L’Heptaméron des nouvelles/Notice d’un manuscrit

VI

NOTICE D’UN MANUSCRIT
COMPOSÉ POUR LA REINE DE NAVARRE.


Biblioth. de l’Arsenal. Mss. Théol. franç., No 60. — Initiatoire instruction en la Religion chrestienne pour les enffans. Interlocuteurs Théophile & Théodidacte, dont le premier signiffie amateur ou aimé de Dieu, & l’autre enseigné ou disciple de Dieu. I vol. in-4o, sur vélin, de 57 feuillets. Relié en velours rouge.

Au verso du folio 1 recto, dans une couronne de feuilles d’or surmontée d’une cordelière, sont peintes en or & en couleurs les armes de la Reine de Navarre[1]. Le tout est sur un champ bleu parsemé de petites étoiles d’or & de marguerites roses & blanches.

Au recto du folio 2, une grande miniature représente Charles d’Albret, Roi de Navarre, en pied, au milieu d’un jardin fermé par un grillage ; de l’autre côté de ce grillage, à droite, mais sur un plan reculé, on voit Marguerite, accompagnée de quelques courtisans. La Princesse est vêtue d’une robe de drap d’or ; sa coiffure & sa guimpe sont noires. Le Roi de Navarre est couvert d’un surtout de drap d’or fourré d’hermine. Sa toque rouge est surmontée d’une plume blanche ; son justaucorps est bleu, ses manches à deux rangs de crevés, & ses chausses sont rouges. Il tient dans sa main droite une marguerite qu’il semble offrir à la Princesse. Au-dessous de l’écusson des armes du Roi de Navarre, on lit : Inveni unam preciosam margaritam, quant intimo corde collegi. Le fond de cette miniature représente un jardin avec bosquets & berceaux, au milieu desquels est une fontaine en forme de temple. En dehors du jardin, on aperçoit un château derrière une muraille blanche crénelée.

Au verso de ce même folio I, dans une grande miniature, Jésus-Christ agenouillé, portant sa croix, est suivi d’une foule d’autres personnages portant comme lui leur croix. Au premier rang sont Henry d’Albret, Roi de Navarre, Charles d’Albret, son frère, & Marguerite. La Princesse est couverte d’une longue robe bleue avec des manches garnies de fourrure ; sa coiffe noire est surmontée d’une couronne d’or. Le Roi de Navarre porte le même costume que dans la miniature précédente. On lit au bas : Qui vult venire post me abneget semetipsum, tollat crucem suam & sequatur me. Le fond de cette miniature représente le même château que celui de la miniature précédente & une autre partie des jardins ; des rochers s’échappe une source d’eau vive, qui tombe dans un petit lac. Sans aucun doute, l’artiste a voulu représenter le château de Pau, dont Marguerite & son mari avaient pris soin d’embellir les jardins.

Au verso du folio 34, dans une grande miniature, le roi David, à genoux, implore la miséricorde de Dieu. L’ange lui apparaît, tenant d’une main l’épée de justice, de l’autre une tête de mort. Dans le fond, on voit le Temple de Jérusalem. La foule se tient éloignée du Roi & le contemple. On lit au bas : Dixi : Confitebor adversum me injusticiam meam Domino.

Au recto du folio 56 & au verso du folio 57, on trouve deux grandes miniatures. La première représente Jésus-Christ ressuscité ; le corps est nu, les épaules sont couvertes d’un manteau rouge. Il est devant une table, appelant à lui les treize Apôtres. Quelques-uns sont déjà près de lui ; les autres s’y dirigent. On lit au bas : Pax vobis ; ego sum ; nolite timere. La seconde miniature représente une ascension. Jésus-Christ est déjà presque tout entier dans le ciel : on n’aperçoit que ses jambes, couvertes d’une robe rouge & environnées de rayons lumineux. Les personnages, presque tous à genoux, sont au nombre de dix-huit, en y comprenant la Vierge Marie. On lit au bas : Ascendit ad cœlum ; sedet ad dextram.

Chaque feuillet de ce manuscrit est orné d’un riche encadrement peint en or & en couleurs. On y voit des oiseaux, des papillons, des insectes, des fleurs & principalement des marguerites rouges.

