L’Enseignement des classes moyennes en Angleterre

L’Enseignement des classes moyennes en Angleterre
Revue des Deux Mondesvolume 58 (p. 169-196).
L'ENSEIGNEMENT
DES CLASSES MOYENNES
EN ANGLETERRE

I. Rapport à M. le préfet de la Seine, par M. Marguerin, directeur de l’École Turgot, et M. Motheré, professeur à l’École militaire de Saint-Cyr ; 1 vol. in-folio. — II. Enquête sur l’Enseignement professionnel, ministère de l’agriculture, du commerce et des travaux publics ; 1 vol. in-folio.

L’un des mérites de notre enseignement public est la symétrie qui règne dans ses classemens. Rien de plus simple, de plus facile à saisir. Les trois degrés dont il se compose, primaire, secondaire, supérieur, ont une signification qui exclut toute équivoque. les études intermédiaires ou accessoires s’y rattachent naturellement et sans effort. Les pouvoirs ne sont ni moins clairement, ni moins rigoureusement définis ; ils se concentrent dans les mains de l’université, qui. les exerce ou les délègue : le peu qui lui échappe retombe dans les attributions de ministères spéciaux. L’état est donc présent partout où l’instruction se distribue ; quand il ne gère pas, il autorise, dirige ou surveille. C’est un mécanisme dont les organes bien liés obéissent à la même impulsion. Cet ordre, cette régularité de mouvemens, n’existent pas en Angleterre. L’enseignement public y a plus de liberté d’allures et une plus grande variété de formes. Cette liberté et cette variété sont un embarras quand on veut s’en former une idée méthodique et se tracer un plan d’examen. Qui a vu un lycée en France les a presque tous vus ; une visite dans un collège communal ou dans une école primaire donne une idée suffisante de ce que sont les autres. Partout les mêmes plans, la même discipline, le même esprit ; les cadres sont si bien disposés que d’un coup d’œil on les embrasse. L’Angleterre n’a pas de ces identités qui simplifient l’observation. Toute école ou du moins toute catégorie d’écoles demande à être étudiée à part, vue sous le jour qui lui est propre, si l’on veut en fixer la physionomie. Celle-ci aura gardé un reflet des traditions, celle-là aura préféré courir les aventures. La carrière est libre, pourvu que l’on ne tende pas la main aux paroisses ou à l’état. De là un régime qui n’est pas exempt de confusion et dans lequel on ne pénètre qu’au moyen d’informations multipliées et persévérantes. Quand les faits sont vérifiés, les principes se mettent d’eux-mêmes en lumière.

Nous avons passé en revue les divers modes de distribution de l’instruction primaire[1] ; il nous reste à parler des établissemens destinés aux classes moyennes, c’est-à-dire de ce qui répond chez nos voisins à notre enseignement secondaire. Deux documens pleins d’intérêt sont à consulter dans ce travail. Le premier est l’enquête qui a eu lieu au ministère du commerce au sujet de l’enseignement professionnel ; le second est le rapport fait au préfet de la Seine par MM. Marguerin et Motheré à la suite d’une mission qui leur avait été confiée. Ce cadre comprend ce qui est ancien et ce qui est nouveau dans les institutions anglaises : une part y est ménagée à l’enseignement des arts et des sciences d’application, pour lequel un département spécial a été créé dans les conseils de la couronne. L’échelle des établissemens en exercice aura été ainsi parcourue. Çà et là il sera aisé de voir qu’un penchant vers la concentration s’est déclaré dans le monde officiel, et il eût été poussé plus loin, si les mœurs du pays n’y eussent profondément répugné. Des essais timides ont été suivis d’un prompt retour. On a regardé de plus près aux sommes que l’état distribuait d’une main libérale et on s’est aperçu qu’elles manquaient en grande partie leur objet. Depuis lors on en est revenu à cette vérité d’expérience, qu’en matière d’éducation comme en toute chose il n’y a pas toujours profit à vouloir forcer les besoins et à répandre inconsidérément la semence sur un terrain qui n’est pas suffisamment préparé.


I

Dès le sommet des études, le régime anglais se sépare ouvertement du nôtre. L’état s’y efface ; les corporations seules se montrent. Les trois universités d’Oxford, de Cambridge et de Durham, sans dépendance entre elles, ne reconnaissent comme patronage extérieur qu’un chancelier de leur choix, pris parmi les pairs du royaume, et dont les fonctions comportent plus d’honneurs que de pouvoirs. En réalité, ces universités se gouvernent, s’administrent elles-mêmes en vertu d’anciens statuts scrupuleusement obéis. Le respect du passé s’étend jusqu’au costume, qui est encore, même pour les élèves, celui des traditions. Ces franchises sont accompagnées de privilèges qui partout ailleurs sembleraient exorbitans, entre autres une juridiction qui s’étend à la ville où elles siègent et le droit d’envoyer des représentans à la chambre des communes d’après un mode d’élection particulier. Investies des mêmes droits, ces universités ont eu des destinées inégales, et il s’est fait entre elles, par la force des choses, un partage d’attributions. Oxford est restée ce qu’elle était à l’origine, l’une des colonnes de l’église établie, la gardienne des fortes et anciennes études, sans mélange de nouveautés. Cambridge accorde davantage aux sciences et n’est pas, pour l’orthodoxie, en aussi bonne odeur auprès du clergé régulier. Durham, très déchue, manque de caractère propre et se recrute péniblement. C’est dans ces universités que se confèrent les grades académiques de maître, de bachelier et de docteur, suivant les facultés. Ces facultés sont nombreuses et comprennent les lettres, les sciences et les arts ; il y a des docteurs en droit, en médecine, et, ce qui est plus original, même en musique. Deux conditions, le stage et les examens, sont de rigueur pour obtenir ces grades, qui ne sont point uniformes et admettent des degrés d’excellence. Du sein de toute université sort une élite qui se dispute ce qu’on appelle les honneurs. Entre le gros des étudians et les candidats aux honneurs, la distance est grande. Pour les premiers, il ne s’agit que de l’effort nécessaire pour obtenir un titre à peu près insignifiant, l’équivalent d’un certificat de médiocrité ; pour les autres, c’est une entreprise sérieuse, au bout de laquelle il leur est permis d’entrevoir une distinction qui les classe et leur ouvre les grandes carrières. Des avantages positifs y sont d’ailleurs attachés, des prix d’une certaine valeur, des bourses, quelquefois des pensions qui se prolongent au-delà du temps des études.

L’université, en tant que corps, juge directement les élèves ; elle ne les forme qu’indirectement. Autour de son enceinte et comme dépendances sont groupés des collèges nombreux, qui sont autant d’établissemens préparatoires dans toutes les branches de l’enseignement supérieur. Oxford a dix-neuf de ces collèges, Cambridge seize, fondés ou dotés, à diverses époques, par de grands seigneurs, des prélats ou de riches particuliers. Ces dotations ont amplement suffi pour les mettre sur un pied de luxe que la contiguïté des constructions rend plus frappant. Ce n’est, à vrai dire, qu’une succession de monumens que signalent au loin des tours et des dômes d’architecture variée et entre lesquels des espaces ont été ménagés pour des pelouses, des jardins, des serres, des parcs, qu’animent des eaux vives et des accidens de terrain. Chacun de ces monumens a le style de sa destination ; ici une chapelle, là un musée, plus loin une bibliothèque, une salle de théâtre où, dans les solennités, les étudians jouent des pièces grecques et latines, enfin la vaste rotonde avec une galerie ouverte au public, et qui sert aux séances d’apparat où les grades élevés se confèrent. Nous n’avons pas l’équivalent de ces villes essentiellement studieuses, où les autres formes de la vie civile sont pour ainsi dire absorbées par de grandes existences académiques. Cette condition est pourtant heureuse à plus d’un titre ; elle écarte les distractions nuisibles et garantit un plus grand recueillement. L’attrait qui s’y mêle est empreint d’utilité ; ces jardins sont des jardins botaniques ; ces musées, ces galeries enseignent en même temps qu’ils charment ; ces bibliothèques sont des plus riches qu’il y ait au monde non-seulement en livres, mais en manuscrits arabes, sanscrits, persans et mexicains ; l’une d’elles, à Cambridge, renferme un beau globe céleste de dix-huit pieds de diamètre qui passe pour un chef-d’œuvre du genre. Il y a également des observatoires avec les appareils appropriés. Parmi ces établissemens, il en est qui sont d’usage commun, d’autres qui appartiennent en propre à un collège et ne sont qu’à son usage. Dans leur ensemble, ils composent une véritable cité qui, sur un petit espace, réunit une collection complète d’instrumens pour les hautes études. Aux esprits bien disposés, rien ne manque de ce qui est nécessaire pour s’instruire ; sur les plus réfractaires, la nature des lieux agit à leur insu, dompte la volonté et ne laisse pas à l’activité individuelle le choix des directions. Hors du travail scolaire, cette activité n’aurait point d’alimens.

