L’Enseignement commercial en France et dans les principaux pays du monde

L’Enseignement commercial en France et dans les principaux pays du monde
Revue des Deux Mondes5e période, tome 35 (p. 63-99).
L’ENSEIGNEMENT COMMERCIAL
EN FRANCE
ET DANS LES PRINCIPAUX PAYS DU MONDE

« Quelqu’un pourrait-il me dire, en peu de mots, ce qu’il faut entendre par un négociant accompli ? » demandait le grand philanthrope belge M. Solway, au Congrès d’Expansion mondiale tenu à Mons en 1905.Nous répondîmes qu’il suffisait d’une phrase et que le négociant digne de ce nom était celui qui, en lisant son journal le matin, pouvait se rendre compte presque instantanément de l’influence qu’exerceraient, sar les affaires en général et sur les siennes en particulier, chacune des nouvelles télégraphiées de n’importe quelle partie du monde. Pour cela, il faut savoir, en effet, beaucoup de choses : il faut connaître la géographie, ne pas se contenter de se représenter sur la carte le pays d’où arrive la nouvelle intéressante ; mais, s’il s’agit d’une marchandise produite par ce pays, être au courant de son importance relativement aux contrées concurrentes, savoir établir rapidement la parité des cours et, par conséquent, faire les calculs de poids, de mesures, de changes, de frets et d’escomptes, en un mot connaître à fond la comptabilité ; il faut être renseigné non seulement sur les produits, mais aussi sur la consommation et sur les marchés commerciaux. S’il s’agit d’une nouvelle financière, il faut pouvoir se rendre compte de la répercussion qu’elle aura sur le crédit et sur tout ce qui en dépend ; d’où la nécessité d’avoir étudié l’économie politique et les sciences financières. Si, enfin, c’est une dépêche politique, il faut encore se demander ce qu’il en résultera pour le monde des affaires. Tous ces raisonnemens, tous ces calculs, toutes ces déductions, il est nécessaire de les faire vite, car, dans ce siècle de concurrence télégraphique internationale, malheur à celui qui arrive après les autres.

Ce n’est pas seulement le négociant qui doit être un savant en commerce, c’est aussi l’industriel. Pour faire fortune, il suffisait autrefois, lorsque l’industrie était encore peu avancée, de trouver quelque procédé nouveau, voire quelque économie dans le coût de la production. Aujourd’hui tout le monde travaille à peu près de la même manière et, s’il faut toujours savoir bien fabriquer, le succès dépend surtout de la façon dont on sait acheter la matière première et vendre le produit fabriqué ; l’industrie est devenue commerciale. Aussi la Chambre de commerce de Cologne a-t-elle pu dire que « le grand négociant et le grand industriel modernes doivent fournir la plénitude de travail intellectuel pour fonder et étendre les relations les plus diverses dans toutes les parties du monde ; leur regard doit embrasser la civilisation de l’univers. » Le génie de Goethe avait pressenti l’époque actuelle lorsqu’il écrivait : « Je ne sache pas qu’il y ait d’esprit plus large et plus cultivé que celui d’un grand commerçant ! »

A côté de chefs munis de toutes ces connaissances, les affaires modernes, si complexes, nécessitent des employés capables et, par conséquent, bien préparés et suffisamment instruits. Ces employés se recrutaient autrefois parmi les hommes exclusivement ; aujourd’hui on reconnaît que les femmes sont parfaitement aptes à cette carrière. Il faut préparer toute cette jeunesse à bien remplir sa tâche. Autrefois, une instruction ordinaire suffisait : au sortir de l’école primaire s’il aspirait à devenir employé, ou du lycée si sa famille pouvait avoir la prétention de le faire devenir chef de maison, le jeune homme faisait ce qu’on appelait son apprentissage. Il entrait dans une maison où il s’initiait à la routine du genre d’affaires qu’on y traitait et cela suffisait pour assurer plus ou moins son avenir. Peu à peu, cependant, l’utilité d’un enseignement plus directement approprié s’est fait sentir, on a créé des écoles de commerce, on a fondé des cours de perfectionnement et cela presque en même temps dans la plupart de ceux des pays qui sont à la tête du progrès. Le besoin de se renseigner réciproquement a été tel que de fréquens congrès internationaux n’ont pas tardé à faciliter l’échange des idées. Ces congrès ont eu lieu successivement à Bordeaux en 1885 et 1895, à Paris en 1889 et 1900, à Londres en 1897, à Anvers en 1898, à Venise en 1899 et nous en aurons un à Milan au mois de septembre de cette année. L’émulation a été augmentée encore par la création de nombreuses associations, soit de négocians animés de l’esprit de progrès, soit d’anciens élèves des Écoles de commerce, reconnaissans des bienfaits qu’ils ont tirés de cet enseignement. Nous devons une mention toute spéciale à la Société internationale pour le développement de l’enseignement commercial, fondée par le docteur Stegemann, à l’Association française pour le développement de l’Enseignement technique et à l’Union des associations des anciens élèves des Écoles supérieures de commerce de France.

Le résultat de tous les efforts et l’expérience des pays les plus avancés montrent que l’enseignement commercial doit être divisé en deux séries : l’une destinée à la formation du futur corps commercial, l’autre au perfectionnement du personnel qui en fait déjà partie. A la première série appartiennent les écoles primaires supérieures, les écoles pratiques de commerce et d’industrie et les sections commerciales des écoles d’enseignement moderne Handels abteilungen der Realschulen, les Écoles de commerce moyennes et les Écoles supérieures de commerce, enfin la création moderne par excellence des Facultés de commerce. A la seconde série ressortissent les cours du soir et les écoles de perfectionnement Fortbildungsschuen.

Etats et municipalités, mais surtout Chambres de commerce, corporations et particuliers ont rivalisé d’émulation pour ce nouvel enseignement. Tous les pays n’ont toutefois pas marché du même pas ; ceux qui ont été les précurseurs en ont été récompensés par l’avance qu’ils ont prise sur leurs concurrens dans le développement de leur commerce mondial, mais on peut dire qu’aujourd’hui la nécessité de l’enseignement commercial à tous les degrés est unanimement reconnue. Les nations qui, auparavant, croyaient orgueilleusement être trop supérieures pour en avoir besoin font en ce moment les plus grands efforts pour rattraper le temps qu’elles reconnaissent avoir perdu ; celles qui sont conscientes de la puissance commerciale qu’elles y ont puisée en poursuivent le perfectionnement et l’achèvement. On jugera des progrès que cet enseignement ne cesse d’accomplir dans tous les pays par l’exposé que nous allons faire et que, nous diviserons en trois parties : état actuel dans les principaux pays du monde ; — état actuel en France ; — améliorations qu’il est désirable d’effectuer dans notre patrie.


I

Pour nous conformer à la courtoisie internationale, nous adopterons l’ordre alphabétique pour la revue des pays étrangers, mais il se trouve précisément que celui qui, d’après cette manière de procéder, vient en tête est aussi celui qui, de l’aveu général, occupe le premier rang dans l’enseignement technique. Il est toutefois difficile d’énoncer pour l’Allemagne des chiffres statistiques, car deux faits rendent malaisée la comparaison avec d’autres pays. C’est d’abord que l’enseignement complémentaire des apprentis et des petits employés y est désigné sous le nom d’» écoles » tandis que la plupart des autres nations, et plus justement selon nous, le qualifient de « cours commerciaux ; » c’est ensuite que, presque toujours, les Écoles de commerce allemandes, outre les élèves proprement dits qu’elles conservent toute la journée, reçoivent, à de certaines heures, des auditeurs irréguliers.

L’enseignement élémentaire et les cours professionnels y sont assurés tout d’abord par les sections commerciales des Écoles d’enseignement moderne Handels abteilungen der Realschulen et ensuite par un nombre considérable d’écoles de perfectionnement Fortbildimgsschulen. L’opinion publique ajoute une telle importance à ces dernières que la loi du 1er juin 1891 est venue accorder aux États particuliers ainsi qu’aux communes le droit d’imposer aux apprentis l’obligation de les suivre ; on constate du reste que dans toute l’Allemagne cette obligation tend à devenir la règle. La progression du nombre de ces écoles de perfectionnement est presque stupéfiante : de 363 qu’elles étaient en 1898, elles sont montées en 1905 à 522, dont 237 à fréquentation obligatoire, 146 indirectement obligatoires, et seulement 139 facultatives.

Les écoles d’enseignement moyen tant publiques que privées ne semblent pas avoir augmenté dans ces dernières années ; il y en avait 98 en 1899 d’après l’Annuaire Zimmerman. L’attention s’est surtout portée, en dernier lieu, vers la création et le développement des Handelshochschulen. Ce sont de véritables Facultés de commerce qui ont pour objet, comme le disent leurs programmes, de perfectionner l’instruction commerciale de la même façon que les Universités complètent l’instruction générale. L’Allemagne compte actuellement quatre de ces Facultés : à Leipzig, Aix-la-Chapelle, Cologne et Francfort ; une cinquième sera ouverte prochainement à Berlin. La première en date est celle de Leipzig, fondée en 1898. Comme indication de l’état d’esprit de l’Allemagne, il est intéressant de rappeler que cette fondation, considérée comme un événement important, donna lieu à des réjouissances publiques et fut célébrée par tous les journaux.

