L’Heptaméron des nouvelles/Dédicace
A TRESILLVSTRE, ET TRESVERTVEVSE PRINCESSE, MA DAME Ieanne de Foix, Royne de Nauarre, Claude Gruget, ſon treshumble ſeruiteur, deſire ſalut & felicité.
e ne me fuſſe ingeré, ma
dame, vous preſenter ce liure des
nouuelles de la feuë Royne voſtre
mere, ſi la premiere edition n’euſt
obmis ou celé ſon nom, & quaſi
changé toute ſa forme, tellement
que pluſieurs le meſcognoiſſoient :
Cauſe, que pour le rendre digne
de ſon auteur, auẞi tost qu’il fut
diuulgué, ie recueilly de toutes
parts les exemplaires, que i’en peu recouurer, eſcrits à la main,
les verifiant ſur ma copie : & feis en ſorte, que ie le reduyſy
au vray ordre qu’elle l’auoit dreẞé. Puis ſous la permiſsion
du Roy, & voſtre conſentement, il a eſté mis ſur la preſſe,
pour le publier tel qu’il doit estre. En quoy me reuient en memoire,
ce que le Comte Baltazar dict de Boccace en la preface
de ſon Courtiſan, que ce, qu’il feit en ſe ioüant, ſcauoir
est ſon Decameron, luy a porté plus d’honneur, que toutes ſes
autres œuures Latines, ou Tuſcanes, qu’il estimoit les plus ſerieuſes.
Auſsi la Royne, vray ornement de nostre ſiecle (de laquelle
vous ne forlignez, en l’amour & cognoiſſance des bonnes lettres)
en ſe ioüant ſur les actes de la vie humaine, a laiſsé ſi belles
inſtructions qu’il n’y a celuy, qui n’y trouue matiere d’erudition : & ſi a (ſelon tout bon iugement) paſsé Boccace, es beaux
diſcours qu’elle faict, ſur chacun de ſes comptes. Dequoy elle merite
louënge, non ſeulement par deſſus les plus excellentes dames,
mais auſsi entre les plus doctes hommes : car de trois ſtiles d’oraiſon,
deſcrits par Ciceron, elle a choiſy le ſimple, ſemblable à celuy
de Terence en Latin, qui ſemble à chacun fort aisé à imiter, mais
à qui l’experimẽte, riẽ moins. Vray eſt, que tel preſent ne vous ſera
point nouueau, & ne ferez que le recognoistre par heredité maternelle :
toutesfois, ie m’aſſeure que le receurez bien, pour le veoir
par ceste ſeconde impreſsion, remis en ſon premier estat : car (à ce
que i’ay peu entendre) la premiere vous deſplaiſoit : non que celuy,
qui y auoit mis la main, ne fuſt homme docte, qu’il n’y ait prins
peine, & ſi eſt aisé à croire, qu’il ne l’a voulu deſguiſer ainſi, ſans
quelque occaſion : neantmoins ſon trauail s’eſt trouué peu agreable.
Ie le vous preſente donc, ma dame, non pour part que i’y pretende,
ains ſeulement comme l’ayant demaſqué, pour le vous rendre
en ſon naturel. C’eſt à voſtre Royale grandeur de le fauoriſer,
puis qu’il est ſorty de voſtre maiſon illuſtre : auẞi en a il la
marque ſur le front, qui luy ſeruira de ſauf-conduict par tout
le monde, & le rendra bien-venu es bonnes compagnies. Quant
à moy, recognoiſſant l’honneur que me ferez, à receuoir de ma
main ce labeur de l’auoir remis à ſon poinct, ie me fentiray perpetuellement
obligé à vous faire treshumble ſeruice.