient escriptes ces parolles : Le Seigneur l’avoit donné, le Seigneur l’a osté.

Maintenant je vous demande, ô Alençonnois, si l’on interrogeoit quelcun de vous qu’il luy semble de la patience de Marguerite, laquelle un chascun peut contempler & congnoistre, mesmes en cest exemple que présentement vous ay récité, que respondroit il ? L’ethnique Socrate ou le fidèle Job seroient de nous grandement loués si nous lisions d’euls un acte semblable. Combien plus doibt il estre prisé en une femme, dont le sexe pourroit excuser toute pusillanimité, tant grande fust elle ?

Mais je vous veuls encores dire un aultre exemple de rare pieté, force & constance, qui se trouve en Marguerite ; car, comme sa fille Jheanne estoit trèsgrièvement malade en la royalle Maison du Plessis lès Tours, & le bruict fust à la Court, estant lors à Paris, que ceste bonne Princesse tendoit à la mort, la vertueuse mère Marguerite, sur les quatre heures du soir, commanda luy admener sa lectière, disant qu’elle vouloit aller vers sa fille & que chascun des siens délibérast de partir. Il n’y avoit rien prest ; les Officiers & serviteurs estoient absents & équartés, tant par la ville de Paris que par les villages ; il estoit desjà basse heure, car ce fut au plus courts jours ; le temps estoit aussi contraire pour la pluye, & ne sa lectière ne ses mulets de coffres n’estoient là auprès. Cela veoiant, la courageuse Royne emprunta la lectière de Madame Marguerite, sa niepce, se met dedans &, contente de petite compaignie, déloge de Paris & s’en va jusques au Bourg la Royne.

Quand ils furent là venus, ne s’en alla descendre à son logis, ains alla tout droit à l’Eglise, où, ainsi qu’elle vouloit entrer, dist aux assistants que le cœur luy signifieoit je ne sçay quoy de la mort de sa fille, & les priea tous affectueusement se retirer &, pour une petite heure, la laisser seule au Temple. Tous luy obéissent &, en grand ennuy, attendent leur maistresse à la porte de l’Eglise. La Séneschalle de Poictou, trèsfidèle Dame & trèssoigneuse de Marguerite, entra seule avec elle.

Estant Marguerite entrée, se met à genoils devant l’image de Jésus crucifié, fait à Dieu prière du profond du cœur ; elle souspire, elle pleure, elle luy confesse toutes ses offenses & tourne sur elle la seule cause de la maladie de sa fille, demande trèshumblement pardon & supplie que la santé de la malade lui soit octroiée, mais c’estoit avec condition si l’entérinement de sa requeste estoit à l’une & l’aultre nécessaire, sçaichant bien que la volunté de Dieu doibt estre sur tout demandée. Sainct Jacques escrit la prière de celuy qui croit en Jésus estre envers Dieu de grande vertu & efficace, & Jésus mesmes, nous exhortant en son Evangile de prier Dieu le Père en son Nom, adjouxte que nous obtiendrons tout ce que nous lui demanderons en croiant. Certes, Marguerite l’a si bien prové estre vray que personne ne peut plus se deffier des divines prommesses, sinon qu’il soit impie & sans foy. Et qu’il ne soit ainsi, tantost le congnoistrés.

Marguerite, après sa prière faicte, se liève, sort de l’Église & trouve à la porte plusieurs grands personnages qui commencèrent de lui donner courge par maintes bonnes consolations, auxquels elle dist : « Ô mes amis, il ne me fault attendre que les hommes adoulcissent ma douleur par leur conseil & consolation, car Celuy seul me consolera à qui plaist par cette dure adversité faire essay de ma patience & de ma constance. Mais, puis que, le temps passé, ne m’a point abandonnée en tant d’infortunes où j’estois enveloppée, j’espère que je ne seray trompée de mon attente, car desjà son sainct Esprit prommet au mien que ma fille, tant périlleuse & désespérée soit la maladie qui l’afflige, sera délivrée & recouvrera sa première santé. »

En tenant ces propos, arrive à son logis, entre &, après qu’elle se fut un petit reposée, son Maistre d’hostel l’advertit de soupper. Elle lave & s’assiet à table ; mais je vouldrois, ô Alençonnois, ou que trèsbien vous sçeussés, ou que je vous peusse suffisamment réciter les propos qu’elle tint, en souppant, de la bonté, de la piété, de la miséricorde de Dieu, de quelle haulteur de parolles elle exprima la puissance & la providence divine, de quelle gravité de sentences elle récita la misère & la calamité humaine.

Après qu’elle eut souppé, de rechef commanda à chascun de sortir de sa chambre &, quant elle eut quelque espace de temps vaqué à oraison, se feist apporter la Bible. L’ayant ouverte, s’agenoille & s’appuye sur un petit banc, &, comme elle vint, le S. Esprit ainsi l’ordonnant, à s’arrêter sur le passage où nous est récitée l’oraison que feist à Dieu Ezéchie, Roi de Juda, quand il demanda prolongation de sa vie après que le Prophète luy eut adnoncé la mort, sans que personne y penseast, de loing fut entendu venir un Poste qui, au son de son cor, monstroit assés qu’il alloit en diligence. Adonc vous les eussiés tous veus chés la Royne fort étonnés &, ainsi que dit le Proverbe, tenants le loup aux aureilles, car ils n’estoient encores bien asseurés quelles nouvelles le Courier apportoit.

Au signe de la Poste Marguerite se liève, court à la fenestre, l’ouvre, demande où va le Courier & quelles nouvelles il porte. Personne ne luy respond, car qu’eussent ils peu respondre ? Si, pour la consoler, luy eussent dit qu’il apportoit bonnes nouvelles & il eust esté autrement, la vaine espérance de si courte joye eust possible renouvellé & de plus fort augmenté sa douleur & tristesse. Et, si ainsi eust esté que sa fille fust décédée, où est celuy qui eust voulu si soudainement luy dire & se faire messager de si triste fortune ? Veoiant Marguerite que personne ne lui respondoit, retourne à son oraison ; mais, ô Seigneur Dieu, de quelle affection d’esprit & de quelle ardente foy elle parloit à toy ! Et, comme elle estoit ainsi demourée entre crainte & espérance, Nicolas d’Anguye, lors Evesque de Saix, maintenant de Mande, au logis duquel le Courier étoit descendu, s’en vint à la maison de la Royne, frappe à la porte de sa chambre. On luy ouvre ; il entre & trouve ceste bonne Princesse estant à genoils, la face enclinée contre terre, & intentifve à oraison.

Un peu après elle se liève &, détournée vers le vénérable Evesque : « Monsieur de Saix, » luy dist-elle, « venés vous icy pour adnoncer à une dolente mère la mort de sa fille unique ? J’entens bien qu’elle est maintenant avec Dieu ? » Le trèsprudent homme, auquel une singulière piété de mœurs est conjoincte avec une assurée érudition & exact jugement, ne voulut émouvir les esprits de la Royne par une trop soubdaine joye, ains trèsmodestement luy respondit que véritablement sa fille vivoit avec Dieu ainsi qu’avec luy vivent tous ceuls l’esprit desquels vit par Foy, car il est mort où il n’y a point de foy, mais qu’elle estoit encores en ce monde, que la fiebvre l’avoit laissée, que son flux de sang estoit arresté & que les Médecins envoioient toute bonne & joyeuse nouvelle, ce qu’il avoit entendu par les lettres que le Courier avoit apportées. Quand Marguerite entendit ce propos, elle ne commencea, comme plusieurs eussent fait, de monstrer une insolente & effrénée joye pour si bonne nouvelle, mais, les mains levées au Ciel, trèshumblement le remercia.

En Elie resuscitant le fils de la Sareptane, son hostesse, & en S. Pierre rendant la vie a Dorcade, la puissance divine, qui est incompréhensible à Nature, apertement se démonstra. Qui engardera que nous ne croions la foy de Marguerite avoir impétré santé à sa fille ?

Ô exemple rare, ô piété insigne, force & magnanimité nompareille ! Se vente maintenant la glorieuse Gentilité tant qu’elle vouldra &, si elle peut, nous propose quelcun des siens que nous puissons comparer à nostre Marguerite. L’on pourra nous mettre en barbe les magnanimes & constants hommes, qui jadis furent si bien armés de force de courage contre toutes adversités qu’ils ne peurent onc estre transpersés des dards de Fortune, leur adversaire. Mais, si les propos que naguères nous tenions ne sont argument trèscertains d’une invincible constance, certes, je ne sçay que nous devrons plus appeller constance. Aristide viendra en avant, qui ne feist que se mocquer de la malice de celuy qui luy avoit craché au visage, & l’admonesta tant seulement de ne faire plus telle villennie. Aussi pourra l’on nous présenter devant les œils l’inénarrable patience du sage Socrate, ou nous proposer la clémence de Jules Caesar envers ses ennemis, & la doulceur d’Aurèle Antoine, de laquelle il usa vers Avie Casse qui, avec d’aultres conjurateurs, avoit machiné sa mort. De mesme mansuétude Tite Vespasian a remporté mesme gloire quand Domitian, son frère, accompaigné d’aultres conspirateurs, délibéra le mettre à mort par trahison, laquelle découverte ne lui monstra aultre visage que de coustume, ains le pria humblement qu’il ne se maculast de parricide. Certes, ces exemples sont trèsbeaux & dignes d’estre suivis & gardés de tous les Princes, mais desquels toutefois la vertu & la mémoire n’eust peu estre désirée en Marguerite.

Que si l’on nous vouloit presser de trop près pour nommer ceuls qui sont tombés jusques en ceste rage que d’avoir ausé déhontément mesdire d’elle, ceuls là apertement & en public, ceuls cy secrètement & soubs les cheminées, les uns aux tavernes, les aultres en leurs maisons, les aultres aussi en leurs Leçons & Sermons, certes sa doulceur, sa bénignité, sa constance, seroit assés manifestée & congnue à toute sorte de gents. Que si elle eust voulu appliquer son esprit à s’en venger, qui niera qu’elle eust peu aisément mettre à perdition & faire saccager un tas d’ivroignes & téméraires ? Elle, dy je, qui estoit & Royne tréspuissante, & unique & trèsaimée Sœur d’un Roy trèspuissant & trèsredoubté, qui réputeoit ce qui lui estoit fait estre fait à lui-mesmes ? Où est celuy, tant soit il de noble & grand cœur, qui peust havoir si perfaicte patience que de se monstrer muet aux injures & opprobres de la déhontée loquacité des gents de nulle valeur ? Si l’on irrite les bestes brutes, elles ne l’endureront ; le Cheval se desfendra du pied, le Chien de la dent, le Bœuf de la corne, le Porc espic de ses espines, l’Avette de son éguillon, Narcé de son poison. Mais Marguerite s’estoit couverte du bouclier évangélique, c’est de Patience, contre le venin des hommes pestifères, malings & pernicieus, & ne voulut onc emploier l’auctorité, puissance & crédit, ou d’elle ou des siens, contre euls.

Au contraire, sa clémence & bonté a esté si grande que, lors que certains des principauls & capitaines de tels tumultes furent appréhendés & constitués prisonniers pour punir leur trop effrénée licence de mesdire & que le Roy François eust délibéré cohiber & refraindre par peine de mort la trop impudente & désordonnée pétulance des téméraires détracteurs, elle se prosterna devant son frère & ne cessa luy crier mercy pour euls & trèshumblement le supplier de ne dépouiller bonté, miséricorde & clémence Royale jusques à ce qu’elle leur eust obtenu & impétré de luy grâce, pardon & liberté.

Encor diray je davantage d’un acte qui estoit, au jugement de tous les hommes, bien dur & difficile à porter patiemment ; c’est qu’il s’en est trouvé quelques uns du nombre de ceuls qu’elle avoit trèshumainement reçeus en sa Maison, qu’elle avoit élevés aux honneurs & grandes dignités, quelle avoit soubstenus contre tous & couverts de son auctorité, comme du fort bouclier d’Homère, quelle avoit, dy-je, des plus intimes & familiers de sa Maison, qui secrètement ont fait tout leur possible pour luy faire encourir la male grâce du Roy, son frère, & de l’aultre Roy, son mary. Veoiés, ô Alençonnois, quel malvais gré a reçeu Marguerite pour s’estre du tout emploiée à les favoriser, secourir & ayder.

Ô extrême impudence, ô ingratitude Scythique ! Mais ce n’est grand merveille d’entendre ceuls avoir esté impudents qui ont surpassé toute mémoire d’ingratitude, je dy, qui se sont monstrés les plus ingrats dont jamais on ouït parler ? Car, ainsi que Xénophon escrit : « Impudence est fille d’Ingratitude & induit l’homme ingrat à faire tout villain acte. » Pour ceste cause, les Perses souloient faire une trèsgriève & exemplaire punition de ceuls qui ne rendoient le plaisir qu’on leur avoit fait quand ils en havoient la puissance, pour tant qu’il leur sembloit que les ingrats mesprisent les Dieus, leurs parents, leur patrie & leurs amys. Que juges tu qu’ils eussent fait s’ils eussent entendu aulcun estre tant ingrat que de n’avoir seulement recongnu le plaisir qui lui a esté fait, mais aussi avoir rendu mal pour bien & déplaisir pour plaisir ? Certes l’injure & énorme oultrage que recepvoit Marguerite, par ceste ingratitude, eust peu mettre hors des gonds de Patience & déturber du siège de Tranquilité tout esprit, tant noble, tant constant & tant courageus soit il, mais elle prenoit sa consolation sur la response qu’on dit Alexandre avoir un jour faicte à celuy qui l’advertit d’un quidam, qui avoit mesdit de luy : « C’est », dist il, « le propre d’un Roy recepvoir des injures pour ses bienfaicts. » Quand elle penseoit à ceste royalle & magnanime sentence & avec cela réduisoit aussi en mémoire que le Seigneur commande à tous fidèles Chrestiens de ne rendre mal pour mal, hayne pour hayne, injure pour injure, soubdainement son cœur s’éclaircisseoit en sorte qu’elle n’avoit plus aulcune souvenance de l’injure de ceste ingratitude. Qu’il ne soit vray, elle ne desisteoit de parler trèshumainement aux ingrats &, où elle pouvoit leur faire plaisir, trèsvoluntiers s’emploieoit pour euls comme si jamais auparavant ne l’eussent offensée.

Est il acte qui sente plus son christianisme ? Que pourroient tous les Philosophes demander plus excellent & mémorable en un Prince ? Je vouldrois certes que tous les Princes, Seigneurs & nobles hommes, quand ils se laissent conduire & mener à leurs aveuglées affections, heussent quelque souvenance de la doulceur & longanimité de Marguerite affin qu’ils fussent arrestés par sa vertu & ne cercheassent ainsi tant de moyens pour se venger de l’outrage qu’on leur peut avoir fait. Car, combien que cupidité de vengeance doive estre déracinée du cœur de tous les Ordres des hommes, toutefois elle doibt principalement estre mise hors de l’esprit des Roys, Princes & grands Seigneurs, car elle aveugle l’entendement, pervertit le jugement, renverse la raison en sorte que celuy qui brusle en cœur d’ardeur de vindication ne pourra ne dire, ne faire, ne penser aulcune chose qui soit bonne, vertueuse & louable. Cela congnoissant, Homère ne s’est contenté d’avoir nommé les Princes « Pères des subgets », qui estoit pourtant un trèshonneste nom entre les hommes, mais leur a aussi adjouxté le tiltre de doulceur & de mansuétude affin qu’ils hayent continuelle mémoire de leur devoir & qu’ils se recordent qu’ils doivent estre, non seulement Roys, mais aussi Pères, voire Pères douls & bénings.

Or maintenant, je ne sçaiche personne, ô Alençonnois, qui puisse plus faire aulcun doubte de la constance, doulceur & bonté de Marguerite, laquelle aux vertus que je vous ay cy devant récitées a voulu adjouxter une aultre vertu comme leur Sœur, qui est l’adnéantissement de soi mesmes, que nous appelons vulgairement Humilité. Où est celuy, s’il n’est excessivement & impudemment menteur, qui soit si hardi de dire qu’il ayt jamais veu ou entendu Marguerite parler superbement & arrogamment, faire aulcun acte insolentement, ou dédaigner les personnes, tant pauvres & de vil pris fussent ils ?

L’on tourne à grand honneur à Trajan & à Vespasian, Empereurs, que l’un despouilloit l’impérialle majesté pour visiter ses amys malades, pauvres ou riches, grands ou petits ; l’aultre ne faisoit seulement le semblable, mais aussi, quelque mal qu’ils heussent, leur donnoit lui-mesmes à boire & à menger & leur administrait leurs nécessités. Marguerite a aussi fait reluire sa couronne de ce précieus carbuncle, n’ayant seulement aprins de l’Evangile que le Seigneur résiste aux superbes, mais, sçaichant aussi, par la doctrine des plus graves Philosophes, qu’en tous estats, mesmes entre les Princes, plus la personne est riche, grande & élevée à honneur, plus elle doibt estre humble. De faict, s’il est vray, comme dit le grand Tyrien, que les Princes soient en ce Monde Vicaires de Dieu &, ainsi que l’Apostre escrit, ses Ministres, doncques fault il qu’en toutes leurs actions ils suivent Dieu, lequel, tant s’en fault qu’il se monstre de rudde & de difficile accès à ceuls qui vont à luy que lui mesmes a haulte voix nous y invite & appelle en sa Saincte Escripture & très bénignement reçeoit tous ceuls qui y vont. Comment seront les Roys ses Vicaires & Ministres s’ils dédaignent toutes personnes & les chassent d’autour euls ? Non sans cause Démosthène, comme nous lisons, compareoit les Princes sans entendement aux impérits tailleurs d’images, qui estiment les Colosses ne sembler grands à ceuls qui les regarderont s’ils ne les font de grosse masse, larges, entr’ouverts & monstrueus. Ainsi les Princes destitués du jugement ne s’extiment bien exprimer la grandeur, magnificence & sévérité de leur estat, s’ils ne se monstrent fort graves & tétriques de visage, difficiles de mœurs & de façon de faire, d’accès rare & rudde, sans regarder personne & sans faire aulcun compte de personne.