Il nous a été donné de visiter dernièrement la Faculté de Cologne. Pour être admis à en suivre les cours, il n’y a aucun examen d’entrée ; il faut, soit être pourvu d’un des diplômes qui donnent droit an service militaire d’un an, soit avoir passé deux années dans un bureau commercial. Il y a bien une limite inférieure d’âge de dix-sept ans, mais en pratique les élèves ont une moyenne de vingt et un à vingt-deux ans. Les cours généraux, obligatoires pour tous, et qui durent quatre semestres sont la comptabilité, le droit, l’économie politique si admirablement désignée par le mot : Wolkswirtschaftslehre, enfin, l’anglais ou le français au choix : de l’élève, plus une autre langue étrangère. Outre ces cours généraux, les élèves doivent choisir l’une des trois branches suivantes : la section de géographie et de marchandises, ou la section des assurances et sociétés, ou enfin la section de technologie comprenant la mécanique, la chimie et la physique. Chaque élève, à son tour, est obligé de parler pendant trois quarts d’heure sur un sujet qui lui est donné et qui sert ensuite de discussion entre le professeur et toute la classe. Pour donner une idée d’ensemble de cette belle école, il suffira de dire que le Conseil municipal de Cologne construit en ce moment pour elle un bâtiment qui coûtera 4 millions de marks et que l’entretien en est assuré non seulement par la taxe d’écolage de ses 330 élèves réguliers (Immatrikulierte) et de ses 45 auditeurs libres Hospitanten, mais encore par les revenus d’un capital de 1 million de marks qui lui a été consacré par M. von Mevissen et par une subvention annuelle de 60 000 marks que lui alloue la Ville.

L’enseignement des jeunes filles se développe beaucoup en Allemagne ; s’il ne comprend pas encore d’école supérieure, on peut constater néanmoins qu’elles sont admises dans certaines facultés : quant aux écoles moyennes et élémentaires, leur nombre ne cesse de s’accroître : de 45, il est monté actuellement à 186.

Comme le dit très justement M, Torau-Bayle dans le remarquable rapport présenta par lui au ministre du Commerce de France en 1900, l’enseignement commercial en Allemagne est dû à l’initiative privée, l’Etat n’a presque jamais l’entreprise ou la direction d’une école de commerce ; ce sont les municipalités et surtout les corporations qui ont développé cet enseignement ; c’est la nation elle-même qui s’est organisée pour la conquête commerciale du monde et elle l’a fait par deux grands facteurs sociaux ; l’école de commerce et l’esprit d’union de ses négocians. Il ne serait pas juste d’oublier de mentionner la grande association allemande pour le développement de l’enseignement commercial Deutscher Verband für das Kaufmannische Unterrichtswesen dont le siège est à Brunswick. C’est elle qui a pris l’initiative des Congrès nationaux de Leipzig en 1897, de Hanovre en 1899 et de Kiel en 1904.

L’Angleterre est de tous les grands pays celui qui est entré le dernier dans la voie de l’enseignement commercial proprement dit. Se complaisant orgueilleusement dans la suprématie de son commerce et obéissant à son esprit conservateur, elle n’a reconnu la nécessité de fortes études commerciales que lorsqu’elle a été effrayée par la concurrence de l’Allemagne. Un livre célèbre, Made in Germany, et le Congrès international tenu à Londres en.1897 l’ont enfin décidée à entrer dans le mouvement. Lord Roseberry et M. Chamberlain en sont les plus chaleureux partisans. C’est par l’enseignement supérieur qu’elle a commencé en créant des Facultés de commerce et des sections de Banque, d’Assurances et de Transports dans les Universités de Londres, Birmingham, Liverpool, Leeds, Nottingham, Sheffield, Newcastle-on-Tyne, Reading, Southampton, Dundee et Manchester. Cette dernière s’est récemment annexé l’important collège commercial d’Owens fondé en 1901. Même les deux vieilles Universités d’Oxford et de Cambridge font leur possible pour répondre aux besoins nouveaux en instituant des examens et des grades pour les langues vivantes et les sciences commerciales. Toutes les écoles anglaises sont ouvertes aux femmes, mais elles n’en profitent guère jusqu’ici.

L’Autriche a comme l’Allemagne de nombreuses écoles de commerce des trois degrés et toutes très appréciées. Le haut enseignement est donné par la Scuola Superiore di Commercio de Trieste et par l’Académie d’exportation de Vienne. La première a été fondée en 1877, grâce à la généreuse donation du baron Pasquale Revoltella. Elle vise surtout la préparation au commerce d’exportation, particulièrement celui de l’Orient La seconde a été ouverte en 1898 pour former des jeunes gens, capables de représenter le commerce autrichien à l’étranger et de répondre aux obligations qui incombent aux consuls commerciaux ; elle a aussi des cours spéciaux pour la formation de professeurs et pour des spécialités, telles que le droit, les transports, et les assurances. Les élèves ont à leur disposition les collections du célèbre Musée commercial de Vienne, si bien dirigé par le professeur Schmid.

L’enseignement moyen du degré supérieur est donné par vingt-quatre écoles publiques de deux années de classes que l’État subventionne, et par une trentaine d’écoles privées. Pour donner une idée de l’estime dont l’enseignement commercial jouit en Autriche, nous citerons l’Académie de commerce de Vienne, fondée en 1838 et appartenant aujourd’hui à la corporation de l’Académie de commerce. Elle est dirigée par un Conseil d’administration composé de négocians et d’industriels. En 1904, elle était fréquentée par 849 élèves et elle a compté depuis sa fondation plus de 15 000 élèves. La corporation a dépensé depuis l’origine 5 millions de francs pour son école, qui est installée aujourd’hui dans un immeuble magnifique ayant coûté 1 250 000 francs ; le fonds de retraites constitué pour les professeurs dépasse 250 000 francs.

Les écoles de perfectionnement (cours commerciaux pour employés et apprentis) sont actuellement au nombre de 118 en Autriche. Ces cours ont généralement lieu le soir de sept à neuf heures ; ils ne sont pas obligatoires, mais ils sont néanmoins assez fréquentés et les patrons s’y montrent très favorables.

Comme les pays catholiques en général, l’Autriche n’admet pas les jeunes filles dans les écoles de garçons et les femmes n’ont ainsi à leur disposition, jusqu’à présent, qu’une quinzaine d’écoles élémentaires qui leur sont spécialement destinées.

L’État, les provinces, les villes, les Chambres de commerce, les corporations, les négocians, même les Caisses d’épargne accordent annuellement à l’enseignement commercial sous ses différentes formes des subventions nombreuses sont le total dépasse 1 350 000 francs. C’est grâce à ces subventions et à la faveur du public que cet enseignement est très prospère et bien installé dans des locaux spéciaux, vastes et quelquefois luxueux.

La Belgique est le pays qui contient proportionnellement le plus grand nombre d’écoles de commerce de tous les degrés et de cours commerciaux. On pourrait presque dire que cet enseignement y est exubérant ; il y a concurrence entre les pouvoirs publics, l’initiative privée et les associations religieuses ou industrielles. La variété des diplômes y est infinie ; un arrêté royal du 28 septembre 1896 a créé la licence du degré supérieur en sciences commerciales et consulaires, et des arrêtés royaux successifs ont étendu et développé cet enseignement par l’organisation d’une licence en science commerciale (arrêté du 11 mai 1901) ; un arrêté ministériel du 13 novembre 1901 a créé pour l’Institut supérieur de commerce d’Anvers un diplôme de sciences coloniales ; enfin un groupe de négocians et d’industriels s’est signalé récemment par la création originale d’un jury central de comptabilité et de correspondance commerciale institué sous le patronage de l’Etat. Ainsi que son nom l’indique, ce jury ne s’occupe pas de cours, ne crée pas d’enseignement ; il n’organise que des examens qui aboutissent à la collation soit du diplôme de comptable, soit du diplôme de correspondant ; les examens sont exclusivement accessibles aux jeunes praticiens des deux sexes, sous la condition que, depuis un an au moins, le candidat occupe un emploi dans le commerce ou l’industrie.

L’école qui a le plus contribué à la renommée universelle de l’enseignement commercial belge est l’Institut supérieur de commerce d’Anvers qui, fondé dès 1852, a servi de modèle à beaucoup de pays pour l’organisation de leurs écoles supérieures de commerce. L’Institut est si connu dans le monde entier que sur les 303 élèves qu’il possédait en 1905, 110 seulement étaient Belges et 193 étrangers.

La dernière période décennale a vu éclore, sur divers points du pays, tout un essaim d’écoles supérieures organisées la plupart du temps par l’initiative privée subsidiée par le gouvernement. Nous citerons notamment l’École commerciale et consulaire de l’Université catholique de Louvain, l’École des Hautes Etudes commerciales et consulaires de Liège, l’École supérieure commerciale et consulaire de Mons, l’Institut commercial des Industriels du Hainaut. En 1904, l’Université libre de Bruxelles a ouvert une école de commerce fondée et dotée par M. Ernest Solway ; son prospectus déclare qu’elle a en vue un enseignement « vraiment supérieur » et annonce, sans être arrêté par trop de modestie, que la technologie y sera étudiée dans ses rapports avec l’organisation économique des affaires et que l’on y fera quatre cours de culture générale ; l’histoire contemporaine au point de vue du commerce, l’histoire des littératures pour aider à la connaissance des langues, la biologie générale conduisant à la connaissance des matières premières de l’industrie ; la sociologie descriptive basée sur l’étude des divers peuples ! De son côté le gouvernement a institué l’enseignement commercial supérieur dans les Facultés de droit des Universités de l’Etat.