La plupart de ces collèges sont montés dans de grandes proportions. Greffés sur le tronc des anciennes institutions catholiques, ils en ont conservé les plans d’études et le culte jaloux des humanités. Dans les détails d’organisation, cette fidélité aux souvenirs se retrouve. Ainsi près du chef ou maître du collège, assisté par ses agrégés, figurent encore des chapelains, des clercs et des chantres dont les noms et les attributs ont survécu au changement de liturgie. Par un accord rare, la science religieuse et la science profane vivent là côte à côte sans s’exclure ni se heurter. Les universités fournissent des sujets à toutes les carrières, au clergé comme à l’armée, au barreau et à la magistrature comme à la médecine et au génie civil ; elles sont à la fois des séminaires, des facultés et des écoles spéciales. L’ensemble des connaissances humaines y est représenté avec un point de départ commun, le commerce familier de l’antiquité. C’est la force et la raison d’être de ces collèges supérieurs ; ils ne courent pas après le nombre ; leur objet est rempli si l’élite leur reste. Ce qu’ils dispensent surtout, c’est ce fonds d’instruction qui est la substance et l’ornement des esprits cultivés et accompagne l’homme dans toutes ses destinations. Les méthodes ont surtout en vue une préparation sérieuse où la réflexion concourt avec la mémoire à bien fixer le sens des leçons et à exercer le jugement dans les commentaires qui en découlent. Il n’y a pas seulement des cours dont l’effet se perd quand l’attention est distraite, mais de véritables classes qui exigent un travail personnel et des essais de composition. Chaque étudiant y est interrogé à son tour ; il lit et explique les auteurs, répond aux objections, discute ce qui est douteux, éclaircit ce qui est obscur, pose et soutient des thèses à mesure que le sujet lui en fournit. Le maître est là moins pour interrompre que pour écouter ; quelquefois il suscite des controverses d’élève à élève de manière à les redresser l’un par l’autre en se réservant le dernier mot sur le débat. On comprend ce que ces exercices ont de favorable au développement des intelligences. L’habitude du raisonnement, s’acquiert ainsi dès l’âge qui est celui des élans irréfléchis ; l’enfant apprend à mesurer et à peser ses paroles, à leur assigner un ordre, à leur donner quelque valeur ; il apprend à exposer ses idées, si superficielles qu’elles soient, à garder sa présence d’esprit devant un auditoire où il a des censeurs dans ses égaux. Il n’est pas jusqu’au choix et à la propriété de l’expression qui ne soient de rigueur dans ces épreuves, et ne marquent, de classe en classe, le degré d’avancement. On s’étonne quelquefois des dispositions qu’ont les Anglais pour les joutes de la vie publique, dans lesquelles ils se montrent rarement hésitans et embarrassés. Ces improvisations sont pour nous des corvées ou une grâce d’état ; pour eux, c’est un jeu, et du plus au moins tout le, monde y est propre. C’est dans les écoles, et au moment où le cerveau reçoit ses premières façons, qu’ils en acquièrent le don et en, prennent le goût. On leur enseigne dès lors deux choses qui s’éloignent du dialogue décousu que préfère notre verve gauloise, l’art de développer leurs idées, et, ce qui est plus rare, l’art de savoir écouter.

L’accès de ces collèges et de ces universités est libre pour toutes les classes de la communauté ; seulement la distinction des rangs y est maintenue. Un collège est l’Angleterre en miniature. Dans les classes, l’enseignement est commun, ce qui est également commun, c’est l’obéissance à la discipline. Le régime est un moyen terme entre la liberté de nos écoles de droit et l’internat de nos lycées. Tous les étudians sont soumis à la surveillance du chef du collège, tous sont astreints à rentrer le soir à une heure déterminée et à porter au dehors la robe universitaire. Des peines sont attachées aux infractions : l’expulsion, l’exclusion temporaire, les supplémens de tâches scolaires. Dans tout cela, point de traitement de faveur, du moins ostensible ; c’est la part faite à l’égalité. Les inégalités commencent sous la forme qui, dans nos mœurs, serait la plus blessante. Dans l’intérieur, point ou peu de mélange ; chacun fraie avec les siens ou ne déroge qu’en marquant les nuances. Le logement varie suivant le rang ou la fortune. Dans les réfectoires, les fils aînés de lords siègent sur une estrade ; il y a aussi dans les classes des bancs réservés pour eux ; ils sont par privilège dispensés du stage qui précède les examens. Autant que le régime commun le permettait, on a voulu rendre sensibles aux autres élèves les signes d’élection attachés à leur naissance. Près d’eux, à un degré moindre, les cadets de familles nobles ou les fils aînés de baronnets ont également des privilèges qui remontent à d’anciennes coutumes. Ils portent un habit distinct, comme les fils de lords ont le leur. On peut d’un coup d’œil voir ce qu’un collège renferme de grande ou de petite noblesse, comme dans nos écoles on voit aux galons ceux qui ont le mieux mérité dans leurs études. Même au-dessous des classes titrées, le mélange n’est pas complet en Angleterre, tant la séparation des rangs y est une institution rigide. Notre usage, plus généreux, est de confondre dans nos écoles ce qui y entre à titre payant et à titre gratuit de manière à ce que les conditions d’origine ne troublent pas la nature des rapports. Nos voisins n’ont pas ces attentions délicates, ni cette pudeur dans le bienfait. Ils tiennent surtout à écarter les équivoques et à ce que dans le collège chaque élève passe pour ce qu’il est au dehors. Les pensionnaires payans restent donc distincts des boursiers, et les affinités se règlent en conséquence. Ce n’est pas là une circonstance insignifiante ; cette séparation qui date des bancs du collège se réfléchit dans les mœurs et les habitudes. Qui n’a remarqué l’attitude presque défensive d’un Anglais vis-à-vis des personnes qu’il ne connaît pas ? Il ne se livre que quand la glace est rompue. Ce pli est pris dès le premier âge et ne s’effacera plus ; on lui a enseigné qu’il fallait choisir avant de se communiquer et n’accepter de familiarité qu’avec ses pairs. Il a eu au collège des condisciples et non des camarades ; dans le monde, il gardera la même réserve. Pourvu que sa dignité y gagne, il regrettera peu le charme des rencontres et des liaisons accidentelles ; il s’exposera même à ce qu’on prenne pour de la morgue ce qui n’est au fond qu’un effet de l’éducation. Les pensionnaires des collèges appartiennent aux classes nobles ou aisées, qui peuvent supporter la dépense assez onéreuse de la vie universitaire. Tout est cher à Oxford et à Cambridge, le logement, la table, les frais d’étude, les droits d’examen ; trois ou quatre ans de stage entre dix-huit et vingt-deux ans sont en outre un sacrifice et un obstacle pour les jeunes gens qui visent à des carrières précoces, soit par besoin, soit par convenance. Aussi le nombre des étudians est-il assez limité, et ne semble pas en rapport avec l’opulence publique. La moyenne, dans les trois universités né dépasse pas 4,500 inscriptions, sur lesquelles Oxford et Cambridge se partagent 4,000 inscriptions, pour n’en laisser que 500 à Durham. C’est le contingent fourni par les vingt millions d’âmes qui peuplent aujourd’hui le vieux royaume. Encore faut-il, s’il s’agit du revenu, en déduire les bourses qui sont largement compensées par des dotations. L’histoire de ces bourses remonte aux temps de la réformation. L’église catholique, là comme ailleurs, tenait dans ses mains l’enseignement de la jeunesse ; les couvens, les presbytères, les maîtrises des cathédrales étaient autant d’écoles gratuitement ouvertes, sans distinction de destinations ; on y formait des élèves pour le monde comme pour le sacerdoce. Quand vinrent les jours de schisme, suivis de la confiscation des biens, l’établissement ancien croula, et il fallut, sous une autre forme et avec d’autres agens, pourvoir aux besoins de l’instruction publique. Les universités seules restaient debout, plus nominales que réelles et sans moyen de recrutement. De là un appel à l’effort volontaire pour suppléer à ce que fournissaient auparavant les propriétés de mainmorte et les tributs de toute nature perçus par le clergé. Cet appel fut entendu ; les souscriptions abondèrent, puis vinrent les donations et les legs, et ce fut ainsi que se fondèrent ce que l’on nomma des écoles de grammaire, destinées à former des humanistes. Au début, il ne s’agissait que de restituer au clergé réformé l’équivalent des séminaires où l’ancien clergé se recrutait ; plus tard, on en agrandit les cadres au profit des éducations séculières. Dans cette œuvre d’assistance, les libéralités privées n’étaient pas toutes sans conditions ; en plus d’un cas, on y attachait la réserve d’un nombre déterminé débourses en faveur des enfans pauvres. Tantôt ces bourses étaient au concours pour les plus méritans, tantôt les donataires en gardaient la libre disposition pour les transmettre dans leurs familles d’aîné en aîné. La manière dont on traitait les élèves qui entraient par cette porte est encore un trait de mœurs. Longtemps on les obligea à des actes de domesticité, soit pour tenir marquée la distance des rangs, soit pour regagner sur eux une portion de la faveur qui leur était échue. Ils balayaient les salles ou faisaient le service des tables. Sur les bancs de la classe seulement, ils redevenaient les condisciples de ceux dont ils avaient nettoyé les habits, et souvent prenaient leur revanche en les battant aux examens. Singulier mélange d’humbles fonctions et d’honneurs académiques ! Nous en avons eu des exemples, et il suffit de citer Ramus, qui ne devint professeur au collège de Presles qu’après avoir été garçon de peine au collège de Navarre.

