Librairie de Ch. Meyrueis et Comp. (Volume 1p. 290-303).


CHAPITRE XXI.


Je veux chanter, car je suis affligé
Du souvenir de mes fautes ;
C’est ma tristesse qui me console ;
L’amour plaidé pour la douleur.

(Williams.)


Après sa dernière entrevue avec Philippe, Walter était retourné chez lui pour se mettre au travail en attendant que son cousin vînt reconnaître que jusqu’ici il n’avait rien appris à son désavantage. Il se disait que ce serait peut-être une raison pour qu’on ne le soupçonnât pas d’autres fautes, et cependant, depuis qu’il savait pourquoi on l’accusait d’avoir joué, il conservait peu d’espérance, puisqu’il ne pouvait s’expliquer sans trahir son oncle Dixon. Il attendit en vain. L’heure à laquelle Philippe aurait pu venir passa sans qu’il parût, et Walter ne reçut pas de lettre à la place de sa visite. Il se dit que peut-être Philippe ou M. Edmonstone lui écrirait de Hollywell, ou qu’à leur défaut, Charles le ferait, lui dont l’amitié ne s’était jamais démentie. Mais il fut trompé dans son attente, en sorte qu’il se demanda s’il l’aurait involontairement offensé.

Philippe aurait-il trouvé peut-être quelque chose qui parût l’accuser ? Mais il ne croyait pas avoir enfreint en aucune manière les règlements de l’université. Ce qu’on avait pu dire de plus fâcheux, c’est qu’il n’était pas un élève très fort, et du reste il savait que sa réputation était meilleure qu’il ne croyait la mériter.

Plus Walter réfléchit, plus sa tristesse augmenta. Il ne pouvait imaginer autre chose, sinon que M. Edmonstone avait défendu à son fils de lui écrire ; et cependant pourquoi cette défense, puisqu’il n’avait pas même essayé de communiquer avec Amy ? Quelle souffrance d’être ainsi séparé de tous ceux qu’il aimait ! Tant que Charles lui avait écrit, il avait pu se représenter sa sœur assise auprès de lui, peut-être même cachetant la lettre. Il pouvait deviner par le papier et l’enveloppe si Charles avait écrit au salon ou dans le cabinet de sa mère ; mais maintenant rien, plus rien ! Il était séparé par une barrière infranchissable du bonheur qu’il n’avait fait qu’entrevoir.

Sans le travail et la prière, il n’aurait pu traverser ce trimestre ; mais enfin il toucha au moment des vacances de Noël : chaque jour il attendit encore une lettre qui lui dît au moins de ne pas venir à Hollywell. Il fut encore trompé dans son attente, et il ne put faire autre chose que de se rendre à Redclyffe. S’il avait craint, dans des jours plus heureux, de revoir cette habitation délaissée depuis la mort de son grand-père, cette impression devint bien plus forte dans les tristes circonstances où il se trouvait. Cependant il préféra ce parti à celui d’accepter l’invitation de Harry Graham ou celle de quelque autre ami, de venir passer Noël dans leur famille, car il ne se sentait pas disposé à la gaieté.

Le dernier jour du trimestre, il écrivit à Markham de lui préparer sa chambre et la bibliothèque, et d’envoyer quelqu’un l’attendre à Moorworth.

Les chemins de fer s’étaient rapprochés de Redclyffe depuis trois ans ; cependant il y avait toujours un trajet d’une trentaine de milles à faire dans une voiture publique ; la route traversait des endroits où Walter n’avait jamais passé. C’étaient des marais et des landes arides, qui, sous le ciel gris de l’hiver, ne lui présentaient rien de propre à le distraire de ses pensées. Il put rêver à l’accueil bienveillant que, dans d’autres, circonstances, il aurait reçu ce même soir à Hollywell !

Une descente soudaine ayant obligé le cocher à enrayer, la voiture entra fort lentement dans un village remarquable seulement par sa misérable apparence. Les chaumières, grossièrement bâties, étaient dans l’état le plus délabré ; des femmes sales et en désordre paraissaient sur le seuil des portes, tandis que des enfants déguenillés couraient après la voiture en poussant des cris. Le toit de l’église était enfoncé, et des bestiaux paissaient dans le cimetière ; tout l’ensemble rappelait un village irlandais.