L’enseignement commercial moyen est donné, en Belgique, soit par des établissemens officiels, soit par les communes, soit par des institutions libres généralement subventionnées par la province ou l’Etat. Plusieurs des écoles moyennes de l’Etat ont une section commerciale dont le programme est organisé de façon à donner une préparation immédiate aux emplois secondaires dans le commerce. Enfin les Athénées royaux sont divisés en trois sections dont l’une, celle des humanités modernes, est subdivisée elle-même en section scientifique et section commerciale et industrielle. Les études y durent sept années dont les quatre premières sont communes aux deux sections. La bifurcation s’opère à partir de la cinquième année. Arrivés au terme de la septième année et en possession du diplôme de sortie de l’Athénée, les élèves sont parfaitement préparés pour entrer dans des bureaux de commerce ou pour aborder les études supérieures. Ils constituent, en règle générale, pour les écoles supérieures de commerce, les meilleures recrues.

Quant à l’enseignement élémentaire, il a été organisé dans un grand nombre de villes belges par les soins de groupemens libres constitués sous des noms divers : syndicats du commerce, cercles polyglottes, unions des employés etc.

Si les jeunes filles ont à leur disposition des écoles ménagères et professionnelles admirablement organisées, il ne paraît pas que jusqu’ici elles soient dirigées d’une façon particulière vers le commerce.

En résumé, l’initiative privée, les associations, les autorités locales et l’Etat sont d’accord en Belgique pour favoriser l’enseignement commercial, et le ministère de l’Industrie et du Travail qui en a la haute surveillance ne néglige rien pour le bien diriger. Un service d’inspection de l’enseignement technique visite au moins une fois chaque année les écoles subventionnées par l’Etat. Nommer M. Rombaud, directeur général et M. Paul Wauters, inspecteur, suffit pour faire comprendre la valeur de ce service, et nous ne terminerons pas sans accorder une mention spéciale à la publication remarquable faite, en 1903, par le ministère de l’Industrie et du Travail sous le titre de : Rapport sur la situation de l’enseignement technique en Belgique.

Le Danemark en est encore à la tradition qui veut que les jeunes gens destinés au commerce entrent dans les affaires comme apprentis dès l’âge de quatorze ou quinze ans, et que la durée de leur apprentissage varie entre quatre ou cinq années. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que, dans son rapport de 1900, l’inspecteur général de l’enseignement commercial danois se soit exprimé avec quelque découragement de la façon suivante : « Tant que la classe commerçante se recrutera de cette manière, dit-il, il sera difficile de trouver les élémens d’une clientèle suffisamment nombreuse pour les écoles de commerce. » Point d’école supérieure et seulement trois ou quatre petites écoles moyennes, tel est donc le maigre bilan de l’enseignement commercial danois.

L’Église de commerce Brock, de Copenhague, est peut-être la seule à laquelle on puisse donner ce nom, c’est une sorte de Realschule avec six années de cours auxquelles on a ajouté, comme complément, deux années d’études commerciales dont les élèves ont de quinze à dix-huit ans. Cette division supérieure n’était fréquentée, en 1900, que par 29 élèves. Seule la manière dont fut fondée l’école est originale. En 1800, un riche négociant danois, Niels Brock, laissa, entre autres legs, une somme de 42 000 francs pour fonder une école de commerce à Copenhague. Par suite de diverses circonstances, ce ne fut que 86 ans plus tard que ce legs trouva son. emploi, les intérêts capitalisés l’avaient alors décuplé et porté à la somme de 420 000 francs.

Mais si l’opinion danoise est peu favorable aux écoles de commerce proprement dites, elle est persuadée en revanche que « les cours de perfectionnement » répondent mieux à l’éducation des employés de commerce. Aussi ces cours sont-ils bien organisés, très prospères, et il y en avait déjà en 1901, plus de 50 dont un pour les jeunes filles, tous subventionnés par les municipalités et les corporations. Cet état d’esprit explique le développement remarquable qu’a pris dans ces dernières années l’École de perfectionnement des commerçans de Copenhague. Cette institution possède un local qui ne lui a pas coûté moins d’un million de francs, et elle voit augmenter sans cesse le nombre de ses auditeurs, qui atteignait 1 500 en 1905.

En Espagne, l’enseignement commercial a été longtemps très bien organisé… sur le papier. On avait eu le tort de l’annexer aux lycées et collèges, de sorte qu’il était décrié et végétait faute d’élèves. Ce n’est guère que depuis le nouveau décret du 17 août 1901, que ces écoles ont pris consistance, et il est probable qu’elles vont prendre maintenant de l’extension, puisque l’on prête à M. Moret l’intention de s’appuyer sur elles pour commencer la lutte de l’enseignement laïque contre l’enseignement congréganiste, tout-puissant jusqu’à présent dans les écoles publiques.

Aux États-Unis d’Amérique, l’enseignement commercial a été pendant fort longtemps d’une extrême originalité. Il n’était donné que par les Business Colleges, sortes d’entreprises industrielles dont l’idéal était de fournir, en quelques semaines et à n’importe quelle époque de l’année, à l’homme ou à la femme désireux de devenir commis ou teneur de livres, un bagage de connaissances techniques suffisant pour lui assurer une rémunération convenable. Les noms de MM. Packard, Bryant et Stratton, qui, vers 1850, fondèrent ce genre d’écoles et le répandirent sur toute la surface des États-Unis, sont restés à bon droit populaires, d’autant plus qu’ils y gagnèrent de jolies fortunes, ce qui est la meilleure des recommandations là-bas. Le voyageur européen qui visite les États-Unis est constamment frappé par les idées nouvelles qu’il y rencontre, mais nous nous souvenons particulièrement de l’étonnement que nous éprouvâmes vers 1860 en visitant l’une des huit ou dix écoles de ce genre alors en exercice. Hommes et femmes de tout âge et de toutes conditions s’y trouvaient pêle-mêle, transformés à forfait en employés, et cela dans l’espace de deux à trois mois, par un enseignement des plus terre à terre et qui, nouvelle originalité, n’en comprenait pas moins un cours d’élocution, tellement les Américains reconnaissent l’utilité de savoir exprimer leurs pensées en public.

Les choses ont marché depuis, et c’est au contraire vers les hautes études commerciales que ce pays s’oriente avec ardeur en ce moment, à la suite du voyage que M. Edmond James, alors professeur à l’Université de Chicago, et aujourd’hui président de l’Université de l’État de l’Illinois, fit en Europe, il y a une dizaine d’années, pour y étudier d’une façon approfondie les écoles supérieures de commerce. Son livre sur l’éducation, des hommes d’affaires fut le signal de l’important mouvement auquel nous assistons aujourd’hui. On compte en ce moment une dizaine de Facultés de commerce adjointes à des Universités ; elles ont toutes un programme sensiblement pareil ; il s’étend sur quatre années et prévoit pendant les deux dernières un sectionnement entre les six branches de banque et finance, de chemins de fer et transports, de commerce et industrie, d’assurances, de science politique et consulaire, enfin de journalisme. Les étudians peuvent aussi s’y préparer au professorat commercial. A côté de ces Facultés proprement dites, il y a dans plusieurs Universités des cours de haut enseignement d’économie politique, de finance et de commerce, et, comme l’attention générale est portée de ce côté-là, on peut s’attendre à de véritables surprises à la suite des donations absolument prodigieuses que les grands milliardaires font depuis quelques années aux principales Universités de leur pays.

L’enseignement commercial moyen est donné aux Etats-Unis soit dans des écoles publiques, soit dans des écoles privées. Dans les premières on a commencé par l’adjonction de cours commerciaux, mais la tendance actuelle des grandes villes est de consacrer à cet enseignement des écoles indépendantes. C’est un pas en avant vers l’idéal qui consiste à avoir des cours spéciaux et des maîtres spéciaux dans des bâtimens spéciaux. Quant aux écoles privées d’enseignement commercial moyen, déjà assez nombreuses, elles se développent sans cesse. Leur enseignement dure généralement deux ans et peut être comparé à celui des Académies de commerce d’Autriche.

Les écoles commerciales élémentaires, appelées Commercial Colleges, sont fort nombreuses ; elles étaient en 1896, dernière année dont nous connaissions la statistique, au nombre de 341, avec 1 764 professeurs et 77 000 élèves, dont 82 pour 100 fréquentaient les cours du jour, et 18 pour 100 ceux du soir. L’enseignement qui y était d’abord rudimentaire s’est élargi, la durée des études s’y est agrandie et l’on y trouve maintenant une solide préparation pratique. L’écolage dans les meilleures écoles varie de 250 à 1 000 francs pour une année scolaire de dix mois ; dans un pays où tout se mesure d’après le prix, c’est dire que l’on attache une grande importance à cet enseignement. Les cours complémentaires, cours du soir, cours de perfectionnement commercial, sont très répandus et très fréquentés aux États-Unis, mais ils n’ont donné lieu jusqu’ici à aucune statistique. Dans aucun des degrés de l’enseignement commercial il n’y a d’écoles spéciales pour les jeunes filles ; en Amérique, les écoles sont communes aux deux sexes et cette co-fréquentation a l’heureux effet de stimuler l’émulation.

La Grèce fait des efforts très louables en faveur de l’enseignement commercial. Le degré supérieur y est représenté par l’Église de commerce de l’Académie royale d’Athènes, fondée en 1894 sous le protectorat du Roi et du patriarche œcumène, et subventionnée par les municipalités d’Athènes et du Pirée. Elle comptait 150 élèves en 1905. L’enseignement moyen est donné par les écoles spéciales de Volo, Athènes, Patras, le Pirée et l’île de Naxos. Ces deux derniers établissemens ont une moyenne de 50 élèves et sont renommés surtout pour leur excellent enseignement du français. Signalons enfin les écoles de commerce grecques qui existent dans la Turquie d’Europe et dans la Turquie d’Asie, et dont les plus importantes sont celle de Chalcis, près de Constantinople, et celles de Salonique et de Smyrne.