Marguerite sçavoit tout cela & pource ne refuseoit sa parolle à personne, non qu’elle n’eust bien égard aux qualités de ceuls qui parloient à elle, mais, encores qu’elle portast communément plus d’honneur aux gents honorables, toutefois elle ne dédaignoit les infimes & de basse condition, mais elle escoutoit humainement tous ceuls qui s’addressoient à elle &, si elle en veoioit d’aulcuns qui eussent voluntiers parlé à elle, mais ne s’y osoient adventurer, retardés de craincte & de honte, elle les appelloit & leur donnoit courage de luy dire franchement ce qu’ils vouldroient & escoutoit un chascun de telle doulceur & humilité qu’à la veoir l’on ne l’eust prinse pour une Royne, ains pour une simple Damoiselle &, après qu’elle avoit entendu des affaires de tous, elle conseilleoit ceuls qui, à son jugement, avoient besoing de son conseil ; consoleoit les aultres quelle veoioit en adversité ; elle donneoit espérance aux ennuiés, tristes & souciés, & à ceuls qui luy demandoient quelque chose ne refuseoit rien. Après qu’elle avoit ainsi preste l’aureille à toutes personnes & par ordre, elle demeuroit ancor un peu là & attendoit s’il y en avoit d’aultres qui voulussent parler à elle. Or havoit souvenance la trèsdebonnaire Royne de la Royalle sentence, par aulcuns attribuée à Tite Vespasian : Que jamais personne ne s’en doibt aller triste & mary de la parolle d’un Prince. Et, quand elle estoit advertie de ceuls qui estoient vexés de maladie ou aultre calamité, sans havoir acception de personne les alloit veoir &, les ayant consolés par chrestienne exhortation, commandoit à ses Médecins de prendre garde d’euls & leur ayder de leur art & industrie.

Si, en sortant de là, elle entendoit que la maison heust besoing des biens de fortune, retournée en sa chambre envoioit argent & aultres choses nécessaires au malade, mais c’estoit secrètement & sans se nommer, car elle ne vouloit estre congnue ne faire tel acte devant le monde comme un Batteleur qui joue sur un eschaufaut, affin qu’elle ne sembleast vouloir achapter la faveur du peuple par ses aulmones.

Quant est des Veufves, des Orphelins & des Pauvres, certes elle havoit tant leurs affaires & nécessités à cœur que, quand ils luy présentoient quelque requeste, incontinent la prenoit & la lisoit, ou, quand l’opportunité ne s’y adonnoit, se la faisoit lire jusques à la fin. Ayant entendu ce qu’ils demandoient, renvoioit le tout à ses Maistres des Requestes & aultres graves & doctes personnes de son Conseil, leur commandant trèsexpressément que, sans nul délay, ils eussent à pourveoir au suppliant ainsi qu’il appartiendrait.

Or havoit elle si ardente charité vers les pauvres & indigents qu’elle vouloit que leur proffit & commodité fust poursuivye à son propre dommage, car elle disoit les Roys & les Princes n’estre les maistres & seigneurs des pauvres, ains seulement leurs ministres, pource que les pauvres sont les membres de Dieu, duquel les Princes sont Ministres. Elle ne recommandeoit à ses Officiers aulcune chose plus affectueusement que le soing des pauvres, voire & les leur recommandoit à joinctes mains & la larme à l’œil, en faisant bon serment qu’elle feroit toutes choses à la faveur de ceuls qui hauroient les pauvres pour recommandés.

Quand aussi elle estoit advertie que de son crédit & auctorité elle pouvoit faire plaisir à quelcun, ou elle escrivoit de sa main lettres de recommandation ou, si ses affaires ne le permettoient, elle disoit l’argument de sa lettre à son Secrétaire Jhean Frotté — sien le dy je pource qu’il estoit de son privé Conseil comme son premier & treséprové Secrétaire, homme de grande expérience & de bon esprit, prudent & hayant peu de semblables au debvoir & à la diligence de son office — ou, en son absence, à quelcun de ses aultres Secrétaires, dont elle havoit notable nombre de gens, industrieus, bien vivants & trèsexperts en cest estat. Ô Seigneur Dieu, que telles lettres estoient pleines de doulceur, d’humanité & d’affection à faire plaisir ! Elle recommandeoit si affectueusement ceuls à la faveur desquels elle escrivoit qu’à veoir la lettre on l’eust jugée escrire pour son affaire propre.

Mais personne ne se persuade, oyant Marguerite avoir esté fort éloignée de gloire & arrogance, qu’elle se soit ostée du millieu, je dy de gravité, pour descendre à l’aultre extrémité, qui est une legiéreté, & s’arrester au millieu ; car, s’il ne conjoinct une gravité tempérée avec l’humilité & doulceur, certes il se rend contemptible à ses subgets & fait deshonneur au tiltre qu’il porte. Marguerite n’estoit donc orgueilleuse, superbe, fière & arrogante, mais aussi n’estoit elle légière, pusillanime & indiscrètement privée, en sorte, qu’en estant studieuse de la vertu d’humilité, elle gardoit trèsbien sa place & son ordre entre les Roys & les Princes. Car à son visage, à ses gestes, à son marcher, à sa parolle, en tout ce qu’elle faisoit & disoit, une gravité Royalle se rendoit si manifeste & apparente qu’on y veoioit je ne sçay quoy de majesté qui contraignoit un chascun la révérer & craindre.

En la veoiant humainement recepvoir tout le monde, ne refuser personne & patientement escouter chascun, tu te fusses promis un facile & aisé accès à elle ; mais, si elle getteoit sa veue sur toy, il y avoit en sa face je ne sçay quoy de Divinité qui t’eust rendu si estonné que tu n’eusses plus heu puissance, je ne dy de marcher un pas, mais seulement d’esbranler un pied pour aller à elle. Que si elle sçavoit quelcun avoir abusé de sa bonté & clémence, & avoir commis un acte inexcusable, certes lors ceste gravité sortoit, mais c’estoit avec une telle mâle majesté que celuy qui avoit offensé eust déjà voulu estre cent pieds soubs terre. Or ne parloit elle à luy en courrons, & ne l’assailloit d’injures, qui sont deux signes de rage, mesmes en un Prince, mais elle le tenceoit asprement, & toutefois, après qu’il luy sembleoit estre assés, elle mesloit du miel avec cest aloès, doulcement parloit à luy, en luy remonstrant son offense, & l’admonnestoit familièrement de ne faire plus tel acte, en quoy elle donnoit exemple d’un bon, sage & prudent Prince. Mais, quand elle veoioit que la punition estoit nécessaire, selon l’exigence du cas elle vouloit trèsbien le délinquant estre puny, mais non toutefois si griesvement qu’à la punition l’équité ne fust préférée à la rigœur. Car c’est le propre du Prince, s’il ne veult estre Tiran, quand il convient punir les faultes des hommes, par une équité adoulcir la loy, qui est par trop rigoreuse & austère.

Je suis, certes, d’advis qu’on peut tenir l’opinion des Stoïques quand ils disent qu’on ne doibt pardonner aux forfaicteurs, car, puisque personne ne pèche que de malice, pardonner à celuy qui aura péché est autant comme confesser qu’il n’a péché par sa faulte ; mais, en ce qu’ils nient le bon & juste Prince & tout aultre Magistrat devoir estre douls & enclin à miséricorde, pource qu’il semble par cela vouloir juger que le législateur a ordonné des peines iniques & que, contre la loy, il estime les peines statuées par les lois pouvoir estre diminuées, en cela, dy je, je crois leur sentence estre inique & qu’on ne la doibt jamais mettre aux aureilles des Princes, affin que de Princes ils ne deviennent Nérons, Phalares & Tirans. Car, puisque nous devons toujours penser que, comme Sopatre dit en Stobée, le péché est nay avec nous & que nostre Saincte Escripture ne nous en dit pas moins, certes, quiconques punira les hommes comme non subgets au vice & péché & comme inpeccables, il exceddera les bornes & limites de juste & naturelle castigation.

Marguerite n’estoit ignorante de tout cecy, & pource elle gardoit tel tempérament aux punitions que les délicts ne tumbeoient en insolence & liberté par licence, impunité & indulgence, mais toutefois ils n’estoient punis selon gravité d’iceuls. Que si le crime estoit si atroce que par iceluy il apparust la malice du délinquant estre invétérée comme maladie naturelle, lors elle vouloit que telles déplorées personnes fussent, ainsi qu’un membre infect, pourry & corrompu, couppées & séparées de la compaignie des aultres. Encor ne le faisoit elle sans grande testification de douleur, &, si tu l’eusses veue quand un criminel estoit condamné à mort, il t’eust esté advis que tu eusses veu un aultre Bias, lequel, un jour qu’il devoit prononcer sentence capitalle contre un malfaicteur, se mist à pleurer &, interrogé pour quoy il pleuroit veu qu’il estoit en luy ou de l’absouldre ou de le condemner : « Pour ce » respondit il, « que nécessité me commande d’obéir à la Loy, mais aussi elle me contraint de prendre pictié de nature ». Marguerite, pour ne tumber en une si triste nécessité & pour prévenir la malice des hommes & avec cela coupper toutes occasions qui induisent & incitent à mal, avoit baillé à tous ses domestiques une certaine discipline de lois & manières de vivre, laquelle quiconques méprisoit & l’oultrepasseoit &, par une fois ou deus admonesté & adverty, ne se corrigeoit, il estoit effacé de son Estat & mis hors de sa Maison. Car elle n’y souffroit gents mal conditionnés, comme oisifs, détracteurs, ivroignes, subgets à leurs bouche, joueurs, paillards, blasphémateurs, séditieus, & telle manière de personnes esclaves des vices, ains vouloit que tous ceuls qui estoient & se disoient siens fassent, de vie & de parolle, véritable profession du Christianisme. Et, quant à elle, si bien les exciteoit par son exemple à bonne & vertueuse vie & amour de nostre Religion que la reigle & façon de vivre qu’elle gardeoit les contenoit en leur devoir, encores qu’ils heussent le cœur depravé.

Et mesmement, congnoissant très bien Xénophon avoir véritablement escrit que Continence est le fondement de toute vertu, j’entends de ceste continence que Socrate & après luy Platon appellent tempérence en boire & en manger & en toutes aultres voluptés corporelles, elle fut si studieuse de frugalité que sa vie parleoit assés les Princes ne devoir penser qu’ils soient mis au monde pour faire grand chère seulement, & colloquer leur félicité à délicatement menger & boire, & passer leur vie en délices & voluptés, mais que la nourriture est seulement à euls & à nous donnée pour vivre. Certes, ceuls qui mesurent l’estat d’un Prince aux superfluités & boubans ne l’eussent en sa Maison choisie pour une Royne, car elle n’estoit plus sumptueusement vestue qu’une simple Damoiselle.

Aussi sçavoit elle bien la dignité & magnificence Royalle ne consister en superfluité de viande, ne en braveté des vestements, mais en prudence, équité & justice. Qui est ce qui doubte qu’elle n’eust peu remplir son ventre de viandes exquises, délicates, précieuses & cerchées par mair & par terre, reluire de toutes parts d’or & de pierrerie &, ce que font plusieurs, réparer son corps & charger sa table des sueurs d’aultruy ? Mais elle ayma trop mieuls préférer la frugalité d’Auguste aux banquets Sybaritiques & se rendre digne du sanctuaire des Prebstres d’Ægypte, des Magiciens de Perse ou des Gymnosophistes d’Indie que de tumber au mercy d’Epaminonde de Thèbes, & laisser emmaigrir, aux Lois des Lacédémoniens, un gros, un gras & épicurien ventre. Non qu’elle gardast telle sobriété au boire & menger pour espargner, par sordide avarice, de sa despense ordinaire & raisonnable, ce que font ceuls qui avec Ælie, surnommé Pertinace, ne font servir à leur table que des laictues myparties, mais le faisoit pour l’expérience qu’elle havoit que l’esprit, estant comme en une prison enclos & enserré au gras corps & en la chair bien nourrie, n’a ses actions libres aux vertus & aux honnestes affections, & pource ne luy vouloit fermer le passage à sa franchise & liberté.

N’estimés toutefois qu’elle ait tousjours si estroictement fuy toutes sortes de voluptés que, selon les lieus, le temps, les personnes, les occasions, elle n’ayt usé de celles que les Philosophes mesmes appellent honnestes & libéralles, & pource les permettent. Car elle avoit ouy dire qu’Aristippe disoit celuy se servir bien d’un cheval ou d’une navire, non qui du tout n’en use, mais qui les sçait mener, tourner & conduire là où bon luy semble ; ainsi, que ceuls sont modérateurs des voluptés, non qui du tout les fuient & s’en abstiennent, mais qui sçavent si bien & sagement en user qu’ils ne se laissent perdre & emmener avec elles.

Quant est des propos qu’elle tenoit à ceuls qui assistoient à son boire & menger, certes elle n’ignoroit les Médecins ordonner que, quand nous délibérons mettre à table, nostre esprit doibt estre libre & despouillé de tout ennuy & sollicitude, & que nos viandes ne doivent moins estre confites de propos joyeus & récréatifs que de sel, ou d’aultre saulse provocante l’appétit. Mais elle n’appelloit propos récréatifs, ce qu’aujourd’huy font la plus grand part des Nobles, un tas de folles, vaines & inutiles parolles, qui n’édifient en aulcune manière & ne sont seulement superflues, mais aussi le plus souvent peu pudiques & deshonnestes.

Les Perses ne permettent à personne de proférer ce qui de soy n’est honneste & licite à faire & estiment estre une grande vilennie de tenir propos de choses villaines. Puis qu’ils désirent ceste reigle & loy estre gardée de toute sorte de gents, je croy qu’ils n’en exempteront les Princes & Seigneurs, la vie desquels, comme dit Homère, est le mirouer des subgets.

D’avantage, qui pourra justement louer en un Prince si luy, qui doibt monstrer exemple de gravité & de vertu, au lieu des choses de conséquence traicte des choses ridicules & ne proffitantes a rien ? Et si, au lieu de prudents & doctes personnages, par le conseil desquels il se doibt gouverner, il ha auprès de sa personne des fols, des plaisanteurs & flattereaus, qui rendent & le tiltre du Prince contemptible, & le Prince mesmes ridicule ? Certes trèsbien disoit Sopatre que le Prince qui prend tout son plaisir aux sornettes, brocquards & parolles de mocquerie, diminue sa majesté & se rend digne d’estre mocqué.

Marguerite sçavoit toutes ces choses, car elle avoit leu en l’Evangile que le Seigneur n’estime les hommes des faicts seuls, mais aussi des parolles, & pource la langue doibt estre contenue & gardée de tous les propos qui n’apportent aulcune utilité honneste. Elle devisoit donc, à son disner & soupper, tantost de Médecine, comme des viandes mal saines ou salubres au corps humain, & des choses naturelles, avec les sieurs Schyron, Cormier, Esterpin, ses Médecins trèsexperts & trèsdoctes, qui soigneusement la regardoient boire & menger, comme l’on observe en cela les Princes. Tantost elle parleoit des Histoires, ou des préceptes de Philosophie, avec d’aultres trèsérudits personnages, dont sa maison n’estoit jamais dégarnie. Une aultrefois entreoit en propos de nostre foy & de la religion Chrestienne avec M. Gérard, Evesque d’Oloron, son Ecclesiaste trèsconsummé, non es sainctes lettres seulement mais aussi en toute manière d’érudition.

Somme, il n’y avoit un seul moment d’heure qui ne fust par elle emploié à tous propos honnestes, délectables & utiles. Cela veoiant, un Gentilhomme Espaignol, qui, avec un aultre Gentilhomme François, estoit un jour venu faire la révérence a la Royne, — nous estions lors au monastère de Thusson, — se trouva tout estonné. Il la regardeoit attentivement disputer avec nous &, quand nous luy respondions, chascun à son rang, il nous regardoit de travers, monstrant assez à sa mine qu’il napprouvoit fort ce qu’il veoioit.

Nostre dispute estoit sur les parolles de Jésus-Christ : Si vous n’estes faicts comme les petits enfants, vous n’entrerés jamais au Royaulme des Cieuls. Le Roux, son Prescheur, dont nous parlions maintenant en disoit son advis en bon Théologien & le confirmeoit de l’auctorité de S. Augustin ; Regin, l’un de ses Maistres de Requestes, humaine & docte personne, allégueoit S. Hiérome &, pource que la Royne me feist tant d’honneur que de me commander luy dire ce que j’en senteois, luy alléguay les opinions des S. Docteurs Chrysostome, Theophylacte & Hilaire. Mais, quand nous eumes finy nos allégations, ô Seigneur Dieu, de quelles parolles & gravité de sentences la trèssçavante Royne nous expliqua ce qui luy en semhleoit ! Ce pendant nostre Gentilhomme se taisoit &, comme s’il eust esté en ecstase ou eust veu quelque phantasme, ne sçavoit que dire de nous.

Peu de temps après, comme nous avons entendu par un notable homme qui estoit présent à la complaincte, estant le Gentilhomme en la maison d’un Cardinal où l’on tenoit propos de Marguerite, racompta au long ce qu’il avoit veu à Thusson, en se complaignant trèsfort d’elle de quoy la veit disputer de choses frivolles & de nulle valleur avec je ne scay quels bonnets ronds, sans havoir en sa compaignie que deus ou trois Gentilshommes, mais qu’elle ne luy dist un seul mot. Ô complainte digne d’un tel personnage ! Dy moy, beste & homme sans aulcun jugement, Marguerite te sembleoit donc parler de choses frivolles, quand elle tenoit propos de si louable & ardue matière ! Que si traicter des bonnes lettres & des vertus est parler de choses frivolles, qu’appelleras tu choses graves ? Je croy que sera de confire les disners & les souppers des faicts de la guerre, des armes, des bardes de chevauls, de la chasse, de la vollerie, de banquets, de boubans, d’amours, de blasphèmes, de vengeance, d’effusion de sang, de mettre les hommes en pièces, & de semblables nobles & vertueux propos. Dieu le sçait, mais toutes ces choses ne sont propres aux femmes, principallement aux Roynes, Princesses & Dames, lesquelles ne s’arment, ne font la guerre & ne sont nourries à cruaulté.

Marguerite disputoit avec gents de longue robbe & de bonnet rond. Avecques qui donc ? Eust-ce esté avec tes semblables ? Je n’entens des Gentilshommes & gents de robbe courte qui sont trèsprudents & trèsdoctes, mais d’un tas d’espadassins & braves, ausquels demander leur advis des Lettres, de prudence, de conseil, d’un gouvernement de la République, seroit certes demander aux aveugles à veoir, aux sourds à ouïr, aux muets à parler & à une statue de marbre conseil & sage délibération. Mais Marguerite, disois-tu, avoit avec elle trop petit nombre de Nobles. Dy moy quels Nobles tu voulois qu’elle heust ? Possible de ceuls qui se ventent de l’antiquité du sang, mais ne peuvent se glorifier de vertu. Je ne veuls certes regetter si loing la noblesse du sang que de dire qu’on ne luy doive porter aulcun honneur ; mais je dy que, si elle n’est conjoincte avec la noblesse de l’esprit, c’est à vertu, ce n’est qu’une image & umbre de noblesse.

Et que te semble des robbes longues ? Sont-ils, à ton dire, villains ? Mais, s’ils ont toutefois ces deux noblesses ensemble, je dy qu’ils soient venus de race & maison noble & ancienne & avec cela soient illustres & splendides de vertu, diras tu qu’ils ne sont plus nobles pource qu’ils portent longues robbes ? Quel jugement feras tu donc des robbes longues qui jadis fundèrent la République Romaine, l’érigèrent, la mirent en vigueur & la rendirent dame, princesse & chef de tout le Monde ?

