VINGT SEPTIESME NOUVELLE


Ung Secrétaire, pourchassant par amour deshonnête & illicite la femme d’un sien hôte & compagnon, pour ce qu’elle faisoit semblant de luy prêter volontiers l’aureille se persuada l’avoir gangnée, mais elle fut si vertuense que sous cette dissimulation le trompa de son espérance & déclara son vice à son mary.


n la ville d’Amboize, où demeuroyt l’un des serviteurs de ceste Princesse qui la servoyt de Varlet de chambre, homme honneste & qui voluntiers festoyoit les gens qui venoient en sa maison & principalement ses compaignons, il n’y a pas long temps que l’un des serviteurs de sa maistresse vint loger chez luy & y demoura dix ou douze jours.

Le dict serviteur estoyt si laid qu’il sembloit mieulx ung Roy de Canniballes que Chrestien &, combien que son hoste le traictast en frère & amy & le plus honnestement qu’il luy estoit possible, si luy fit il ung tour d’un homme qui non seullement oblye toute honnesteté, mais qui ne l’eust jamais en son cueur, c’est de pourchasser par amour deshonneste & illicite la femme de son compaignon qui n’avoyt en elle chose aimable que le contraire de la volupté ; c’est qu’elle estoit autant femme de bien qu’il y eust poinct en la ville où elle demouroyt. Et elle, congnoissant la meschante volunté du serviteur, aymant mieulx par une dissimulation déclairer son vice que par ung soubdain refuz le couvrir, feit semblant de trouver bons ses propos. Par quoy luy qui cuydoit l’avoir gaingnée, sans regarder à l’aage qu’elle avoit de cinquante ans & qu’elle n’estoyt des belles, sans considérer le bruict qu’elle avoyt d’estre femme de bien & d’aymer son mary, la pressoyt incessamment.

Ung jour entre aultres, son mary estant en la maison & eulx en une salle, elle faingnyt qu’il ne tenoit que à trouver lieu seur pour parler à luy seulle ainsy qu’il desiroyt, mais incontinant luy dist qu’il ne falloyt que monter au galletas. Soubdain elle se leva & le pria d’aller devant & qu’elle iroyt après. Luy, en riant avec une doulceur de visaige semblable à ung grand magot quand il festoye quelcun, s’en monsta légèrement par les degretz &, sur le poinct qu’il attendoit ce qu’il avoyt tant desiré, bruslant d’un feu non cler comme celluy de genèvre, mais comme ung gros charbon de forge, escoutoyt si elle viendroyt après luy ; mais, en lieu d’oyr ses piedz, il ouyt sa voix disant :

« Monsieur le Secrétaire, actendez ung peu ; je m’en voys sçavoir à mon mary s’il luy plaist bien que je voise après vous. »

Pensez, mes dames, quelle myne peult faire en pleurant celluy qui en riant estoyt si layd, lequel incontinant descendit, les larmes aux œilz, la priant pour l’amour de Dieu qu’elle ne voulsist rompre par sa parolle l’amitié de luy & de son compagnon. Elle luy respond : « Je suis seure que vous l’aymez tant que vous ne me vouldriez dire chose qu’il ne peust entendre, par quoy je luy vois dire », ce qu’elle feyt, quelque prière ou contraincte qu’il voulsist mettre au devant. Dont il fut aussi honteux en s’enfuyant que le mary fut contant d’entendre l’honneste tromperie dont sa femme avoyt usé, & luy pleut tant la vertu de sa femme qu’il ne tint compte du vice de son compaignon, lequel estoyt assez pugny d’avoir emporté sur luy la honte qu’il vouloit faire en sa maison.


« Il me semble que par ce compte les gens de bien doibvent apprendre à ne retenir chez eulx ceulx desquelz la conscience, le cueur & l’entendement ignorent Dieu, l’honneur & le vray amour. — Encores que vostre compte soyt court, » dist Oisille, « si est il aussi plaisant que j’en ay poinct oy & en l’honneur d’une honneste femme.

— Par Dieu, » dist Simontault, « ce n’est pas grand honneur à une honneste femme de refuser ung si laid homme que vous paingnez ce Secrétaire ; mais, s’il eust esté beau & honneste, en cela se fut monstrée la vertu, &, pour ce que je me doubte qui il est, si j’estois en mon rang je vous en ferois ung compte qui est aussi plaisant que cestuy cy. — À cella ne tienne, » dist Ennasuitte, « car je vous donne ma voix. »

Et à l’heure Simontault commencea ainsi :

« Ceulx qui ont accoustumé de demeurer en la Court ou en quelques bonnes villes, estiment tant le sçavoir qu’il leur semble que tous autres hommes ne sont rien au pris d’eulx ; mais si ne reste il pourtant que en tout pays & de toutes conditions de gens n’y en ayt tousjours assez de fins & malicieux. Toutesfois, à cause de l’orgueil de ceulx qui pensent estre les plus fins, la mocquerie, quant ilz font quelque faulte, en est beaucoup plus agréable, comme je desire vous monstrer par ung compte naguères advenu.