En Hongrie, le gouvernement attache une importance toute particulière à la question de l’enseignement commercial. Quand les écoles ne sont pas créées directement par lui, leur organisation est soumise à des règles très strictes et uniformes. L’inspection est faite très soigneusement sous la direction du docteur Bêla Schack. Les deux ministres du Culte et de l’Instruction publique ont constitué ensemble une commission consultative de l’enseignement commercial qui, composée de quinze fonctionnaires et de quinze négocians, a déjà rendu de grands services.

L’enseignement supérieur est donné par quatre écoles : l’Académie orientale de Budapest, ouverte en 1891, et caractérisée par les voyages d’études en Orient, faits par ses élèves aux frais de l’Etat, et par la Revue orientale qu’elle publie ; l’École normale commerciale de Budapest, destinée, comme son nom l’indique, à former des professeurs commerciaux ; enfin les deux Académies de commerce de Budapest et de Koloszvar. Le caractère commun de ces quatre écoles est de ne recevoir que des jeunes gens ayant au moins dix-huit ans et pourvus du diplôme de maturité soit d’un gymnase supérieur, soit d’une école reale supérieure.

L’enseignement moyen comprend à l’heure actuelle 37 écoles ; c’est dire combien elles sont appréciées. 19 d’entre elles appartiennent à l’État, 7 à des municipalités, 6 à des corporations, 2 sont confessionnelles, 3 sont des entreprises privées. L’Etat dépense 724 000 couronnes (1 couronne = 1 fr. 05) pour ses propres écoles et alloue 180 000 couronnes à celles des municipalités et des corporations. L’organisation de toutes ces écoles est identique jusque dans les moindres détails et a été fixée par un décret ministériel de 1895. L’âge minimum d’entrée est de quatorze ans, la durée des études est de trois ans, et le diplôme de sortie donne droit au service militaire d’un an.

La fréquentation des écoles d’apprentis est obligatoire dans toute la Hongrie. Aussitôt qu’une commune contient au moins 50 apprentis commerciaux, elle doit organiser une école pour eux. La durée des études y est de trois ans et comprend sept heures par semaine. L’obligation de fréquenter l’école cesse avec la fin de l’apprentissage. En 1904, il y avait 91 de ces écoles fréquentées par 6 502 apprentis. Il y a aussi de nombreux cours du soir fondés par la Société pour le développement de l’enseignement professionnel, par la Société des Employés de Banque et la Société des Voyageurs.

Les cours commerciaux pour les jeunes filles ont fait l’objet, en 1900, d’un décret ministériel qui les place sous la surveillance de l’inspecteur général de l’Instruction publique. Ils comprennent comme matières obligatoires l’arithmétique commerciale, la tenue des livres, le change, la correspondance et le travail de bureau, la géographie commerciale et la sténographie : la dactylographie est facultative. Ils durent dix mois à raison de vingt heures par semaine et ont été fréquentés dans l’exercice 1903-1904 par 991 élèves dont 948 ont passé avec succès l’examen final.

En tête de l’enseignement commercial en Italie il faut placer l’École royale supérieure de commerce de Venise, fondée en 1868 par l’Etat avec l’appui matériel et moral de la Ville et de la Chambre de commerce. Elle comprend trois branches : une section commerciale, une section consulaire, une école normale pour la formation des professeurs de commerce, de droit, d’économie politique et de langues vivantes. L’enseignement n’y est pas seulement théorique, mais il est donné beaucoup de soins au bureau pratique et il est à noter que même les candidats au professorat des langues doivent prendre part à ces exercices. La durée des études est de trois ans pour la première section et de quatre ans pour les autres. A la sortie de l’école, les élèves reçoivent après examen un diplôme qui leur donne droit soit d’entrer dans le service consulaire, soit d’obtenir un poste de professeur dans l’enseignement secondaire de l’Etat. Le haut enseignement commercial se donne aussi depuis 1902 dans l’Université de Bocconi, à Milan ; c’est une fondation privée mais reconnue par l’État, due à la générosité du riche négociant milanais dont elle porte le nom et qui lui a consacré un million de francs. Dans l’esprit de son fondateur elle est destinée à former des « capitaines d’industrie. »

Comme enseignement commercial moyen, l’Italie n’a fait jusqu’ici que ses premiers pas ; elle avait bien depuis 1886 l’École supérieure de commerce de Bari et l’École supérieure d’application pour les études commerciales de Gênes et qui sont deux bonnes écoles ; mais ce n’est que sous la pression de l’opinion publique que le gouvernement vient d’en fonder plusieurs autres qui sont encore trop récentes pour que nous puissions en parler.

Quant à l’enseignement commercial élémentaire, outre les sections commerciales des écoles publiques de l’Etat où la tenue des livres figure dans les programmes de l’enseignement général moderne, il se donne actuellement dans une quarantaine d’écoles du jour ou de cours du soir, dont quatre spécialement pour les jeunes filles.

En publiant nos impressions sur le voyage autour du monde que nous fîmes de 1867 à 1869, nous surnommions le Japon le « pays de la bonne humeur ; » nous dirions aujourd’hui le « pays des miracles. » Entre les soldats que nous voyions alors armés seulement de sabres, la figure recouverte d’un masque destiné à faire peur à l’ennemi et l’admirable armée qui vient de se distinguer en Mandchourie, le contraste tient du prodige. Pour ceux qui, comme nous, s’intéressent j à l’enseignement commercial, il en est de même pour cette branche de la civilisation la plus avancée. La différence entre les écoles publiques que nous visitâmes autrefois et celles que nous verrions aujourd’hui nous confondrait d’étonnement. L’enseignement commercial, inconnu alors, y est organisé maintenant à ses trois degrés absolument comme en Europe, ainsi que nous avons pu nous en rendre compte à l’Exposition de Liège.

Les études supérieures sont représentées par l’École des Hautes Etudes commerciales de Tokio, fondée en 1885, et par l’École des Hautes Études commerciales de Kobé, créée en 1903 ; il en sera ouvert prochainement deux nouvelles à Nagasaki et à Nagoya. Ces écoles n’acceptent que des élèves ayant terminé leurs cinq années de lycée et les répartissent entre six groupes : le commerce, la banque, les chemins de fer, la navigation, les assurances, le service consulaire. Après examen, il est délivré un diplôme de doctorat ès sciences commerciales.

L’enseignement moyen est destiné plus particulièrement aux élèves des lycées ayant terminé au moins les deux premières années de ces établissemens. Ces écoles, dites écoles spéciales de commerce, étaient déjà en 1903 au nombre de 34 publiques et 7 privées. À la même époque, l’enseignement élémentaire se donnait dans 16 écoles élémentaires de commerce dans lesquelles on entrait après avoir suivi les quatre années de l’enseignement primaire. On comptait aussi 69 cours de perfectionnement annexés aux écoles primaires. Placé sous le contrôle du ministre de l’Instruction publique, attentivement surveillé par des inspecteurs spéciaux, l’enseignement commercial au Japon prétend, on le voit, rivaliser avec celui de l’Europe.

L’enseignement qui nous occupe est fort restreint en Norvège. Il ne donne lieu à aucune école supérieure et ne comprend que deux écoles moyennes créées pas des municipalités, à savoir le Gymnase commercial de Christiania, fondé en 1875 et le Gymnase commercial de Bergen, qui date de 1904. La durée régulière des études y est de deux ans et elles sont mixtes pour garçons et filles. En outre de ces écoles publiques il y a beaucoup d’institutions privées qui prennent le nom de commerciales, mais malheureusement la plupart d’entre elles ont des maîtres d’une culture insuffisante. Cependant il faut citer comme la plus réputée l’Église d’Ottotreider à Christiania dont on a pu apprécier les intéressans travaux à l’Exposition de Paris de 1900. Quant à la situation des apprentis, elle n’est réglementée par aucune loi ; on s’en rapporte pour leur éducation pratique au bon vouloir des patrons. Espérons que l’Association des anciens élèves du Gymnase commercial de Christiania qui, sous le nom de Club commercial, jouit d’une certaine influence, pourra être utile au développement si désirable et si en retard de l’enseignement commercial en Norvège.

Dans les Pays-Bas l’enseignement commercial proprement dit n’a pris corps que dans les dix dernières années, si l’on excepte l’École commerciale publique d’Amsterdam, qui existe depuis quarante ans. Il n’y a pas encore d’enseignement supérieur et l’on compte actuellement neuf écoles moyennes organisées par les communes avec des subsides de l’Etat. Les jeunes filles y ont accès.

La Russie est probablement le pays qui a possédé la plus ancienne des écoles de commerce : c’est l’École Demidoff fondée à Moscou en 1772 et transportée à Saint-Pétersbourg en 1799 par l’impératrice Féodorowna qui la prit sous sa protection. Quelques écoles et des cours commerciaux furent fondés plus tard, principalement après 1870, par différentes corporations de négocians ; mais l’essor de cet enseignement date de la loi de 1896 qui la rattacha au ministère des Finances. L’influence considérable de cette loi, faite dans un esprit vraiment libéral, ressort clairement des intéressantes études publiées successivement en 1899 par M. le conseiller d’Etat Grigoriew, inspecteur général de l’enseignement technique en Russie, puis en 1901 par M. Jourdan, directeur de l’Église des Hautes Études de Paris, enfin récemment par M. de Friesendorff, conseiller d’État. Les corporations, les sociétés diverses et les Bourses de commerce ont rivalisé d’entrain et de générosité en faveur de l’enseignement commercial depuis que cette loi l’a soustrait aux rigueurs du ministère de l’Instruction publique et(a donné libre carrière à la fois au public qui désirait cet enseignement et aux excellens professeurs qu’il a su attirer. Aussi le nombre des écoles de commerce de tous les degrés, tant officielles que privées, atteignait-il récemment l’importance considérable de 147 et va-t-il sans cesse en augmentant.

