L’Exercice du pouvoir/Partie VII/11 octobre 1936

Gallimard (p. 305-317).

Le discours prononcé par Léon Blum, à la grande manifestation de Lens, le 11 octobre, est le premier en date dans la série des « comptes rendus de mandat gouvernemental ». Il fut prononcé devant un immense auditoire, essentiellement composé d’ouvriers mineurs :

Chers camarades, chers amis, vous comprenez dans quel sentiment je veux prendre en ce moment la parole. Je promène mes yeux sur cet immense auditoire. Je viens de quitter le balcon de l’Hôtel de Ville et d’assister au commencement de ce défilé qui se prolonge encore. Salengro et d’autres amis sont restés là-bas. Ici, sur la place, j’ai vu et je vois encore se développer, je ne veux pas dire toute une armée, mais tout un peuple.

Je suis plein de ce sentiment. Je me souviens — peut-être ne l’avez-vous pas oublié vous-mêmes — de la dernière occasion où j’ai été l’hôte de votre ville. Je suis venu, il y a trois ans, à Lens, au côté de mon ami Maës, entouré comme aujourd’hui des mêmes camarades. Je suis venu présider l’inauguration du monument que le syndicat des mineurs a élevé à l’homme au nom impérissable, à l’homme dont le souvenir ne s’abolira jamais parmi vous, qui, pendant tant d’années, a été votre chef et que vous avez suivi dans toutes les voies de l’action ; je suis venu inaugurer le monument de Basly.

Ce jour-là, je vous avais exprimé ma joie de me sentir ici, dans cette ville, au centre de ce bassin houiller qui demeure depuis tant d’années le boulevard de l’organisation ouvrière, boulevard encore fortifié par l’unité syndicale.

Je vous avais dit ma joie de me sentir au centre de cette région, où l’action politique et l’action syndicale de la classe ouvrière, bien qu’autonomes, bien qu’indépendantes l’une de l’autre, et agissant selon leurs lois propres, tendaient cependant vers le même but, et souvent sous la direction des mêmes chefs.

Ce jour-là, je représentais le Parti ; je représentais le Groupe parlementaire du Parti Socialiste. Et je suis revenu aujourd’hui auprès des mêmes amis, non pas précisément dans une autre qualité — je ne parviendrai jamais à décomposer et à dissocier en moi deux hommes différents — mais je suis revenu cependant avec une qualité de plus, comme chef du Gouvernement de la République.

De grands événements se sont passés depuis lors. Devant le péril couru par les institutions et par les libertés républicaines, s’est formé le rassemblement de toutes les forces démocratiques de ce pays.

Un programme commun, pour la première fois, a été élaboré entre tous les partis politiques et toutes les organisations, groupés dans le Rassemblement Populaire. Une grande victoire électorale a été remportée, grâce à cette admirable discipline qui a été l’œuvre de tous les partis, mais qui a été surtout l’œuvre du peuple français lui-même. Un Gouvernement s’est formé à l’image du Rassemblement Populaire, à l’image de la majorité parlementaire qui en était issue. Le Parti Socialiste a non seulement accepté, mais revendiqué la direction de ce Gouvernement.

C’est aussi un peu en cette qualité que je me trouve donc ici aujourd’hui, et il n’y a pas de lieu, pas d’endroit qui puisse être mieux choisi que cette ville ou cette tribune, pas d’auditoire qui puisse être mieux choisi qu’une telle assemblée, pour un compte rendu de mandat gouvernemental devant la classe ouvrière.

Mes chers amis, on a beaucoup parlé de « l’expérience Blum ». Je ne sais pas précisément qui est l’auteur de cette expression. Je sais bien qu’elle a été souvent employée avec un peu d’ironie. Mais demandons-nous ensemble aujourd’hui ce qu’elle signifie, cette expérience à laquelle on a ainsi accolé mon nom, quels en sont les caractères et à quoi ils répondent.

L’expérience que le Gouvernement de Front Populaire a tentée depuis quatre mois signifie tout d’abord une accélération du rythme des réformes. Et voilà bien des années que nous avons soutenu, dans notre parti, que l’accélération des réformes, c’était, à bien des égards, un phénomène de caractère révolutionnaire.

