CINQUANTE ET UNIESME NOUVELLE


Le Duc d’Urbin, contre la promesse faite à sa femme, feit pendre une jeune Damoyselle par le moyen de laquelle son filz, qu’il ne vouloit marier pauvrement, faisoit entendre à s’amye l’affection qu’il luy portoit.


e Duc d’Urbin, nommé le Prefect, lequel espousa la seur du premier Duc de Mantoue, avoit un filz, de l’aage de dix-huict à vingt ans, qui fut amoureux d’une fille de bonne & honneste maison, seur de l’Abbé de Farse, &, pour ce qu’il n’avoyt pas la liberté de parler à elle comme il vouloyt selon la coustume du pays, se ayda du moien d’un Gentil-homme qui estoit à son service, lequel estoit amoureux d’une jeune Damoiselle servant sa mère, fort belle & honneste, par laquelle faisoyt déclarer à s’amye la grande affection qu’il luy portoit. Et la pauvre fille ne pensoit en nul mal, prenant plaisir à luy faire service, estimant sa volunté si bonne & honneste qu’il n’avoyt intention dont elle ne peût avecq honneur faire le message. Mais le Duc, qui avoyt plus de regard au proffict de sa Maison que à toute honneste amitié, eut si grand paour que les propos menassent son filz jusques au mariage, qu’il y feyt mectre ung grand guet, & luy fut rapporté que ceste pauvre Damoiselle s’estoit meslée de bailler quelques lettres de la part de son filz à celle que plus il aymoyt, dont il fut tant courroucé qu’il se délibéra d’y donner ordre.

Mais il ne peut si bien dissimuler son courroux que la Damoiselle n’en fût advertye, laquelle, congnoissant la malice du Duc qu’elle estimoyt aussi grande que sa conscience petite, eut une merveilleuse craincte & s’en vint à la Duchesse, la suppliant luy donner congé de se retirer en quelque lieu hors la veue de luy, jusques à ce que sa fureur fût passée ; mais sa maistresse luy dit qu’elle essaieroit d’entendre la volunté de son mary avant que de luy donner congé.

Toutesfois elle entendit bien tost le mauvais propos que le Duc en tenoyt &, congnoissant sa complexion, non seullement donna congé mais conseilla à ceste Damoiselle de s’en aller en ung