Les meilleures écoles russes, tout en prenant le nom d’Églises supérieures de commerce, donnent en réalité un enseignement moyen. Les unes prennent leurs élèves dès l’âge de dix ans et les conservent sept ans en leur donnant une instruction générale pendant les quatre premières années et en consacrant les trois années restantes aux études spéciales. Les autres n’admettent que des jeunes gens âgés de treize à dix-sept ans ayant déjà reçu une bonne instruction générale et les conservent pendant trois ans. Le diplôme de sortie confère les mêmes droits pour le service militaire que celui des écoles réales de l’État. En 1903, le nombre de ces écoles supérieures de commerce était de 53 avec 16 500 élèves.

Les écoles de commerce élémentaires se divisent en deux catégories. La première fait appel à des élèves réguliers, astreints à suivre tous les cours ; les enfans y sont admis à partir de l’âge de douze ans et sont conservés trois ans ; en 1903 ces écoles étaient au nombre de 40 avec 6 825 élèves. La seconde catégorie, connue sous le nom officiel de classes de commerce, est destinée aux adultes, principalement aux jeunes gens déjà employés dans des bureaux ; en 1903, il y avait trente de ces classes avec 7 223 élèves. Enfin, il existait, en 1 903, 24 cours divers d’enseignement commercial, la plupart consacrés à la comptabilité et aux langues étrangères, et fréquentés par 1698 auditeurs.

En résumé, la faveur dont l’enseignement commercial jouit depuis quelques années en Russie est telle que le ministère des Finances n’a que peu de sacrifices à faire pour lui, la dépense étant facilement couverte par l’affluence des élèves et par la générosité des fondateurs.il n’est pas rare de voir des particuliers comme M. Fereschendo ou des corporations y consacrer des centaines de mille roubles, et plusieurs des Bourses les plus importantes de l’Empire donnent l’exemple en trouvant, comme celle de Moscou, 700 000 roubles pour fonder l’École Alexandra, comme celle de Kiew 450 000 roubles, celle de Riga 500 000 roubles, etc. Certaines villes établissent même des impôts spéciaux sur les maisons de commerce pour entretenir ces écoles. Parmi les plus chaleureux propagateurs, il faut nommer la grande Société d’enseignement commercial, les Associations des employés de commerce de Moscou et de Kharkof, la Société Pétrovskoe, la Société des Amis des Sciences commerciales et les corporations des marchands des principales villes.

En Finlande, M. Le Hénaff nous apprend que l’enseignement commercial est assez développé. Il y a onze établissemens d’enseignement moyen (écoles supérieures et instituts) qui ont deux années d’études et neuf écoles d’employés qui sont plutôt des cours élémentaires. Toutes ces écoles sont fréquentées également par les deux sexes ; il faut du reste remarquer qu’en Finlande toutes les femmes travaillent et que les mœurs leur permettent l’accès dans toutes les professions.

Le peuple suédois se tourne de plus en plus vers les carrières commerciales et le nombre de ses commerçans a plus que doublé depuis 1870. Il est donc tout naturel que, dans un pays où l’enseignement général est très développé, l’enseignement commercial soit en progrès. Il n’y est cependant pas encore à la hauteur des besoins. Ainsi le degré supérieur n’y est point représenté jusqu’ici et il n’y a que deux écoles moyennes de commerce ; en revanche, toutes les écoles populaires supérieures enseignent à leurs élèves les premières notions de la comptabilité et plusieurs municipalités ont organisé des cours de commerce du soir et du dimanche. Dans toute la Suède l’enseignement est mixte pour jeunes gens et jeunes filles.

La Suisse est de tous les pays du monde celui qui compte le plus d’écoles de commerce comparativement à sa population ; elle dépasse la Saxe elle-même que l’on a souvent décorée du nom de terre classique de l’enseignement commercial ; cela se conçoit du reste à cause du nombre considérable de jeunes gens suisses que l’on envoie à l’étranger et qu’il faut préparer en conséquence. Le haut enseignement est donné par la Faculté des Sciences politiques de l’Université de Zurich, qui a créé en 1903 une section de sciences commerciales dans laquelle les études sont très élevées et conduisent à l’un des trois diplômes suivans : sciences commerciales, professorat de commerce pour l’enseignement supérieur, docteur juris publici et rerum cameralium. L’Académie de commerce de Saint-Gall, dont les élèves réguliers doivent être âgés d’au moins dix-huit ans, doit aussi être mise au rang le plus élevé. Une particularité de cette Académie est que l’étudiant étranger paie un écolage plus fort que l’étudiant suisse. L’enseignement moyen se donne dans vingt-deux écoles ; le programme des études y est sensiblement le même que celui des écoles du même degré dans les divers pays, mais l’esprit si pratique du peuple suisse se révèle une fois de plus par l’importance attachée au « Bureau Commercial » Ubungskontor, qui comporte le travail journalier d’un bureau véritable avec correspondance et tenue de livres non seulement dans la langue maternelle mais aussi en langues étrangères. Les écoles élémentaires ou plus exactement les cours complémentaires sont très en honneur et les commerçans portent le plus grand intérêt à l’amélioration des connaissances des apprentis ; le nombre de ces écoles complémentaires est actuellement d’environ 90, dont 64 ont été fondées par l’importante Société suisse pour l’enseignement commercial qui a réussi à organiser dans tout le pays des examens donnant droit au diplôme très apprécié d’apprenti de commerce. Un détail intéressant est que la fréquentation de ces cours donne généralement lieu à la perception d’une rétribution qui varie entre 0 fr. 05 et 0 fr. 30 par leçon ; l’expérience a démontré que l’on obtient ainsi plus d’attention et d’efforts des auditeurs. Comme création originale on peut citer aussi les cours de vacances que l’Association des professeurs des écoles de commerce suisses a organisés pour le perfectionnement de l’instruction commerciale de ses membres. Cette association publie régulièrement un Bulletin de même que la Société suisse pour l’enseignement commercial ; du reste les publications relatives à l’enseignement commercial sont fort nombreuses en Suisse, outre les rapports annuels du département fédéral du Commerce.

Malgré les écoles qui leur sont spécialement réservées, les jeunes filles sont presque toujours admises dans les écoles de garçons et l’on attache une telle importance à ce qu’elles profitent de l’enseignement commercial que, pour elles comme pour les garçons, il est question de rendre obligatoire la fréquentation des Fortbildungsschulen.

Comme conclusion de la première partie de notre étude nous espérons avoir fait apparaître l’importance considérable et toujours croissante que tous les pays du monde attachent à l’enseignement commercial à tous ses degrés et le rôle qu’ils lui attribuent dans la lutte ardente mais pacifique que se livrent toutes les nations pour le développement de la richesse publique et la marche toujours progressive de la civilisation. Nous allons examiner maintenant ce que la France a fait et ce qu’il lui reste à faire dans cet ordre d’idées.


II

Se rendre compte de l’état actuel de l’enseignement commercial en France, c’est passer successivement en revue les écoles supérieures de commerce, les écoles moyennes, l’enseignement élémentaire y compris les cours divers, l’enseignement des jeunes filles, l’administration supérieure et la législation spéciale, enfin les associations qui ont pour objet le développement de cette branche de notre activité sociale.

Nous n’avons pas encore de Facultés du commerce proprement dites ; l’École des Hautes Etudes commerciales est appelée sans doute à devenir un jour une Faculté parce que, de toutes nos écoles supérieures de commerce, c’est elle qui est le plus luxueusement logée dans un superbe bâtiment construit à cette intention par la Chambre de commerce de Paris et que c’est elle aussi qui a le meilleur recrutement d’élèves et les professeurs les plus haut placés, enfin parce que c’est elle qui sert d’école normale pour la formation des professeurs de l’enseignement moyen ; mais, comme elle a eu jusqu’à présent le même programme que nos autres écoles supérieures, nous ne devons pas la classer, pour le moment, dans un rang plus élevé. Nous avions jusque dans ces derniers temps quinze de ces écoles supérieures de commerce, dont trois à Paris et les autres à Alger, Bordeaux, Dijon, le Havre, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nancy, Nantes, Rouen et Toulouse, toutes créées, dirigées et entretenues soit par des Chambres de commerce ou des municipalités, soit par des associations de négocians. L’âge minimum d’entrée était de seize ans, mais en réalité leurs élèves étaient passablement plus âgés. La durée des études était de deux années et, par suite des examens que l’État exigeait pour l’obtention du privilège d’un an de service militaire qu’il leur accordait, nos écoles supérieures de commerce avaient été amenées à adopter toutes le même programme qui était ainsi conçu :