Nous en avons forcé la course, à tel point qu’ayant, dans notre déclaration ministérielle, énoncé une longue liste de mesures et annoncé aussi que toutes seraient votées avant que le Parlement se séparât, nous avons pu tenir exactement cet engagement, qui, au moment où nous le contractions, ne rencontrait guère, je vous l’assure, que des sceptiques. On nous disait : « Vraiment, vous allez faire cela ? En six semaines ? »… Oui, nous avons fait cela !

À la dernière séance de la session de juillet, avant de lire le décret de clôture, à une heure matinale, j’ai pu reprendre le texte même de notre déclaration ministérielle, et après chaque membre de phrase, ajouter : C’est fait… Et cela encore est fait… Et tout est fait…

Non seulement nous avons tenu tous nos engagements, mais nous avons même, chemin faisant, corsé le menu. Nous avons ajouté, aux réformés énumérées dans notre déclaration, quelques réformes supplémentaires, comme, par exemple — je vais en citer une qui vous intéresse — la loi sur la retraite des mineurs, que nous avons fait voter dans les dernières heures de la session.

Nous avons, sitôt la session close, préparé l’exécution des grandes mesures qui avaient été votées. La plus importante et la plus difficile de toutes était la loi de 40 heures.

Le décret qui règle l’application de la loi des 40 heures dans les mines est signé, et la réforme entrera en vigueur le 1er novembre prochain.

En peu de semaines, la réforme s’étendra à la métallurgie, puis au textile, puis au bâtiment. Dès la rentrée des Chambres, nous aborderons un second train, et nous tâcherons de le mener à la même allure que le précédent. Nous entamerons en particulier la réforme fiscale, et quand vous connaîtrez le projet que votre ami Vincent Auriol est en train d’élaborer, vous vous rendrez compte que ce n’est pas par la timidité qu’il pèche.

L’expérience du Front Populaire, cela signifie donc, d’abord, l’activité dans la volonté réformatrice. Cela signifie autre chose encore : cela signifie que les réformes que nous appliquons, les unes après les autres, comportent un renversement complet des méthodes qui avaient été employées, pendant la dernière législation, vis-à-vis de la crise économique.

Nous avons pris résolument et systématiquement le contre-pied de cette déflation que nous avions combattue, pendant la dernière campagne électorale et pendant la dernière législature. Toutes les mesures que nous avons prises, et toutes celles que nous prendrons encore, tendent à accroître la mesure des revenus consommables, à accroître la capacité d’achat général, et en particulier la capacité d’achat des salariés, qui, dans un pays comme le nôtre, représentent la majorité des consommateurs. Elles tendent, alors que la déflation dessèche, à ranimer l’économie nationale et à ressusciter les échanges et les transactions sur le plan de la vie internationale elle-même.

C’est tout cela l’expérience… l’expérience dont, par modestie je ne veux pas rappeler une fois de plus le nom. Mais elle a encore une autre signification, et c’est peut-être celle sur laquelle je voudrais le plus insister devant vous : l’expérience gouvernementale actuelle a pour caractère distinctif, et, dans une large mesure, pour caractère essentiel, la collaboration constante du Gouvernement avec les masses populaires, et avec les organisations politiques et syndicales qui en sont l’expression directe.

Chers amis, comprenez exactement mes paroles.

Nous vivons sous un régime constitutionnel qui s’appelle le régime représentatif, c’est-à-dire où des assemblées législatives sont les mandataires, les représentants de la souveraineté populaire. Comme nous sommes des serviteurs loyaux de la pensée républicaine, comme nous sommes des mandataires fidèles, nous agissons et nous gouvernons conformément à la constitution de notre pays.

C’est devant les assemblées législatives que nous sommes responsables, car ce sont elles qui incarnent dans notre constitution la souveraineté populaire. Nous continuerons à agir ainsi. Nous respecterons ces institutions républicaines que — comme Maës vous le disait tout à l’heure — nous sommes résolus à défendre contre toutes les entreprises quelles qu’elles soient, et contre tous les attentats qui semblent se méditer.

Mais, en même temps, nous entendons conserver le contact étroit et entretenir une collaboration constante avec les organisations groupées dans le Front Populaire. On nous l’a reproché ? Nous nous en vantons… Nous entendons persévérer dans cette conduite.