Ces coutumes ont cédé à l’action du temps ; les écoles de grammaire elles-mêmes ont peu à peu subi des changemens assez profonds. Les fortunes ont été diverses, et la clientèle a varié au gré de la fortune. Le hasard y a beaucoup fait. Parmi les dotations d’origine, les unes étaient en biens-fonds, les autres en numéraire ; cette différence, insignifiante au moment du premier établissement, est devenue décisive dans le cours des siècles par suite de la variation des valeurs. Celles d’entre ces écoles dont les moyens d’existence reposaient sur des placemens immobiliers ont vu d’année en année leurs revenus s’accroître dans une proportion qui dépassait l’augmentation du prix des choses ; elles sont aujourd’hui dans l’opulence. Celles au contraire dont les rentes étaient en argent ou en titres mobiliers ont vu leurs ressources décroître d’une manière irrésistible ; le mouvement des valeurs a constamment tourné à leur détriment : avec un revenu fixe, elles avaient à pourvoir à des dépenses qui grandissaient. Elles sont dans une situation précaire. Ainsi, d’un même point de départ, les unes ont abouti à la déchéance, les autres à la prospérité ; toutes ont changé de destination. Ce ne sont plus des écoles préparatoires pour le clergé ; l’aristocratie nobiliaire et financière a envahi les plus florissantes, et par le fait de cette adoption en a écarté les familles qui sont obligées de regarder de plus près à la dépense. Telles sont les écoles d’Eton, de Harrow, de Rugby, de Winchester, dans lesquelles les rangs sont peu mêlés, et qui ne s’ouvrent guère qu’à la naissance ou à la richesse. Tout y est sur un pied qui exclut les petites situations. Au-dessous, il est vrai, le choix ne manque pas. Il y a, dans beaucoup d’autres comtés, de ces anciennes écoles de grammaire, à Bristol, à Exeter, à Coventry ; Londres en compte plusieurs. Quelle qu’ait été leur destinée, presque toutes sont restées fidèles jusqu’à l’obstination à l’esprit dans lequel elles ont été fondées. Leurs statuts les obligent à former des humanistes ; elles n’y dérogent pas. Ni les engouemens, ni les caprices de l’opinion n’ont pu les détourner de cette voie ; elles ont fait à l’enseignement des sciences la part qui convient, une part subordonnée et calculée de manière à ne pas nuire à la force des grandes études. Eton, qui reçoit la fleur de la noblesse, paie en ceci d’exemple ; elle en est restée au rudiment d’Edouard VI, modifié dans les portions qui ont vieilli. Pour n’être pas entraînée dans des nouveautés qui affaibliraient ses programmes, elle choisit ses maîtres parmi ses anciens élèves, et ces maîtres enseignent comme on les a enseignés, tenant pour suffisantes les méthodes qui ont donné à l’Angleterre des géomètres comme Newton, des poètes comme Byron, des orateurs comme Burke et Fox.

Cette persistance des écoles de grammaire à se renfermer dans leurs statuts a donné lieu à quelques incidens bizarres qui montrent jusqu’où est poussé le respect des traditions. Parmi ces écoles, il en est que des circonstances particulières ont vouées à l’abandon, soit que leur rayon d’action ait diminué, soit que l’état de leurs ressources ait réduit la valeur du personnel enseignant. Dans quelques cas, l’établissement restait vide avec un principal qui attendait inutilement des élèves. Appuyé sur son titre et touchant les derniers revenus de l’école, ce principal n’en était pour cela ni plus docile ni plus accommodant ; il se retranchait dans sa charte de fondation comme dans un fort, et n’admettait pas qu’on pût le troubler dans les droits qu’elle lui conférait, ni changer la nature des obligations qui y étaient inscrites. En vain lui disait-on qu’il fallait se conformer à l’esprit du temps, vaincre le délaissement par des concessions, régénérer l’école pour la rendre viable. Aucun de ces tempéramens ne lui semblait compatible avec le mandat dont il était chargé ; son premier devoir était d’obéir aux clauses constitutives de l’établissement, et il le faisait en vivant de l’école comme un chanoine de sa prébende. S’il avait des loisirs, c’était au public de les interrompre ; les portes lui étaient ouvertes. Que faire ? qu’opposer à cette force d’inertie ? La paroisse et le comité directeur avaient épuisé leurs remontrances ; au-delà, il n’y avait qu’un procès à intenter. C’est ce qui a eu lieu : les cours de justice ont été plus d’une fois saisies et ont invariablement jugé dans le même sens en donnant gain de cause au principal de l’école. Il a été décidé qu’en de tels contrats la lettre stricte devait être respectée sans en rechercher l’esprit, ni agiter la question de convenance. À ces arrêts, qui ont fait jurisprudence, le lord-chancelier a pourtant ajouté un conseil qui est désormais suivi : c’est de passer un marché avec les principaux des écoles quand leurs pouvoirs expirent ou se renouvellent. L’occasion est bonne alors pour un débat sur les programmes, et l’investiture peut être mise au prix de certaines conditions. Cette marche a réussi auprès de quelques écoles de grammaire, où elle était susceptible d’application, et vis-à-vis de quelques principaux, qui ont mieux aimé céder que se démettre. Sur deux points, une modification aux statuts a eu lieu, D’un côté, l’intolérance religieuse a en partie désarmé, et les dissidens ont été admis dans les écoles sans être astreints à des actes qui blessaient leurs consciences. D’un autre côté, les études profanes ont gagné du terrain sur les études théologiques, et près des divisions classiques s’est introduite une division moderne qui place les arts et les sciences sur un pied moins subalterne. Ce mouvement est récent, et il ne s’est produit encore que dans les moindres écoles, celles que l’aristocratie dédaigne ; on s’en défend quand on le peut, et là où on l’accepte, c’est comme pis-aller. Il répond au besoin d’études incomplètes et hâtives. A Londres même, dans ce centre d’affaires, les vieilles institutions y résistent : ni Saint-Paul, ni Christ-Church, ni Westminster, ne se sont laissé entamer ; on y regarderait comme une déchéance tout ce qui serait l’équivalent de nos mélanges d’études et de nos bifurcations. Pour trouver quelque chose qui s’en rapproche, c’est à l’école de Saint-Olef qu’il faut descendre.

Cette maison est, de toutes les écoles de la tradition, celle qui a le plus dévié de la ligne commune. Ce qu’a fait ailleurs l’appauvrissement, ici c’est l’excès d’opulence qui l’a fait. Fondée par la reine Elisabeth, Saint-Olef en avait reçu comme dotation des terrains vagues situés dans un pauvre faubourg au sud de la Tamise. Ces terrains étaient, par une clause expresse, inaliénables. Londres, en s’agrandissant, les a englobés dans son enceinte ; ils sont aujourd’hui couverts de constructions, et toute parcelle se convertit en rentes au profit de l’école. Le revenu est donc énorme, et la charge à l’origine était bien légère. Il ne s’agissait que de choisir dans deux paroisses contiguës quelques enfans destinés à entrer dans les ordres. Dans ces clauses, rien qui ne fût formel et limitatif ; bon gré mal gré, il a fallu s’y conformer. Le. plus grand embarras était dans l’emploi de l’argent qui s’amassait entre les mains de l’économe avec une abondance toujours croissante. On en jeta une part dans le luxe des bâtimens ; on eut des escaliers somptueux, des salles richement décorées, un édifice qui ressemblait moins à une école qu’à un palais. Ces prodigalités n’empêchaient pas les réserves de s’accumuler. Une autre part, la moindre peut-être, était appliquée aux besoins de l’école et au personnel enseignant ; mais ici la difficulté n’était pas moindre. Saint-Olef et son annexe n’avaient qu’une population restreinte composée d’ouvriers, de petits marchands et d’industriels. Faire de tous leurs enfans des clercs, comme l’indiquait la fondation, ou des docteurs, ou des bacheliers, il n’y avait pas à y prétendre ; les familles ne s’y seraient pas prêtées : c’était déjà beaucoup que de garder les humanités comme enseigne et d’élever pour les universités quelques sujets qui représentaient le contingent réglementaire. Avec toute la déférence possible pour le texte des statuts, on ne pouvait pas aller plus loin ; l’aliment manquait dans les limites des paroisses. Force était donc de prendre un parti à moins de convertir Saint-Olef en une caisse de thésaurisation. Deux écoles à titre gratuit furent alors ouvertes, l’une du premier degré avec 350 élèves, l’autre du second degré avec 400 élèves. Dans cette dernière, le latin et le grée ont été maintenus ; en profite qui veut. Des professeurs de choix sont attachés aux deux divisions, depuis l’instruction élémentaire jusqu’à l’instruction supérieure. Saint-Olef ne pouvait donner à ses excédans de recette une meilleure destination. Sans sortir de son enceinte, l’enfant a l’option entre toutes les carrières, et si haut qu’il vise, il trouve les moyens de s’y préparer.