Matières enseignées Nombre de leçons de 1 heure par an.
1re année 2e année
Commerce et comptabilité 100 100
Première langue étrangère 165 165
Seconde langue étrangère 90 90
Mathématiques appliquées 100 50
Etude des marchandises 45 45
Chimie et physique appliquées 28 28
Géographie économique 50 55
Histoire du commerce 20 »
Elémens du droit public et du droit civil français, 30 »
Législation commerciale, maritime et industrielle. 50 35
Législations commerciales étrangères » 20
Économie politique 30 »
Législation ouvrière » 15
Législation budgétaire et douanière » 25
Diverses matières selon les localités « 95
Produits chimiques et soieries à Lyon « «
Marine marchande à Marseille « «
Section coloniale à Lyon « «
Œnologie à Dijon et à Montpellier « «
Total des heures par an 708 723

L’établissement du service militaire de deux ans obligatoire et égal pour tous, est venu jeter le désarroi dans cette organisation et provoquera sans doute la modification de ce programme ; il est probable que dorénavant chaque école s’inspirera davantage des besoins de sa région et que, tout en ayant un fonds d’études communes à tous ses élèves, elle les spécialisera selon le genre d’affaires auquel chacun d’eux se destinera plus particulièrement : commerce intérieur, international, colonies, etc. Il est probable aussi que ces écoles cesseront d’avoir la prétention d’être toutes sur le même rang ; les unes resteront écoles supérieures, d’autres se transformeront plus ou moins. Ainsi l’École de Lille devient déjà École supérieure pratique de commerce et d’industrie, se divisant en sections ayant un certain nombre de cours communs, mais orientées l’une vers le commerce général et la banque, les autres vers le commerce plus spécial des textiles ou des matières colorantes ou vers les commerces qui se rattachent à la brasserie, à la sucrerie, à la distillerie. De son côté, l’École supérieure de commerce de Paris, la plus ancienne de toutes, puisqu’elle date de 1820, se transforme profondément aussi et devient École supérieure pratique de commerce et d’industrie en offrant aux familles trois combinaisons :

1° Cinq années d’études pour un enseignement technique complet qui prend les enfans vers l’âge de 12 à 13 ans ;

2° Trois années d’études secondaires pour les élèves qui sont obligés d’entrer de bonne heure dans les affaires ;

3° Deux années d’études supérieures mais essentiellement pratiques pour les élèves ayant fait des études secondaires sérieuses dans les lycées et collèges. Ces jeunes gens viennent se joindre à ceux qui ont reçu à l’école l’enseignement du premier cycle. Enfin une section spéciale de navigation maritime a été annexée à l’école sous le contrôle et avec le concours du ministère de la Marine. Quant à l’Institut commercial de Paris, il a eu l’idée fort ingénieuse d’établir une succursale à Liverpool pour les jeunes gens qui désirent se familiariser avec la langue anglaise.

L’enseignement commercial moyen se donne soit dans les écoles spéciales fondées d’accord entre les départemens ou les communes et le ministère du Commerce et qui sont désignées sous le nom d’Écoles pratiques du commerce et de l’industrie, soit dans des écoles fondées par les Chambres de commerce, soit enfin dans certaines écoles de la Ville de Paris.

Le ministère du Commerce s’est appliqué depuis quelques années à développer considérablement les écoles pratiques ; elles comprennent trois catégories : les écoles pratiques d’industrie, les écoles pratiques de commerce, les écoles pratique de commerce et d’industrie, ces dernières ainsi nommées parce qu’elles groupent sous le même toit une section commerciale et une section industrielle. Nous ne nous occuperons naturellement ici que des sections d’enseignement commercial.

Les écoles pratiques prennent les enfans au sortir de l’école primaire à l’âge de douze à treize ans et les gardent généralement trois ans ; elles ont quelquefois une année préparatoire et une quatrième année. Voici le programme-type qui a été préparé pour servir de guide, mais qui peut être un peu modifié selon les besoins locaux :

¬¬¬

Matières. Nombre d’heures de classe par semaine. « « «
1re année. 2e année. 3e année. Total.
1° Enseignement commercial :
Commerce, comptabilité et tenue de livres 6 6 6 18
Langue étrangère

1 6

6 6 18
Arithmétique et algèbre 3 3 3 9
Géographie 11/2 3 3 7 1/2
Écriture et calligraphie 3 11/2 11/2 6
Chimie et marchandises 11/2 3 3 7 1/2
Législation « « 3 3
Economie commerciale « « 11/2 1 1/2
Totaux 21 22 1/2 27 701/2
2° Enseignement général :
Langue française 4 1/2 3 3 10 1/2
Dessin 1 1/2 1 1/2 1 1/2 4 1/2
Histoire 1 1/2 1 1/2 « 3
Histoire naturelle et hygiène « 1 1/2 « 1 1/2
Géométrie « 1 1/2 1 1/2 3
Notions de physique 1 1/2 « « 1 1/2
Totaux 9 9 6 24
Etudes 9 9 9 27
Totaux généraux 39 40 1/2 42 121 1/2


Les cours sont gratuits.

Créées en vertu de la loi du 26 janvier 1892 et organisées par le décret du 22 février 1893, ces écoles se sont rapidement développées dans toute la France ; elles sont déjà au nombre de 53 dont 17 d’industrie seule, 26 de commerce et d’industrie, 1 de commerce seul et 9 de commerce et d’industrie pour filles. Ces écoles sont appelées à devenir encore beaucoup plus nombreuses. La moyenne de leurs élèves est déjà de 200 par école.

On peut rattacher à ce groupe la très intéressante et très prospère École commerciale de l’avenue Trudaine de Paris, qui prend les enfans à partir de l’âge de huit ans et les conduit jusqu’à seize ou dix-sept ans. Les premières années peuvent être considérées comme cours préparatoires ; les études normales comprennent les quatre dernières années. La rétribution scolaire est de 220 francs par an. Cette école, que la Chambre de commerce de Paris a fondée en 1863, est un modèle dans son genre ; aussi était-elle fréquentée en 1904 par 700 élèves.

Enfin la Ville de Paris donne l’enseignement commercial moyen dans le collège Chaptal qui, à côté de son enseignement général, à une section où, pendant deux ans, les élèves âgés d’environ quinze ou seize ans peuvent se préparer aux écoles supérieures de commerce ou même directement à la carrière commerciale. Quant à l’enseignement privé, nous avons peu de renseignemens et nous nous contenterons de signaler l’école de M. Pigier à Paris, qui est très fréquentée par les jeunes gens désireux d’entrer rapidement dans les bureaux. L’enseignement élémentaire se donne principalement dans les écoles primaires supérieures, qui ont dans leur section commerciale quelques cours élémentaires de comptabilité et de commerce. Celles d’entre elles qui ont une quatrième poussent l’étude de la comptabilité et des langues relativement assez loin. On peut citer notamment à Paris les écoles J.-B. Say, Turgot, Colbert, Lavoisier et Arago.

Quant aux cours professionnels ou de perfectionnement, très répandus sur tout le territoire de la France, ils se donnent quelquefois à certaines heures de la journée ou du dimanche, mais c’est surtout dans la soirée qu’ils ont lieu. Leur nombre est si considérable et leur objet plus spécial est si varié qu’il serait impossible d’en donner la nomenclature. On peut dire que, grâce au concours de tous les bons citoyens, les villes où les cours professionnels font défaut constituent aujourd’hui l’exception. Ces cours s’adressent en général à des adultes désireux de perfectionner leurs connaissances et ils sont le plus souvent élémentaires ; mais il en est beaucoup qui s’élèvent fort haut et, pour n’en citer qu’un seul, nous dirons que les cours du soir donnés à la mairie de la rue Drouot par la Société d’études commerciales (fondation Bamberger) sont fréquentés par l’élite des employés de banque et de commerce de Paris.

Nous arrivons maintenant à une branche de l’enseignement commercial qui fait grand honneur à notre pays. Depuis quelques années, l’usage s’est beaucoup répandu en France d’employer des jeunes filles ou des femmes dans les bureaux, soit comme comptables, soit comme sténographes, dactylographes ou secrétaires. Ce résultat est dû en grande partie à l’excellent enseignement qui est mis chez nous à la disposition des jeunes filles. Il se donne soit dans les écoles proprement dites, soit dans les cours professionnels.

En tête de la branche supérieure de cet enseignement il faut placer la division normale qui, à l’École pratique de commerce et d’industrie du Havre, est destinée à former des professeurs de commerce femmes pour les écoles de filles. Les élèves recrutées par voie de concours doivent être âgées de vingt à vingt-cinq ans et munies du brevet supérieur ; la durée de leurs études est de deux ans ; au bout de ce temps les élèves normaliennes prennent part au concours pour les certificats d’aptitude au professorat des écoles pratiques. Les cours sont professés soit par des agrégés de l’Université, soit par des spécialistes en sciences techniques. La France est du reste jusqu’ici le seul pays européen qui confie les fonctions de professeur commercial à des femmes et l’on peut dire qu’elle ne s’en trouve pas mal.