Il y a quelques semaines, au Sénat, j’ai revendiqué fièrement cette volonté de notre Gouvernement tout entier de ne jamais rompre le contact avec les organisations ouvrières.

Ceci vous montre la gravité du problème posé par l’expérience gouvernementale actuelle. Ce n’est pas l’expérience d’un homme, ce n’est même pas l’expérience d’un Gouvernement, ce n’est même pas l’expérience d’une majorité, c’est une expérience que la classe ouvrière fait elle-même. Et sa signification, vous voyez combien par là-même elle prend d’importance et de grandeur.

L’épreuve à laquelle la classe ouvrière se soumet, elle-même, je le répète, dans les circonstances politiques actuelles, a pour objet de savoir jusqu’à quel point, dans quelle mesure, par les moyens légaux, par une action régulière, dans l’ordre, dans le calme, dans la tranquillité publique elle peut pénétrer de son esprit, et la société politique, et le régime social dans lequel nous vivons.

Vous savez quels reproches, dans certaines fractions de l’opinion publique ou même dans certains milieux parlementaires, on adresse le plus communément à notre Gouvernement.

On nous dit : avoir contact avec la classe ouvrière, contact avec les organisations ouvrières, c’est très joli… Tout pour les ouvriers !… Qu’allez-vous faire pour le reste de la Nation ? Est-ce que vous allez agir de façon à ce que chacune des lois, que vous proposez et que vous appliquez, constitue pour la classe ouvrière des prébendes nouvelles ?… Prébendes… prébendiers… En entendant prononcer ce mot par un des hommes les plus représentatifs du Sénat, une circonstance me revenait à la mémoire : j’avais un jour entendu employer le même terme. Et c’était M. Tardieu qui le jetait comme une insulte à la face du Parti Radical.

Camarades, veut-on prétendre que nous n’ayons travaillé que pour les travailleurs, que pour les ouvriers de l’usine et de la mine, que nous ayons oublié les classes moyennes, que nous ayons oublié la classe rurale ? Est-ce que dans les premières semaines de notre installation au pouvoir les produits agricoles n’avaient pas déjà bénéficié d’une hausse sensible ? Est-ce que nous n’avons pas créé l’Office du blé… Est-ce que nous n’avons pas fait l’aménagement des dettes agricoles ? Et dès la rentrée des Chambres nous saisirons le Parlement de mesures sur les calamités agricoles qui garantiront le travail de la terre contre le plus terrible des risques.

Non ! nous n’avons pas oublié les autres catégories utiles et laborieuses de la nation. Cette propagande qui tendrait à opposer les uns aux autres, paysans et ouvriers, qui tendrait, par je ne sais quel paradoxe, à montrer les ouvriers comme des privilégiés du régime social actuel, qui tendrait à dresser, comme deux masses rivales, les masses urbaines et les masses rurales, laissez-moi vous dire — et je suis sûr que tous les républicains me comprendront — qu’elle comporte le plus grave des dangers que la République elle-même puisse courir dans ce pays : l’opposition du paysan et de l’ouvrier.

La campagne auprès du paysan pour le dresser et l’exciter contre l’ouvrier des villes, on l’a toujours menée dans notre pays, qui se souvient de l’histoire de 1848 et de 1851 ou de l’histoire des années qui ont suivi la Commune. Elle a toujours été le moyen de préparer le grand retour offensif de la réaction.

Je suis sûr qu’aucun républicain ayant médité ces leçons de l’histoire ne saurait persévérer dans une propagande aussi pernicieuse pour la liberté. Il est impossible dans notre pays de séparer les unes des autres, à l’époque où nous sommes, les masses rurales et les masses ouvrières.

Comment y penserait-on dans un pays comme le nôtre ? Cette grandiose page de Jaurès que vous connaissez tous : « La houille et le blé », ne se traduit pas chez vous par une sorte de rapprochement allégorique. Elle se traduit par un contact réel. Ici l’usine est à côté du champ.

Nous pouvons nous rendre cette justice que, dans notre propagande, nous avons toujours montré aux ouvriers et aux paysans qu’ils souffraient des mêmes maux, que leurs souffrances, distinctes dans leur forme, étaient pareilles dans leur origine, et que pour les uns et les autres la justice sociale se servira des mêmes moyens.