— Quel est ce misérable endroit ? demanda un voyageur.

— C’est la question que m’adressent tous les voyageurs, répondit le cocher ; et il y a bien de quoi. C’est un nid de voleurs et de vagabonds appelé Coombe-Prior.

Walter connaissait bien ce nom, quoiqu’il ne fût jamais venu dans ce hameau écarté, qui dépendait de son domaine, et il sentit qu’on pouvait lui reprocher la misère de ses habitants.

— N’y a-t-il donc personne qui s’intéresse à cette population ? demanda encore le voyageur.

— Le ministre est un chasseur qui demeure à six milles d’ici, et vient à cheval pour faire le service.

Walter savait que son grand-père avait vendu cette cure dans le temps de ses folles dépenses ; c’était encore une trace des fautes de ses ancêtres.

— Savez-vous à qui appartient ce village ?

— À M. Walter Morville. Vous avez bien entendu parler du vieux M. Morville ; il a fait assez de bruit dans le monde.

— Quoi ! le fameux…

— Pardon, Monsieur, interrompit Walter avec un sourire ; je dois vous prévenir que je suis son petit-fils.

— Monsieur Walter ! s’écria le cocher en se retournant pour le saluer ; je n’avais pas l’honneur de vous connaître, Monsieur. Vous n’êtes sans doute pas encore venu par cette route, car je n’oublie jamais une figure que j’ai vue. J’espère avoir souvent l’honneur de conduire monsieur.

Après avoir échangé quelques paroles polies, Walter put se livrer de nouveau à ses réflexions sur la responsabilité d’un propriétaire de vastes domaines, dont tous les petits fermiers et tous les pauvres habitants souffrent, s’il dissipe son argent en frivoles plaisirs. Son grand-père s’était repenti sans doute, mais toutes ces pauvres âmes, élevées dans le vice et dans la misère, qui leur avait prêché la repentance ? Leurs maux ne devaient-ils pas affecter Walter Morville plus que les siens propres ?

Cependant le voyageur considérait avec curiosité le jeune héritier de tant de biens, devinant peu quelles étaient les réflexions qui l’agitaient.

Enfin la voiture entra dans le petit bourg de Moorworth, dont l’aspect si familier à Walter le tira de sa rêverie. Les vieilles maisons grises, qui bordaient les deux côtés de la rue, semblaient le regarder amicalement avec leurs larges fenêtres. Là-bas, derrière ces tilleuls taillés en arcades, s’élevait l’école commerciale, où il avait appris le latin avec M. Potts, et, quoiqu’il appréciât maintenant à sa juste valeur la science de son vieux maître, Walter lui savait toujours gré de sa patience à toute épreuve, et de son extrême bonté. Plus loin, la voiture s’arrêta dans la place du marché, devant l’auberge, le vieux et respectable « hôtel George, » dont les écuries et les dépendances formaient tout un des côtés de la place carrée. C’était dans cette auberge qué Walter était né, et l’hôtesse étant la première personne qui eût tenu l’enfant dans ses bras, elle avait conservé le privilège de lui porter une vive affection ; elle l’avait toujours reçu de son mieux, quand il venait prendre sa leçon chez M. Potts et laissait son poney à l’auberge.

Certain d’être le bienvenu, Walter s’élança de la voiture avec Trim, et demanda à la servante comment se portait madame Lavers.

Aussitôt madame Lavers en personne parut sur le seuil de sa porte, avec la même figure bienveillante encadrée dans un petit bonnet blanc, la même robe noire et le même châle brillant que Walter avait toujours connus. Elle n’avait d’attentions que pour lui et, dès qu’elle le vit, elle oublia tous ses hôtes. Comment Walter n’aurait-il pas été un peu réjoui par le témoignage d’une si vive affection ? Il ne voulut pas montrer qu’il était pressé de partir, et consentit à s’asseoir devant un bon feu, où il se chauffa un moment, en disant à l’hôtesse qu’il arrivait d’Oxford ; quelqu’un devait venir de Redclyffe l’attendre à Moorworth. Ce quelqu’un était M. Markham en personne, gros homme à la figure honnête, demi-monsieur demi-paysan, dont les cheveux et les favoris gris étaient, ce jour-là, couverts de givre. Il arriva bientôt dans sa haute voiture à deux roues, traînée par un vieux cheval brun à la face blanche. Du plus loin que Walter l’aperçut il courut à sa rencontre.