On peut ranger aussi dans la catégorie de l’enseignement supérieur la remarquable École de commerce et de comptabilité pour les jeunes filles, fondée en 18S6 à Lyon par Mlle Luquin, et placée aujourd’hui sous le patronage de la Ville et de la Chambre de commerce de Lyon. Les élèves n’y sont admises qu’à partir de l’âge de quinze ans et après un examen d’entrée. L’enseignement y est gratuit et dure deux années. À la fin de la première année, il est accordé un « certificat d’études commerciales ; » à la fin de la deuxième année, les élèves peuvent obtenir le « diplôme d’études commerciales. » Ces deux titres ne sont délivrés qu’à la suite d’un examen passé avec succès devant un jury spécial présidé par l’inspecteur d’Académie. Les leçons se donnent tous les jours non fériés de 1 heure et demie à 5 heures et demie, sauf le jeudi où elles ont lieu de 8 heures et demie à 11 heures et demie du matin. Un cours facultatif d’anglais est mis à la disposition des élèves le matin. Le programme comprend :

¬¬¬

Heures par semaine. «
1re année. 2° année.
Comptabilité et tenue des livres 10 10
Écriture 2 2
Sténographie et dactylographie 3 3
Français 4 2
Géographie commerciale 2 2
Droit commercial « 3
Anglais (facultatif)


Dans l’enseignement moyen, il faut citer tout d’abord les écoles pratiques de commerce et d’industrie pour jeunes filles rattachées au ministère du Commerce et fondées d’accord avec lui par les départemens ou les communes. Elles portent le nom d’Églises pratiques de Commerce et d’Industrie parce que les élèves y sont réparties en deux sections, l’une commerciale, l’autre industrielle. Ce sont en réalité deux écoles juxtaposées. On y entre à l’âge de douze à treize ans, et la durée des études est de trois ans. Les élèves qui passent avec succès leurs examens de sortie reçoivent le « certificat d’études pratiques commerciales. » Le caractère propre et original de ces écoles ne tient pas tout entier dans leurs programmes si bien orientés qu’ils soient vers la vie active du commerce. Il réside surtout dans leurs méthodes. On s’applique à les rendre aussi directes et aussi logiques que possible, non seulement afin d’économiser le temps, mais encore en vue de donner aux esprits de la sûreté et de la force. Il y a actuellement neuf de ces écoles : à Boulogne-sur-Mer, Dijon, le Havre, Marseille, Nantes, Reims, Rouen, Saint-Etienne et Aire-sur-Adour, ayant ensemble un effectif, en 1904, de 2 403 élèves et le Ministère s’applique à faciliter le plus possible les créations de ce genre.

La ville de Paris a organisé dans deux de ses écoles primaires supérieures, l’école Edgar-Quinet et l’école Sophie-Germain, un intéressant enseignement commercial pour les jeunes filles. Ces écoles, qui, comme toutes les écoles primaires supérieures, se recrutent par voie de concours parmi les jeunes filles pourvues du certificat d’études primaires (douze à treize ans), ne s’occupent pendant les deux premières années que d’études générales, auxquelles elles ajoutent dans la troisième année réglementaire, et dans une quatrième année complémentaire et facultative, un enseignement commercial moyen comprenant la comptabilité avec tenue de livres et calcul commercial, des notions de législation usuelle et commerciale et d’économie politique, les langues anglaise ou allemande, la sténographie et la dactylographie. Les cours y sont gratuits.

L’enseignement commercial moyen est représenté à Lyon par l’école La Martinière des filles, destinée aux jeunes filles de la classe ouvrière. L’enseignement y est gratuit et dure trois années ; l’âge d’admission est de treize ans au moins. Le programme de la section de commerce comprend l’écriture, la comptabilité, le droit commercial, l’anglais et la sténographie. Il y a aussi à Lyon l’École pratique lyonnaise de commerce et de comptabilité, école libre dirigée actuellement par Mme Monloup-Robert. Les élèves y sont admises à partir de l’âge de quinze ans et l’enseignement n’y dure que trois mois.

A Paris, dans l’enseignement libre, on peut citer, comme écoles d’enseignement moyen, les deux écoles Elisa-Lemonnier de la rue Duperré et de la rue des Boulets, dont les programmes sont conçus dans un esprit très pratique. Il est question de leur rachat par la Ville. Il faut citer aussi la section pour les dames de l’Église pratique de commerce de Paris, très connue sous le nom de M. Pigier. Cette école a une grande analogie avec les Business colleges d’Amérique : c’est dire qu’elle s’occupe essentiellement de pratique, que l’admission y a lieu sans examen à partir de quatorze ans et que la durée des études dépend des élève ? elles-mêmes ; elle varie entre trois mois et un an.

Pour ce qui concerne l’enseignement élémentaire des femmes, on peut dire d’une façon générale que les écoles primaires supérieures donnent dans leur troisième année des notions sur la comptabilité, la tenue des livres, le droit usuel, l’économie politique et que les langues vivantes y occupent une assez grande place. Des notions d’études commerciales sont données aussi dans les écoles professionnelles et ménagères. Trois des écoles professionnelles de Paris possèdent chacune une section commerciale, et le nombre des élèves qui s’y présentent dépasse toujours le nombre des places disponibles. Quant aux cours proprement dits, qui ont lieu quelquefois dans la journée, mais presque toujours le soir, il serait bien difficile de les énumérer tous, tant ils sont nombreux dans toute la France. A Paris, il faut citer en première ligne les cours spéciaux d’enseignement commercial pour les femmes et les jeunes filles. Ils se donnent le soir, de sept et demie à neuf heures et demie d’octobre à fin mai et sont destinés à mettre les jeunes filles à même d’exercer d’une façon satisfaisante la profession de comptable, et de faire la correspondance commerciale en français et même, dans une certaine mesure, en anglais ou en allemand. Des certificats d’études commerciales sont délivrés après examen. Il y a, à Paris, seize de ces cours sous la remarquable surveillance générale de Mlle Malmanche, membre du Conseil supérieur de l’enseignement technique. Il faut citer aussi les cours de l’Association philotechnique, de l’Association polytechnique, de l’Association polymathique, de la Société d’enseignement moderne, de la Société pour l’enseignement élémentaire, de la Société de l’Union française de la jeunesse, de l’Institut populaire d’enseignement commercial, de la Société académique de comptabilité, les cours professionnels des femmes caissières, comptables et employées aux écritures, les cours commerciaux pour les femmes adultes de la Chambre de commerce, enfin l’Institut féminin qui vient de s’ouvrir rue de Londres, etc., etc. On peut estimer grosso modo à 2 000 le nombre des jeunes filles ou femmes qui suivent ces cours à Paris.

En province, on peut citer, à Lyon, la Société professionnelle du Rhône et les cours professionnels de Mlle Rochebillard ; à Bordeaux, la Société philomathique a quinze cours d’enseignement commercial pour les femmes, suivis en 1904 par 592 élèves ; la Société des Amis de l’instruction a deux cours de comptabilité, l’un élémentaire, l’autre supérieur ; il faut citer, à Marseille, la Société pour la défense du commerce et de l’industrie ; à Saint-Quentin, la Société industrielle ; à Reims, la Société industrielle ; à Nantes, l’Association d’enseignement commercial et de comptabilité. Enfin, nous nommerons la Société philomathique de la Dordogne, l’Association mutuelle des Comptables de l’arrondissement de Beauvais, les cours pratiques municipaux de Niort, la Société d’instruction commerciale de Mazamet, le Cercle d’études commerciales de Limoges, et, faute de renseignemens plus complets, nous ne mentionnerons que pour mémoire les nombreuses Chambres syndicales de corporations qui ont organisé des cours professionnels.

Pour résumer d’un mot l’ensemble de l’enseignement commercial des femmes en France, nous dirons qu’il a fait de grands progrès ; qu’il est encore susceptible d’utiles développemens ; qu’il est en voie de les réaliser, et qu’en tous cas, aucun autre pays ne peut en offrir l’équivalent.

L’enseignement commercial, bien que dû en majeure partie à l’initiative des Chambres de commerce, des Conseils généraux, des municipalités ou de corporations particulières relève presque toujours directement ou indirectement du ministère du Commerce. Ce ministère comprend une direction de l’Enseignement technique, industriel et commercial qui se divise en trois bureaux, l’un chargé de l’Enseignement supérieur, l’autre des Églises pratiques, le troisième des Cours subventionnés. L’inspection de toutes les institutions est assurée par trois inspecteurs généraux et par des inspecteurs régionaux et départementaux. Le ministère est en outre aidé dans sa tâche par un Conseil supérieur de l’Enseignement technique et par une commission permanente de celui-ci, laquelle est consultée notamment pour la création de toutes les écoles nouvelles, pour la confection et la modification des programmes, enfin pour la répartition des subventions.

Quant à la législation afférente à l’enseignement technique, nous étudierons plus loin l’important projet de loi qui vient d’être présenté à la ‘ Chambre des députés et dont l’adoption donnerait certainement un nouvel essor aux études commerciales.

Les associations ou œuvres d’utilité publique ayant pour objet le développement de l’enseignement commercial sont nombreuses en France. Il faut citer en première ligne les principales Chambres de commerce de France, diverses municipalités et conseils généraux, et de nombreuses chambres syndicales ou corporations qui ont donné de fréquentes preuves d’intérêt à renseignement commercial. Il a été fondé, il y a quelques années, une Association française pour le développement de l’enseignement technique, commercial et industriel. Cette association compte actuellement plus de 700 membres et elle publie depuis peu un Bulletin trimestriel. Le ministère du Commerce publie aussi depuis sept ou huit ans un Bulletin de l’Enseignement technique qui est un recueil de toutes les questions officielles ou officieuses concernant cet enseignement. Les anciens élèves des écoles supérieures de commerce ont fondé pour chacune de ces écoles des associations amicales qui font figurer dans leur programme le développement et le perfectionnement des études commerciales. Ces différentes associations se sont fédérées en une Union des associations des anciens élèves des Écoles supérieures de commerce reconnues par l’Etat, laquelle union est très prospère, compte environ 7000 membres, et publie un Bulletin bimensuel fort apprécié. De nombreuses écoles d’enseignement technique de toutes classes et de tous degrés ont déjà organisé, ou projettent d’organiser, parmi leurs anciens élèves, des associations amicales, et il faut voir là un mouvement qui promet d’être utile à la cause de cet enseignement. Enfin une nouvelle et dernière preuve de l’intérêt que le public français porte de plus en plus à ces questions réside dans le succès remarquable du Congrès organisé par le journal le Matin avec le concours de la Commission parlementaire du commerce, qui s’est tenu à Paris du 1er au 5 juin 1903 sous la présidence de M. Trouillot, et qui a servi de base à l’obligation désormais imposée aux conseillers du Commerce extérieur, d’aider au placement des jeunes Français à l’étranger, donnant ainsi une nouvelle impulsion à l’enseignement commercial.