Nous avons passé notre temps, nous qu’on accusait de diviser le pays, à réconcilier toutes les catégories sociales dans le même espoir. Et la véritable union nationale, l’union de tous ceux qui peinent, de tous ceux qui travaillent à la prospérité du pays, cette union-là, nous avons toujours essayé d’y travailler et nous essayerons encore de la parfaire.

Camarades, dans quelle direction maintenant devrons-nous, les uns et les autres, nous, Gouvernement, et vous, masses populaires, pousser ensemble notre effort ? J’ai dit, dans cette même discussion parlementaire à laquelle je faisais allusion tout à l’heure, dans un discours prononcé au Sénat il y a peu de jours, j’ai dit quel était mon étonnement devant certaines situations vraiment paradoxales.

Examinons, par exemple, des mesures, des réformes telles que l’échelle mobile des salaires ou l’arbitrage obligatoire. Logiquement, historiquement, ce sont les organisations ouvrières qui devraient s’y déclarer hostiles ; ce sont les organisations patronales qui devraient s’y déclarer favorables. Et c’est, au contraire, du côté du patronat que nous rencontrons aujourd’hui une résistance.

La collaboration, la rencontre, le travail commun entre organisations ouvrières et organisations patronales, il semble que ce soit aujourd’hui une partie, tout au moins, du patronat, qui s’y refuse, tandis que les organisations représentatives de la classe ouvrière les acceptent, et même nous demandent de les provoquer. Quelle étrange situation, camarades !

Je n’ai pas à parler ici au nom des représentants du patronat. Je n’ai pas à rechercher quels sont leurs mobiles. Il y a quelque chose que, sans nulle précaution oratoire, je me refuse, au fond de moi-même, à croire. Je ne veux pas croire qu’aujourd’hui, croyant plus propices les circonstances générales, le patronat cherche à pousser à de nouveaux conflits sociaux, qu’il essaie de ranimer des formes de souveraineté patronale qui sont à jamais abolies, qu’il essaie de revenir sur des réformes ouvrières qui sont à jamais inscrites dans nos codes, et inscrites dans la vie sociale elle-même.

Mais je crois pouvoir vous rendre compte des intentions qui animent les organisations de la classe ouvrière. Elles ont infiniment grandi en force, depuis quelques mois. Et, à mesure que la puissance de l’organisation ouvrière croît, ses tactiques et ses méthodes d’action évoluent.

Aujourd’hui, l’organisation ouvrière est devenue si forte et si puissante qu’elle a le sentiment de sa responsabilité dans la vie nationale elle-même. Elle se rend compte des conditions générales, des conditions à la fois matérielles et morales, qui sont nécessaires pour que les réformes votées, — réformes si profondes, qui constituent presque un ordre nouveau, — puissent produire leur plein effet, rendre leur plein profit, pour les travailleurs eux-mêmes, et pour l’ensemble de la collectivité nationale. Elle comprend à quelles conditions une opération comme une opération monétaire peut rendre, elle aussi, son maximum d’activité et de prospérité pour la masse du pays. Elle sent combien devient aigu, du fait même des réformes, le problème de la productivité, le problème du rendement ouvrier. Elle comprend que c’est seulement dans l’ordre public, dans la paix et dans la concorde, qu’une nouvelle phase active de réformes peut utilement et normalement se préparer. Elle comprend que dans l’état présent des choses, après de si grands changements, c’est, au moins pour une période de temps, de tranquillité, de normalité et de stabilité, que le pays tout entier a besoin. Elle a le sens de sa responsabilité vis-à-vis de la nation entière, parce que, de plus en plus, s’est créé et s’est développé son rôle dans la vie nationale entière. Camarades, ces sentiments sont aussi les vôtres. Et c’est en ce sens que nous dirigerons toujours les uns et les autres l’action politique et l’action gouvernementale de ce pays.

Camarades, j’achève. La nuit tombe, et je veux terminer ce discours qui vous a trop longtemps retenus. Nous ne sommes pas un Gouvernement socialiste, je l’ai dit cent fois et je le répète encore, ni un Gouvernement constitué pour appliquer le programme du Parti Socialiste, je l’ai dit aussi et je le répète une fois de plus. Nous sommes un Gouvernement de Front Populaire constitué pour appliquer le programme de Front Populaire, et, à l’image, non pas tout à fait complète, mais cependant exacte, de la majorité du Front Populaire.