Le vieux serviteur lui serra cordialement la main, quoique ses paroles eussent un air de brusquerie :

— Eh bien ! monsieur Walter, comment allez-vous ? Qu’est-ce qui vous amène si soudainement ? Bonjour, madame Lavers. Les routes sont mauvaises cet hiver.

— Bonjour, monsieur Markham. Quel plaisir de revoir encore M. Walter, et puis, c’est qu’il a grandi !

— Grandi ! pas trop. Il ne sera jamais de la taille de son père. Avez-vous vos effets, monsieur Walter ? Ah ! vous n’avez pensé qu’au chien, cela va sans dire. Et sans doute la voiture les aura emmenés plus loin !

C’est ce qui serait arrivé si le sommelier n’avait pas été plus attentif que Walter ; les effets se retrouvèrent.

Madame Lavers demanda à M. Markham d’entrer pour se chauffer un moment ; mais il répondit qu’il fallait partir tout de suite parce que les chemins étaient mauvais et que la nuit approchait.

— Quel misérable hameau que Coombe-Prior, dit Walter quand ils furent en route. Toutes les chaumières sont en ruine.

— Cela ne me regarde pas ; Todd, le fermier, paye régulièrement sa rente, mais je crois que c’est un avare de la première espèce. Il faut dire aussi qu’il a une mauvaise sorte de gens à gouverner. Ne viennent-ils pas braconner jusque près de Cliffstone ces impudents ? Nous en avons fait mettre trois en prison.

Autrefois Walter avait en horreur les braconniers ; maintenant il s’inquiétait plus des hommes que du gibier. Il reprit donc :

— C’est toujours ce M. Halroyd qui est le ministre, n’est-ce pas ?

— Oui, on sait bien ce qu’il vaut ! Je vous assure que je ne pouvais supporter l’idée de lui vendre cette place ; mais quoi ! Il fallait de l’argent, et ce qui est fait est fait.

— Il faudra changer cela, dit Walter.

— Quand Halroyd mourra, vous pourrez mettre à sa place qui vous voudrez, et de la manière dont il vit, il ne durera pas longtemps.

Walter soupira, et Markham reprit après un silence.

— Qu’est-ce donc qui vous amène si soudainement ? Pourquoi ne m’avoir pas prévenu ?

— J’espérais aller à Hollywell, dit tristement Walter.

— Qui vous en a empêché ? J’espère que vous n’avez pas eu de difficultés avec votre tuteur ! Vous verrez qu’il suivra la même route que les autres ! ajouta Markham avec tristesse.

— Il m’a soupçonné injustement. Je n’ai pu le supporter avec patience, et j’ai dit quelque chose qui l’a offensé.

— Oh ! monsieur Walter. Je vous ai toujours dit que votre extrême vivacité serait votre ruine.

— C’est vrai !

— Mais de quoi vous a-t-il soupçonné ?

— D’avoir joué à Saint-Mildred.

— Vous ne l’aviez pas fait ?

— Jamais !

— Mais pourquoi ne vous a-t-il pas cru ?

— J’ai dû payer quelque chose à un joueur : il l’a su, je ne sais comment, et veut absolument croire que c’était une dette de jeu.

— Pourquoi ne lui avez-vous pas montré vos comptes ?

— Par la raison bien simple que je n’en tiens point.

À cet aveu, Markham, satisfait de voir que c’était là l’unique faute de Walter, commença un long discours sur les inconvénients du désordre, qui dura le reste du chemin, et n’empêcha pas Walter de jouir du plaisir de reconnaître chaque arbre, chaque détour de la route.

Il revit la vallée ombragée de grands arbres où il avait tué son premier coq de bruyère ; la pierre sur laquelle il avait cassé son couteau neuf en faisant des recherches géologiques ; l’étang où il patinait, et la place d’où l’on apercevait la mer. Il faisait trop sombre pour la bien distinguer, mais Walter fit un mouvement de joie qui lui valut une réprimande de Markham, fâché de ce qu’il ne l’écoutait pas. Puis on traversa de sombres bruyères, parmi lesquelles se dressaient de longues fougères sèches. Walter s’efforçait de découvrir au loin la fumée de la chaumière du vieux garde-chasse, et il eut de la peine à ne pas interrompre Markham pour lui demander de ses nouvelles.