Le texte de ce manuscrit, écrit en français, contient une sorte de catéchisme ou d’instruction sur la manière de pratiquer la religion catholique. Il est souvent rédigé par demandes & par réponses. On y trouve certains passages hardis qui nous portent à croire que l’auteur était partisan de la Réforme. Au folio 23 verso, Théophile demande à Théodidacte ce que signifie Église en notre langue commune. Théodidacte répond : « Église signiffie congrégation. Quant doncques nous disons : Je croy la congrégation, non pas ce monceau de boys & de pierres où la multitude des anti-christians ministres, qui ne sont rien moins que union & congrégation, veu que chacun d’eulx veult estre différend de l’autre tant en sentences ou opinion que en supersticieuses & hipocriticques cérémonies, &c. »

Au folio 52 verso, après avoir parlé du choix d’un confesseur, qui doit être un homme de bien, c’est-à-dire « fidèle, puissant en la parolle, qui vous puisse consoller & donner conseil utile & salutaire pour myeulx instituer vostre vie, &c. », l’auteur ajoute : « Or, quant vous aurés trouvé ung tel confesseur ainsi qu’on l’apelle, vous irés vous confesser & accuser devant luy, & ne serés soingneux ne vous efforcerés de luy rendre compte pour le menu de tous les péchés que vous avez commis depuys le temps de vostre nativité, ou depuys le temps de vostre dernière confession, avec les circonstances, c’est assavoir : quand, en quel lieu, quantes foys, avec qui & comment, ainsi que l’en a de coustume, car ceste façon de soy confesser n’est aultre chose que hypocrisie vraye & faintise. Je m’en croy à ceulx qui en ont usé jusques icy, pourveu qu’ilz veulent dire vray, soit ou homme ou femme, prebstre ou aultre. Et Dieu n’a ordonné telle confession, & n’ay jamays leu en l’Escripture d’homme qui soit ainsi confessé, & néantmoins qu’elle ait grande apparence de saincteté & vraye devotion, toutesfoys croys je que le Diable l’a inventée pour séduyre le monde, &c, &c. »

Ce curieux manuscrit fut exécuté au moment & même à l’occasion du mariage de Marguerite avec le Roi de Navarre, au moins est-ce l’opinion du P. Montfaucon, qui a reproduit la première miniature, t. IV, p. 260 (pl. xxxiii) des Monumens de la monarchie françoise. C’est à M. de Gaignières qu’il en devait la communication. En 1763, ce manuscrit devint la propriété de M. Picard, ainsi que le prouve la mention suivante, placée au recto du folio 1 : De la bibliothèque de Charles-Adrien Picard en 1763. À la vente des livres de cet amateur, en 1780, le volume, inscrit sous le no 112 de son catalogue, fut vendu 231 fr. 10 sous (Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. Picard, contenant environ cent manuscrits sur vélin, décorés de miniatures & de beaucoup d’articles rares & singuliers, &c. Paris, Merigot, 1780, in-8o, p. 16). Cette acquisition a dû être faite pour la bibliothèque de Monsieur, comte d’Artois, connue aujourd’hui sous le nom de Bibliothèque de l’Arsenal.


  1. Parti des armoiries du Roi & de la Reine de Navarre :

    Au un des armoiries du Roi de Navarre, coupées de six pièces, trois en chef & trois en pointe ; au premier du chef, de gueules aux chaînes d’or, posées en orle, en croix & en sautoir, qui est Navarre ; au deux du chef, écartelé aux 1 & 4 de France, aux 2 & 3 de gueules plein, qui est Albret ; au trois du chef, d’or à quatre pals de gueules, qui est Aragon : au quatre, un de la pointe, d’or à deux vaches de gueules accornées, accolées & clarinées d’azur, qui est Béarn ; au cinq, deux de la pointe, de France (il faudrait semé de France), à la bande componée d’argent & de gueules, qui est Evreux ; au six, trois de la pointe, d’or à quatre pals de gueules, flanqué, au côté dextre, de gueules au château sommé de trois tours d’or pour Castille, &, au côté senestre, d’argent au lion de gueules pour Léon ; sur le tout, d’or à deux lions passans de gueules, armés & lampassés d’azur, qui est Bigorre ;

    Au deux des armoiries de Marguerite, c’est-à-dire de France. — M.