Cette majorité, je veux le dire ici, je l’ai dit à la Chambre, je le redirai à chaque occasion, elle est la seule possible, elle est, en tout cas, la seule possible pour nous. Et, nous vous mettons tous en garde contre les pressions et les manœuvres de toute sorte qui pourraient avoir pour effet, ou de la dissocier à la Chambre, ou de la diviser dans le pays.

Nous sommes un Gouvernement de Front Populaire. Nous sommes le premier Gouvernement auquel le Parti Socialiste ait participé. Nous sommes le premier Gouvernement auquel le Parti Communiste ait accordé un soutien que lui-même a tenu à qualifier de collaboration. Nous sommes le premier Gouvernement auquel les organisations légitimes de la classe ouvrière aient accordé un concours qui, lui aussi, a pris la forme d’une collaboration véritable.

Nous sommes le premier Gouvernement qui ait cherché et trouvé sa force dans son contact avec un Rassemblement Populaire, groupant toutes les forces matérielles et morales de la démocratie dans ce pays. Voilà notre signalement. Nous n’en voulons pas, nous n’en cherchons pas d’autre. Nous ne voulons pas, nous n’acceptons pas, pour notre Gouvernement d’autre base politique. Nous serons donc fidèles à cette majorité.

Mais, si nous avons des devoirs envers elle, elle a aussi des devoirs envers nous. La fidélité que nous lui montrons, elle doit nous la montrer à son tour. Tout en nous reprochant, quand elle le croit bon, les erreurs que nous avons pu commettre, elle doit éloigner de nous les difficultés. Elle doit se garder de tout acte qui pourrait menacer, ou dans le Parlement, ou dans le pays, la cohésion du Front Populaire lui-même. Elle doit, quand elle nous témoigne sa confiance par son vote, nous la témoigner aussi par ses paroles et par ses actes.

Je suis sûr, camarades, que vous comprendrez que ces devoirs réciproques doivent être remplis et que, grâce à cette union sans cesse renouvelée, nous surmonterons les difficultés que nous rencontrons sur notre chemin, et qui sont moins redoutables assurément quand elles viennent des hommes que quand elles viennent des choses elles-mêmes.

En tout cas, pour ma part, j’aborde avec optimisme cette seconde phase d’action gouvernementale qui va bientôt commencer. Je suis optimiste de ma nature. Je suis un optimiste invétéré, incurable, incorrigible. J’ai entendu tant de fois Jaurès répéter un mot de Guizot qu’il affectionnait : « Les pessimistes ne sont que des spectateurs. » Et, en ce moment, j’ai autre chose à faire, et un autre devoir à remplir, que de prendre ma place au spectacle.

Je crois, pour ma part, avec une ardeur qui ne s’est jamais affaiblie et qui, je l’espère, ne s’affaiblira jamais, à tout ce qui a fait ma croyance et ma foi depuis que j’ai l’âge d’homme. Je crois à cet ensemble de vérités civiques, politiques, humaines, qui s’appellent les principes de la Révolution française, que la Révolution française a propagés dans le monde entier et qui s’expriment par un seul mot : par le mot de démocratie.

Je crois à la paix. Je crois à l’efficacité de la volonté humaine pour persévérer dans la voie de la paix.

Je crois à cet idéal de justice sociale, que nous appelons, nous, le socialisme. Idéal qui, par notre volonté commune, par notre effort commun, se transporte et se transforme pour nous chaque jour dans le réel, et dont la réalisation complète, définitive, suppose d’abord l’unité prolétarienne et, ensuite, une union de plus en plus étroite du prolétariat avec les hommes, avec les partis, avec les catégories sociales quelles qu’elles soient, qui sentent l’iniquité du régime social actuel.

Je crois à tout cela. Ma foi est plus ardente que jamais. Plus que jamais, je suis résolu, comme au temps de ma jeunesse, à me vouer tout entier à cet idéal qui est le vôtre. Camarades, citoyens, amis, je ne le trahirai jamais.