Après avoir franchi encore une chaîne de collines, ils commencèrent à descendre dans une riche vallée, couverte de champs fertiles, de grands arbres, de jolies chaumières avec des jardins, le tout fort différent de Coombe-Prior. La maison de Markham était un vrai bijou, entourée de plantes vertes choisies ; puis venait celle du médecin, blanche et propre, puis l’auberge : « Aux armes de Morville, » dont l’aspect était des plus vénérables ; plus loin l’église, avec sa tour d’une hauteur disproportionnée ; enfin, derrière l’église, le presbytère, qui se cachait modestement. De l’autre côté, la route était bordée par le mur du parc et sa grille ouverte, à l’entrée de laquelle la vieille Sahra s’avança en saluant et en faisant la révérence.

Walter s’élança de la voiture pour lui dire bonjour et pour ménager Blanche-Face, car la montée de l’avenue était rude pour les chevaux. Il courut donc le premier au haut de la pente gazonnée, d’où l’on avait la première vue du château. Mais le jeune homme dirigea d’abord ses pas d’un autre côté ; il gravit la pente plus rapide de la colline, et, parvenu au sommet, il demeura en extase devant l’Océan. Sous ses pieds, des rochers à pic descendaient jusqu’à la mer ; çà et là seulement, dans leurs fentes, une touffe de genêts avait trouvé sa place. Les vagues se brisaient sur le rivage, et le vent, le véritable vent de mer, soufflait dans la figure du spectateur de cette scène imposante. Il voyait au loin les rochers de Shag-Island qui fermaient la baie, et, presque au-dessous de lui, mais un peu à gauche, la partie du village où vivaient les pêcheurs, abritée dans l’anse où se jetait le torrent de la montagne, et où se balançaient une douzaine de bateaux.

Walter ne pouvait jouir de cette vue comme il l’aurait fait, si de tristes pensées ne l’avaient poursuivi. Il était seul devant ce tableau qu’il avait tant désiré de faire admirer à Amable, et en présence des objets dont il lui avait parlé si souvent ! Et cependant il éprouvait quelque consolation à revoir ces sites aimés. Mais Walter sentit qu’il ne devait pas se faire attendre et courut du côté de la maison où Markham arrivait avec la voiture, en sorte que les domestiques n’avaient pu remarquer l’absence de leur jeune maître. Ils n’étaient pas nombreux. Il n’y avait que William, le groom, Arnaud, vieux Suisse, qui avait été courrier et ensuite valet de chambre du vieux M. Morville, et enfin madame Drew, la femme de charge, qui était fort âgée. Tous paraissaient heureux de revoir Walter. Ils l’accompagnèrent à travers la grande cour carrée, où Philippe avait eu raison de dire que le soleil ne brillait jamais. Walter franchit le grand escalier de pierre, puis la sombre et spacieuse antichambre, pour entrer de là dans la bibliothèque. Ce vaste appartement était éclairé par un grand feu de bois. Madame Drew, qui avait suivi son jeune maître, reçut ses ordres pour le dîner, auquel il invita Markham, et la soirée se passa à parler des nouvelles de Redclyffe.

Walter se sentait bien chez lui dans cette ancienne habitation ; il aimait à se retrouver dans la pièce où il avait passé tant de soirées avec son grand-père ; où chaque meuble, et surtout le vieux fauteuil de cuir du vieillard, le lui rappelait si vivement.

Markham parlait avec amertume de la visite de Philippe et de la manière dont il avait examiné les comptes.

— Il fait tout minutieusement. S’il était le maître ici, vous n’auriez pas besoin de le gronder comme moi.

— Le ciel nous en préserve ! s’écria Markham. Je ne demeurerais pas longtemps sous le même toit que lui.

— Vous ne m’avez pas encore parlé de votre nouveau vicaire. Comment vous arrangez-vous ensemble ?

— Nous nous serions mieux arrangés sans le capitaine Morville, répondit encore Markham, et il entra dans une longue histoire de tous ses griefs, persuadé qu’il défendait les droits de son maître.

