L’Heptaméron des nouvelles/Nouvelle 20

Texte établi par Claude Gruget, Vincent Sertenas (p. 76r-77v).

d'arbres ployez, qui eftoit vn lieu tant beau & plaiſant qu'il n'eftoit poſsible de plus, entra ſoudainement dedans, com- me celuy à qui tardoit de veoir ce qu'il aimoit. Mais il trou- ua à ſon entrée la damoiſelle couchée fur l'herbe, entre les bras d'vn pallefrenier de fa maiſon, auſsi laid, ord, & infame, que le gentilhomme eftoit beau, honnefte,& amiable. Ie n'en- treprends pas de vous depeindre le defpit qu'il eut : mais il fut fi grand, qu'il eut puiſſance d'efteindre en vn moment le feu fi embraſé de long temps. Et autant remply de defpit qu'il a uoit eſté d'amour, duy dift: Ma dame, prou vous face: auiour- d'huy par voftre mefchanceté cogneuë, fuis guary & deliuré de ma continuelle douleur, dont l'honnefteté que i'eftimois en vous eftoit occaſion. Et fans autre à Dieu fen retourna plus vifte qu'il n'eftoit venu. La pauure femme ne luy feit autre refponfe, ſinon de mettre la main deuant ſon viſage: car puis qu'elle ne pouuoit couurir fa honte, elle couuroit ſes yeux pour ne veoir celuy qui la voyoit trop clairement, nonobſtant fa longue diſsimulation. Parquoy, mes dames, ie vous ſupplie,fi n'auez vouloir d'ai- mer parfaitement, ne penſez pas diſsimuler à vn homme de bien, & luy faire defplaifir pour voftre gloire: car les hypocrites font payez de leur loyer,& Dieu fauorife ceulx qui aiment par- faictement. Vrayement, dift Oifille, vous nous l'auez gardée bōne à la fin de la iournée.Et fi n'eftoit que nous auons iuré de dire la verité,ie ne fçaurois croire qu'vne femme de l'eftat dot elle eftoit,fceuft eftre fi mefchante de laiſſer vn fi honnefte gen tilhomme pour vn fi vilain mulletier. Helas! ma dame, fi vous fçauiez,dift Hircan,la difference qu'il y a d'vn gétilhomme,qui a toute la vie porté le harnois & fuiuy la guerre, au pris d'vn varlet fans bouger d'vn lieu bien nourry,vous excuſeriez ceſte pauure vefue. Ie ne croy pas Hircan,dift Oifille, quelque choſe que vous en dietes, que vous puissiez receuoir nulle excuſe d'elle, l'ay bien ouy dire, dift Simontault, qu'il y a des femmes qui veulent auoir des Euangeliftes,pour prefcher leur vertu & leur chaſteté, & leur font la meilleure chere qu'il leur eſt pofsi- ble, & la plus priuée, les affeurans que fi la conſcience & l'hon- neur ne les retenoient, elles leur accorderoient leurs defirs. Et les pauures ſots,quand en compaignie ils parlent d'elles,iurent qu'ils qu'ils mettroient leur doigt au feu fans brufler, pour fouftenir qu'elles font femmes de bien, car ils ont experimenté leur a- mour iufques au bout. Aufsi ſe font louër par tels honneftes hommes celles qui à leurs ſemblables ſe monftrēt telles qu'el- les font, & choiſiſſent ceulx qui ne fçauent auoir hardieſſe de parler:& fils en parlent pour leur vile & orde condition ne ſe- roient pas creuz. Voila, dift Longarine, vne opinion que i'ay autresfois ouy dire aux plus ialoux & ſoupçonneux hommes, mais c'eſt peindre vne chimere:car combien qu'il ſoit aduenu à quelque pauure malheureuſe,fi eſt ce choſe qui ne ſe doit fou- pçonner en autre. Or tant plus auant nous entrons en ce pro- pos, dift Parlamente,& plus ces bons ſeigneurs icy drapperont fur la tiſſure, & tout à noz defpens. Parquoy mieulx vault aller Couyr les vefpres, à fin que ne ſoyons tant attendues que nous fufmes hier. La compaignie fut de ſon opinion, & en allant, Oifille leur dift: Si quelqu'vn de nous red graces à Dieu,d'auoir à ceſte iournée diet la verité des hiſtoires que nous auons ra- comptées,Saffredent luy doit demander pardon,d'auoir reme- moré vne fi grande villennie contre les dames. Par mon fer- ment, dift Saffredent, combien que mon compte ſoit verita- ble, fi eſt-ce que ie l'ay ouy dire. Mais quand ie vouldrois faire le rapport du cerf à veuë d'oeil, ie vous ferois faire plus de fi- gnes de la croix de ce que ie fçay des femmes,que lon n'en faict. àfacrer vne eglife. C'eſt bien loing de ſe repentir,quand la con- ſeſsion aggraue le peché. Puis qu'auez telle opinion des fem- mes,dift Parlamente, elles vous doiuent priuer de leur honne- fteté, entretenement, & priuauté. Mais il luy refpondit:aucunes ont tant vfé en mon endroit du conſeil que vous leur don- nez, en m'eflongnant & feparant des choſes iuftes & honne- ftes, que fi ie pouuois dire pis, & pis faire à toutes, ie ne m'y ef- pargnerois pas, pour les inciter à me venger de celle qui me tient vn fi grand tort. En diſant ces parolles, Parlamente meift ſon touret de nez,& auec les autres entra en l'eglife,ou ils trou- uerent vespres tresbien ſonnées, mais ils n'y trouuerent pas vn des religieux pour les dire, pource qu'ils auoient entendu que dedans le pré faffembloit ceſte compaignie,pour y dire les plus plaiſantes choſes qu'il eftoit poſsible: & comme ceulx qui ai- moient mieulx leurs plaiſirs que leurs oraiſons, feſtoient allé cacher dedans vne foſſe, le ventre contre terre, derriere vne haye fort efpeffe. Et lá auoient fi bien efcouté les beaux com- ptes, qu'ils n'auoient point ouy ſonner la cloche de leur mo- naftere. Ce qui parut bien, car ils arriuerent en telle haſte, que quaſi l'aleine leur failloit à commencer vefpres. Et quand elles furent dictes, confefferent à ceulx qui leur demandoient l'occa fion de leur chant tardif, & mal entonné, que ce auoit eſté par les efcouter. Parquoy voyant leur bonne volonté,leur fut per- mis que tous les iours ils afsifteroient derriere la haye, aſsis à leur aiſe. Le fouppé ſe paſſa ioyeufement, en releuant les pro- pos qu'ils n'auoient pas mis à fin dans le pré, qui durerent tout le long de la foirée, iufques à ce que Oifille les pria de ſe reti- rer, à fin que leur eſprit fuft plus prompt le lendemain. Et a- pres vn bon & long repos, dont elle difoit qu'vne heure auant mynuict valloit mieux que trois apres,ſe partit ceſte copaignie, mettant fin au ſecond diſcours & recit d'hiſtoires.

FIN DE LA DEVXIES ME IOVRNEE DES NOV VELLES DE LA ROYNE DE NAVARRE,

LA TROIS