Près de ces écoles qui, par nécessité, ont dû déroger aux conditions de leur origine, il en est d’autres qui l’ont fait en sens inverse et en élevant leur niveau par des interprétations abusives de leurs chartes. Les écoles des corps de métiers sont dans ce cas. Il y en a deux à Londres tenues sur le meilleur pied et qui remontent à deux siècles, celles des marchands drapiers et des marchands tailleurs. En apparence, leur destination était inscrite dans leur titre même et ne pouvait donner lieu à aucune équivoque. Les corps de métiers, en les fondant, ne semblaient avoir en vue que les enfans nés dans la profession. C’était le cas de s’en tenir à une affectation si bien spécifiée. Il n’en a rien été ; les moindres élémens de ces écoles sont des fils de drapiers ou de tailleurs ; l’armée, le barreau, le négoce, la finance, la bourgeoisie, y fournissent la grande majorité des élèves. Comment cette intrusion a-t-elle eu lieu ? Par le cours naturel des choses. En principe, l’affectation spéciale n’était que dans le titre ; les statuts étaient plus généreux, ils n’emportaient pas d’exclusion. Les comités chargés de pourvoir aux vacances avaient la liberté des choix, et rien de plus naturel au début, quand ces comités étaient pris dans le corps du métier et se recrutaient d’eux-mêmes ; mais, ce qui eût été à prévoir, la composition de ces comités s’altéra avec le temps et en raison de la fortune des écoles. Devenues plus riches, l’ambition les poussa vers une clientèle assortie à leur richesse et une sorte de désaveu de leurs humbles commencemens. Les comités, de leur côté, cédèrent à la vanité des noms, et s’adjoignirent des hommes de naissance ou des parvenus retirés de la profession et qui n’y portaient plus le même intérêt. Peu à peu ces écoles échappèrent ainsi aux mains des corps qui les avaient fondées ; les comités en disposèrent comme bon leur semblait, et à peine cherchèrent-ils à sauver les apparences. Le costume et l’enseignement furent néanmoins respectés ; ce sont les seules traditions qui survivent. Dans le reste de la gestion, de grands abus se sont glissés. Pour quelques places que l’on accorde à des enfans de drapiers et de tailleurs, il s’en distribue à titre de faveur un nombre considérable à des familles que protègent les membres des comités. Il y a des sollicitations, des brigues, on dit même des vénalités. L’opinion publique s’en est émue et à bon droit ; l’intention des fondateurs était évidemment violée ; c’était détourner au profit des classes riches l’obole de l’intelligence destinée aux classes pauvres et forcer l’interprétation de ces pouvoirs discrétionnaires dont la conscience, à défaut de la loi, aurait dû tempérer l’exercice.

Cet abus n’est pas d’ailleurs isolé ; il se retrouve dans beaucoup d’écoles de grammaire. Leur destination manifeste était de dispenser l’instruction, soit gratuitement, soit au prix d’une redevance légère, aux enfans des familles qui n’en pouvaient pas supporter la dépense. Leur dénomination générale l’indiquait ; c’était la charité dans l’éducation, educational charities, il n’y avait pas à s’y méprendre. Nous avons vu pourtant l’aristocratie s’emparer, dans les comtés, des écoles qui étaient à sa convenance, d’Eton, de Rugby, de Harrow, de Winchester ; à Londres, la même usurpation a eu lieu vis-à-vis des écoles les plus florissantes, celles de Saint-Paul, de Christ-Church et de Westminster. Des deux parts, de maîtres à élèves, l’accord s’est facilement établi. Les maîtres ont donné la préférence à une clientèle qui flattait mieux leur amour-propre et ajoutait à leurs revenus un prix de pension qui n’était pas à dédaigner. Les familles, de leur côté, ont fait le calcul que ces établissemens, pourvus de dotations, seraient moins exigeans que ceux qui auraient leurs frais à couvrir et leur fortune à faire. Il y avait là, comme apanage, des locaux vastes et bien installés, des rentes qui assuraient le traitement des professeurs, toutes les garanties d’une éducation sérieuse. Où trouver mieux ? Les classes nobles ou aisées se substituèrent donc aux premiers destinataires, et dans une certaine mesure cette substitution était justifiée. Si elle n’avait pas eu lieu, les écoles seraient restées désertes. Tout au plus eussent-elles formé quelques théologiens. Les affecter à la classe pauvre et les vouer à la latinité était retirer d’une main ce qu’on donnait de l’autre, ou du moins réduire à quelques unités le nombre d’enfans susceptibles d’y entrer. C’est ainsi que ces institutions, la plupart gratuites, ont manqué leur but charitable et déserté un service modeste pour rendre au pays des services plus brillans. Westminster par exemple peut s’enorgueillir d’avoir vu passer sur ses bancs des enfans qui se sont frayé un chemin vers les grandes carrières et sont devenus des jurisconsultes éminens, des hommes d’état, des généraux comme lord Raglan. Après la guerre de Crimée, les anciens élèves eurent l’idée d’élever une colonne commémorative en l’honneur de leurs condisciples morts sur le champ de bataille : on peut voir cette colonne devant la façade de l’école ; les noms sont inscrits sur le socle, et dans le nombre les noms les plus illustres.

Le fait n’en demeure pas moins abusif ; il n’est pas juste que le bénéfice de ces dotations, grossies par d’énormes plus-values, aille à de semblables adresses. Tout récemment le mal s’est aggravé, et les comités des écoles ont dû en agir bien librement pour que le gouvernement, volontiers impassible, ait cru devoir s’en mêler. Sur des actes dénoncés, il ordonna une enquête et envoya des délégués dans quelques-uns de ces établissemens. La tentative ne fut pas heureuse ; les portes leur en furent fermées. Ces résistances seraient pour nous un sujet d’étonnement, et avec nos procédés ordinaires nous en aurions promptement raison. Les portes seraient forcées, et on mettrait la main sur les récalcitrans. Nos voisins ne connaissent pas. ces descentes sommaires ; le gouvernement s’est arrêté, il n’avait pour lui ni le droit ni la coutume. Ces écoles, se suffisant à elles-mêmes et ne recevant rien de l’état, agissent dans leur pleine indépendance ; elles ne sont assujetties ni au contrôle ni à l’inspection. Tout Anglais lésé ou non lésé peut leur faire un procès, si elles manquent à leurs obligations, et condamnées, elles se soumettent ; jusque-là leurs actes comme leurs locaux sont à l’abri des moyens de contrainte. Le gouvernement est moins armé contre elles que le plus humble des citoyens. Voilà pourtant des abus, dira-t-on, des abus notoires, et l’action publique, mise en demeure de les réprimer, en est réduite à une déclaration d’impuissance. Est-ce tolérable ? On ne les tolère en Angleterre que dans la crainte de tomber dans des abus plus grands. La responsabilité individuelle ou collective, l’inviolabilité du domicile, sont des garanties entrées si avant dans les mœurs qu’aucun esprit sensé ne se laisse troubler par les inconvéniens qui s’y attachent ; c’est une place fermée dont on garde avec soin jusqu’aux abords. Que ferions-nous en France en pareil cas ? Une chose qui nous paraîtrait la plus simple du monde et en même temps la plus concluante : nous livrerions à l’état les pouvoirs que les comités exercent de manière à blesser le sentiment public ; ceci fait, nous croirions avoir partie gagnée. Il y aurait pourtant, au bout de cette exécution, une injustice et un mécompte : une injustice, car pour frapper une école fautive il faudrait les condamner toutes et confondre les innocens avec les coupables ; un mécompte, car au lieu d’extirper l’abus on n’aurait fait que le déplacer. Le régime de la faveur n’est pas si étranger à l’état qu’il puisse répondre de ne pas verser dans la même ornière que les corps auxquels il se serait substitué. Les mêmes solliciteurs qui assiègent les comités d’écoles assiégeraient le ministre ou ses bureaux et en obtiendraient les mêmes complaisances. Tout ce qu’on y aurait gagné, ce serait d’élargir le cadre des postulations. C’est dans cette prévoyance que nos voisins constituent le moins possible l’état en redresseur de torts ; la dénonciation publique leur paraît une arme plus sûre. L’opinion est fixée à ce sujet ; elle se dit que si l’individu ou les corps sont faillibles, l’état n’est pas une école de perfection et qu’il a de plus le travers particulier de faire servir à sa politique les instrumens dont il dispose.

Telle est la série des établissemens qui datent des temps de la réforme et sont des legs du passé : les universités et leurs collèges, les écoles de grammaire et les écoles des corps de métiers. Ces établissemens ont cela de commun qu’ils vivent de leur propre fonds et peuvent ainsi mettre leur principe constitutif à l’abri et au-dessus des caprices du public. Ce principe, on l’a vu, est le maintien des fortes et anciennes études. Les attaques, les récriminations ne leur ont point été épargnées. On leur reprochait de trop accorder à la théologie au préjudice de la vraie piété, de s’asservir à des formes d’enseignement bonnes tout au plus pour le moyen âge ; ils n’ont répondu à ces reproches que par quelques concessions discrètement faites à l’esprit du temps. On est allé alors plus loin : on leur a suscité des concurrences. Ce mouvement est contemporain et ne s’est ouvertement prononcé que vers 1825, sous l’influence du parti whig. Le dessein était de reconstituer l’enseignement de la base au sommet, en l’allégeant de son vieux bagage et en l’appropriant mieux aux besoins des communautés modernes. Comme principe, on entendait se rattacher au mobile de l’utilité que Bentham avait essayé d’introduire dans les sciences morales et philosophiques, et rédiger des plans d’études où l’on donnerait la préférence aux matières dont l’enfant devenu homme pourrait tirer le plus de profit. Sans renoncer au commerce de l’antiquité, on le rejetait sur le second plan ; du principal il devenait l’accessoire. La durée des classes de latin et de grec était diminuée au profit des sciences exactes et des sciences d’observation, de l’histoire et de l’économie politique. C’était une éducation positive à instituer comme préparation aux réalités de la vie. Les promoteurs de ce mouvement portaient de grands noms, et à leur appel l’argent vint sans, peine. Les sommes versées permettaient d’adresser un défi aux puissances établies : on commença par les plus hautes ; l’université de Londres fut fondée. Les débuts de cette institution furent hésitans et timides ; elle semblait douter d’elle-même. Bon gré mal gré, elle eut d’abord à retrancher beaucoup sur les hardiesses qu’on avait projetées. Il y a des noms qui obligent ; le nom d’université est du nombre : il ne se sépare pas d’un fonds de notions qui rend familière aux hommes vivans l’existence des générations éteintes, et nous lie ainsi à nos ancêtres dans le génie des arts et la culture de l’esprit. Les programmes de la nouvelle université furent donc plus chargés qu’on ne Veut voulu de matières grecques et latines ; comment remplir les examens et conférer des grades, s’il en eût été autrement ? En revanche, on a forcé, autant qu’on le pouvait, les programmes des sciences, et pour leur donner plus d’apparence on y a introduit des superfétations. L’ensemble compose un assez médiocre enseignement. L’université de Londres a pourtant réussi auprès des classes moyennes ; plusieurs motifs y ont contribué. Le plus décisif a été une tolérance en matière de cultes dont les autres universités, plus directement placées sous l’influence du clergé, se défendent résolument. L’obligation de la résidence que maintiennent Oxford et Cambridge, et qui est inséparable d’une lourde dépense, a été une considération non moins déterminante. Enfin le choix du siège a beaucoup agi. La ville de Londres est une cliente comme il y en a peu dans le monde. Si elle eût accordé ses faveurs comme elle accordait son nom à l’institution naissante, les universités provinciales en auraient reçu un ébranlement ; elle y a mis de la mauvaise grâce, et les positions respectives sont restées ce qu’elles étaient. L’aristocratie a traité de haut ce travestissement des études, et la bourgeoisie opulente, qui volontiers prend la noblesse pour modèle, n’a pas montré un moindre dédain. Il n’est resté à l’université de Londres que la partie des classes moyennes sur laquelle ces préventions ne pouvaient avoir d’influence. Cet enseignement intermédiaire lui convenait ; il était ce qu’il fallait pour des gens d’industrie et de commerce, et peu leur importait d’ailleurs, pourvu qu’il y eût des grades au bout. Avoir un grade est la grande ambition d’un Anglais : cela fait bien à côté du nom ; mais il y a diplôme et diplôme, et ceux de l’université de Londres ne sont pas jusqu’ici en grand honneur. Aux yeux des docteurs d’Oxford, c’est de l’enseignement dégénéré, et ils enveloppent dans la même condamnation les écoles de grammaire qui ont consenti à un mélange dans leurs plans d’études.

