L’Héritage allemand de Nietzsche


Bossard (I. Les Précurseurs de Nietzschep. 21-22).


Nietzsche nous a apporté une nouvelle façon de philosopher, la plus libre qu’on ait jusqu’ici connue. Il discerne un sens métaphysique à la plus fugitive impression. Il tire sa philosophie de la vie même. Sa doctrine, qui a passé par des phases différentes, est cohérente dans chacune d’elles ; et, si le lien paraît manquer entre ce moments différents, c’est que sa pensée reflète toutes les émotions changeantes de sa douloureuse vie. Elle en surgit comme une vapeur au-dessus de la mer. Elle naît comme une série d’émotions lyriques, d’où la réflexion dégage ensuite un contenu rationnel.

Aussi n’est-ce pas avec les philosophes seulement, c’est avec les poètes que Nietzsche sent son affinité. Il les a donc beaucoup lus. Ils lui ont enseigné ce qu’ils savent et qui est philosophique : leurs diverses façons de sentir les rapports de l’âme avec le monde. Quelques symboles imagés ou sonores suffisent à dire la réaction d’une sensibilité d’élite au contact de l’univers. Les grands poèmes sont un appel qui vient à nous du fond de l’être à travers des âmes. Ils propagent jusqu’à nous une souffrance ou un enthousiasme. Ils posent sur les choses des jugements de valeur.

Avant que Nietzsche laissât parler son âme propre, beaucoup d’appels avaient laissé en elle leur résonance. Ce furent d’abord les poèmes, et les réflexions de quelques grands Allemands, ceux qu’on croit les plus connus et qui, interprétés par Nietzsche, semblent rendre un son si nouveau. Si, pour connaître l’avenir, il nous faut tout d’abord descendre dans l’Hadès pour faire revivre — de notre propre sang — de grandes ombres, comment s’étonner que, dans ce voyage, Nietzsche ait évoqué d’abord les ancêtres les plus immédiat de la pensée allemande[1] ?

  1. Nietzsche. Ce fragment Hadesfahrt dans Menschliches, t. II, § 408. (W., III, p. 183.)