Que diras tu aussi de ceuls que les Roys & les Princes de nostre temps ont appellés à leurs Courts, à leur Conseil, à l’administration des lois & de justice, & sans la prudence desquels les Royaumes seroient renversés, les Républiques ruinées & mises du tout en bas, & n’y auroit partout que tumultes, séditions, rébellions & mustineries ? Quand vous avés besoing de conseil, quand vous havés procès pour la tuition & garde de vos biens, quand on vous fait la guerre, quand il vous fault défendre par Justice, lors qu’on vous a fait oultrage, vous prenés vostre recours aux robbes longues comme a vostre dernier refuge, & toutefois, ô Gentilhomme mon amy, encor blasmes tu que Marguerite havoit en sa maison plusieurs bonnets ronds, sans la compaignie desquels n’alloit en aulcun lieu. Mais il te fait grand mal quelle disputeoit familièrement avec euls, & ce pendant ne tenoit aulcun propos avec toy. Mon amy, la prudente Royne préveoioit bien que tu devois recevoir grand honte si elle t’eust demandé ton opinion des choses desquelles le seul nom incontinent t’eust rendu muet. C’est certes la seule cause qui t’a fait dire qu’elles parleoit de choses frivolles avec ses bonnets ronds. Mais où est celuy qui ne cognoit le fruict d’un arbre tirer toute sa saveur du suc de la racine ? Aussi fault-il que nous tenons propos qui soit tesmoing l’affection du cœur s’exprimer par la bouche & la parolle. Comment sera il possible que l’arbre infecté & vénéneux porte du fruict sain & bon ? Comment donc ne parleront choses folles ceuls qui hont l’entendement & l’esprit mal sain ? Et pource n’est merveille si la parolle de Marguerite sortoit de ce qui est caiché dans le cœur, c’est de vertu & de pitié, où toute son affection tendoit.

Si est ce que devant le Roy, son mary, elle ne tumbeoit en ces propos & disputations, tant de la philosophie que du Christianisme, sinon qu’il luy en parlast le premier. Cela faisoit elle, non que le Roy de Navarre poursuive mortellement les Sciences & bonnes Lettres avecques Valentinian, fils de Gracian, & Licine, Princes ennemys capitauls des Muses & de sçavoir, car il tient souvent propos des bonnes Lettres & ayme grandement les gents lettrés, ou qu’il ayt voulu suivre ceuls qui tiennent leurs femmes en telle servitude quelles n’oseroient toussir devant euls, car il aimeoit la Royne sa femme d’amour marital, ou que, comme certains morosophes, il soit de ceste opinion de blâmer que les femmes se meslent des estudes & de parler des lettres, car il a tousjours révéré l’esprit & l’érudition de Marguerite & a fait mesmes instituer sa fille Jheanne ès bonnes disciplines & sciences par Nicolas Bourbon, trèsdocte Poëte en l’une & l’autre langue. Mais la trèsprudente Royne sçavoit bien l’office d’une bonne & vertueuse femme, qui est de ne contester avec son mary par caquetterie, mais, comme dit S. Paul, se taire en sa présence &, si elle veult aprendre quelque chose, l’interroger. Et, ores que S. Paul n’en auroit onc parlé, si avoit elle leu en Pleutarche que la femme doibt parler avec son mari & par son mari & non se courroucer si elle parle par la bouche d’aultruy, ainsi que fait le menestrier.

Elle eust bien peu avec d’aulcunes caquetter devant son mari ; elle eust peu luy rompre propos quand il eust parlé ; elle eust peu usurper son auctorité ; elle eust peu contredire à son commandement, mais le recognoissoit avec Sara comme son seigneur, l’honoroit, luy obéisseoit comme à son chef ; je dy qu’elle gaigneoit sa grâce & s’i entretenoit par toute humilité & obéissance. Quand il commandeoit quelque chose, si tost ne l’avoit dit qu’il estoit faict, car jamais ne lui contredisoit & tant l’aimeoit quelle n’a craint d’entretenir sa grâce à son détriment & dommage.

Je dy au péril de sa vie, car, ayant Henry délibéré changer l’air de France & se retirer en son pais de Bearn, combien que desjà elle eust assés expérimenté le gros air de ceste région là estre insalubre à son tempérament & que ses Médecins, la menaceants du danger de mort, à toute force luy voulussent dissuader d’y aller ; toutefois elle ayma mieuls suivre le Roy son mari & s’exposer au péril de mort, qui luy estoit présent & auquel elle est depuis tumbée, que de laisser à la postérité désirer en elle aulcunc partie de l’office & devoir d’une bonne, sage & prudente femme. Viennent à ce mirouer nos femmes d’aujourd’huy, s’y mirent, y contemplent leur ame & comparent leur vie à celle de ceste tant magnanime Princesse.

Ô quelle honte hauront nos babillardes, qui de Savatières se font grandes Dames &, encores qu’elles soient descendues de basse maison & mariées à des nobles & illustres personnes ausquels elles doivent tout ce qu’elles sont, ce néantmoins ce sont de glorieuses coquardes, qui ne portent honneur à leurs maris, & n’en tiennent compte non plus que de simples Charbonniers, &, tant à la maison que dehors, leur langue est un traquet de moulin & un vray cymbale, en sorte que, quand elles caquettent leurs inepties, on diroit, à les ouïr, que c’est un tintamarre de chaulderons, tabourins & clochettes. Mais que jugerons nous aultre chose de ces gays & de ces pies sinon que, quand elles deprisent ainsi leurs maris, elles se monstrent peu honnestes & se déclarent estre peu chastes ? Nous lisons Phidie avoir fait aux Elienses Venus marcheante sur une tortue ; cela certes estoit pour monstrer l’office des femmes estre de garder leur maison & y faire silence. Car, comme dit Euripide, celles qui ne se peuvent taire devant leurs maris se deshonorent, & Démocrite appeleoit le peu de langage en la femme l’ornement, la parure & les joyaus de la femme ; Epicharme disoit que c’est un signe de bonté en elle ; Nicostrate nommeoit le silence gaige de chasteté..

Or Marguerite sçavoit tout cecy, car elle avoit aprins, non seulement des auteurs ethniques, mais aussi des catholiques & chrestiens, combien doivent les femmes honorer, révérer, craindre & aymer leurs maris, tant soient elles nobles & riches, & euls pauvres, abjects & venus de bas lieu.

Comment ? T’émerveilles tu quand tu m’entends dire que Marguerite a leu, tant aux livres des Philosophes & aultres ethniques qu’aux Escriptures Sainctes, les préceptes & institutions pour vivre vertueusement &, en vray Prince, a retenu & gardé ce qu’elle y avoit leu & le réciteoit, tantost en sa maison avec ses Domestiques, tantost publiquement & devant un chascun ? Que penses tu donc ? Que Marguerite devoit estre semblable aux Dames de Court, qui passent le jour en oisiveté & vaines parolles ou ne s’empeschent qu’aux occupations & exercices féminins ? Certes il n’est pas ainsi, car, comme elle passeoit toutes celles de son sexe de vivacité d’esprit & havoit en un corps féminin un héroïque & virile cœur, ainsi vouloit elle passer le temps aux arts dignes de l’occupation de l’homme & aux honnestes & louables exercices.

Si donc tu eusses voulu sçavoir ce qu’elle faisoit de jour, mesmement en l’absence du Roy de Navarre, son mari, quand elle se trouveoit seule en sa chambre, tu l’eusses veue tenir entre ses mains un livre au lieu de la quenoille, une plume au lieu du fuseau & la touche de ses tablettes au lieu de l’éguille, &, si elle s’appliqueoit ou aux tappis ou à d’aultres ouvrages de l’éguille, qui luy estoit une trèsdélectable occupation, elle havoit près d’elle quelcun, qui luy lisoit ou un Historiographe, ou un Poëte, ou un aultre notable & utile auteur, ou elle luy dicteoit quelque méditation, qu’il mettoit par escrit.

Je diray davantage un acte d’elle, qui pourra possible émerveiller plusieurs personnes qui l’entendront, mais toutefois qui est véritable & qui seroit, s’il en estoit nécessité, confermé par le tesmoignage de maints grands & honorables hommes & femmes, qui comme moy l’ont veu, c’est que bien souvent elle entendoit à son ouvrage &, des deus costés au tour d’elle, deus de ses Secrétaires ou aultres estoient soubs elle occupés, l’un à recevoir des vers françois, qu’elle composoit promptement, mais avec une érudition & gravité admirable ; l’aultre à escrire des lettres, qu’elle envoieoit à quelcun.

Il y en aura qui diront que cela est aliène de l’office & estat de la femme, & pour ceste cause ils blâmeront ce que nous tourneons à grand honneur & estimons fort en Marguerite, mais nous havons nostre response preste. Car aultrefois il y en a eu d’aultres, qui ont esté aveuglés de pareille cécité & sont tumbés en mesme fosse d’erreur & de témérité, voulants par un édict censorien défendre aux femmes l’estude de Philosophie. Mais, quoy que ne puissons nier qu’il y a certaines choses propres aux hommes, comme de conduire une armée, gouverner une République, orer en public, & d’aultres qui appartiennent aux femmes seules, comme de garder la maison, traicter bien & soigneusement leurs maris & havoir l’œil sur leur mesnage, toutefois personne aussi ne me niera, s’il n’a du tout perdu le sens, le jugement & la raison, qu’il y a pareillement d’aultres choses qui sont communes tant à la femme qu’à l’homme, comme force & magnanimité, justice, tempérance, continence, religion & générallement toutes les autres vertus.

S’il est ainsi, pourquoy ne sera il donc permis aux femmes de puiser en la commune fontaine, qui sont les livres, ce qui leur est commun avec tous les hommes ? Les livres des gentils & ethniques ont monstré les vertus à nos prédécesseurs ; les Sainctes Lettres nous les mettent aussi devant les œils, mais c’est plus perfectement que les aultres. Si ceuls qui lisent les Philosophes & regardent les Sainctes Escriptures pour y apprendre une intégrité de mœurs sont de nous estimés bons, sages & prudents, pour quelle raison défendrons nous aux femmes de lire les mesmes livres ?

Les Histoires ont consacré à la postérité Erinne, Sapho, Praxille, Sosipatre, Télésille & plusieurs aultres femmes, qui ont escrit maint œuvre poétique & rendu suffisant tesmoignage de leur bon esprit & grand sçavoir. Que dirons nous de Léontie ? N’a elle acquis une gloire immortelle de l’œuvre dont elle assaillit le Philosophe Théophraste ? Pythagore heut une fille, nommée Dame, & une sœur, appelée Thémistoclée ; si les femmes devenoient folles & enragées de l’estude de Philosophie comme les tygres de la musique, ce qu’aulcuns ont trop témérairement dit, certes ce grand Philosophe ne les eust instituées & endoctrinées en Philosophie. Socrate, qui fut jugé par l’oracle d’Apollon estre tant sage, n’heut point de honte d’appeler Diotime sa maistresse & assister aux leçons d’Aspasie, qui toutefois estoit un homme si diligent & sévère à réformer les mœurs des femmes que jamais ne les eust permises faire profession de Philosophie si le sexe féminin deshonoreoit la dignité & majesté philosophalle.

Pourquoy ne méritera Marguerite mesme louenge, qui a esté souverainement perfecte en Poésie, docte en Philosophie, consummée en l’Escripture Saincte, voire jusques à en rendre les plus sçavants fort émerveillés, en sorte que :

Ne Praxille, jadis femme si trèssçavante,
Ne Nosse, qui fut tant doctement escrivante,
Ne Agacle & Anite, & le gentil esprit
D’Erinne, qui couchea trois cents vers par escript,
Ne Myrte, & Télésille au virile courage,
Ne Corinne, poëte éloquente & tressage,
Qui si bien le boucler de Pallas blasonna
Qu’un immortel renom sa plume luy donna,
Œuvre ne feirent onc tant docte qui mérite
Le comparer à ceuls de nostre Marguerite.

Or il ne fault prester l’aureille a ceuls qui nous vouldroient objicer les temps n’estre semblables, que jadis il fut permis aux femmes ethniques & qu’encor aujourd’huy pourroit estre permis aux nostres d’appliquer leur esprit aux sciences profanes, comme histoires, poësies, & préceptes de vertu, mais qu’il les fault chasser de la lecture des sainctes, comme si le Sainct Esprit ne puisse ou bien qu’il ayt honte instiller sa grâce dans le cœur & entendement des femmes comme dans celuy des hommes, & que ce Seigneur, qui de son Ciel envoie aux hommes le don de tout ce qui leur est bon & nécessaire, exempte les femmes de la libéralité de sa grâce ou, si elles n’en sont exemptées, il soit toutefois impie & intolérable qu’elles tiennent aulcun propos de ce que les hommes, plus par auctorité tirannique que de droit & de raison, se donnent & attribuent.

Que s’il estoit ainsi, il fauldroit donc condamner Catherine de Sènes, de qui nous havons des trésdoctes & catholiques commentaires en Théologie. Aussi devroit estre condamnée Hildergarde de Germanie &, par mesme sentence, S. Bernard déclaré convaincu d’impiété, qui tant souvent luy escrit comme a femme théologienne. Mais S. Hiérome appelleroit de tels juges iniques & ignorants, qui nous a laissé entre les mains tant d’élégantes & doctes Epistres à Fabe, Marcelle & Eustoche, par lesquelles il les excite & exhorte a l’estude de la philosophie Chrestienne, tant s’en fault qu’il soit de cest advis de blamer & reprendre en la femme la lecture des Sainctes Lettres.

Mais, quant est de nostre Marguerite combien qu’elle n’a estée aidée à l’estude de l’Evangile, ne de l’industrie laborieuse des Philosophes, ne d’un tas de superstitieuses observations, toutefois elle a si heureusement proffité à la piété du Christianisme que, si, toute contention sophistique mise à part & dépouillées les malvaises affections qui pervertissent le jugement de l’esprit, on vient à lire le Mirouer de l’ame pécheresse, le Triumphe de l’Aigneau, les Comédies, les Odes, les Oraisons & aultres œuvres par elle escripts en langue & poésie Françoise, je dy lire avec un jugement arresté, nous conviendrons ensemble qu’onc n’y en eut une des anciennes, tant soit elle estimée par les doctes hommes, qui mérite d’estre comparée avec elle :

Non Probe, qui trunqua le Mantuan Virgile,
Ne la fille de Coste, ou celle qui si bien
Représenta le nom & l’honneur Fabien,
Ou Marcelle, ou Eustoche, ou la docte Cassandre,
Ou celle qui ausa contre son sexe prendre
Le vestement viril, soubs lequel se porta
Si trèsvirilement qu’au sainct siège monta.

Mais à quoy faisons nous mention des femmes Théologiennes, veu que nous en pouvons autant dire de Prudence, Sédule, fuvence, Macrin, Eobane & aultres Poëtes Chrestiens, sans leur faire injure ? Car je croy que, si les trois premiers vivoient, ils accorderoient avec moy, & les deus derniers ne me répugneront, Marguerite n’avoir pas moins élégamment, moins copieusement, moins doctement escrit en nostre langue que les Latins ou les Grecs ont fait en la leur. Ses Œuvres & Méditations sont ornées de telle vénusté & de si profonde & abundante doctrine que, qui les lira, le nom de l’auteur supprimé, il ne se dira lire la composition d’une femme, mais de quelque tresgrave & trésingénieus auteur.

Veu donc quelle estoit de si excellent esprit & de si abstruse & profonde érudition que les hommes de bon jugement l’appelaient prodige & miracle de Nature, à mon advis personne ne fera doubte que tous les gents doctes l’ayent honorée, révérée & aymée, & que de son costé aussi, elle les a tousjours fort aimés, honorés, & soubstenus de toute sa puissance.

Le Romain Mécène porta si grande faveur aux bonnes lettres & aux gents doctes que de luy tous ceuls qui favorisent la science & entretiennent les studieus sont appellés Mécènes. Luculle aussi se monstroit si libéral & humain envers toutes personnes de bon esprit & de sçavoir que sa maison fut nommée le port des Grecs venants à Romme. Mais Marguerite na ceddé ne à Mécène, ne à Luculle, & na esté sa maison ouverte aux siens, je dy aux François seulement, mais aux Romains aussi, aux Germains, aux Anglois, aux Escossois, aux Espaignols & à toutes nations du Monde, en sorte que, quand on parleoit en France du Mécène des bonnes Lettres & des gents de bien, on Ventendoit unanimement, après le Roy François, de la Royne de Navarre.

Qu’ainsi ne soit, tant de vertueuses & notables personnes le confirmeront qui ont esté, ou mis en son Estat, ou par elle advancés au gouvernement & régime des provinces & à l’exercice & administration de Justice.

Si Brinon vivoit, il en porteroit tesmoignage, qui fut homme grave, prudent, rare exemplaire de Justice &, quand il mourut Chancelier de ce pays,François Olivier fut mis en sa place, lequel décora tellement ceste dignité par ses admirables vertus & tant augmenta la grandeur du nom de Chancelier que, comme trèsdigne à qui plus grand charge fust baillée par la Divine Providence, disposante des affaires de France, il est cejourd’huy élevé au plus hault degré d’honneur, &, estant Chancelier de ce Royaume, comme Atlas soubstient le Ciel sur ses espaules, ainsi soubstient il par sa prudence toute la République Gallicane. À Olivier est succédé Groslot, homme d’excellent esprit, fort expérimenté en maintes bonnes choses, de jugement arresté & digne d’estre honoré pour son érudition. Quand à Habbot, Conseiller du Roy à Paris, que Marguerite avoit créé Président en son Conseil de cette ville, vous scavés, ô Alençonnois, ce que nous en devons dire, & avec vous conviendra la Court de Paris qu’en Habbot il y a une trèsferme sévérité de justice, conjoincte avec une incredible humanité, vivacité d’esprit & tout ce qu’on pourroit louer en un homme perfaict.

Je ne puis & ne doy icy taire trois illustres personnes : Antoine du Lyon, Jhean Prévost, & François Boilleau, aussi Sénateurs en mesme Parlement & Conseillers de Marguerite en son Eschiquier, & toutefois ne les puis suffisamment louer selon leurs mérites, tant grande est leur courtoisie & gracieuseté, joincte avec une gravité de Sénateurs, tant est grand l’amour qu’ils portent aux bonnes Lettres, tant est grande la perspicacité de leur esprit.

