Sur le sentier du plus âpre des bois,
Tel qu’un flâneur distrait qui ne me voit,
Le poil bouffant, vint tranquille vers moi
Un renard. J’eus comme un léger émoi
Qui se changea vite en éclat de rire
Lorsque aussi prompt qu’une brise qui vire
Il s’en alla si bien que je l’admire
Dans ma pensée où je vois encor luire
Sa queue. Et tout autour j’entends bruire
Le cliquetis des arbres dépouillés.
Ô mon renard ! ami des prés mouillés,
Cadres brillants des coqs aux chants rouillés
Dont l’orgueil fou trahit les poulaillers,
C’est bien à toi que semblait ma Jeunesse
Lorsqu’elle allait d’un pied plein de finesse,
Faisant glisser de tous côtés son œil
Et prête à fuir l’ombre d’un écureuil !
Cette Jeunesse elle est dans ma pensée.
Ainsi que toi, renard, elle est passée
Sur le chemin des bois où les pensées
Et l’ancolie au printemps sont poussées.
Et maintenant, dans l’automne froissée,
Elle s’en va sur les mousses tassées
Et comme si, d'alors jusqu'aujourd'hui,
Ce ne fût pas plus long que lorsque a lui,
Un simple instant, le beau renard poli.
Je ne saurais pleurer comme vous faites.
Doux rabâcheurs que l'on nomme poètes.
Que vous soyez Horace ou bien Ronsard,
Je ne saurais pleurer avec votre art
Sur cette rose au soir fanée. Et puisque
Elle est fanée, et qu'il n'est plus de risque
Qu'elle retourne à son rosier, je veux
Me réjouir autant qu'il plaît à Dieu,
Sans qu'un regret vienne mouiller mes yeux.
De l'autre fleur qu'on nomme l'immortelle.
Vous me fuyez, je vous fuis, toute belle
Oui roucoulez comme une tourterelle.
Pour vous mon archet cesse de jouer
Et pour vous mes chants cessent de louer.
Dans les bois galants vous irez bouder
Et dire aux échos que je n'ai plus d'ailes.
Fous irez chercher des brins d'asphodèles.
De la violette et du romarin,
Des joueurs de flûte et de tambourin,
Car je vous aurai bien scandalisée,
Pour m'ensevelir aux Champs-Elysées :
Cythère a cargué parmi les lueurs
Que dans l'ombre font les martins-pécheurs.
Donc loin de vous, et tel qu'un vieil ermite
Qui par vos mains fut enterré trop vite.
Portant au dos la gourde et la marmite,
Je poursuivrai le chemin que limite
Le ciel. La nuit, semblable à du granité.
Se déploiera dans le jour de saphir
En me berçant des liquides soupirs
Qu'un rossignol que l'on croirait mourir
Mêle au silence où pleure la fontaine.
Me nourrissant de racine et de faîne.
Vêtu d'écorce et de grossière laine.
Je construirai ma cabane sereine
Avec l'argile et la branche de chêne
Dans ce vallon où l'Amour vrai m'entraîne.
C'est fait. J'habite avec l'Amour, ici,
Et dans la joie est noyé mon souci.
Je suspendis mon cœur à cette mousse.
Il est éclos et ses ailes le poussent
A voleter parmi les grimpereaux,
A se baigner avec eux au ruisseau,
A sautiller sur le dos du troupeau,
A gazouiller aux cimes de l'ormeau.
Par le chemin couleur de la pervenche
Où le beau temps qui suit son cours s'épanche.
Tous les matins, mon rosaire à la hanche,
Je redescends vers la chapelle blanche.
Car chaque jour n'est pour moi qu'un Dimanche.
Or je dirai ce qui parfois m'advint
Depuis alors jusqu'en mil neuf cent vingt.
Un jour heurta ma hutte une diablesse
Oui voulut faire échec à ma sagesse :
Cheveux roulés comme on les porte en Grèce,
Et ces regards dont les pointes nous blessent.
Et cette voix dont Sirène caresse
Le voyageur qui dans la haute mer
En l'écoutant boit à l'amour amer.
J'étais au coin du feu mourant, l'hiver.
— Que voulez-vous ? dis-je à la visiteuse.
— Mais rien, qu'avec vous écouter l'yeuse
Et le sapin qui font harmonieuse
La poésie où maître êtes passé.
J'en aime fort le souffle cadencé,
Comme la branche où le vent a dansé.
Quand on entend l'orage dispersé
Rouler le char de la prochaine Aurore.
Cette diablesse, elle me dit encore
Ces mots subtils que les hommes adorent
Et qui les font tomber, et puis mourir
Quand le plaisir a tué le désir.
— Ma barbe, dis-je, est commue de la neige !
— Rien n'est plus doux, quand un toit vous protège.
Que les flocons qui tombent au dehors
Et dont le froid dans le chaud vous endort.
Ayant prié mon ange que l'infâme
Qui me parlait en attisant ma flamme
S'en allât loin et ne perdît mon âme,
Il m'inspira, non point un brusque blâme
Qui va perçant le cœur comme une lame.
Mais le moyen le plus spirituel
Dont sut user poète sous le ciel.
Il m'inspira, puisque cette diablesse
S'était vantée à moi de la tendresse
Quelle portait aux brises qui caressent
Les branches d'arbre en les faisant chanter,
Et aux frimas qu'on voit en l'air flotter.
De lui servir sur ma plus juste lyre
Le plus doux chant du bois quand il soupire
Et le duvet le plus blanc de Zéphyre.
Ce qu’alors je fis. Et d’abord souffla
Le vent aux sapins. Et la mer boula.
Puis le vent décrut. La mer désenfla.
Et tout doucement la brise coula
Comme de la pluie à travers l’yeuse.
Le soleil baisa la forêt joyeuse
Qui dans un tendre et long balancement
Berçait comme fait un être charmant
Ses nids de mésange et ses nids de graines.
Cet hymne aurait pu plaire à quelque reine,
Mais à la diablesse il ne convint pas
Et je l’entendis maugréer tout bas.
Mon luth alors neigea sur la vallée
Qui s’épanouit comme l’azalée
La plus blanche. Et la plaine immaculée
Se tut. Et les champs et toutes leurs claies
Disparurent dans l’éblouissement :
C’était le livre pur du Tout-Puissant.
Je vis bientôt la diablesse fuyant :
Elle n’aimait la neige ni le vent
1920.