Comme il était dit que Londres copierait jusqu’au bout les établissemens de la tradition, un collège d’enseignement supérieur a été créé comme annexe à son université. Ce collège prépare les élèves qui aspirent aux grades ; il est bien tenu et très fréquenté ; le choix des professeurs y est excellent, surtout dans la partie des sciences ; on a pris à tâche d’avoir au moins ce titre de supériorité ; il suffisait pour cela de s’adresser aux corps savans dont la ville abonde. C’est en effet la véritable revanche à poursuivre contre les établissemens dominans, et, conduite avec habileté, elle pourrait aboutir à une transaction. Il n’y aurait plus alors cumul, il y aurait partage, et l’université de Londres deviendrait la principale faculté des sciences, tandis que les facultés des lettres resteraient fixées à Cambridge et à Oxford. On dirait que le clergé établi a le sentiment de ce déplacement de puissance, et déjà il a pris les devans. Près des collèges de l’université de Londres, à laquelle il ne peut pardonner d’avoir accueilli les étudians de toutes les croyances, il a ouvert un collège du même degré où les étudians orthodoxes sont seuls admis. C’est le King’s college ou collège du roi, fondé en 1828, auquel est annexée une école préparatoire. Ces deux institutions étaient des instrumens de combat, et on les a organisées en conséquence. L’enseignement littéraire a été amoindri, l’enseignement scientifique a été fortifié. Comme tous les clergés, celui-ci tient pour légitimes les moyens qui réussissent : avant tout, il lui importe que les élèves ne sortent pas des vrais sentiers de la foi et que les sectes dissidentes ne souillent pas l’enceinte des écoles régulières. On ne saurait imaginer l’ardeur qu’il déploie pour qu’il en soit ainsi et de quel œil jaloux il surveille ce qui essaie d’échapper à son étreinte.

Ce qui précède met en évidence combien ces établissemens d’éducation supérieure ou secondaire diffèrent des nôtres. En vain chercherait-on des analogies, des points de rapprochement : tout est dissemblance, même dans les mots. Les universités anglaises n’ont rien de commun avec notre université, les écoles de grammaire ne sont pas nos lycées, les écoles des corps de métiers ne sont pas nos collèges. Le contraste n’est pas moins grand dans le régime que dans les dénominations. Nos écoles de tous les degrés ne pourraient vivre sans le trésor public, les écoles anglaises vivent de dotations qui leur appartiennent. Chez nous, l’état tient les écoles sous sa dictature ; chez nos voisins, les écoles ferment leurs portes à l’état quand il devient importun. Ici l’uniformité, là-bas la diversité. Lorsqu’en France on a adopté un règlement, un plan d’études, des matières d’examen, la consigne en circule dans toutes les écoles et doit être strictement obéie ; en Angleterre, les écoles trouveraient étrange qu’on leur taillât de loin ces ajustemens sans avoir pris leur mesure ni tenu compte de leur goût. Chacune d’elles préfère se façonner elle-même ces objets à son usage quand le besoin s’en fait sentir et dans les formes qui lui conviennent. Ces formes varient à l’infini ; d’une école de grammaire à l’autre, on se copie sur quelques points, sur d’autres on se sépare ; c’est une affaire de conduite et de discernement. Est-ce à dire que cette liberté d’agir n’aboutisse qu’à des incohérences ? Non, et on va le voir en suivant cet enseignement dans son action. D’une confusion superficielle il se dégage alors une harmonie qui n’est autre chose que le produit d’une conformité de tempérament. S’il y a eu des écarts, ils se corrigent par l’expérience ; s’il y a une idée heureuse, elle fait promptement son chemin. Les esprits, tendus vers les mêmes problèmes et y procédant de bonne foi, se rencontrent tôt ou tard dans les mêmes solutions. La recherche et l’essai des améliorations ne sont interdits à personne, sous prétexte qu’une autorité supérieure veille à ce besoin, et fixera le moment où il doit être satisfait.


II

Le trait qui frappe le plus dans l’éducation anglaise est la vigueur morale qu’elle donne. Attribuer cette vigueur à une qualité de race serait se payer d’une défaite. La race ne se constitue et ne dure qu’au moyen d’un certain entraînement ; les facultés de l’esprit, comme les forces du corps, ne prennent de valeur qu’en raison de la manière dont on les exerce. Le régime auquel nous soumettons l’enfance ressemble trop à un engourdissement ; les vertus passives y tiennent trop de place. Les mieux notés d’entre nos élèves sont ceux qui s’assouplissent le plus aisément, se règlent avec le plus de soin dans leurs discours et dans leurs actes, réussissent d’une manière plus suivie à s’observer et à contenir leurs élans naturels. L’internat, qui est le fait le plus général, conduit par une pente insensible à ce sommeil de la volonté ; il est inséparable d’une surveillance qui dégénère en obsession et s’aggrave par l’effet d’un zèle mal entendu. Dans ses jeux comme dans ses travaux, l’enfant est sous les yeux du maître, et calcule ce qu’il peut oser sans lui déplaire. Il ne s’appartient pas et entre dans un moule qui n’est pas le sien ; quoi d’étonnant qu’il le brise violemment quand il peut disposer de lui-même ?

Dans l’éducation anglaise, cet écueil est évité, c’est l’externat qui domine ; il est de règle pour les écoles publiques pourvues de dotations. A l’issue des classes, les enfans rentrent dans leurs familles ou en trouvent l’équivalent dans des pensions que tiennent les professeurs. L’internat, quand il est obligé, n’a pas les formes rigides du nôtre, et se concilie avec une liberté d’allures qu’on n’énerve iii par des consignes, ni par des empêchemens intempestifs. La surveillance s’efface au lieu de se prodiguer ; elle ne répand pas sur les élèves cette ombre d’ennui qui y est inhérente et glace leurs ébats. Ils peuvent aller et venir comme bon leur semble et vider entre eux leurs petits différends sans qu’un tiers morose vienne y mêler ses remontrances, quelquefois ses punitions. Ils sont dans l’école, comme ils seraient dans le monde, actifs et responsables. « Nous traitons nos enfans comme des hommes, disait un père de famille à M. Marguerin » afin qu’ils apprennent à le devenir. » C’est le système anglais résumé en quelques mots ; il est de beaucoup le meilleur à suivre. Rien de plus sain en effet que l’exercice de la volonté pratiqué de bonne heure ; le discernement s’acquiert dans cet apprentissage qu’aucune consigne ne suppléerait. L’enfant apprend à penser, à juger, à choisir par lui-même, à peser les suites de ses déterminations. S’il cède à des pétulances graves, il les expie par le châtiment, cherche dès lors à se vaincre et prend de l’empire sur lui-même. La vie commence pour lui comme elle s’achèvera, par les leçons de l’expérience ; en lui épargnant les occasions de faillir, on l’eût moins bien servi qu’en le laissant éprouver à ses dépens où mènent les fautes. Toutes les qualités susceptibles de culture sont ainsi mises en rapport dès les premières années, et de là viennent ces caractères virils, sensés et réfléchis, qui sont moins un privilège de race qu’un produit de l’éducation.

Ce serait une erreur de croire que ces habitudes de tolérance. engendrent le relâchement ; elles ont un correctif dans une discipline très sévère, Des peines graduées frappent toutes les infractions aux règlemens, et pour les cas les plus graves les châtimens corporels sont encore en vigueur. On connaît le vers latin qui est inscrit, comme menace, sur les murs de la salle des classes de la grande école publique de Winchester :

Aut disce, aut discedo ; manet sors tertia, cædi.