Combien que j’eusse délibéré de ne faire icy mention que des gents de robbe longue, toutefois je ne puis oublier René de Sylly, Baillif & Gouverneur de ceste Province, auquel y a tant de prudence & si grand usage & expérience de toutes bonnes choses que Sylly est aujourd’huy aux Alençonnois ce que jadis le tant loué Nestor estoit aux Grecs. En ce nombre nous fault pareillement mettre Matthieu du Pac, Président de Bearn & Maistre des Requestes de Marguerite, qui a si dextrement versé en l’estude des bonnes Lettres que ne puis dire aultre chose de luy sinon qu’il est parvenu à l’Encyclopédie, & ne fais doubte que tous ceuls qui ont congnu l’esprit, la doctrine, l’intégrité du Pac, ne soient d’accord avec moy que ce sera le grand proffit de France quand elle pourra obtenir plusieurs Pacs pour Présidents & Sénateurs.

Je ne feray icy mention de maints aultres, Evesques, Abbés, Sénateurs, que Marguerite avoit retenus de sa Maison en estat de ses Maistres des Requestes & Conseillers, & aultres, Lieutenants, Juges & Magistrats, lesquels seroit trop long nommer par ordre, mais tous de sçavoir & bon jugement.

Quant aux vostres, ô Alençonnois, je dy des Sieurs Moynet, Groslot, Moynet le fils, Le Coustelier, Maistres des Requestes, Bonin, Dagues, Thorel, Pelletier, Rouillé, Hervé, Farcy, Truchon, Conseillers de l’Eschiquier & Conseil, que Marguerite vous avoit baillés pour administrateurs de justice, vous sçavés trésbien ce qu’on en peut dire, car vous avés fait longue expérience de leur diligence, sçavoir, prudence & intégrité, &, de ma part, j’en dirois quelque mot si ne craignois mon tesmoignage tomber en suspition de flatterie, pour ce qu’ils m’ont eu compaignon & confrère en leur Estat.

Or n’estoit contente la bonne Royne d’avoir appelle à sa Maison & retenu à ses gaiges tant de notables personnages, mais aussi leur faisoit tousjours le plus d’honneur qu’elle pouvoit, ne tenoit en leur absence aulcun propos d’euls, ou ne parleoit à euls, ou ne leur escrivoit sans leur donner tiltre d’honneur. Car elle avoit ouy de Platon l’honneur d’une Cité estre lors gardé quand l’on rend au Magistrat & à toutes aultres honorables personnes l’honneur qui leur appartient.

Ô qu’à grand regret ceuls en feroient aultant qui couchent assés facilement en leur Estat les hommes doctes & de bon esprit, mais, encor que du tout ils dépendent de leur prudence & conseil, toutefois, pour autant qu’ils sont possible venus de gents de basse condition, ils n’hont aulcun égard aux vertus qui les ennoblissent, ains leur sembleroit qu’ils deshonnoreroient la dignité du tiltre de Noblesse s’ils leur porteoient honneur, & par ainsi, ne font plus de compte d’euls que de muletiers ou souillards de cuisine. Mais Marguerite avoit apprins du Philosophe Jambliche que les Princes, faisants honneur à ceuls qui le méritent, rendent un certain tesmoignage & signe de leur bonne administration & sage gouvernement. Et pour ceste cause elle révéroit les illustres & vertueus personnages, les aimeoit, & de toute sa puissance les éleveoit aux honneurs. Mais l’advance qu’elle leur faisoit ne provenoit de force d’argent, car elle ne vouloit pourveoir personne d’Estats & offices par avarice ; mais, si elle avoit ouy estimer quelcun d’érudition & probité, quand il vacqueoit un Office, luy conféreoit libéralement, ou, si elle estoit requise par quelcun de sa Maison le conférer en sa faveur, elle prenoit premièrement de luy le serment qu’il n’en avoit reçeu & n’en espèreoit recevoir argent.

Personne n’estoit par elle promeu, ou pour ses richesses, ou par la noblesse de sa Maison, mais, comme elle le trouveoit le plus vertueus, ainsi le préféreoit à tout aultre à l’Estat & Office de judicature qui estoit vacquant. Elle entendoit trèsbien, aussi souvent le disoit elle publiquement, que par la sordide marchandise des Magistrats voie estoit ouverte aux corruptions & pilleries & accès baillé à toutes manières de vices pour destruire, perdre & ruiner les Républiques. Car que fait aultre chose le Prince qui vend les dignités de justice à pris fait, sinon qu’il expose & met en vente les lois, les droicts, la justice, les vertus, voire les vices mesmes ? Car les ambitieus, qui taschent de toute leur puissance monter aux Offices & Dignités, veoiants que, pour y parvenir, il n’est question ne de vertu, ne de sçavoir & suffisance, ains d’argent seulement, affin que celuy soit préféré, non qui sera le plus digne & le plus capable, mais qui mettra les Offices à plus hault pris, lors vendent leur bien & ne craignent de se rendre esclaves à la tirannie des usuriers pour amasser de toutes parts argent dont puissent achapter les Offices, &, là estants parvenus, s’émerveille l’on s’ils vendent des lois, s’ils font marchandise du droict des parties, s’ils pervertissent équité & justice, pour trouver moyen de se rembourcer ? Cela faire, est-ce aultre chose que de vendre les villes, voire les Princes mesmes ? Démosthène appelle la loy l’âme de la ville ; Musone appelle le Prince la loy vive ; Platon le dist estre l’âme de la loy. Or donc, le Magistrat qui corrompt justice & vend la loy, par conséquence corrompt & vend & les villes & les Princes, d’ont il appert que le Prince, créant des Magistrats par convention d’argent, se vend luy mesme, & avec luy sa République.

Encor diray je davantage, qu’il vend aussi Dieu, car, puis que le droict, comme disoit Démosthène, est la fin de la loy, la loy l’œuvre du Prince, le Prince l’image de Dieu qui gouverne tout, par conséquent le Prince qui treste les aureilles aux marchands d’Offices & ne baille d’administration de justice qu’à certaine somme d’argent vend justice, la loy, Dieu & soi mesmes.

Ce que nous disons doibt estre entendu qu’il soit licite à tous les Princes déclarer les Offices & dignités vénales, quand leurs voisins ou aultres font par inimitié incursions sur les limites de leurs Royaumes & terres, ou qu’ils veulent recouvrer ce que leurs ennemis injustement occupent, ou que les publiques & nécessaires affaires de leurs Royaumes & Seigneuries le requièrent. Car, s’il est permis, en nécessité urgente, vendre, aliéner, dissiper les choses sacres sainctes & religieuses, qui toutefois ne peuvent aultrement estre transportées, violées & touchées, qui vouldra ou pourra justement nier que les Offices de judicature par mesme raison ne puissent estre vendus ? Mais aussi, où telles choses ne contraigneroient, certes ceste marchandise d’Offices testifie une avarice qui doibt estre le plus qu’on pourra esloignée de la majesté d’un Prince.

Cognoissant donc Marguerite toutes ces choses, ne confèreoit les Offices de judicature à un chascun, mais au plus exquis & plus dignes, sans toutefois en prendre une seule maille, & mieuls aimeoit oultretrespasser les limites de libéralité que maculer le tiltre Royal de l’ordure d’avarice. On ne pourroit penser aulcune espèce de libéralité qu’elle bien n’ait perfaictement practiquée ; en sorte que, si tu compares à sa magnificence la libéralité de Vespasian, qui se disoit avoir perdu la journée en laquelle il n’avoit rien donné, elle te semblera une chicheté. Il est escript que l’Empereur Galien, fils de Valérian, ne refuseoit chose qui luy fust demandée, & Vespasian, de qui nous parlions maintenant, n’en faisoit seulement autant, mais de son bon gré exhorteoit chascun à luy demander tout ce qu’il vouldroit.

Or Marguerite ne donneoit seulement, d’un franc & libéral cœur, tout ce dont elle estoit requise, & n’inciteoit seulement les personnes à luy demander, mais aussi, à ceuls qui ne pensoient à rien moins qu’à luy faire demande de quelque chose, souvant elle faisoit de si riches présents que sa largesse les rendoit autant honteus que fut Philote de la libéralité d’Antoine, fils de Marc, qui si fort l’estonna & ébahit de la grandeur de ses dons qu’il ne les ausa prendre. La bonne Dame sçavoit bien Epictète avoir aultrefois escrit que, comme le Soleil n’atend les prières & conjurations des hommes pour se lever & nous donner de sa lumière, mais de son bon gré luit & lors est salué de tous, ainsi le Prince ne doibt attendre les bona dies, la foulle, la louange de ses subgects pour leur faire du bien, mais doibt, de sa franche volunté, estre bienfacteur envers euls affin qu’il reluise en ce Monde comme le Soleil fait au Ciel.

Du fruit de ceste rare libéralité avoient gousté tous ceuls qu’elle avoit prins à son service, car elle n’estoit contente de leur payer leurs gaiges selon l’Estat qu’ils havoient en sa Maison, mais elle récompenseoit aussi leurs peines & leur fidélité d’une libéralité qui leur estoit inespérée. Elle ne vouloit resembler d’aulcuns qui ne tiennent leurs serviteurs pour personnes libres & pour hommes, mais pour des esclaves & pour des bestes, &, après qu’ils ont, je ne dy usé mais abusé de leur service, leur est advis qu’ils ont trop fait pour euls s’ils leur donnent seulement à boire & à menger, encor tellement quellement, comme à des chiens. Et, s’ils ont convenu de gaiges avec euls, quand les pauvres gents demandent le fruit de leur diligence, labeur & service, qui sont leurs gaiges, ils reçoivent des ingrats du mal pour du bien, qui, au lieu de libéralité, les oultragent, les battent & leur disent mille villennies. Mais Marguerite havoit tousjours en mémoire ce que dit Platon, les maistres ne devoir faire oultrage, ne dire injure à leurs serviteurs non plus qu’à leurs compaignons. Elle sçavoit aussi que Moïse a commandé, en son Deutéronome, qu’on ne diffère au lendemain à payer le salaire du Serviteur, & que Jésuchrist a pareillement dit les ouvriers ne devoir estre frustrés de leur salaire, & Sainct Paul escrit qu’on ne doibt fermer la bouche au bœuf qui labeure.

Pour ceste cause, elle commandeoit si expressément de paier les gages de ses serviteurs que, leur quartier finy & culs estants prêts se retirer en leurs maisons, si son thrésorier eust dit qu’il n’eust heu pour lors deniers à main, elle faisoit prendre sur sa despense ordinaire de quoy les payer &, oultre leur payement, leur donneoit un surcrois pour faire la despense de leur retour.

Et, cependant qu’elle useoit de cette grande libéralité vers les siens, n’estimés qu’elle fust chiche aux estrangers & incongnus, car elle faisoit du bien à tous, sans havoir acception de personne, je dy sans regarder à qui ne quoy elle donneoit. Nous lisons que Cimon, l’Athénien, souloit souvent festoier les pauvres & commandait à ses gents luy dérobber secrètement argent pour secourir tous ceuls qu’ils entendraient estre nécessiteus. Il est aussi escrit que Abdie nourrissoit aux cavernes les Prophètes, qui s’y estoient retirés à saulveté contre la persécution de l’impie Jézabel. De mesme piété Lucine, vierge Romaine, est fort recommandée pour ce qu’elle vouloit donner secrètement faveur, appuy & secours à toutes personnes qu’elle entendoit faire profession de la Religion Chrestienne.

Mais, s’il estoit possible que tous ceuls à qui Marguerite a aydé & fait du bien fussent assemblés en une place, oncques, du temps de nos pères & du nostre, ne fut veue plus grande armée que seroit leur compaignie. Tous les malades de griefves maladies, tous ceuls qui souffroient nécessité & indigence, tous ceuls qui avaient perdu leurs biens & abandonné leur patrie, tous ceuls qui fuioient la persécution de la mort, bref, tous ceuls qui estoient en quelque adversité, fust du corps ou de l’esprit, se retiroient à la Royne de Navarre comme à leur ancre sacré & extrême refuge de salut en ce monde. Tu les eusses veus, à ce port, les uns lever la teste hors de mendicité, les aultres, comme après le naufrage, embrasser la tranquillité tant désirée, les aultres se couvrir de sa faveur, comme d’un second boucler d’Ajax, contre ceuls qui les persécutoient. Somme, les veoiant à l’entour ceste bonne Dame, tu eusses dit d’elle que c’estoit une poulle qui soigneusement appelle & assemble ses petits poullets & les couvre de ses aèls.

Où est celuy, si ce n’est un homme du tout aliéné d’humanité, qui ne prise, qui n’aime, qui ne révère la candeur, la charité, la piété de ceste tant libérale, tant magnifique & tant vertueuse Royne ?

Jambliche ne la blâmera, car il veult que les Princes obligent leurs subgects à euls par toute manière de libéralité & respandent les grâces, non d’un vaisseau, ne closes & enfermées en un vaisseau, comme les Poètes les faignent, mais toutes nues & sans aulcune extérieure couverture, & dit que tel honneur des grâces est la couronne d’un Royaume. Platon n’eust aussi reprins la largesse & magnificence d’elle, veu qu’il escrit la République estre malheureuse, dont le Prince dira quelque chose estre à luy & non pas commun avec ses subgects. Non que Platon prenne si estroictement ceste communité qu’il entende le Prince ne devoir rien havoir propre, comme d’aulcuns l’ont interpreté, qui ont esté aveuglés de la majesté de Platon, & avec euls la déplorée & pernicieuse secte des Anabaptistes villainement & séditieusement l’a enseigné, mais affin que nous entendons la libéralité estre tant recommandée aux Princes qu’ils doivent estre larges & prompts bienfacteurs vers un chascun, comme s’ils n’havoient chose en ce monde qui, par tiltre de libéralité, ne soit commune à leurs subgects.

Mais il y en a quelques uns qui ont dit ce que tous les gents vertueus & de bon jugement louent & prisent en Marguerite luy devoir estre imputé à vice & appellent prodigalité & profusion de bien ce que nous luy tournons à libéralité. Or disent ils qu’il fault havoir ceste prudence à faire du plaisir & du bien qu’on ne le fasse indifféremment, je dy tant aux mauvais, vicieus & meschants, qu’aux bons, ains seulement à ceuls là qui se trouveront en estre dignes ; que Marguerite n’observeoit ceste reigle & ne considéreoit les personnes, vers lesquelles elle emploieoit ses bienfaicts, pour bien & deuement colloquer sa libéralité, ains au contraire que le plus souvent estoit libérale à l’endroit de ceuls qui ne le mériteoient.

La trèsmodeste Royne entendoit assés souvent tels propos, mais ne s’esmouvoit grandement de l’opinion & jugement d’un tas de sordides avares, qu’elle laisseoit avec le Patrocle d’Aristophane, le Pygmalion de Vergile, le Polymnestor de Properse, Vuidie d’Horace, le Saleran de Martial, & aultres semblables bruslants d’avarice, illibéralement & sordidement vivre, & estre brutalement esclaves de l’argent. Non que cependant elle ne fust plus prompte à faire du bien aux bons & vertueus, mais aussi elle n’en refuseoit les meschants & vicieus ; car elle havoit souvenance d’avoir ouy dire que le Philosophe Aristote donna un jour de l’argent à un meschant & vicieus garçon, qui luy en avoit demandé, &, reprins & blamé d’un sien amy de quoy il avoit fait du bien à un vicieus & indigne, respondit qu’il ne l’avoit donné à l’homme vicieus, mais à l’humanité.

Aussi sçavoit elle bien ce que naguères nous disions, c’est le Prince estre l’image de Dieu &, comme dit S. Paul, ordonné de Dieu pour estre icy son Ministre, & que par ce il doibt prendre peine d’estre semblable en clémence, bonté, équité & conditions, à celuy duquel il est vicaire sur la terre.

Parquoy, comme Dieu permet son Soleil estre commun à tous & sa pluye estre commune aux justes & injustes ensemble, pour que les maulvais, provoqués par ses bienfaicts, s’amendent & les bons en soient excités à luy rendre grâces & louenges, ainsi nous fault tous efforcer, mesmement les Princes, que nul nous passe de toute miséricorde & charité, ains nous devons faire trèsabondamment plaisir & bien à nos amis & ennemis, aux congnus & incongnus, aux bons & maulvais.

Or, adjouxteoient les malings une aultre chose en quoy ils disoient Marguerite n’estre sans coulpe ; c’est qu’elle en havoit quelques uns, comme spècials & choisis entre tous ceuls de sa Maison, auxquels elle favoriseoit particulièrement &, telle qu’elle pouvoit estre, s’emploieoit à les advancer & enrichir tant en honneurs qu’en biens. Certes, je ne fay doubte que la bénévolence, grâce & faveur de la Royne ne leur ayt fait porter envie à maintes personnes, qui toutefois n’ont peu ne renverser, ne obscurcir la vertu qui leur avoit gaigné & acquis ceste grande faveur.

Quand Marguerite oyoit le bruit de ces murmurateurs, elle ne faisoit aultre response que celle d’Artaxerse, Roy des Persiens, qui, estant un jour reprins de mesme chose par un de ses Domestiques, luy dist : « Tous les membres du corps sont nobles, mais les uns sont plus nobles que les aultres, d’aultant que l’Ame, qui guidde & régente le corps, en use & s’en sert comme d’instruments idoines à ce à quoy les veult employer ». Le sage Roy vouloit par ceste responce donner à entendre que tous ceuls qui sont au service d’un Prince sont esgauls quand au tiltre de serviteur, mais que le Prince doibt principallement & particulièrement advancer, honorer & enrichir ceuls qu’il congnoit estre mieuls à son gré & de qui se sent havoir plus de service. Ce que Marguerite a si bien observé que par tel éguillon elle exciteoit les pusillanimes & tardifs à faire leur devoir.

Je vous demande maintenant, ô Alençonnois, si vous sçavés aulcune vertu que nous puissions désirer en Marguerite, pour nous garder de la mettre première au reng des vertueuses & louables femmes. Qu’on nous mette en avant les Héroïnes, de quelque aige que ce soit, & nombrons ensemble toutes les vertus qui leur ont acquis bruit & renom immortel. Si nous en trouvons une seule qui passe Marguerite de quelque degré d’honneur, certes, je confesseray les louenges que nous luy donnons procedder plus d’une affection de cœur que de vérité & certain jugement.

Il peut estre qu’on nous présentera les illustres Amazones, qui, par leur virile courage & leurs excellents, prœus & magnanimes gestes, se sont donné une éternelle renommée. Tu me diras que, comme Penthasilée & Hippolite, Roynes des Amazones, Camille des Volsques, Zénobie des Palmyréans, Arthémise de Carie, Thomyre de Scythie, ont esté semblables à Marguerite de sexe & pareilles à elle en dignité, ainsi elles ont esté supérieures d’elle par glorieus & héroïques faicts. Dy moy, je te pry, de quel degré de vertu ces illustres & nobles femmes ont esté plus haultement assises au siège d’Honneur que Marguerite pour nous faire confesser que celle là ne doibt estre préférée à toutes les femmes qui en a heu, ou de supérieures, ou, à tout le moins, de pareilles ?