M. Bernard, le précédent vicaire, était un vieillard bon et simple, mais peu actif, et, de son temps, les choses se passaient d’une manière calme, à laquelle Markham s’était habitué. M. Ashford était au contraire un chrétien actif et désireux de faire le bien de sa paroisse. Mais toutes ses innovations déplaisaient à Markham, depuis les services à l’église les jours ouvrables, jusqu’à ses efforts pour empêcher les gens de pêcher le dimanche. Et, depuis que le capitaine Morville, appuyé sur l’autorité de M. Edmonstone, avait donné gain de cause à M. Ashford, l’opposition de Markham n’en était devenue que plus obstinée. Il grondait sourdement chaque fois que Walter prenait le parti de M. Ashford, et lui présentait aussitôt quelque autre sujet de plainte. Pour le moment, la grande controverse roulait sur l’école. Il y en avait une, dans la partie du village située au bord de la mer, qui était tenue par une vieille femme ; elle était fort loin de l’église. Or M. et madame Ashford auraient désiré en établir une meilleure dans une maison plus près d’eux, où ils auraient pu tenir plus facilement une école du dimanche. Mais Markham ne voulait pas en entendre parler, et trouvait fort injuste de congédier la vieille maîtresse d’école.

— Je suppose qu’on lui payerait une pension ? dit Walter.

— On en a parlé ; mais qui la payerait ?

— Moi, sans doute.

— Payer deux maîtresses d’école ! et l’une des deux pour ne rien faire !

— Pourquoi pas ?

— Je ne vois pas ce qui empêcherait Jenny de tenir l’école aussi bien que par le passé.

— Nos gens ont besoin d’instruction.

— Ne me parlez pas de les instruire, monsieur Walter, ou nous ne serons jamais en paix.

— Nous verrons ce qu’on pourra faire pour la vieille Jenny ; quant à la maison d’école, il faut la changer.

Markham était un vice-roi des moins flexibles, mais il ne résistait pas à un « il faut » de ses maîtres ; et Walter prononçait ce mot d’une manière digne de ses ancêtres. L’intendant se contenta de grommeler entre ses dents, et Walter vit que, pour le mettre de bonne humeur, il fallait lui parler de ses neveux et de ses nièces. La soirée se passa donc assez bien, et Walter ne se trouva pas aussi isolé qu’il l’avait craint. Mais, quand Markham se fut retiré, et qu’il se trouva seul devant le feu dans cette vaste salle, où il n’était jamais rentré depuis le jour qu’il avait trouvé son grand-père mourant dans le même fauteuil, ses pensées se reportèrent vers les jours d’autrefois. Il y avait une certaine mélancolie dans le caractère de Walter ; et il lui semblait par fois qu’il était destiné à porter la peine des fautes de ses pères. Mais il se reprochait ce sentiment, et, relevant sa tête, qu’il avait appuyée contre la cheminée de chêne sculpté :

— Je supporterai mes épreuves en chrétien, se dit-il. N’ai-je pas mérité un sort bien plus triste ? car enfin, moi aussi, j’ai été un meurtrier par mes pensées. Dieu m’a accordé du temps pour me repentir, et j’en profiterai, dussé-je traîner une longue vie de solitude, et séparé d’Amable pour toujours.

Quand il eut pris cette résolution, il se sentit plus fort, et, allumant sa bougie, il se rendit dans sa chambre, à l’étage supérieur du château. C’était son ancienne chambre, comme il l’avait demandé ; bien que madame Drew eût préféré loger le maître de la maison dans un appartement plus conforme à sa nouvelle dignité. Walter y retrouva tous ses anciens trésors, ses arcs et ses flèches, sa collection d’ailes d’oiseaux, et toutes les armes et les machines merveilleuses qu’il avait fabriquées autrefois. Tous ces objets témoignaient des soins que madame Drew en avait pris. Walter renouvela connaissance avec ces précieux souvenirs, dont la vue lui causait un doux attendrissement. Mais comme il se sentait supérieur à ce qu’il était dans ces jeunes années, où il ne faisait que jouir de la vie sans en connaître le but ! Maintenant il souffrait sans doute, cependant il se promit encore de souffrir avec patience et de vivre pour le bien de ses semblables, et il s’endormit bientôt dans son petit lit, en rêvant à toutes les réformes qu’il voulait opérer à Coombe-Prior.