Cette inscription date de loin et semble jurer avec nos mœurs. Les élèves qui entrent peuvent y lire les trois chances qui les attendent et entre lesquelles il dépend d’eux de faire un choix : apprendre, être expulsé ou châtié. Ce dernier traitement nous répugne ; il commence à répugner à nos voisins ; l’école n’en maintient pas moins, dans toute sa rigueur, son hexamètre disciplinaire ; on dit même qu’elle en use pour ses natures endurcies et qu’entre les verges et l’expulsion elle se décide de préférence pour les verges comme adoucissement. Le plus singulier, c’est que de leur côté les familles s’accommodent de ce compromis. Toujours est-il que l’école n’est point désarmée et que les franchises laissées aux élèves n’excluent pas la stricte observation de leurs devoirs. Ainsi, après leurs six heures de classes, ils ont liberté plénière ; on ne les parque pas dans des cours étroites, encadrées dans de hautes murailles, avec un maître d’études sur leurs pas. On tient en Angleterre à ce qu’ils se retrempent à l’air libre et que leur corps s’y fortifie. Il y a dans l’établissement ou à ses portes de vastes pelouses où tout est disposé pour les distraire ou les exercer, des parties de cricket, des appareils gymnastiques, quelquefois des barques sur la rivière pour des courses à l’aviron. On comprend avec quelle ardeur l’élève se porte vers ces jeux et combien il s’en enivre ; mais sous cet attrait se cache un danger. Qu’emporté par ces divertissemens il ne tienne pas compte de la fuite des heures et néglige ou tronque la tâche scolaire, il sera le lendemain vivement réprimandé et sévèrement puni après une rechute. C’est la rançon de son indépendance. Il n’en jouit qu’à la condition de ne pas s’oublier et de se commander à lui-même. Il se peut au fond que la part faite aux exercices du corps nuise aux exercices de l’esprit et qu’après les effervescences du jeu l’élève ne retrouve pas à point nommé le calme nécessaire pour l’étude. Le niveau de l’instruction en est-il diminué ? On est fondé à le croire, mais ce serait le relever à un triste prix que de condamner la jeunesse à l’étiolement en l’honneur des sciences, et des lettres. Le calcul, fût-il juste, ne serait ni heureux ni humain.

Les méthodes d’enseignement né diffèrent que par le choix des matières ; chaque école a ses livres d’adoption et en change rarement. On a vu que, dans les collèges de l’université, il s’est établi des sortes de conférences où le développement oral tient une grande place. Dans les écoles de grammaire, on ne trouve rien de semblable ; à quelques exceptions près. Le gros du travail se fait au moyen de text books, littéralement des livres de textes. L’élève s’approprie la substance de ces livres, et la classe a plutôt pour but de vérifier son travail personnel que de lui en fournir les élémens. Dans cette combinaison, le maître est un peu effacé ; il s’en remet au livre qu’il a choisi pour animer l’intelligence de l’élève, et n’y ajoute que rarement ses commentaires. Celui-ci, de son côté, se blase quelquefois sur sa besogne et la convertit volontiers en un exercice machinal. Ainsi la lecture des auteurs est le fond de l’enseignement littéraire. Les choix portent sûr les plus illustres, et comme on les lit par morceaux de longue haleine, on s’identifie mieux avec leur génie qu’au moyen de passages détachés. L’explication est faite à haute voix et précédée d’une préparation personnelle. Ces lectures ont leurs avantages, mais elles demanderaient un complément. Elles exercent le jugement et la mémoire, elles ne forment pas le style. Ce que nous nommons une version n’est pas d’usage dans les écoles anglaises, du moins d’usage habituel. On n’y choisit pas dans les anciens maîtres une belle page pour la traduire à tête reposée, et s’en rapprocher autant que possible par la fidélité et la puissance de l’expression. En revanche, le thème leur est moins étranger ; les écoles en empruntent le modèle aux exercices de l’université, où il prend le nom de composition. Ces compositions consistent à faire passer dans une langue morte, le latin ou le grec, quelques morceaux de prose anglaise ; de même pour la poésie anglaise, qu’on arrange en vers grecs ou latins de différens mètres. C’est quelquefois littéral, d’autres fois ce sont des imitations : on laisse le champ libre aux concurrens. Il y a également des compositions plus relevées où les étudians ne s’inspirent que d’eux-mêmes et développent à leur gré une idée ou un sujet. La robe universitaire donne seule la confiance nécessaire pour prendre cet essor ; les écoles ne visent pas si haut. Cependant on y a introduit des compositions d’un ordre plus modeste, dirigées vers des objets usuels. Ce qu’on y demande aux enfans, ce sont des faits plutôt que des phrases, et en ceci comme en toute chose l’esprit anglais se met à découvert. Ce qui est du domaine de l’art est rejeté sur un plan secondaire. Pourvu que l’idée soit juste, précise, peu importe le mode d’expression. Aucun peuple n’a autant besoin de s’inspirer du génie antique, et il a du moins le bon sens de comprendre que, sans cet élément d’emprunt, tout sentiment de l’idéal aurait bientôt disparu de sa littérature.

Pour les sciences exactes, il pourrait vivre de son propre fonds, il a même eu ses génies ; c’est à la Grèce qu’il demande ses autorités. La géométrie des écoles de grammaire en est encore au traité d’Euclide. Ce qui leur plaît de ce traité, c’est qu’il ne sort pas de la science pure. Dans d’autres classes de mathématiques, l’enseignement n’est pas simultané ; les élèves se groupent suivant leurs forces, et le professeur adapte ses leçons à la force de chaque groupe ; en réalité, il n’y a point de classe, mais des élèves isolés. En géométrie, la classe est compacte et l’enseignement simultané. Les élèves récitent par cœur les propositions d’Euclide : le maître écoute, et de mémoire les ramène, s’il est besoin, au texte consacré. « Nos enfans, disait à MM. Marguerin et Motheré un professeur de géométrie, non sans quelque orgueil, nos enfans répètent leur Euclide si couramment que j’ai peine à les suivre. » Les maîtres intelligens ont l’attention de tracer sur un tableau noir la figure qui correspond aux propositions que la classe récite ; un petit nombre, par un changement de lettres, force l’élève à apporter à cet exercice autre chose que beaucoup de mémoire. En algèbre, le grand nombre ne dépasse pas la résolution des équations du second degré ; quelques sujets plus intelligens ou plus favorisés passent alors au binôme de Newton, puis au calcul différentiel. Les traités d’algèbre en usage sont très complets ; comme pour les lettres, ce sont des text books remarquables par le nombre et la variété des exercices pratiques. Le maître n’intervenant que pour éclaircir le livre, celui-ci doit suffire à tout. Cependant la grande affaire pour les Anglais n’est ni l’algèbre, ni la géométrie ; c’est l’arithmétique, et on dirait qu’ils se sont ingéniés pour en compliquer l’usage. Le système des poids et mesures varie de province à province ; on n’en compte pas moins de dix employés concurremment, et qui n’ont pour base ni la numération décimale, ni aucune numération régulière. Dans une enquête faite récemment, il a été calculé que ces complications allongent de deux ou trois ans le temps nécessaire pour cette étude spéciale. C’est pourtant le gagne-pain de milliers de jeunes gens qui se destinent au commerce, et, coûte que coûte, il faut s’en munir. On peut dire que, telle qu’elle est enseignée, l’arithmétique n’est en Angleterre qu’un ensemble de procédés de calcul. Les opérations restent des énigmes pour les élèves et bien souvent pour les maîtres. « Il semble, dit M. Motheré, qu’elles s’exécutent selon des règles jadis trouvées par des raisonnemens qu’on n’a plus intérêt à connaître. » Voilà où en sont les sciences mathématiques dans la plupart des écoles anglaises. En géométrie, on n’enseigne que la théorie, et en arithmétique que le calcul ; en algèbre, la théorie n’est pas exclue, mais on s’y appesantit peu ; l’élève l’a entrevue plutôt qu’il ne la possède. Il est permis de se demander si c’est là présenter à l’esprit les objets dans leurs rapports vrais, et s’il est bien régulier d’enseigner les sciences mathématiques, les unes comme des théories qui ne conduisent pas aux applications, les autres comme des procédés pratiques qui ne s’appuient sur aucun principe.

Pour les sciences d’observation, il n’y a guère de cours réguliers et distincts, si ce n’est dans les grandes écoles ; ils sont nuls dans celles d’un moindre rang, ou n’y ont qu’une périodicité illusoire. Les amalgames les plus étranges se rencontrent dans la matière des leçons. Dans certains cas, on enseigne simultanément des principes de physique et des faits de chimie en présentant les uns et les autres à mesure qu’ils peuvent servir à s’expliquer mutuellement. La physique elle-même n’est pas acceptée comme corps de science ; on traite à part les forces sommaires de la nature, l’électricité, le magnétisme, la chaleur, et en réalité il n’y a pas dans la langue anglaise un mot qui corresponde à notre mot de physique. Il y a des phénomènes, il n’y a point de science des phénomènes. Ce que nous nommons la cosmographie est dans le même cas et se réduit à un peu d’astronomie usuelle. Les écoles en prennent la part qui touche le plus directement un peuple navigateur, la détermination des distances sur mer par observation des astres, les variations des marées, les phases lunaires, les rapports, entre, le temps vrai et le temps moyen. Point de classement méthodique dans tout cela, point de notions qui s’enchaînent ; on se contente de fragmens qui peuvent intéresser l’auditoire sans indiquer même le lien qui les rattache à ce qui les précède et à ce qui les suit. Ce parti-pris de reléguer les sciences expérimentales dans un rang secondaire a lieu d’étonner de la part des Anglais ; l’habitude de l’observation est une des qualités de leur génie. Non-seulement ces sciences se recommandent par les applications industrielles dont elles sont susceptibles, mais, envisagées spéculativement, elles sont propres à fortifier et à développer les intelligences. Elles reposent sur le concret et le réel, comme les mathématiques sur la conception abstraite ; celles-ci apprennent à bien calculer, celles-là à bien voir : dans ce sens, elles se complètent. Il y a là évidemment une lacune qui s’explique mal dans un pays et chez des hommes si positifs dans leur manière de se conduire.