Nous lisons que les Amazones, pour estre plus promptes & délibérées à la guerre & à tenir la lance, souloient brusler leur droicte mammelle, & Marguerite a couppé toutes ses maulvaises affections comme membres, sans comparaison, plus nécessaires d’estre couppés, bruslés & mortifiés que les mammelles ou aultres membres du corps ; car, si l’on ne les couppe diligemment, l’âme & le corps tombent en grand danger. Les Amazones estoient sur les chevauls toutes armées & sçavoient très-bien les contourner, dompter, conduire & gouverner, tant féroces & maulvais fussent-ils, & Marguerite, par Raison illuminée & fortifiée de la Foy, a dompté, adoulcy, rengé au frein & humilié ceste partie de l’âme qui est incessamment rebelle à l’esprit, qui rue, qui mord son frein, qui reculle à l’espron, qui tousjours répugne. Les Amazones vestoient les armes ; toutefois elles n’estoient en tout temps armées, & si, les unes ayant esté surprinses nues, les aultres, encor qu’elles fussent couvertes de luisantes & belles armes, ont esté de lances passées tout au travers du corps, Marguerite n’estoit, ne jour ne nuict, sans armes, mais elle porteoit : pour son heaume, Espérance ; pour son halecret, Foy ; pour son escu, Vérité ; pour son glaive, la Parolle de Dieu, &, estant ainsi armée, ne peut onc estre transpercée d’oultre en oultre. Les Amazones ont mis les mains aux armes contre leurs ennemis, ont desconfit des armées, ont vaincu des Roys, les ont prins, les ont mis à mort, & Marguerite a heu guerre mortelle avec cest ennemy que tous portons sur nous, c’est avec la Chair, l’armée de laquelle sont les maulvaises cupidités & prodigieuses affections, comme hayne, ire, luxure, ambition, envie & telles œuvres du vieil Adam. D’aultre part venoit le malicieus, fin, cauteleus & trahistre Roy, qui est plus à craindre d’aultant qu’il nous sollicite à impiété soubs le prétexte & umbre de piété & religion, du Roy, dy je, qui est Satan, que Jésuchrist mesme dit estre le Prince du Monde. Et, quand ces deus se deffient de la victoire, le Monde survient à leur secours, qui amasse & fait une grosse & puissante armée de ses délices & voluptés.

Marguerite, hayant son glaive au poing, a desconfit, mis en fuitte, désarmé & vaincu ces trois, qui venoient en trouppe contre elle, & aujourd’huy triumphe d’euls au Ciel en grand gloire & magnificence. Qui vouldroit gaigner une plus honorable & plus noble victoire ?

Certes, je ne veuls nier qu’il ne soit beau & louable quand quelcun a magnaniment soustenu l’effort & l’assault de son ennemy, quand il a expugné, prins & saccaigé des villes, quand il a subjugué ses voisins à sa couronne & puissance, quand par conquestes il a dilaté & amplifié son Royaume & qu’il a mené en triumphe des Roys captifs ; mais il est trop plus honorable de se vaincre soimesmes & assubgettir au victorieus esprit toutes les cupidités & affections pernicieuses. Car quiconques obéit aux vices & aux cupidités, encor qu’il prenne des villes, qu’il amplifie ses Seigneuries & mette soubs sa puissance tant de Royaumes & d’hommes qu’il vouldra, certes il demeure esclave d’une misérable & villaine servitude.

Mais il me semble, ô Alençonnois, que j’entends d’aulcuns malings murmurer, ausquels il est moleste que nous élevons ainsi Marguerite jusques au Ciel, encor que les louenges que nous luy baillons soient véritables, &, pour les effacer & purger la suspition d’envie & de malédicence dont nous les voulons charger, diront que je ne joue le personnage d’un laudateur, mais plus tost d’un flatteur pour tant que nous avons cy devant beaucoup dit, & à leur jugement trop dit, des vertus de Marguerite, mais que nous avons laissé couler les vices qui pouvoient obscurcir la splendeur des vertus.

Davantage, ils tascheront de me reprendre pource que celuy qui doibt publiquement parler de la vie & des mœurs du trespassé doibt réciter tant les vices, que les auditeurs doivent fuir, que les vertus qu’ils doivent ensuivre, mais que je n’ay dit un seul mot des imperfections de la Royne, qui peuvent diminuer, voire souiller l’amplitude & majesté d’un Prince.

Mais pourquoy n’accuse l’on de mesme faulte Démosthène, Hortense, Crasse, Cicéron & d’aultres insignes & illustres orateurs ? Car, quand ils louent quelcun ou le défendent contre l’accusation de ses adversaires, ils racomptent bien au long ses vertus, mais ou ils taisent du tout ses vices, ou les dissimulent tant qu’ils peuvent, ou, si commodément ne le peuvent faire, les purgent. Platon, & avec luy le grand Tyrien, vouldroient qu’en une Cité & République bien ordonnée les citoyens parlassent souvent des vertus, mais qu’ils ni tinssent un seul propos des vices. Et S. Paul, nostre Docteur, ne nous commande seulement de nous esloingner tant que nous pourrons de toute turpitude, mais il veult aussi que le nom de turpitude ne sorte seulement hors de nostre bouche. Car, puis que la vertu & le vice bataillent ensemble comme contraires l’un à l’aultre, il est manifeste que, comme en définissant & monstrant le noir on déclaire aussi que c’est que le blanc, ainsi, la vertu estant définie & expliquée, on monstre pareillement que c’est que le vice.

Parquoy, quand nous avons recité par ordre les vertus de Marguerite, les avons mises devant les œils des Princes pour les ensuivir, n’avons nous aussi proposé les vices, qui sont contraires à telles vertus, pour les faire fuir & éviter ? Mais, diras tu, en rendant ainsi Marguerite perfaicte de toutes manières de vertu, & en célant ses vices & imperfections, tu la fais semblable à Dieu, qui est le seul perfaict, & avec cela, tu le fais menteur, veu que l’Escripture dit que personne n’est en ce Monde qui ne soit subgect à pécher.

Certes, tu parles bien & dis la vérité ; car, si je voulois nier Marguerite avoir esté femme, je dy infirme comme sont tous les aultres mortels & subgette à péché, certes, je serois impudent & téméraire, & elle mesmes, si encor estoit vivante avec nous, ne nieroit ce qu’elle confesseoit publiquement & le confirme aux Oraisons qu’elle a faictes à Jésuchrist. Mais je vouldrois bien que ceuls qui taschent ainsi de mettre ses vices contre ses vertus les nous spécifiassent.

Je croy qu’ils n’entendent parler des péchés légiers & véniels, mais des gros, des graves & des mortels, qui ne peuvent estre ne excusés ne dissimulés, & l’énormité desquels donne une villaine tache au nom & tiltre Royal. Or qu’ils nous dient donc qui sont les atroces péchés qu’ils ont congnus en Marguerite, car comment eussent ils peu estre caichés & secrets, veu que, plus est grand celuy qui pèche, plus est son péché congnu de tout le monde. Les déclarent, dy je, &, s’ils peuvent, impriment aux louanges d’elle des perpétuelles macules qui ne puissent estre jamais effacées par les vertus.

Marguerite havoit de grands & singuliers dons de Dieu en son esprit, mais elle n’entretenoit assés bien la gravité de son tiltre par une continuelle & arrestée constance, car elle estoit trop facile à croire, & son esprit estoit si muable que facilement on la tourneoit ça & là. Et davantage elle avoit entretenu & supporté de son bien, son ayde, sa faveur, sa grâce, plusieurs personnages qui estoient suspects, les uns d’avoir violé nostre Religion, les aultres de l’avoir mesprisée.

Ce sont les propos que les obtrectateurs tenoient d’elle, mais à des accusateurs véhéments & molestes. Quoy, Alençonnois, ces mensonges sont elles point entrées en vostre esprit, vous émeuvent elles point ? Mais nous sçavons très bien comment nous devons éviter le coup des fauls crimes que les médisants tirent contre Marguerite comme des dards empoisonnés.

Je sçay que les Philosophes & toutes bonnes & saiges personnes ont tousjours blamé en tous Estats, & principalement aux Princes, ceste legiéreté de croire. Platon l’appelle mère d’inconstance & Caton, en Plutarche, la nomme source de grands mauls, & Solomon aussi escrit que c’est un argument & signe de legiéreté d’esprit. Parquoy il est assés clair que ceuls qui croient trop aisément le plus souvent n’hont l’esprit bien arresté, ne la volunté bien ferme.

Que si je t’accordois ceste imperfection en Marguerite, ce que je ne puis faire, pour quoy ne me confesserois tu aussi qu’elle peut estre excusée en elle ? Car il fault havoir egard au sexe, que le Poëte appelle variable & muable, & S. Pierre escrit que c’est un vaisseau fragil & infirme. Mais qui peut avoir jamais esté si perfaict que sa vie n’ait esté en quelque chose répréhensihle ? Quels Princes furent onc plus forts & magnanimes qu’Alexandre & Jules César ? Toutefois ils ont aulcunement obscurcy leur nom, l’un par yvroignerie, l’aultre par trop grande ambition. Il n’estoit rien si sainct ne si sage que Socrate ; toutefois il n’évita le reproche de timidité, & son disciple Platon a esté suspect d’aimer peu pudiquement, & Aristote, son auditeur, a esté noté d’estre mol & efféminé. La gravité de Caton inciteoit un chascun à le révérer, mais la coustume qu’il havoit de boire & de banqueter aulcunefois toute la nuict a diminué je ne sçay quoy de sa grandeur. Et à Cicéron, qui fut appelle des Romains Père de Patrie & qui remit Rome en sa liberté & franchise, fut reproché qu’il s’asseoioit sur deux selles, en quoy son inconstance fut notée.

Que si nous mettons en avant tous les Empereurs, Princes, Philosophes & les illustres personnes, tant hommes que femmes, certes tu n’en trouveras un seul qui ayt esté entièrement perfaict. Solomon estoit remply de la sagesse Divine, & le Seigneur mesmes appelle David son serviteur, & toutefois le trop grand amour des femmes induisit l’un à idololatrie, l’aultre à adultère & homicide. Et l’Apostre S. Pierre, combien qu’il heust l’esprit de Dieu & deust havoir la principauté & prélature en l’Église Chrestienne, fut toutefois trouvé repréhensible.

Somme, qui est celuy qui ait oncques esté tant insigne en piété, en foy, en sanctité & en toutes les vertus, qui n’ayt failly en quelque chose ? S’il n’estoit ainsi, pour néant diroit l’Escripture que sommes tous subgets a vanité, tous avons failly du droict chemin, & n’en est un seul qui de sa nature face aulcun bien. Que si nous estions du tout sans vice & péché, pour quoy nous commanderoit Jésus prier que nos offenses nous soient remises & pardonnées ainsi que nous pardonnons à nos prochains celles qu’ils nous ont faictes ? Mais je ne veuls dire cecy, comme voulant inférer que les grands & énormes péchés puissent estre excusés sur les vices d’aultruy & que ce pendant ne devons nous efforcer, de nostre telle quelle puissance, que nostre vie soit le moins maculée de vices que faire ce pourra, mais, pour monstrer que ceuls sont grandement coulpables & repréhensibles qui demandent en nostre Royne ce que personne ne peut havoir en ce Monde & qui veoient clairement les petits & légiers péchés des aultres, mais sont aveugles auprès de leurs énormes & détestables vices.

Pour retourner donc à Marguerite, combien que nous puissions à bon droict nier l’inconstance que les mesdisants luy reprochent & regetter sur l’infirmité de son sexe ce qui lui tournoit à vice, toutefois ce qu’ils appellent légiéreté & inconstance, nous dirons que ç’a esté une candeur &, pour parler comme l’Escripture Saincte, une simplicité. Au Genèse, Jacob est fort prisé de sa simplicité, & Job nous est proposé comme simple & droict homme. Aussi escrit Solomon le juste vivre au Monde en simplicité & qu’il nous fault cercher Dieu avec une simplicité d’esprit. Et S. Paul après, escrivant aux Corinthiens, se glorifie de n’avoir conversé au Monde en sagesse charnelle, mais en simplicité. Or prend il ceste simplicité pour une candeur. Quand il loue aux mesmes Corinthiens la charité de ceuls de Macédone, qui, quelque pauvreté qu’ils heussent, avoient secouru les pauvres de Jérusalem de toutes choses nécessaires par un simple cœur, c’est de cœur candide, non fainct ne double. Et Job, louant la mesme vertu, dit que le Seigneur n’abandonne & ne repoulse jamais les simples, mais qu’il ne preste sa main aux malings.

Mais, ô Alençonnois, à quelle fin disons nous tout cecy, sinon pour vous monstrer clairement que nous appelions justement simplicité ce que les détracteurs de Marguerite appellent inconstance & esprit muable ? Je dy simplicité une ingénuité & candeur de franc cœur, ne pensant à aulcune malice, déloyaulté & dol. Mais d’où vient cest candeur que de Charité ? Car Charité, comme dit S. Paul, ne pense à aulcun mal & n’est point maligne. Or Marguerite, jugeant l’esprit & le cœur d’aultruy selon le sien, croioit tout & aisément se laisseoit tromper comme celle qui n’eust voulu tromper personne. Il est propre & quasi comme naturel aux Princes & grands Seigneurs d’adjouxter facilement foy aux parolles de ceuls par le conseil & prudence desquels ils sont gouvernés, & par ainsi ou quelquefois ils font actes répugnants au devoir & office d’un Prince. Combien qu’ils n’en soient du tout excusables, ce néantmoins le fault imputer à ceuls qu’ils hont à leur costé, à leurs aureilles & à leur conseil, comme nous estimerons qu’on leur devra attribuer si les Princes gouvernent leurs subgets saigement, droictement & en vray Prince.

Mais quoy, pourra dire le détracteur, vouldras tu excuser, sur ceste simplicité & candeur, que Marguerite recevoit trèshumainement ceuls qui sentoient bien peu chrestiennement de nostre foy & religion ? Certes je ne te dy cela, & aussi ne te confesseray je ce que tu dis. Mais, qui que soit qui essaiera imprimer ceste note à Marguerite, il fault, ou que jamais il ne l’ayt congnue, ou qu’il soit le plus impudent de tous les hommes. Mais faignons qu’ainsi soit qu’elle ait aidé & porté faveur à quelques uns, l’issue & la fin desquels a donné tesmoignage à leur impiété, vouldrois tu de cela inférer qu’elle ayt esté impie ? Mais S. Jhean commande que nostre porte ne soit ouverte à un tas de gents impies, sans loy, sans foy, qui n’apportent saine doctrine, &, qui plus est, il nous défend de les saluer, disant que qui fera aultrement communique à leurs maulvaises œuvres. Certes c’est trèsbien & chrestiennement dict, mais, si quelcun vient à toy de qui tu n’auras encore expérimenté les mœurs, luy refuseras tu le parler ? Si ainsi le fays, oultre ce que tu manifesteras ton inhumanité, tu jugeras & condamneras aussi ton frère selon la face, qui sera contre la prohibition de Jésus-Christ. Que si tu l’as reçeu en ta maison, le congnoissant faire par la parolle, par escript, par ses mœurs, tout acte de fidèle Chrestien, le chasseras tu de ta compaignie ? Luy defenderas tu ta maison ? Luy feras tu la guerre devant qu’il ayt mis dehors l’impiété qu’il a cachée dans son cœur ? Je croy, certes, que tu ne le ferois, &, où un aultre le feroit, tu ne l’approverois. Pourquoy donc le condamnes tu en Marguerite ?

Elle estoit la plus humaine & la plus libérale femme du monde ; elle escouteoit parler tous estats & toutes nations d’hommes ; elle ne refuseoit sa maison à personne ; elle ne vouloit, quand on la prieoit de quelque chose, que celuy qui demandeoit s’en allast refusé. Est ce merveille si, entre tant de gents différents de nation, d’estat, de profession, on a veu dissimilitude de mœurs & d’opinions ? Mais toutefois elle n’en aimoit d’aultres plus affectueusement que les gents de lettre, & ceuls principalement qui à leur érudition avoient conjoinct la piété & intégrité de religion. Elle faisoit essay du sçavoir & de la doctrine de tous, mais, avec l’Apostre, elle retenoit ce qui en estoit le milleur, &, quand elle avoit examiné les esprits des hommes, elle embrasseoit d’une maternelle affection ceuls qui apparoissoient estre de Dieu. Mais ceuls qui n’estoient de Dieu, je dy ceuls desquels les faicts répugnoient à la parolle, ceuls de qui la vie estoit scandaleuse, ceuls de qui la doctrine estoit doctrine inspirée des Démons, une doctrine, impie, sacrilègue & qui deust estre dégettée, après qu’elle les avoit aigrement tencés, après que leur avoit monstre leur faulte, après que trèshumainement les avoit voulu remettre au chemin de vérité, s’ils ne vouloient se recongnoistre & amender, selon le précepte de S. Paul qui commande d’éviter l’hérétique après la première ou seconde admonition, incontinent les déchasseoit de sa Maison, de sa famille & de sa compaignie.

Que si tu m’estimes ne dire vray, les Domestiques, Officiers & serviteurs de Marguerite soient ouïs &, avec euls, tant & de si grands personnaiges, qui la congnoissoient de longue main, soient aussi ouïs, car ceuls là sont bons, suffisants & véritables tesmoings de ce que je vous dy &, s’ils ne peuvent encor satisfaire, la vie de Marguerite en portera avec euls tesmoignage, laquelle, tant en faicts qu’en parolle, donneoit un singulier exemple de piété & religion. Que si ne les hommes ne la vie d’elle ne peuvent divertir les babillards obstinés en leur malice de ceste perverse opinion qu’ils hont, nous avons entre les mains ses escripts, qui convaincront les malings, non seulement de calumnie, mais aussi de rage & de follie, car ils parlent si bien de quelle piété, de quelle sanctité, de quelle religion elle sentoit de la foy Chrestienne, que quiconques le niera il déclarera non seulement sa bestialle ignorance & resverie, mais aussi son impiété. Et où toutes ces choses ne pourroient oster de ton esprit la sinistre opinion que tu y as conçeue, & enracinée contre Marguerite, si ne me pourras tu nier ce que S. Jhean escrit : Bienheureux estre ceuls qui meurent au Seigneur.

