SOIXANTE CINQUIESME NOUVELLE


La fausseté d’un miracle, que les Prestres Sainct-Jean de Lyon vouloient cacher, fut découverte par la connoissance de la sottise d’une vieille.


n l’église Sainct-Jehan de Lyon y a une chappelle fort obscure, & dedans ung Sépulcre faict de pierre à grans personnages eslevez comme le vif, & sont à l’entour du sépulcre plusieurs hommes d’armes couchez.

Ung jour, ung souldart se pourmenant dans l’église au temps d’esté qu’i faict grand chault, luy print envye de dormyr, &, regardant ceste chappelle obscure & fresche, pensa d’aller garder le Sépulcre, en dormant comme les aultres, auprès desquels il se coucha. Or advint il que une bonne vieille fort dévote arriva au plus fort de son sommeil &, après qu’elle eust dist ses dévotions, tenant une chandelle ardente en sa main, la voulut attacher au Sépulcre, &, trouvant le plus près d’icelluy cest homme endormy, la luy voulut mectre au front, pensant qu’il fût de pierre, mais la cire ne peut tenir contre la pierre. La bonne dame, qui pensoyt que ce fust à cause de la froideure de l’ymage, luy vat mectre le feu contre le front pour y faire tenir sa bougye, mais l’ymage qui n’estoit insensible commencea à crier, dont la bonne femme eut si grand paour que, comme toute hors du sens, se print à cryer : Miracle, tant que tous ceulx qui estoient dedans l’église coururent les ungs à sonner les cloches, les autres à veoir le miracle. Et la bonne femme les mena veoir l’ymaige qui estoyt remue, qui donna occasion à plusieurs de rire ; mais les plusieurs ne s’en povoient contanter, car ilz avoient bien delibéré de faire valloir ce Sépulcre & en tirer autant d’argent que du crucifix qui est sur leur peupistre, lequel on dict avoir parlé, mais la comédie print fin pour la congnoissance de la sottize d’une femme. Si chacun congnoissoyt quelles sont leurs sottises, elles ne seroient pas estimées sainctes ny leurs miracles vérité, vous priant, mes Dames, doresnavant regarder à quelz sainctz vous baillerez vos chandelles.


« C’est grande chose, » dist Hircan, « que, en quelque sorte que ce soyt, il fault tousjours que les femmes facent mal.

— Est-ce mal faict, » dist Nomerfide, « de porter des chandelles au Sépulcre ?

— Ouy, » dist Hircan, « quant on mect le feu contre le front aux hommes, car nul bien ne se doibt dire bien s’il est faict avecq mal. Pensez que la pauvre femme cuydoit avoir faict ung beau présent à Dieu d’une petite chandelle. »

Ce dist Madame Oisille : « Je ne regarde poinct la valleur du présent, mais le cueur qui le présente. Peut estre que ceste bonne femme avoyt plus d’amour à Dieu que ceulx qui donnent les grandz torches, car, comme dist l’Evangile, elle donnoyt de sa necessité.

— Si ne croy je pas, » dist Saffredent, « que Dieu, qui est souveraine sapience, peut avoir agréable la sottise des femmes, car, nonobstant que la simplicité luy plaise, je voy par Escripture qu’il desprise l’ignorant, &, s’il commande d’estre simple comme la coulombe, il ne commande moins d’estre prudent comme le serpent.

— Quant est de moy » dist Oisille, « je n’estime poinct ignorance celle qui porte devant Dieu sa chandelle, ou cierge ardant, comme faisant amende honnorable, les genoulx en terre & la torche au poing devant son souverain Seigneur, auquel confesse sa damnacion, demandant en ferme espérance la miséricorde & salut.

— Pleut à Dieu, » dist Dagoucin, « que chascun l’entendist aussy bien que vous, mais je croy que ces pauvres sottes ne le font pas à ceste intention. »

Oisille leur respondit : « Celles qui moins en sçavent parler sont celles qui ont plus de sentement de l’amour & volunté de Dieu ; par quoy ne fault juger que soy mesmes. »

Ennasuicte en riant luy dist : « Ce n’est pas chose estrange que d’avoir faict paour à ung varlet qui dormoyt, car aussy basses femmes qu’elle ont bien faict paour à de bien grands Princes, sans leur mectre le feu au front.

— Je suis seur, » dist Geburon, « que vous en sçavez quelque histoire que vous voulez racompter, par quoy vous tiendrez mon lieu, s’il vous plaist.

— Le compte ne sera pas long », dist Ennasuicte ; « mais, si je le povois représenter tel que advint, vous n’auriez poinct envye de pleurer. »