L’enseignement anglais se partage, comme le nôtre, en deux branches ou divisions, mais avec cette différence, que ce qui pour nous est formel est pour eux arbitraire. Ces deux divisions se nomment la division classique et la division moderne. La première comprend les langues et l’histoire anciennes, les langues et l’histoire modernes, les mathématiques et quelquefois accessoirement des notions de physique et de chimie. Dans la seconde division, la langue grecque disparaît, et l’étude du latin est poussée moins avant. Il reste donc plus de temps pour les mathématiques ; mais ici reparaissent les inconvéniens d’un enseignement qui n’est ni simultané ni bien déterminé. L’aptitude et la fantaisie individuelles accélèrent ou ralentissent le mouvement des études. Chaque élève va un peu à son gré ; les uns restent en chemin, les autres doublent les étapes. Quelquefois ils rentrent dans les divisions ou en sortent sans qu’aucun obstacle s’oppose à cette mobilité. Il y a quelque avantage à cela, » il y a aussi des inconvéniens. L’avantage est de ne pas tenir trop longtemps accouplées des forces et des facultés inégales, en obligeant les plus alertes à se mettre au pas des traînards. Un peu de dégoût s’attache à un retour prolongé de matières dont l’esprit est saturé, l’attention s’y lasse, le temps s’y perd, tandis qu’en montant d’un degré il serait utilement employé. L’inconvénient est de laisser trop beau jeu à des travers auxquels l’enfance n’échappe pas plus que l’âge mûr, — la versatilité et la confiance exagérée en soi-même. Ce sont les élèves qui se jugent, et il y en a toujours dans le nombre de disposés à se surfaire. Après tout, dans les divisions anglaises, le danger n’est pas grand ; elles se ressemblent tellement qu’on pourrait les confondre. Tout se borne à une dose plus ou moins forte de grec et de latin. Elles n’ont pas même, au point de vue des carrières, de destination spécifiée ; elles préparent à toutes indistinctement. La division moderne fournit, comme la division classique, des sujets aux professions libérales, moins ornés, il est vrai, mais formés plus promptement, et en outre elle est la pépinière des jeunes gens qui vont peupler les comptoirs du commerce et les bureaux des industries.

Ce qui existe pour les divisions se reproduit dans les classes ; il est loisible à un élève d’y monter d’un degré quand il se sent de force à en courir la chance. Sur ce point également, l’organisation anglaise est très élastique. L’année scolaire se partage en trois périodes ou termes, comme ils les nomment ; cet avancement spontané est permis à chacun de ces termes. L’élève qui se sent capable franchit alors une classe ; on en a vu qui, dans le cours de l’année, en franchissaient deux. A lui ensuite de justifier son ambition en se soutenant de son mieux. La durée des études reste ainsi indéterminée. Il y a bien six classes, mais qui n’emportent pas nécessairement un travail de six années ; il dépend de l’élève de les abréger ; s’il fait un effort plus grand, il est assuré d’en recueillir le bénéfice. Ce n’est pas sur la différence des matières qu’est fondée la distribution des classes, mais sur le degré de force des élèves. Au fond, pour les sujets d’élite, l’école n’est qu’une préparation aux universités, et c’est là qu’en dernier ressort justice est faite des vocations équivoques. Que l’élève ait franchi trop vite les échelons inférieurs, qu’il se soit abusé lui-même ou ait surpris la complaisance de ses maîtres, il trouvera dans les concours des grades des juges plus clairvoyans, et sera ramené à sa vraie mesure. Il apprendra alors que les fruits hâtifs ne sont pas toujours les meilleurs, et qu’il y a profit à laisser au temps le soin de les mûrir. Ces avortemens ne sont pas rares, et plus d’un étudiant qui passait pour un phénomène dans son école est venu piteusement échouer aux examens de Cambridge et d’Oxford.

C’est là en effet la pierre de touche et le degré vraiment supérieur. Ce que nous venons de voir de défectueux et d’insuffisant dans les écoles de grammaire ne se retrouve ni dans les universités ni dans les collèges préparatoires qui en dépendent. Le niveau des études s’y relève avec un éclat et une solidité incomparables, la culture des facultés y embrasse toutes les connaissances humaines dans leur expression la plus achevée. Rien n’en est exclu, tout y est conduit à fond. Les lettrés, les savans les plus illustres, se font un honneur et un devoir de porter la robe de l’université ; les chaire, toujours briguées, sont livrées aux plus dignes. De tels maîtres, comme on l’imagine, disposent de leur enseignement comme ils l’entendent. Ils sont en communion avec ce que l’Europe renferme de grandes autorités dans les lettres, dans les sciences et dans les arts ; ils s’inspirent de ce qui est classé et de ce qui se découvre ; leurs noms et leurs travaux sont la garantie de leurs méthodes, qui se distinguant autant par la sûreté que par la variété. Leur indépendance est à peu près celle qui est accordée à nos professeurs du Collège de France, moins le droit de révocation, et la nature de leurs leçons répond à ce qui se pratique dans notre école normale supérieure, moins la partie pédagogique inhérente à une destination spécifiée. Ce n’est pas qu’il n’y ait pour ce haut corps enseignant une discipline intérieure : on s’y juge entre pairs ; mais cette discipline est plus comminatoire que réelle, et sommeille dans les vieux statuts. Le titre est sérieux comme les hommes qui le portent ; ils le font respecter en le respectant eux-mêmes. La part des hardiesses n’en est pas moins grande, et c’est dans le giron de ces universités qu’est né en partie le goût récent des recherches positives qui est si bien dans le génie anglais, et qui tient désormais dans un état de crise toutes les branches du savoir humain. Les orientalistes d’Oxford et de Cambridge sont entrés pour beaucoup dans les découvertes philologiques qui affectent la question de nos origines ; leurs naturalistes n’ont pas moins profondément troublé les notions reçues sur la nature de l’homme et son rang à part dans l’échelle des êtres. Ainsi, sous l’œil du clergé et dans les voies les plus régulières, le champ est libre, même aux déviations, et de tels faits donnent à la fois une idée de l’esprit qui règne et de la puissance qui réside dans ces grands foyers d’études.

On a vu qu’entre les maisons d’éducation les ressources sont très inégales ; celles qui sont dotées rendent l’existence pénible à celles qui ne le sont pas. Pour ces dernières, la gêne est permanente : elles sont contraintes de veiller de près à leurs dépenses, afin de les tenir en équilibre avec les recettes ; elles doivent se contenter de locaux modestes, pris à bail, qui font une médiocre figure auprès des beaux édifices que les maisons concurrentes ont reçus à titre de dons ou acquis de leurs deniers. Une distance analogue se reproduit dans l’ampleur des services. Par elle-même, la profession est d’ailleurs peu lucrative. L’externat, qui prévaut, ne comporte pas des droits d’école trop élevés, et on n’en pourrait forcer la quotité qu’au détriment du nombre des élèves, qui est dans presque tous les cas assez limité. C’est sur le recrutement des professeurs que pèse principalement l’état des finances d’une maison. Les meilleurs maîtres vont par la force des choses vers les établissemens qui peuvent le mieux les rétribuer, et il ne reste aux autres qu’à glaner sur une moisson déjà faite. En général les bons maîtres sont rares ; l’activité anglaise a tant de moyens de s’exercer et met tant de calcul dans ses choix qu’elle ne se tourne pas volontiers vers des carrières ingrates. Celle-ci l’est de toutes les façons ; le profit y est mince, et il ne s’y attache pas une grande considération. Deux motifs seulement peuvent pousser ceux qui s’y engagent : une vocation décidée ou l’impuissance de mieux employer leur temps. C’est naturellement le clergé qui occupe le plus de chaires ; le soin d’élever la jeunesse s’y est transmis de main en main, comme un devoir d’état ; son brevet d’élection est dans l’habit qu’il porte. Il en est de même des gradués des universités : leur titre les couvre et leur assure un accueil de faveur ; on les recherché même au prix de traitemens supérieurs. Pour les autres professeurs laïques, les choix offrent plus d’embarras ; il n’y a point d’école normale pour l’enseignement secondaire, par conséquent point de diplômes, et force est de se contenter de certificats délivrés par des personnes qui portent un grand nom ou ont une autorité scolaire. C’est une rude tâche que celle de ces maîtres ; il en est qui font jusqu’à six classes par jour, et des classes très diverses, lettres, sciences, histoire. Ils s’y préparent tant bien que mal, laissent leurs élèves réciter ou discourir, prennent des notes sur la manière dont ils s’en acquittent, et les jugent plus qu’ils ne les assistent. Il n’y a pas là d’indifférence ni d’abandon : c’est l’exercice régulier de l’emploi. Il est convenu dans les écoles anglaises que l’enfant doit attendre beaucoup plus de lui-même que de son maître, de ce qu’il découvre que de ce qu’on lui inculque.