Mais dy moy, je te pry, qui meurent ainsi que ceuls qui confessent Jésus estre le Christ, fils de Dieu, au sang duquel nettoiés de toutes nos ordures & reconciliés à Dieu, son père, & adoptés par Foy au nombre de ses enfants, sommes escripts héritiers en l’héritage céleste, qui est la vie éternelle ? Mais d’où nous vient il d’affermer & confesser Jésus estre tel ? Certes nous ne l’apprenons des préceptes des Philosophes, non des contentions sophistiques, non du jugement de la Chair, non des traditions des hommes, non de la sapience & prudence humaine. Il est vray que la Saincte Escripture enseigne ce que devons nous persuader de Jésuschrist, mais que cela nous soit persuadé & demeure appréhendé & imprimé dans nostre cœur. Certes, celuy seul le donne de qui S. Paul dit : « Personne ne peut confesser Jésuschrist que par l’inspiration du sainct Esprit. » Puis qu’ainsi est, je vous demande maintenant, ô Alençonnois, veu qu’il n’y a d’accord ne de compaignie entre Christ & Bélial, entre la lumière & les ténèbres, le sainct Esprit saisira il l’esprit & l’entendement des Athéistes, Anabaptistes, Juifs, Gentils & Hérétiques ?

Qu’estimerons nous donc qu’on doibt juger de Marguerite, laquelle, ayant en sa griefve maladie perdu la parolle presque trois jours devant son trespas & l’ayant recouvrée à l’heure qu’elle voulut départir de ce Monde, d’une voix mourante crya :Jésus, Jésus, Jésus, &, ces parolles dictes, rendit l’esprit à Dieu ? Que si Jésus n’eust esté imprimé au plus profond de son cœur, si elle n’eust appréhendé Jésus par foy, si elle n’eust du tout mis & appuié son espérance en Jésus, comment eust son Esprit rendu telle voix par les organes de son corps ? Or est il donc crédible que le sainct Esprit assisteoit à sa mort, ce qui n’est donné aux infidèles & reprouvés, mais aux esleus & fidèles seulement, & pource ne nous est il licite de dire :Bienheureuse est Marguerite, qui est morte au Seigneur ?

Encor vous diray je une autre chose, ô Alençonnois, qui pourra fort confirmer le sainct Esprit n’avoir failly à Marguerite. Car lors estoit Marguerite à Thusson quand François, son frère, décéda, la mort duquel personne ne luy ausoit adnoncer, car ils étoient ensemblement conjoincts d’un si estroit & si ferme lien d’amour fraternel que, ne de la mémoire de nos prédécesseurs, ne de la nostre, onc n’en fut ne veu ne ouy de second. Son frère tant de fois l’avoit priée par lettres, un peu devant qu’il mourust, qu’elle se retirast à la Court affin que l’indissoluble lien de leurs cœurs & voluntés ne souffrist que les corps fussent séparés, &, comme ils avoient este ensemblement nourris & institués au Monde, ainsi départissent ensemble de ce Monde.

Or, le jour que François nous fut osté, elle mesmes le m’a depuis ainsi dit, luy fut advis en dormant qu’elle le veit palle & d’une triste voix l’appellante sa Sœur, en quoy elle print un trèsmaulvais signe &, se doublant de cela, envoya à la Court plusieurs Couriers sçavoir de la disposition du Roy son frère, mais il n’en retourneoit un seul vers elle.

Un jour, s’estant de rechef son frère apparu à elle ainsi qu’elle dormoit — desjà y avoit quinze jours qu’il estoit trespassé, — demanda à ceuls de sa Maison s’ils avoient ouy aucune nouvelle du Roy, lesquels luy respondirent qu’il se porteoit trèsbien, & adonc voulut aller à l’Église.

En y allant, elle appella Thomas le Coustelier, jeune homme de bon esprit & son Secrétaire, auquel, comme elle disoit l’argument d’une lettre qu’elle vouloit escrire à une Princesse de la Court pour entendre d’elle de la prospérité du Roy, elle ouyt, de l’aultre costé du cloistre, une Religieuse, quelque peu tournée de son cerveau, qui se plaignoit & pleureoit fort. Marguerite, de sa nature encline à commisération, va en diligence vers ceste fille, luy demande qu’elle ha à pleurer & l’enhardit dire si elle vouloit quelque chose. Adonc la Religieuse commence à la menter de plus fort &, en regardant la Royne, luy dist quelle déploreoit sa fortune. Quant Marguerite entendit ces parolles, retournée vers ceuls qui estoient avec elle, leur dist : « Vous me celiés la mort du Roy, mais l’Esprit de Dieu la m’a révellée par ceste folle. » Cela dit, retourne en sa chambre &, sans faire aulcun acte de femme, se mist à genoils & trèshumblement remercia le Seigneur de tous les liens qu’i luy plaisoit luy faire.

Aussi, peu de jours devant qu’elle tumbast en sa dernière maladie, ce que nous avons sçeu de ceuls à qui Marguerite mesmes l’a dit, comme elle dormoit, luy fut advis qu’elle veoioit une trèsbelle femme, tenante en sa main une couronne de toutes sortes de fleurs, quelle luy monstreoit & luy disoit que bien tost elle en seroit couronnée. Or sçavoit elle bien qu’elle ne devoit interpréter ce songe comme si dans peu de jours après elle deust mourir, mais toutefois ne le deprisa tant qu’elle ne penseast à ce qu’il pouvoit signifier, & interpréta ceste couronne pour la béatitude éternelle.

Je ne doubte point qu’un tas de scrupuleus & sévères censeurs ne se mocquent de cecy & ne disent Marguerite avoir esté superstitieuse d’adjouxter foy aux songes, & nous fols de réciter telles choses d’elle. Mais ceuls qui s’en mocquent, ou sont avec nous Chrestiens ou Philosophes, ou du tout Athéistes & sans loy. Que s’ils sont du nombre, de ceuls qui ne tiennent grand compte de nostre Religion & la veulent postposer aux traditions des Philosophes, me respondent donc qu’il leur semble de Platon, d’Aristote, de Cicéron, de Valère le grand, desquels les escripts traictants de telle divination ont esté reçeus de nos prédécesseurs & mis entre nos mains.

Le Philosophe vouldra que je tienne les divinations des songes n’estre vaines & inutiles pource que l’issue & l’effect approuvent la discipline qui traicte de telles choses, &, pour mieuls m’induire à le croire, mettra en avant l’exemple des deux Arcades, dont l’un, qui estoit allé loger à l’hostelerie, apparut en dormant à celuy qui estoit en maison bourgeoise, le priant de ne laisser sa mort impunie & qu’il avoit esté tué par son hoste, getté dans un tumbereau & couvert de fumier, ce que l’aultre trouva le matin estre vray.

Si cela est croyable, pourquoy ne croiray je aussi que le feu Roy François a peu adnoncer à sa Sœur Marguerite en son dormant qu’il estoit trespassé ? Nous lisons qu’une femme de Sparte, nommée Rutilie, après que plusieurs mois elle eut attendu son mary, qui estoit allé à la guerre, sans en avoir nouvelles, un jour qu’elle retourna du marché à sa maison, trouva une petite chienne, qu’elle aimeoit fort, triste & gémissante, dont elle divina la mort de son mary, qu’elle sçeut le lendemain. Si tu veuls que je le croye, qui m’engardera de croire aussi que ceste Religieuse folle a peu par ses pleurs signifier à Marguerite la mort du Roy son frère ? Socrate en Platon, estant prisonnier, veit en dormant une très belle femme qui, l’ayant appelle par son nom, lui dist ce vers d’Homère :

Dedans trois jours te trouveras en Pthie.

Le lendemain, il dist à son amy Criton qu’il luy convenoit mourir dans trois jours, & ainsi luy arriva qu’il avoit prédit. Si le Platonique s’efforce de me contraindre à croire cecy, il luy est aussi nécessaire m’accorder celle, qui dist à Marguerite en songe que bien tost elle seroit couronnée de la couronne qu’elle luy monstreoit, avoir entendu de la couronne de vie qu’elle devoit recevoir après la mort du corps.

Que si nous avons affaire aux Chrestiens, je croy qu’ils ne nieront que le Seigneur a accoustumé, quelquefois par songes, quelquefois par d’aultres signes extérieurs, nous faire entendre sa volunté & nous révéler ce qui nous doibt advenir. L’eschelle que facob veit en dormant n’estoit elle pleine de grand mystère ? Et dirons nous les songes de Joseph avoir esté vains & dignes de mépris, ou bien divins ? Ce que le Seigneur dist par songe à Abimélech, aux Prophêtes, à Joseph, mari de la vierge Marie, & aux trois Saiges d’Orient, combien il estoit véritable & divin l’issue suffisamment le tesmoigne. Tu diras ce que nous appelions Songes n’estre toujours vrays. Certe, je te le confesse, & te dy d’avantage que plusieurs sont fort obscurs, mais aussi il y en a plusieurs vrays qui adnoncent à ceuls qui les sçavent bien observer maintes choses incrédibles à la Chair. Le Seigneur défend l’observation des songes, mais aussi l’Escripture Saincte crie qu’il luy fault laisser l’interprétation des songes.

Et par ainsi les songes qui adviennent au dormir mal disposé, je dy, comme Socrate dit en Platon, les songes perturbés & confus que font ceuls qui sont pleins de vin & de viandes, ne doivent estre observés, &, quant aux songes obscurs, il fault recourir au Sainct Esprit qui, portant tesmoignage à nostre Esprit que nous sommes enfants de Dieu, certainement ne nous pourroit laisser estonnés, troublés & esperdus ès choses perplexes, doubteuses & incertaines. Quant est des Epicuriens & Athées, il ne se fault enquérir qui leur semble des songes, car, ainsi que dit Cicéron, ils ne sentent rien de ce qui est bon & honneste. Car, puisqu’ils ostent du tout la divinité à nos Esprits, ils nieront aussi la divination leur estre au dehors manifestée & au dedans divinement enclose, mais les Philosophes ne les préféreront à Platon & Socrate ; les Chrestiens ne les préposeront à l’Escripture Saincte, & tous ceuls qui hauront quelque jugement les laisront là comme enragés & furieus.

Or n’est il donc absurde que nous avons dit Marguerite avoir diviné par son songe la mort luy estre prochaine, attendu que ce qui s’en est ensuivy assés l’a confirmé. Car, depuis son songe, elle abandonna tous ses biens & en laissa l’administration au bon plaisir du Roy de Navarre, son mari, contre sa coustume ne tint plus aucun compte de ses domestiques occupations, ne voulut plus entendre des affaires de personne, désista de passer le temps à ses acoustumées compositions, commença s’ennuier de toutes choses, & de ce qu’elle préveoioit devoir arriver après sa mort elle en escrivit au long à ceuls ausquels les affaires pourroient un jour toucher, &, aiant ainsi donné ordre à toutes choses, tumba en sa dernière maladie, où, avoir esté vingt jours fort tourmentée, au chasteau d’Odos au pais de Tarbes, sur le 59 an de son aige, est allée de vie à trespas.

Tout ce que jusques icy je vous ay dit des vertus de Marguerite selon la capacité de mon petit esprit, ô Alençonnois, vous l’avés veu & congnu en vostre Princesse, & à vostre trèsgrand proffit avés expérimenté que je n’ay rien dit que vérité. Aujourdhuy vous estes tous dolents que la mort vous a osté cet incomparable thrèsor. Aussi l’est toute la France, & certes non sans cause, car, tant que la bonne Royne a vescu avec nous, amplement ne congnoissions combien elle nous estoit nécessaire, mais aujourdhuy nous avons commencé à le congnoistre &, devant qu’il soit peu de temps, de plus en plus nous en haurons l’expérience. Car, comme celuy qui porte en un anneau une précieuse esmeraude, quoy qu’en la regardant elle remplisse ses œils & ne les puisse saouller, si est ce qu’il ne congnoit quel proffit luy porte sa gratieuse verdeur jusques à ce qu’elle soit saillie hors de son œuvre, car lors, ne veoiant plus cest object qui luy recréoit ses œils, il regrette la pierre perdue, dont ne tenoit grand compte quand il l’havoit à son plaisir. Ainsi, tant que les bons & vertueus conversent avec nous & que nous les emploions à nostre proffit, nous congnoissons tellement quellement leur présence nous estre utile, mais, quand ils sont morts, bien tost après leur absence nous tesmoigne de combien ils nous servoient, euls estants en vie.

Et qu’il ne soit vray, interrogeons tous ceuls à qui Marguerite a presté sa faveur, à qui elle a aidé de son autorité, à qui elle a faict du bien par sa libéralité. Combien y a il de veufves, combien d’orphelins, combien d’affligés, combien de vieilles gents, à qui elle donneoit pension tous les ans, qui aujourdhuy, comme les brebis, mort leur Pasteur, sont ça & là esquartés, cerchent à qui se retirer, crient aux aureilles des gents de bien, pleurent leur misérable fortune, mais ce pendant ne trouvent aulcuns, ou en trouvent bien peu qui les consolent.

Et, si ceuls, à qui la mort de Marguerite a apporté une irréparable perte & dommage, devoient demeurer en perpétuelle tristesse & ennuy, certes, ô Alençonnois, je vous ayderois par mon Oraison à pleurer. Car je n’en sçaiche aultres qui deussent plus tost se revestir de noir & estre solitairement tristes que vous, qui avis perdu une Princesse, laquelle perfaictement vous aimeoit & n’estoit moins songneuse de vostre proffit que du sien mesmes. Tous vos voisins, elle vivante, pourchassoient vostre alliance & amitié, & n’y avait nation en France qui ne portast honneur à ceuls d’Alençon, non certes pour aultre cause sinon qu’ils sçavoient bien que Marguerite vous aimeoit tant que l’injure qui vous eust esté faicte, elle l’eust réputée faicte à elle. Maintenant vos voisins courent sur vous, & tous les aultres vous hont en mespris & dédaing parce qu’ils sçavent que la corde de vostre ancre est couppée. Marguerite avoit remis en sa pristine vertu vostre Parlement & Eschiquier, qui estoit demeuré en langueur, & le vous avoit rendu en vostre ville fréquent & honorable ; aujourd’huy il est estainct avec son corps. A l’ayde de Marguerite vous aviés recouvré la liberté qu’aviés perdue &, tant qu’elle a vescu, l’aviés gardée ; aujourd’huy elle vous est ostée & transportée ailleurs. Et, pour dire en un mot toutes vos calamités,Marguerite morte, toute l’espérance, l’ayde, le support & appuy des Alençonnois sont abbatus.

Quand je dy ces parolles & que je mets devant nos œils, tant nostre particulier dommage que la perte publique que la mort de Marguerite nous apporte, certes à peine me puis je abstenir de pleurer, car le cœur me dit que nous sommes menacés de plus grands mauls, qui estoient empeschés par la présence de Marguerite, si le Seigneur par sa pitié ne nous préserve. Mais quel proffit nous reviendra de nous mettre à pleurer & lamenter comme femmes ?

J’accorde bien qu’il fault donner cela à l’humanité que quiconques est privé de ses affections, sçavoir est qui aura perdu son père, sa mère, ses frères, ses enfants, ses amys & telles choses qui luy sont trèschères, soit esmeu de quelque douleur, mais il nous fault havoir tel tempérament en nostre dueil que toute occasion de mocquerie & de calumnie soit ostée aux ethniques, gentils, gents impies & vivants sans Loy, qui tiennent nostre Religion pour chose ridicule, & que nostre douleur sente le Christianisme. La Mort a donné grande occasion de tristesse à ceuls qui ont perdu Marguerite ; mais pourquoy hauront ils ainsi le couraige failly, veu que ne les douleurs, ne les larmes, ne les cris ne peuvent donner aulcun remedde à tels mauls ?

Je ne doubte que, quand elle estoit détenue au lict de la maladie dont elle est décédée, s’il eust esté possible de rachapter sa vie par mort, plusieurs heussent faict ce que Alceste feist pour Admète son mari. Et, si aujourd’huy nous pouvions impétrer de Dieu ce que, selon le dire des Poëtes, Laodamie impétra par ses pleurs, qu’en consolation de nostre dueil nous peussions veoir l’umbre de Marguerite, certes, je croy qu’il y en auroit qui expireroient entre ses bras comme l’aultre feist entre les bras de son mari Protésilae. Mais puisque nous ne devons, je ne dy seulement demander telles choses au Seigneur, mais aussi ne les penser, qu’est ce qu’il nous reste à faire ? Ferons nous comme Evadné, qui se getta dans le feu lors que les éxèques de son mari Capanée se faisoient ? Ou nous defferons nous nous-mesmes avec Cléopatre, son amy Antoine mort, ou avec Marc Plautie quand on faisoit les funérailles de sa femme Orestille à Tarente ? Quoy donc ? Suivrons nous l’audacieus acte de Portie, qui, advertie de la mort de Brute son mari, avalla des charbons ardents & se suffoqua ? Si nous faisions telles choses, quel jugement laisserions nous à faire de nous ? Qui est ce qui ne nous soubhaitteroit esprit, entendement & raison ?

Possible me diras tu que ne devons user de cruaulté contre nos corps, mais tu requerras qu’à tout le moins il te soit permis de faire ce que feist Artémise, laquelle nous lisons avoir esté si fort esmeue de la mort de Mausole, son mari, quelle tumba éthique d’inconsolable douleur. Mais lequel des deus est moins cruel à son corps, celui qui court au cordeau pour se pendre, ou se donne un coup de poignard dans le cœur, ou celui qui se fait languir de dueil & de tristesse ? Mais, quand nous penserions à telles choses, l’Apostre S. Paul nous en retire quand il dit que ceuls sont avec les Gentils aveuglés d’ignorance & destitués de toute espérance qui prennent si grand dueil de la mort de leurs parents & amys que le cœur leur fault & deviennent tous esperdus & transis. Que s’il vous est advis que nous devons pleurer la mort de Marguerite, suivés l’exemple d’Antoine le Piteus, qui institua à Faustine, sa femme morte, pareils honneurs que aux Dieus & luy érigea des statues, ou bien pleurons la comme nous lisons Antimache, poëte Grec, avoir pleuré Lysidice, sa femme, sçavoir est par flébiles élégies qui descrivent & révèlent ses vertus & louenges. Combien toutefois que je ne sçaiche personne, ou tant exercé en éloquence, ou de si près approchant à la dignité d’Homère & à la gravité Maroniane, qui peust mieuls poindre Marguerite au vif qu’elle s’est painte de son propre pinceau, je dy par ses escripts, qui si bien expriment son esprit, sa doctrine, sa foy, sa vie, que plus n’est besoing ériger des statues à celle qui s’est assés fait congnoistre au monde, pour l’ensuivre ne luy faire des honneurs divins, veu qu’elle excedde toute louenge & aujourd’huy jouit de la divinité que le Seigneur Dieu a promis donner après la mort corporelle à tous ceuls qui reposeront leur fiance en luy.

