L’Estomac et le Corset/Avant-propos

J.B. Baillières et fils (p. 1-3).


AVANT-PROPOS


Il peut paraître téméraire d’ouvrir une lutte nouvelle contre le corset. Ce sujet a été maintes fois traité et par de plus habiles, de plus expérimentés que nous. Tout n’est pas dit pourtant, c’est ce que nous chercherons à démontrer dans ces pages. En tous temps, en tous pays on a essayé de réfréner la folie du corset. On a même souvent exagéré les récriminations ; il en est résulté une action en sens inverse, et quelques médecins ont cru bien faire en le réhabilitant dans une certaine mesure. Il est pourtant, quoi qu’on en ait dit, assez facile de se maintenir dans un milieu équitable ; facile encore, faisant la part du feu, je veux dire de ce que l’on est force d’accorder à la coquetterie, de réduire l’emploi de cet appareil et son rôle véritable, celui d’un vêtement dont le but est double : maintenir et soutenir les seins lorsqu’ils sont exubérants ; prêter aux liens des jupes un appui un peu rigide qui les empêche de serrer directement la taille. Tout autre rôle doit lui être formellement interdit ; le corset a le droit de se mouler sur les formes naturelles du corps ; il n’a pas celui de les soumettre à sa propre forme ; malheureusement, c’est ce qu’il réalise en général.

Une femme aux lignes pures, harmonieuses, n’a que faire d’un moule qui les modifie et les façonne à sa convenance. On ne peut que déplorer la triste et invincible tendance de celles qui, moins favorisées au point de vue esthétique, veulent atteindre un idéal qu’elles acquièrent seulement en altérant la nature.

La mode, sur ce terrain, fait aux hygiénistes et à toutes les personnes de bon sens, une guerre acharnée, dans laquelle la victoire lui restera toujours. Aussi ne songeons-nous point à entamer une lutte directe avec le corset, mais seulement avec ses abus ; encore limitons-nous le champ de notre étude, et si, chemin faisant, nous parlons des désordres produits sur différents points de l’économie par l’usage immodéré du corset, ce n’est que pour être complet et pour les coordonner à ceux qui font l’objet spécial de ce travail.

Notre plan est simple, comme notre sujet ; nous voulons décrire les déformations, les dislocations et les troubles fonctionnels de l’estomac produits par l’excès de la compression due au corset. Après avoir rappelé à grands traits l’anatomie et la topographie normales de cet organe, nous indiquerons les meilleurs procédés de son exploration ; ils nous conduiront à l’étude clinique de ses viciations de forme et de leurs conséquences, et comme tout mal réclame un remède, nous chercherons à établir la prophylaxie de ces déformations, l’hygiène du corset moderne et enfin la thérapeutique à instituer contre les désordres produits.

C’est surtout parmi les femmes d’une classe aisée que l’on trouve ces déformations ; on en observe moins à l’hôpital. Aussi ne pouvions-nous compter sur les seules ressources hospitalières pour établir les bases de ce travail ; c’est à M. Bouveret, agrégé, médecin des Hôpitaux, que nous devons non seulement les matériaux de notre thèse inaugurale, mais encore et surtout l’idée mère et tout ce qu’il y a d’inédit dans ces pages. Trouvant ici l’occasion, peut-être unique, de lui témoigner notre inaltérable gratitude, nous le prions d’en accueillir le respectueux hommage.

C’est à la fin de ses études que l’on sent mieux le prix des enseignements reçus, des amitiés qui vous ont entouré. Nous serions profondément ingrat, si nous omettions de remercier ici publiquement tous nos Maîtres à la Faculté et à l’Hôpital ; nous les prions d’accepter l’hommage de notre vive reconnaissance.

M. A. Charpy, Professeur à l’École de Toulouse, et M. F. Glénard, ont bien voulu s’intéresser à notre petite étude ; ils nous ont donné les conseils les plus éclairés ; qu’ils en soient sincèrement remerciés.

M. le Professeur Bondet nous fait l’honneur d’accepter la présidence de notre thèse. Il nous donne une preuve nouvelle de l’intérêt bienveillant qu’il nous a maintes fois témoigné ; nous sommes heureux de lui dédier ce travail ; qu’il veuille bien l’accepter comme un gage de notre respectueuse affection.