Un fait récent semble prouver néanmoins que ce système n’a pas la vertu qu’on lui supposait : on s’efforce d’entrer dans une voie nouvelle. En 1858, les universités, comme gardiennes des études, s’émurent de la médiocrité des élèves que leur envoyaient les écoles publiques, et se décidèrent à y porter remède ; Oxford prit les devans, il rendit un statut qui a pour titre : De Examinatione candidalorum qui non sunt de corpore universitatis. Ce fut l’origine de ce que l’on a nommé les examens locaux. L’objet de ces examens était de mieux régler les études et de donner aux familles une garantie supérieure qui leur manquait. Par groupes déterminés, les écoles étaient admises à présenter leurs élèves à ces épreuves et à se mesurer entre elles dans une sorte de concours destiné à vérifier leur force. C’était une tournée analogue, aux matières près, à celles qui ont lieu pour notre école polytechnique. Dans des programmes d’examen qu’Oxford rédigea, son principal soin fut de redresser, pour le choix et le classement des matières, les parties de l’enseignement qui lui avaient paru les plus défectueuses. Ainsi, dans l’ordre des lettres, on donnait à l’explication orale du professeur une importance plus grande, et on rétablissait dans les exercices habituels la version, jusque-là négligée. Dans l’ordre des sciences, une sorte de réhabilitation était ménagée aux sciences physiques et naturelles, la théorie, et la pratique retrouvaient un meilleur équilibre. Sur beaucoup de points, l’esprit de réforme agissait de la sorte par voie de conseil. Les écoles restaient libres d’y résister ou d’y déférer, de soumettre leurs élèves à l’examen ou de les tenir à l’écart. Rien d’obligatoire ; l’université n’exerçait pas un droit, elle offrait une assistance. Peu d’établissemens ont répondu par des hostilités à cet appel officieux, un certain nombre s’est montré indifférent ; mais ils ont tous par le fait accepté ouvertement ou tacitement un arbitre commun. Au-dessus des écoles, il y a désormais une autorité qui décide de leurs mérites, les distingue et les classe. Pour l’Angleterre, le procédé est nouveau ; elle a en faible dose ce que nous avons en excès : on dirait qu’elle s’amende et cherche aujourd’hui, sinon l’unité, du moins une sorte d’homogénéité de l’enseignement.

Ces examens locaux comportent deux degrés : l’un inférieur, pour les candidats âgés au plus de quinze ans ; l’autre supérieur, pour les candidats âgés de dix-huit ans au plus. La fixation d’une limite supérieure d’âge en fait des examens exclusivement scolaires. Une autre circonstance achève de leur donner ce caractère. Les listes des candidats admis sont publiées avec l’indication de l’école où ils ont étudié. Les familles peuvent ainsi en connaissance de cause se déterminer dans leurs préférences. Les deux programmes d’examen ne diffèrent guère entre eux que par le degré de force, et rappellent ceux qui sont en usage dans l’enseignement secondaire. Quelques détails sont seuls à noter. Il y a une partie obligatoire et une partie facultative. Sous peine d’être rejeté, l’élève doit soutenir la première à la satisfaction des examinateurs ; dans la seconde, il suffit qu’il fasse ses preuves dans une faculté sur huit, et il a l’option des facultés. Dans la section religieuse, il peut même se refuser à l’examen pour cas de conscience, comme le disent les termes officiels. Enfin à l’examen supérieur, quand cet examen est heureux, est attaché le brevet d’associé ès arts, dont le sens n’est pas facile à saisir. Oxford seul confère ce titre. Cambridge, qui a aussi ses examens locaux, s’en défend : pure querelle de formes entre universités. Maintenant, à rapprocher nos épreuves de baccalauréat du programme des examens locaux, voici ce qui frappe. Notre bachelier, pour gagner ses éperons, est obligé de savoir un peu de tout : langues mortes, histoire, sciences exactes ou naturelles ; on lui tend des pièges, on cherche où est le défaut de cette cuirasse dont ses préparateurs l’ont armé. L’associé ès arts s’en tire à moins de frais : il demande à ses juges de l’interroger sur ce qu’il sait ; ses juges s’y prêtent de bonne grâce et le tiennent quitte du reste. Il y a un peu de bonhomie dans la pédagogie anglaise, mais aussi que de fictions dans la nôtre ! Il est au moins douteux que l’esprit du bachelier ait beaucoup à gagner aux violences qu’on lui lait, et que nos questionnaires raffinés y laissent des traces profondes.

Si accommodans qu’ils soient, les examens locaux ont eu plus de crédit auprès des écoles qu’auprès des familles. Autant les grades des universités sont recherchés, autant le titre d’associé ès arts est délaissé. On se demande à quoi il répond, en quoi il peut servir, et c’est un motif suffisant pour que les élèves n’y tiennent pas et que les familles y renoncent. En réalité, jusqu’à présent, il n’a servi ni répondu à rien : nulle part on ne l’exige ; nulle part non plus on n’en tient compte ; il n’a encore ni prestige ni utilité. Les universités ne semblent avoir émis là qu’une monnaie de billon dépréciée avant d’avoir circulé. Dans les trois années qui suivirent l’exécution du nouveau statut, il n’y eut en moyenne que 700 certificats distribués sur une population de 18 millions d’âmes. C’était un premier échec ; il a été suivi d’autres échecs plus sensibles. L’idée première de ce moyen d’ingérence appartenait au clergé ; il voulait vérifier jusqu’à quel point l’esprit de schisme ou d’indifférence avait pénétré dans les écoles. L’instrument de cette vérification était la section religieuse introduite dans les programmes. Les tableaux des examens passés n’ont pas dû lui fournir là-dessus de grands sujets d’édification. En 1862, par exemple, sur 759 élèves examinés, il y en a eu 380 qui ont refusé de satisfaire à cette partie du programme, sensiblement la moitié. L’orgueil national a eu également à souffrir d’un autre détail de ces épreuves. Pour élaguer les incapables, on avait imaginé une section obligatoire, réduite aux plus simples élémens, sans grec ni latin, et ne dépassant pas le niveau d’une bonne instruction primaire. Sur les 759 candidats, 224 ont échoué à cet examen, les trois dixièmes des inscrits, et la plupart pour des écarts d’orthographe trop multipliés. Ces résultats dénonçaient deux faits gravés, les défections vis-à-vis de l’église établie et la faiblesse des études élémentaires. On devait s’en émouvoir, et on n’y a pas manqué ; la presse a mêlé ses doléances à celles des hommes de robe ; on s’est piqué de zèle, on a fait un effort, et il se peut qu’à la longue une revanche soit prise de ces premiers avortemens. Si rien ne s’impose en Angleterre, avec de la persévérance et du temps, tout s’accepte. Il suffit que la valeur d’une idée ou d’un fait se démontre jusqu’à l’évidence. Or les examens locaux sont un bon instrument ; ils établissent entre les écoles un lien qui leur manquait, font naître une émulation qui les excite et les fortifie, associent les noms des élèves et des maîtres qui les ont formés dans un cadre d’honneur où il ne leur sera pas toujours indifférent de figurer. Il ne s’agit plus que d’y habituer les familles et de leur en donner le goût. Ce goût n’est pas venu ; il viendra dès qu’il sera constant que l’institution nouvelle rend quelques services.

Ainsi se comportent et s’administrent les écoles publiques qui pourvoient à l’enseignement des classes moyennes en Angleterre. Ces écoles, avec ou sans dotation, et sous quelque nom qu’on les désigne, représentent la portion la moins mobile, la plus régulière de cet enseignement. Leur orgueil est de remonter à la tradition, leur souci de la maintenir ; elles laissent à d’autres la part des aventures. Naguère elles n’admettaient pas sur leurs bancs d’élémens hétérodoxes : le relâchement qui peu à peu les gagne est une déviation récente ; celles qui y cèdent ne font qu’obéir à des nécessités de position, celles qui peuvent se suffire se renferment résolument dans leurs statuts. Cette obstination a fait la fortune des écoles privées, qui se multiplient à mesure que le préjugé religieux se détend. Parmi ces écoles privées, les unes appartiennent aux sectes dissidentes, les autres reçoivent indistinctement les élèves de toutes les communions. Il en est dans le nombre qui ont atteint de grandes proportions, elles diffèrent des écoles de l’église établie par leur régime comme par leur tolérance ; plusieurs ont une véritable originalité. Comme tout prend chez les Anglais une couleur politique, les mêmes partis qui sont dans l’état se retrouvent dans les écoles et y ont introduit leurs rivalités. Aux établissemens que fondent les whigs, les conservateurs répondent invariablement par des établissemens analogues : à Londres, on l’a vu, ils ont opposé un collège anglican à l’érection de l’université ; à Liverpool, ils ont établi un autre collège pour mettre en échec un institut florissant, soutenu par les whigs. Il en a été ainsi partout. Les radicaux de leur côté couvrent de leur protection et assistent de leurs deniers les écoles populaires. Au fond de ces combats d’influence, il y a un sentiment qui les épure : c’est le désir de n’être ni étranger ni indifférent à rien de ce qui se fait d’utile ou de salutaire dans le pays. Ici du moins, et l’exemple a du poids, personne ne se démet de ses devoirs, qu’ils soient corporatifs ou individuels : c’est la communauté entière qui agit, et plus les prérogatives s’élèvent, plus l’obligation devient étroite et le sacrifice étendu.


Louis REYBAUD.

  1. Dans les livraisons du 15 janvier et du 1er juillet 1863.