Que cuiddes tu qu’elle te diroit si elle veonoit que tu la déplorasses par féminines pleurs ? Ceuls qui ouirent les propos qu’elle tenoit de l’immortalité de l’Ame & de la béatitude céleste un peu devant qu’elle départist de ce monde, sçavent trèsbien qu’elle craignoit peu la mort, ains qu’elle l’attendoit à visage riant, comme sentant trèsbien qu’elle luy estoit fort proche. Mais il sembleoit qu’elle l’embrasseast comme quelque bonne & joyeuse nouvelle, & la bienvenoit comme si c’eust esté celle qui la venoit delivrer de servitude. Pourquoy donc serons nous envieus contre Marguerite du bien qu’elle avoit si ardemment desiré &, quand elle l’a obtenu, a monstré une merveilleuse joye & liesse ? Si elle estoit encor avec nous & elle fust tourmentée de plusieurs mauls, serions nous marris si elle en estoit delivrée ? Et toutefois Euripide dit que la mort est le souverain remedde de tous mauls ; Æschyle l’appelle médecine des mauls incurables ; Ciceron la nomme libératrice de tous mauls. Qu’est ce Monde aultre chose qu’une grand mair de mauls ; pour quoy desirons nous que de rechief elle soit enveloppée de mauls ? Quand tu la veoiois en son lict malade, bataillante avec la maladie, n’eusses tu voulu que Hippocras ou Galien fussent ressuscités pour luy rendre sa santé ? La Mort, que Sophocle appelle le dernier médecin de toutes maladies, t’a donné ce que tu desirois ; pourquoy maintenant es tu marri qu’elle soit guarie de toutes maladies ? Et, si elle vivoit & tu la veisses enfermée en quelque prison, te seroit il grief de veoir qu’on la vint delivrer ? Thémiste disoit que l’Ame est liée au Corps humain contre Nature & dériveoit la vie de violence pour ce qu’elle est retenue au Corps par force & violence, & Cicéron appelle nostre Corps la prison de l’Ame pour ce que l’Ame, quand elle sort du Corps, en est delivrée comme d’une prison. Se douloir donc de la mort de Marguerite, certes, ce n’est aultre chose que la desirer estre enchesnée en liens perpétuels. Et, si tu l’eusses veu au milieu d’une grande eau dans une petite nacelle pourrie & fendue, agitée çà & là des flots & des vents, t’eust il fait mal si elle feust venue à port ? Qu’est ce Monde sinon, comme dit Chrysostome, une mair enragée qui tous les jours produit & nouveaus & dangereus périls ? Tout y est plein de tumultes, de noises ; il n’y a que des rochiers caichés soubs les eaux, il n’y a que des destours tortus, il n’y a que des grands flocs, il n’y a que des orages & tempestes ; somme, il n’y a que toute horreur & menaces de mort. Et nostre corps est comme une nacelle entr’ouverte, mise au milieu de ceste grand mair, laquelle, si elle n’est régie par un tresexpert Nauchier, qui est la Grâce Divine, ce que reste de salut sera de n’havoir aulcune attente de salut. La Mort a delivré Marguerite de tous ses périls, la Mort l’en a gardée, & pour ceste cause Sotade l’appelle le port de tous les mortels.

Vous permettrés, ô Alençonnois, que j’adjouxte encore quelques aultres raisons qui monstrent clairement que devons plus tost nous resjouir de la mort de Marguerite que nous asseicher de tristesse & mélancholie. Faignons que nous la veoions maintenant, après qu’elle a escouté tout le monde, après qu’elle a signé mille lettres, après qu’elle a medité quelque grave composition, après, dy je, qu’elle a vacqué tant aux publiques occupations qu’à ses privés affaires, estre couchée en son lict, l’ame de laquelle, qui tout le jour a esté diffuse par le corps & respandue aux sens, deschargée de son fardeau, se réunit par un douls dormir & se caiche au dedans, si bien que jamais elle ne fut veue dormir plus doulcement ne plus à son aise. Où est celui de nous qui seroit marri de son repos ? Et, si son Valet de chambre ouvroit la porte à quelques uns qui feissent tel bruit qu’elle s’en eveillast, ne luy dirions nous toutes les injures du monde &, quand elle reposeroit, n’imposerions nous silence à un chascun ? Ne les advertirions nous de marcher tout beau ? Que n’en faisons nous aujourd’huy autant ? Car, si croions à l’Escripture Saincte, Marguerite n’est morte, ains elle dort, & Cicéron est tesmoing qu’il n’y a rien plus semblable à la Mort que le dormir. Cela est confirmé par ce qu’Aristote escript de George, Léontin, qui, estant prochain de la mort, & comme les forces lui défailloient, estant assommé du dormir, fut interrogé que c’est qu’il faisoit, & respondit que le Dormir desjà commenceoit le mettre entre les mains de son frère. Puis donc que Marguerite, après grands & longs travails, maintenant dort, pourquoy faisons nous bruit à son repos ?

Je ne vey onc personne qui fust marri quand elle se prépareoit pour aller à la Court veoir le feu Roy, son frère, & quand, pour ce faire, elle se mettoiten sa lectière. Et qu’est ce que Mort, sinon, comme Platon estime, une certaine permutation & changement de demeure que fait l’ame de ce lieu en un aultre, sçavoir est, comme luy mesmes dit, de ce Monde au Ciel où elle est rendue, l’assemblage d’elle & de son corps disjoint & deffait. Certes, Marguerite est allée à la Court de ce grand Dieu, Empereur & Seigneur de tout le Monde, de la présence duquel elle jouit maintenant en gloire & béatitude éternelle, à laquelle elle aspiroit de tout son cœur quand elle converseoit en ce Monde. Veuls tu la déchasser du Ciel ? Veuls tu la priver des célestes & immortelles joyes ? Veuls tu de tranquilité, de repos, de liberté, de félicité, la rappeller aux peines, aux labeurs, à servitude & à misère ? Longtemps y a qu’elle avoit commencé un voiage difficile, pénible & dangereus ; maintenant elle l’a fait, & ne luy reste plus aucun soing ne solicitude. Vouldrois tu qu’elle eust failly au milieu du chemin ?

Vous sçavés, ô Alençonnois, que toutes ces choses sont véritables, & m’accorderés qu’il est bien aliéné de raison & de certain jugement de lasser son corps & son esprit pour les choses que ne pouvons obtenir, & se tourmenter quand nous avons perdu ce qui est hors d’espérance de recouvrement. Je croy certes que nous vouldrions tous Marguerite revenir en vie par nos pleurs & lamentations, mais qui doubte que cela ne se peut faire ? Nous desirons tous sa présence & vouldrions qu’elle ne fust encor décédée ; toutefois nous ne le devons vouloir. Car qu’est cela aultre chose qu’opposer à la volunté de Dieu nostre volunté, qui toutefois luy doibt estre subgette, comme une chambrière à sa maistresse ? Que voulons nous donc puisque nostre volunté n’ha plus de puissance ? C’est fait.

Mais j’entends, ô Alençonnois, que d’aulcuns y a qui veulent couvrir & défendre leur dueil pour dire qu’ils se lamentent ainsi en mémoire de Marguerite, comme si l’on ne pouvoit autrement faire son devoir vers les trespassés ou célébrer leur mémoire qu’en arrousant leurs monuments de larmes. Mais ceste excusation n’est ne raisonnable, ne recevable, pource que les vertus de Marguerite sont assés suffisantes pour nous remettre en nostre esprit la mémoire d’elle. Nous ne demandons des statues ne de grandes structures de sépulchre pour nous exciter à nous en souvenir ; car c’est à faire à ceuls qui n’hont point heu leur cœur fiché en l’amour des trespassés. Laissons donc les froids & faincts collaudateurs des morts refraischir leur mémoire, ou en lisant les inscriptions des sépulchres ou en regardant les statues qui leur sont érigées, car nous havons tousjours mémoire de la Royne de Navarre. Et, ores que nous en eussions du tout perdu la souvenance, nous havons une aultre chose qui nous la renouvelle, c’est une Princesse ornée de singulière vertu, laquelle quand nous regarderons, l’image de Marguerite se représentera à nos œils.

De ce que nous aimons & souhaitions fort, nous havons incessamment le nom en la bouche, car il récrée nostre esprit, &, si nous veoions quelque chose qui nous excite la mémoire, nous sommes tous consolés & joïeus en la regardant. Or nous desirons de veoir en vie Marguerite de Valois, sœur unique du Roy François & Royne de Navarre, qui estoit le soubstien & appuy des bonnes Lettres, & la défense, refuge & reconfort de toutes personnes désolées, & Dieu nous a laissé une aultre Marguerite de Valois, fille du grand Roy François, sœur unique du trèsprudent & trèsvictorieus Roy de France Henry, studieuse des bonnes Lettres, support des personnes doctes, & trèsliberale Princesse envers un chascun. Elles ne diffèrent de nom, de surnom, de maison, de sang, d’armoiries ; il peut estre que’lles différoient quelque peu en grandeur, car l’une estoit Royne & l’aultre attend encor le tiltre Royal, mais elle est trèsdigne d’estre colloquée, non avec un Roy seulement, mais avec un Monarche & dominateur de tout ce monde. Que si le trèsdébonnaire Dieu nous donneoit, ce que tous espérons & de trèsbon cœur luy demandons, que la Niepce mist sur sa teste la couronne que la Tante a laissée, nous n’haurions plus occasion de regretter Marguerite de Valois, Royne de Navarre. Or, puis qu’ainsi est, je ne veoy plus en quoy nous puissons accuser la Mort qui, nous ostant Marguerite, nous a aussi laissé Marguerite.

Mais jesents Men, ô Alençonnois, où tendent les plainctes que vous faictes contre la Mort, c’est que plus ne veoyés vostre Marguerite en ce Monde, plus ne parlés à elle, car elle est estendue morte en son sépulchre. Serons nous donc de cest advis que celle ne se veoie plus au Monde, l’esprit de laquelle nous est encores présent ? Est donc ainsi de nous absente celle de laquelle les œuvres ne parlent moins avec nous que si elle estoit en nostre compaignie ? Demande à Platon si Marguerite est morte ou vivante ; il te respondra que la Mort n’est qu’un département de ceste vie & un changement d’une telle quelle vie à une aultre, meilleure & plus perfaicte, & le grand Tyrien dira avec luy ce que nous appellons la Mort estre un commencement d’immortalité & procréation de la vie future, les corps mourants ainsi qu’il leur est ordonné, mais les esprits montants à leur lieu & propre siège. Cicéron criera que la mort n’est que changement de vie, non pas destruction, & qu’elle est aux vertueus hommes & vertueuses femmes la guidde qui les meine au Ciel. Christ a confirmé leur sentence, qui appelle dormir ce que nous disons mourir. S. Paul, nous, exhortant que ne soions tristes de la mort des nostres & que n’en menions tel dueil que les Gentils, approuve assés que cents qui sont départis de ce Monde ne sont morts, comme si jamais ne dévoient estre rendus à une milleure vie. Au contraire, il nous donne espérance qu’un jour viendra que ceuls qui se fient en Jésuchrist seront participants de la victoire qu’il a remportée de la Mort, laquelle il a vaincue.

Puisqu’ainsi est, pourquoy pleures tu la mort de Marguerite ? Tu cuiddes par aventure ce corps mort, que tu veois mis à la reverse dans ce sépulchre, estre Marguerite, mais il n’est pas ainsi. Car, comme dit le divin Platon, combien que nous disons l’Homme estre composé du Corps & de l’Ame, si est ce que sa milleure & plus noble partie c’est l’Ame, participante de la raison & de l’immortalité divine. Elle, estant enfermée au Corps comme en une prison, ne demande rien plus sinon que quelcun luy oste le couvercle de son tumbeau affin qu’elle s’en voile à son domicile, qui est le Ciel. Et par ainsi ceste masse de chair que tu veois sans âme, ce n’est Marguerite ; car Marguerite estoit invisible, ainsi que l’esprit de sa nature ne se peut veoir. Quand donc tu veois son corps, tu veois bien le sépulchre de Marguerite vuidde ; tu veois l’apparence que Marguerite y a esté ; tu y veois la dépouille de Marguerite, je dy son corps, duquel elle a esté en ce Monde enveloppée. Car nostre corps, comme le Tyrien dit, n’est qu’un gros, vil & usé manteau que Marguerite a despouillé, estant invitée à ce banquet nuptial que le Seigneur doibt là hault faire aux siens, affin de vestir la robbe nuptiale de laquelle quiconques ne se reparera, sera chassé de ce banquet & envoié aux profondes ténèbres.

Que si nous n’havons aulcun aultre remedde contre la douleur que la mort de Marguerite nous peut causer, toutefois si nous doibt cela appaiser qu’ores qu’elle soit morte de corps, toutefois elle veit encor aujourd’huy en sa fille Jheanne, Princesse de Navarre & Duchesse de Vendosmois, qui si bien nous représente la vive image de sa mère que, s’il fault adjouxter quelque foy à la renaissance des Pythagoriens, nous devrons dire l’esprit de la mère estre entré au corps de la fille. L’arbre n’est mort qui, encor qu’il soit couppé, ha toutefois des racines qui rejettent. Ainsi Marguerite ne peut estre morte à qui une fille est demeurée, l’infance de laquelle, par une nouvelle & rare indole, nous monstreoit des scintilles de prudence, de modération, de doulceur, d’intégrité, de piété, & maintenant en sa jeunesse la grande affluence de ses vertus respond à ceste magnifique espérance que la première herbe de sa petite aige nous présentoit, en sorte que ne devons plus doubter qu’elle déçoive la publique espérance d’elle, ains plustost devons attendre qu’estant venue à la maturité de son aige satisfera abondemment au grand desir de tout le Monde.

Or Nature nous a donné, pour ostage & pour gaige de nostre espérance, la singulière beaulté dont elle l’a douée, non seulement pour la faire l’une des plus excellentes femmes de son siècle, mais pour nous donner aussi un certain signe qu’elle a employé toutes ses forces pour forger en Jheanne un trèsparfaict ouvrage. Car, comme dit Platon, la grande beaulté du corps tesmoigne la beaulté de l’esprit ; si nous croions Plutarche, la beaulté corporelle n’est aultre chose que l’œuvre de l’âme, tesmoignante qu’elle ha en son vaisseau ses actions libres.

Puis donc qu’il est trèsmanifeste que Marguerite ne peut mourir, il nous convient prendre garde que ne soions enervés de pleurs comme les femmes & que soions condamnés par les Stoïques &, en passant oultre les limites de constance, nous donnons a cognoistre par nostre dueil que la félicité de Marguerite nous desplaist & que nous avons pour arresté en nostre esprit que l’homme par la Mort est si bien destruict que du tout il tourne à néant. Car tous ceuls qui prennent une si grande tristesse de la mort des leurs qu’ils aiment mieuls désécher de continuel ennuy que de recevoir consolation & mettre devant leurs yeuls les grands biens que la Mort avec soy nous apporte, ceuls là, dy je, pensent avec les Epicuriens que ce qui ne se veoit point n’est rien, & avec cela ne croyent que les Ames demeurent, estant séparées de leurs corps. Mais, puisque les Philosophes de milleur advis & tous ceuls qui ont quelque jugement, & ceuls aussi qui se sont fait escrire au rolle des Chrestiens, hont un aultre opinion, je vous pry, ô Alençonnois, que nous mettons toute tristesse, dueil & mélancholie hors de nostre esprit, &, puis qu’il nous est indubitable que la Mort ne se peut éviter, ne par faveur, ne par aide, ne par prière, ne par aulcun moyen, & que le jour de la Mort viendra lors que n’y penserons point, soions vigilants affin que ce jour là ne nous surprène despourveus.

Et, si ce pendant nous voulons faire mémoire de Marguerite, comme certes doibt celle à perpétuelle mémoire estre consacrée qui, depuis que les hommes sont hommes, n’a heu sa pareille en perfection, louons en premièrement Dieu & le remercions de quoy lui a pleu illustrer sa créature de grands dons de ses grâces. Après, suivons à nostre possible les admirables vertus de Marguerite, & prenons exemple à la vie de celle que nous confessons tous ne pouvoir estre assés suffisamment louée. Car nous racompteons & loueons en vain de bouche & par escript les grandes & nobles vertus des illustres personnes si de faict regettons la vertu, car ce n’est pas lorsque les gents vertueux sont à la vérité aymés, prisés & honorés, quand nous les pleureons après leur mort ou que nous récitons leurs louables dicts & magnanimes gestes, mais quand nous suivons leur trace & que nous appliquons nostre esprit à vertu, de laquelle ils ont acquis toute louenge immortelle.

fin.

(Le premier chiffre se rapporte aux pages de l’édition originale,
le second aux pages de cette réimpression.)


Première institution des louenges pour les prouesses des hommes. 1-23.

Rémunération des vertueux gestes. 1-23.

La louenge des vertueux vivants a esté l’origine des louenges des trespassés. 1-24.

Les Athéniens. 2-24.

Les Grecs. 2-24.

L’usaige des Romains à la louenge des trespassés. 2-24.

Coustume des Indiens aux louenges funèbres. 2-24.

Coustume des Ægyptiens aux funérailles. 2-25.

Le Grand Prebstre des Ægyptiens. 3-25.

La cérimonie des Ægyptiens aux funérailles de leurs Roys. 3-25.

Contre les flatteurs des trespassés. 3-25.

Le profit des Oraisons funèbres. 4-26.

Ordonnance de la Loy des douze tables sur les funérailles des morts. 4-26.

Note, lecteur, que ceste Oraison fut faicte XV jours après la mort de la Royne de Navarre, pour la prononcer à Alençon. 4-26.

Marguerite de France, Royne de Navarre. 5-26.

Ordonnance de la Loy des douze tables. 5-26.

Confutation de ceuls qui disent les femmes ne devoir estre publiquement louées. 5-27.

Arrest du Sénat de Romme à la faveur des femmes. 6-27.

Crasse loua sa mère & Jules César sa femme après leur mort. 6-27.

Les bienfaicts de la Royne de Navarre vers S.-Marthe. 7-28.

L’obéissance des Alençonnois vers la Royne de Navarre, leur Duchesse. 8-29.

Euripide, de Noblesse. 8-29.

La vertu est seule la vraye noblesse. 8-29.

La noblesse du sang est une bonne marque entre les hommes. 9-30.

La vertu est meilleure au sang noble. 9-30.

Mécène support des Lettres. 9-30.

La Royne de Navarre a illustré sa noblesse. 10-30.

Généalogie de la Royne de Navarre. 10-30.

Charles, père de la Royne de Navarre, Conte d’Engoulesme. 10-31.

Noblesse, selon Simonide. 11-31.

Noblesse, selon Plutarche. 11-32.

Contre les gentillastres d’aujourd’huy. 11-32.

La vraye Noblesse se monstre aux mœurs. 12-32.

Similitude. 12-32.

La faulse Noblesse se cognoit à la fréquentation. 12-32.

La Royne de Navarre fut vrayment noble. 13-33.

La noblesse du corps doit estre joincte à la noblesse de l’âme. 13-33.

Les mœurs tesmoignent la Noblesse. 13-33.

Indole de la Royne de Navarre. 13-33.

L’infance de la Royne de Navarre. 14-33.

Loys & Charles, noms des Princes. 14-34.

Confutation de ceuls qui se mocquent de l’imposition des noms. 14-34.

Platon. 14-34.

Souvent les noms se donnent selon le vœu des impositeurs. 14-34.

Théophile. 15-34.

Le nom est la paincture de la substance des choses. 15-34.

Les noms souvent sont plains de mystères. 15-35.

Le nom de Jésus. 16-35.

Les choses belles doivent havoir beau nom. 16-35.

Le nom de la Royne de Navarre. 16-35.

Marguerite pour pierre précieuse. 16-35.

Les perfections des marguerites. 16-35.

La parolle de Dieu est appellée marguerite & pourquoy. 17-36.

Pourquoy la marguerite est nommée union. 17-36.

Perle, en langue françoise. 17-36.

La Royne de Navarre a esté une perle. 17-36.

Les vertus des perles en Médecine. 17-36.

La Royne de Navarre devoit estre le port des affligés. 18-36.

La Royne de Navarre devoit estre le secours des nécessiteux. 18-37.

La Royne de Navarre devoit estre le support & advancement des gents de basse condition. 18-37.

La Royne de Navarre n’a esté nourrie en volupté. 19-37.

Les mœurs de la Royne de Navarre. 19-37.

Coustumes des Perses à l’institution de leurs enfants. 19-38.

L’institution de la jeunesse du jour d’huy est toute corrompue. 20-38.

La bonne éducation fait les bons esprits. 20-39.

Loyse, mère de la Royne de Navarre, faict office de sage femme. 20-39.

Charles, Conte d’Engoulesme, père de la Royne de Navarre, estoit pauvre. 20-39.

Exemple pour les pères & les mères. 21-39.

Contre ceuls qui se soucient du corps de leurs enfants & ne font compte des esprits. 21-39.

Institution de la Royne de Navarre. 22-40.

Notent cecy tous ceuls qui hont des enfants. 22-40.

Maistresse de mœurs donnée à la Royne de Navarre. 22-40.

Monsieur Castellanus, Evesque de Mascon. 22-40.

Monsieur Pierre Galland, Lecteur du Roy, à Paris. 23-40.

La nourriture de la Royne de Navarre. 23-40.

La Royne de Navarre heut des Précepteurs domestiques. 23-41.

L’institution de la Royne de Navarre dès sa première jeunesse. 23-41.

Platon de l’heur des Républiques. 24-41.

Confutation de ceuls qui se mocquent que les Princes estudient en Philosophie. 24-41.

Les Sophistes. 24-42.

D’où vient que le tiltre de Philosophe est aujourd’huy odieus. 24-42.

Qui sont ceuls que Philosophie rend fols. 25-42.

Il est icy prové par plusieurs raisons que la Philosophie est très nécessaire aux Princes. 25-42.

Le profit de Philosophie. 25-42.

Qui veult régenter aultruy se doibt le premier régenter. 25-43.

Philosophie rend les Princes establisseurs de bonnes lois. 26-43.

Que c’est Philosophie. 26-43.

La Royne de Navarre fut instruicte en Philosophie. 26-43.

La Philosophie Evangélique. 27-44.

L’Esprit de Dieu se manifeste dans la Royne de Navarre. 27-44.

Charles, aujourd’huy Empereur, demanda en mariage la Royne de Navarre estant encor fille. 27-44.

La Royne de Navarre en premières nopces espousa Charles, Duc d’Alençon. 28-44.

Françoise d’Alençon, Duchesse de Beaumont. 28-44.

Messeigneurs les Enfants de Vendosme. 28-45.

La généalogie de Charles, Duc d’Alençon. 29-45.

La Maison d’Alençon, descendue du Roy S. Louys. 29-45.

La Royne de Navarre n’heut enfants du Duc d’Alençon. 29-45.

Second mariage de la Royne de Navarre au Roy Henry. 29-45.

La mort de Jhean, Prince de Navarre. 29-45.

Monseigneur Antoine, Duc du Vendosmois, & Messieurs ses Frères. 29-45.

Heureuse conjunction de Monseigneur de Vendosme avec Madame la Princesse de Navarre. 30-46.

Les Ambassades de toutes nations peuvent porter tesmoinage des vertus & de la bonté de la Royne de Navarre. 31-47.

Le jugement qu’a fait l’Empereur de la Royne de Navarre. 31-47.

La Royne de Navarre alla jusques en Hespaigne après le feu Roy, son frère. 32-47.

Platon. 32-47.

Exemples de celles qui ont esté pitoyables vers leurs frères. 32-48.

Exemples de ceuls qui se sont exposés à la mort pour leur patrie. 38-48.

La charité du feu Roy François & de la Royne de Navarre vers France. 38-48.

La Royne de Navarre se mist à la miséricorde de l’Empereur. 33-49

Exemples des libérateurs des hommes. 34-49.

La Royne de Navarre a brassé le mariage du feu Roy & de la Royne Aliénor. 34-49.

Aliénor, Royne Douairière de France. 34-49.

La mort des enfants est dure aux pères & mères. 34-49.

Exemples de ceuls qui ont constamment porté la mort de leurs enfants. 35-49.

La Royne de Navarre, ayant perdu son fils unique, se monstra très magnanime. 35-50.

La Royne de Navarre, son fils mort, feist chanter Te Deum. 35-50.

On doibt pleurer ceuls qui viennent au monde & se réjouir des morts. 36-50.

Coustume des Thraces digne d’estre notée. 36-50.

Les Chrestiens doivent estre plus forts & constants que les Ethniques. 36-51.

Immortalité & vie éternelle après la mort. 36-51.

Note icy, ô Lecteur, une mémorable histoire de la magnanimité de la Royne de Navarre. 38-52.

Madame la Séneschalle de Poictou. 38-53.

Veoy icy la piété de la Royne de Navarre. 39-53.

Ô response inspirée du S. Esprit. 39-53.

Tous les propos de la Royne de Navarre n’estoient que de Dieu. 40-54.

Note icy une chose miraculeuse. 40-54.

Nicolas d’Anguye, Evesque de Mande. 41-55.

Prudence de Monsieur de Mande. 42-55.

Vivre avec Dieu. 42-55.

La Royne de Navarre par sa foy impétra de Dieu santé pour sa fille. 42-56.

Exemples de ceuls qui ont esté patients. 43-56.

Les détracteurs de la Royne de Navarre. 44-57.

Toute la défense de la Royne de Navarre estoit en patience. 44-57.

La Royne de Navarre priea le Roy, son frère, pour ses ennemis. 45-57.

Exemple d’une ingratitude inouye. 45-58.

Impudence, fille d’Ingratitude. 46-58.

La loy des Perses contre les ingrats. 46-58.

Royalle sentence d’Alexandre. 46-59.

Ô chrestien cœur de la Royne de Navarre. 47-59.

Le désir de vengence doibt estre mis hors du cœur des Princes. 47-59.

Homère appelle les Princes douls pères de leurs subjects. 48-60.

Humilité. 48-60.

Exemple de l’humilité de Trajan & Vespasian, Empereur. 48-60.

Les Princes sont Vicaires & Ministres de Dieu. 49-60.

Les conditions d’un Prince sans entendement. 49-61.

La Royne de Navarre se monstroit accessible à toutes personnes. 50-61.

La Royne de Navarre consoleoit toutes sortes de gents affligés. 50-61.

La Royne de Navarre visiteoit les malades. 50-62.

La Royne de Navarre faisoit ses aulmosnes en secret. 51-62.

La Royne de Navarre vouloit entendre les affaires des veufves, des orphelins & pauvres. 51-62.

La Royne de Navarre s’appeloit ministre des pauvres. 51-63.

La Royne de Navarre ne refuseoit personne de lettres de faveur. 52-63.

Jehan Frotté, Secrétaire des Finances de la Royne de Navarre. 52-63.

Le debvoir d’un sage Prince. 53-64.

La Royne de Navarre avoit conjoinct avec son humilité une gravité de Princesse. 53-64.

Le Prince ne doibt reprendre personne par courroux & injures. 54-64.

Note de quelle prudence usoit la Royne de Navarre à la castigation des faillants. 54-64.

On ne doibt retirer les Princes de miséricorde. 55-65.

La Royne de Navarre faisoit garder un tempérament à la punition des délicts. 55-65.

La Royne de Navarre ne souffroit en sa Maison des personnes vitieuses. 56-66.

La Royne de Navarre servoit d’exemple aux siens. 56-66.

Continence, fundement des Vertus. 56-66.

À veoir la grande frugalité de la Royne de Navarre, on ne l’eust prise pour Royne. 57-67.

En quoy consiste la magnificence d’un Prince. 57-67.

Tous ceuls cy haïssoient à mort les gents gras. 57-67.

Desquelles voluptés la Royne de Navarre useoit. 58-68.

Modérer les voluptés. 58-68.

Les viandes doivent estre confites de propos joyeus. 58-68.

Parolles oisifves. 59-68.

Ce qui est deshonneste à faire est deshonneste à dire. 59-68.

Le Prince ne doibt tenir propos que de choses graves. 59-69.

Messieurs Schyron, Cormier, Esterpin, Médecins de la Royne de Navarre. 60-69.

M. Gérard Leroux, Evesque d’Oloron. 60-69.

Histoire d’un Gentilhomme, qui décria la Royne de Navarre pour

l’avoir ouye disputer à table de la Saincte Escripture. 60-70.

Régin, Maistre des Requestes de la Royne de Navarre. 61-70.

Cecy est dict à ceuls qui vivent ainsi & qui deshonorent le titre de Noblesse. 62-71.

La noblesse du corps sans celle de l’esprit n’est qu’une umbre de Noblesse. 63-71.

Icy sont défendus les gents de Robbe longue contre ceuls qui les mesprisent. 63-72.

La bouche exprime le cœur. 64-73.

La Royne de Navarre se taisoit devant son mary. 64-73.

Le Roy de Navarre amateur des lettres. 64-73.

Le Seigneur Borbonius, instituteur de Madame la Princesse de Navarre. 65-73.

L’ofice d’une sage femme. 65-73.

La Royne de Navarre est un miroir d’obéissance à toutes femmes. 66-74.

Contre les babillardes. 66-74.

La Vénus de Phidie. 67-75.

La femme doibt garder silence devant son mary. 67-75.

La femme doibt honorer son mary. 67-75.

Les occupations de la Royne de Navarre sur jour. 68-76.

Exemple mémorable qui tesmoigne quel esprit havoit la Royne de Navarre. 68-76.

Il y a des choses propres aux hommes, les aultres propres aux femmes, les aultres communes à tous les deus. 69-77.

Il est icy monstré que les femmes peuvent lire les livres. 70-77.

Bref catalogue des femmes sçavantes. 70-77.

Pythagore a instruit sa fille & sa sœur en Philosophie. 70-77.

Socrate auditeur des femmes. 70-78.

Les femmes poëtes. 71-78.

Confutation de ceuls qui veulent chasser les femmes de la lecture des lettres Sainctes. 71-78.

L’Esprit de Dieu inspire les femmes comme les hommes. 72-79.

Catherine de Sènes. 72-79.

Hildergarde d’Alemaigne. 72-79.

La Royne de Navarre fait foy par ses œuvres combien elle avoit proffité aux Sainctes Lettres. 73-79.

Les femmes qui ont esté Théologiennes & ont escrit de nostre Religion. 73-80.

Les Poëtes Chrestiens. 73-80.

Mécène, patron des Lettres. 74-81.

Luculle fut très libéral vers les gents de Lettre. 74-81.

La maison de la Royne de Navarre a esté ouverte à toutes nations. 74-81.

Monsieur Brinon, Chancelier d’Alençon. 75-81.

Monsieur Olivier, Chancelier de France, auparavant Chancelier d’Alençon. 75-81.

Monsieur Groslot, dernier Chancelier d’Alençon. 75-81.

Messieurs Dulyon, Prévost, Boileau, Conseillers de Paris & de l’Eschiquier d’Alençon. 76-82.

Monsieur Du Pac, Président de Béarn, Maistre des Requestes de la Royne de Navarre. 76-82.

Messieurs les Maistres des Requestes & Conseillers de l’Eschiquier & Conseil d’Alençon. 77-33.

La Royne de Navarre honoreoit ses serviteurs gens d’honneur. 77-83.

Le Prince doibt honorer ceuls qui le méritent. 78-84.

La Royne de Navarre ne vendoit les estats & offices de Judicature. 78-84.

L’inconvénient qui arrive aux Républiques par la vendition des offices de Justice. 79-84.

Contre les gents ambitieus. 79-84.

Cecy est dit contre les maulvais Magistrats. 79-85.

Comment & pour quelles causes peut un Prince vendre les offices de Judicature. 80-85.

Le Prince doibt de son gré user de libéralité vers ses subgets. 81-86.

La Royne de Navarre sert icy d’exemple à toutes personnes qui hont des serviteurs. 82-87.

Comment le maistre doibt traicter son serviteur. 82-87.

Le devoir de la Royne de Navarre envers ses serviteurs. 83-87.

Exemples d’aulcuns miséricordieus. 83-88.

La Royne de Navarre estoit en France le port & refuge de tous les désolés. 84-88.

La communité de Platon est icy interprétée contre les Anabaptistes. 85-89.

Confutation des calumniateurs de la Royne de Navarre, disants qu’elle faisoit du bien à ceuls qui ne le mériteoient. 85-89.

Catalogue d’aulcuns avaritieus. 86-90.

Notable response d’Aristote. 86-90.

Comme Dieu fait du bien aux bons & aux maulvais, ainsi doibt faire le Prince. 86-90.

Aultre confutation des calumniateurs qui disent que la Royne de Navarre ne faisoit du bien qu’à certains particuliers. 87-91.

La sage response d’Artaxerse, Roy de Perse. 87-91.

Les Amazones. 88-92.

Comparation des Amazones & de la Royne de Navarre. 89-92.

Les armes de la Royne de Navarre. 90-93.

Les ennemis de la Royne de Navarre & la victoire d’elle sur euls. 90-94.

La victoire de ses affections 91-94.

Confutation de ceuls qui veulent charger la Royne de Navarre de certaines imperfections. 91-95.

La vertu monstrée, le vice est aussi monstré. 92-95.

Objection des détracteurs. 93-96.

Aultre objection des détracteurs. 94-96.

Croire trop de légier est chose dangereuse. 94-96.

Le sexe féminin est excusable. 95-97.

Exemples de grants personnages qui ont failly. 95-97.

Les sainctes personnes mesmes ont failly. 95-98.

Nos faultes ne se doivent excuser sur celles d’aultruy. 96-98.

Simplicité est fort recommandée en la Saincte Escripture. 97-99.

Simplicité, pour un cœur ouvert, candide & qui n’ha rien fainct. 97-99.

La grande simplicité de la Royne de Navarre. 98-99.

Aultre objection des détracteurs confutée. 98-100.

Icy est la confutation de la précédente objection. 99-100.

La Royne de Navarre est défendue contre ses détracteurs. 99-101.

La Royne de Navarre esprouvoit les esprits des personnes. 100-101.

La Royne de Navarre chasseoit d’emprès elle ceuls qu’elle congnoissoit mal sentir de la foy. 100-101.

La vie de la Royne de Navarre tesmoignoit de sa foy. 100-102.

Les escripts de la Royne de Navarre tesmoignent aussi de sa foy. 101-102.

Mourir en Dieu. 101-102.

Le S. Esprit n’est habitant au cœur des impies. 102-103.

Ô heureuse fin de la Royne de Navarre. 102-103.

Le S. Esprit assiste à la mort des fidèles. 102-103.

Le feu Roy Françoys & la Royne de Navarre s’entr’aymeoient fort. 103-104.

La Royne de Navarre fut advertie en son dormant de la mort du feu Roy son frère. 103-104.

Thomas le Coustelier, Secrétaire de la Royne de Navarre. 104-104.

La mort du feu Roy fut divinement anuncée à la Royne de Navarre. 104-104.

Magnanimité de la Royne de Navarre. 104-105.

Le songe que fist la Royne de Navarre avant la maladie dont elle est morte. 104-105.

Confutation de ceuls qui se mocquent des songes. 105-105.

Les Philosophes adjouxtent foy aux songes. 105-105.

Un trespassé révéla par songe sa mort à son compaignon. 105-106.

Une femme divina la mort de son mary à l’aspect d’une chienne. 106-106.

Socrate divina par son songe le jour de sa mort. 106-106.

Les Chrestiens ne nieront les songes servir de divination. 107-107.

Les songes de la Saincte Escripture. 107-107.

Les songes des yvroignes. 107-107.

Le S. Esprit, interprète des songes. 107-108.

Les Épicuriens & Athéistes se mocquent des songes. 107-108.

La Royne de Navarre préveoioit sa mort. 107-108.

Similitude d’une esmeraude. 109-109.

Les personnes vivantes nous ne pouvons bien congnoistre de quoy ils nous servent. 109-109.

La mort de la Royne de Navarre en a laissé plusieurs orphelins. 110-109.

La Royne de Navarre aymoit fort les Alençonnois. 110-109.

La grand perte que les Alençonnois ont faicte à la mort de la Royne de Navarre. 111-110.

Il fault permettre à l’humanité de s’émouvoir de la perte des siens. 111-110.

L’amour de Alceste vers son mary. 112-111.

L’amour de Laodamie vers Protésilae. 112-111.

Exemples d’aulcuns qui se deffirent de deuil. 112-111.

Portie, femme de Brute. 112-111.

L’amour de Artémise vers Mausole son mary. 113-112.

Le Chrestien ne doibt suivre le désespoir des Ethniques. 113-112.

La piété de l’Empereur Anthoine vers Faustine sa femme. 113-112.

La Royne de Navarre n’ha besoing de statues pour estre immortelle. 114-112.

La Royne de Navarre monstra assés, devant que mourir, qu’elle ne craignoit la mort. 114-113.

La mort est le remède de touls mauls. 114-113.

La mort est le dernier médecin de toutes maladies. 115-113.

La vie est déduicte de violence. 115-113.

Le corps est la prison de l’âme. 115-114.

Ce monde est une mair de mauls. 115-114.

Certaines aultres raisons pourquoy l’on ne doibt pleurer la mort de la Royne de Navarre. 116-114.

Puys que la mort n’est qu’un dormir, la Royne de Navarre dort. 117-115.

La mort n’est qu’une permutation de demeure. 117-115.

Pleurer la Royne de Navarre est la désirer retourner à misère. 118-116.

La vie de ce monde est un voïage périleus. 118-116.

Nostre volunté doibt estre soubmise à la volunté de Dieu. 118-116.

Les vertus & les escripts de la Royne de Navarre nous excitent à havoir souvenance d’elle. 119-116.

Madame Marguerite, fille du Roy François, sœur unique du Roy Henry Très Chrestien. 120-117.

La Royne de Navarre est encore avec nous en esprit & par ses œuvres. 121-118.

La mort est un changement de vie. 121-118.