III

Ce qu’il reste à faire pour placer l’enseignement commercial en France à la hauteur de ce qu’il est dans les pays étrangers les plus avancés, nous allons l’apprendre par le récent rapport fait par M. Cohendy au nom du Conseil supérieur de l’enseignement technique, industriel et commercial, par le projet de loi qui en est résulté et qui a été déposé par le ministre du Commerce, enfin par le rapport que M. Astier a présenté à ce sujet à la Chambre des députés le 13 juillet 1905.

Aussi longtemps que l’enseignement sous toutes ses formes était resté sous la direction exclusive du ministère de l’Instruction publique, tout ce qui touchait de près ou de loin au côté technique ou professionnel était décrié. L’enseignement classique seul était en honneur, les élèves intelligens lui étaient infailliblement réservés ; il semblait que l’enseignement moderne ne fût institué que pour les enfans les moins bien doués. C’était l’époque où dans les familles on disait couramment : Mon fils aîné est fort intelligent, j’en ferai un avocat, un médecin, un notaire ou surtout un fonctionnaire ; mon fils cadet l’est moins, je le destinerai aux affaires ! Sous la pression de ce qui se passait à l’étranger, il fallut cependant reconnaître que le développement du commerce mondial exigeait un enseignement spécial et l’on crut bien faire, pour le soustraire à la routine, de le placer, en 1880, sous le régime du « condominium » en vertu duquel il était administré à la fois par le ministère de l’Instruction publique et par le ministère du Commerce : régime détestable, comme on l’a dit très justement, qui partageait les responsabilités, divisait l’autorité, laissait ces écoles spéciales sans direction ou, ce qui pis est, tiraillées entre deux directions souvent opposées. En dépit cependant de tous les obstacles, l’enseignement technique s’étendait, l’initiative privée, les Chambres de commerce, les municipalités fondaient les écoles supérieures de commerce, les écoles professionnelles, les cours industriels ou commerciaux. Le condominium repoussé par tout le monde fut heureusement supprimé par la loi de finances de 1892, et il fut décidé qu’à l’avenir les écoles primaires supérieures professionnelles dont l’enseignement était principalement industriel ou commercial relèveraient exclusivement du ministère du Commerce, auquel elles seraient transférées par décret, et prendraient le nom d’Écoles pratiques de commerce et d’industrie. Nous avons vu plus haut qu’elles répondaient si bien à la fois aux vœux des familles et aux besoins du commerce et de l’industrie, qu’elles ne cessent de se multiplier dans toutes les régions du pays et sont déjà aujourd’hui au nombre de 53. La population scolaire de ces écoles dépasse 10 000 élèves dont 2 500 jeunes filles, la moyenne atteint 200 élèves par école, soit une augmentation constante tant progressive qu’effective. En présence de ces résultats, la loi de finances du 13 avril 1900 a également transféré au ministère du Commerce les écoles nationales professionnelles qui avaient été créées à Armentières, à Nantes, à Vierzon et à Voiron, en exécution de la loi du 11 décembre 1880. Plus récemment enfin, la loi du 27 décembre 1900 plaçait sous la seule autorité du ministre du Commerce les écoles professionnelles de la Ville de Paris.

L’enseignement technique, ainsi groupé tout entier sous la direction du ministère du Commerce qui de tout temps avait eu dans ses attributions le Conservatoire national des Arts et Métiers, l’École centrale des arts et manufactures, les Écoles nationales d’arts et métiers, occupe donc aujourd’hui une place de plus en plus importante à côté de l’enseignement général, et cependant, tandis que celui-ci a depuis longtemps ses lois organiques, l’enseignement technique n’est régi que par des dispositions spéciales, éparses et nécessairement incomplètes. Aucune loi ne précise les caractères qui distinguent ces établissemens et permettent de les différencier de ceux d’enseignement général, ne s’occupe des autorités préposées à l’enseignement technique, ni ne pose les règles générales suivant lesquelles les écoles publiques d’enseignement technique doivent être créées et administrées, non plus que celles qui concernent le personnel et les peines disciplinaires qu’il peut encourir. Enfin aucune loi non plus ne s’est occupée jusqu’à présent du régime des écoles techniques privées et de leur reconnaissance par l’État. Aujourd’hui l’heure est venue de combler ces lacunes et de donner à l’enseignement technique la législation générale et homogène qui lui permettra de se développer largement à ses divers degrés et de contribuer ainsi, comme c’est son rôle, à la prospérité commerciale et industrielle du pays.

Nous allons passer successivement en revue les différens chapitres de ce nouveau projet de loi qui, ne l’oublions pas, est consacré à l’enseignement technique en général, c’est-à-dire aux deux enseignemens industriel et commercial. Ces deux enseignemens ont de nombreux points de contact et ce qui concerne l’un s’applique souvent à l’autre ; mais nous aurons soin de conserver toujours en vue celui dont nous nous occupons spécialement dans la présente étude. Le projet débute par la définition suivante : « L’enseignement technique industriel ou commercial a principalement pour objet, sans préjudice d’un complément d’enseignement général, l’étude théorique et pratique des sciences et des arts ou métiers en vue de l’industrie ou du commerce. Cet enseignement est donné dans des écoles et dans des cours professionnels ou de perfectionnement. Il est placé sous l’autorité du ministre du Commerce. » Puis, fixant la limite qui sépare les écoles d’enseignement technique des écoles d’enseignement général ou, en d’autres termes, délimitant le domaine du ministère du Commerce de celui du ministère de l’Instruction publique, il déclare, en ce qui concerne la partie commerciale, que : « Sont établissemens d’enseignement technique commercial les écoles dans lesquelles le temps consacré à l’étude des langues étrangères, de la comptabilité et de la tenue des livres, des mathématiques financières, des marchandises, de la législation commerciale, de l’économie politique, de la géographie commerciale, de la sténographie et de la dactylographie et aux exercices pratiques dépasse la moitié de l’horaire total de l’établissement. Les écoles et les cours d’enseignement technique sont publics ou privés. Les écoles privées peuvent être reconnues par l’Etat. »

Les autorités préposées à l’enseignement technique sont tout d’abord le Conseil supérieur de l’enseignement technique qui est non seulement maintenu mais dont les attributions sont élargies ; il doit être consulté sur la plupart des questions et peut sur l’initiative de ses membres émettre des vœux. Dans l’intervalle des sessions, il est représenté par une Commission permanente élue parmi ses membres. Actuellement le service de l’inspection de l’enseignement technique est assuré par deux catégories de personnes ; d’une part, des inspecteurs généraux et des inspecteurs et inspectrices des écoles pratiques de commerce et d’industrie qui sont des fonctionnaires de l’État ; et, d’autre part, des inspecteurs régionaux et des inspecteurs départementaux qui sont pour ainsi dire des fonctionnaires bénévoles, en ce sens que leurs fonctions sont gratuites, et qui sont nommés par arrêtés ministériels parmi les commerçans, les industriels ou les personnes s’occupant de l’enseignement professionnel. Dorénavant, si le projet de loi est adopté par les pouvoirs publics, ce service sera renforcé par des comités de l’enseignement technique institués dans chaque département. Leur rôle a été fort bien décrit par M. Bouquet, le distingué directeur de l’enseignement technique au ministère du Commerce : « Lorsque, disait-il, nous nous sommes préoccupés de la création de ces comités, il n’est pas entré dans nos vues de doter cet enseignement d’un organisme analogue à celui qui existe pour l’enseignement général. Mais ce qu’il paraît utile de constituer, ce sont des centres d’attraction où pourraient se réunir toutes les bonnes volontés. Les comités départementaux de l’enseignement technique pourront être de précieux collaborateurs pour le Conseil supérieur et pour l’administration. »

Ces comités comprendront des membres de droit, fonctionnaires ou membres de corps électifs, et des membres nommés par le préfet parmi les conseillers municipaux, les industriels ou anciens industriels, les commerçans ou anciens commerçans, les employés ou les ouvriers, les représentans des associations syndicales ou d’enseignement, etc.

Suivant la nature de l’enseignement qu’elles donnent, les écoles publiques d’enseignement technique sont du degré élémentaire, moyen ou supérieur ; elles sont soit nationales, c’est-à-dire, entretenues et administrées par l’Etat, soit départementales ou communales, c’est-à-dire entretenues et administrées concurremment par l’État et par un ou plusieurs départemens, une ou plusieurs communes. Quant aux écoles privées, elles restent entièrement libres de leurs programmes, mais sont soumises à la surveillance des inspecteurs de l’enseignement technique ; elles peuvent, si elles le désirent, être reconnues par l’Etat après avis du Comité départemental et du Conseil supérieur de l’enseignement technique. Dans ce cas, des certificats d’études et des diplômes peuvent être délivrés par un jury d’examen nommé par le ministre, et l’Etat peut participer aux dépenses de fonctionnement de l’École, sans toutefois que cette participation puisse dépasser le quart de ces dépenses totales.

L’une des parties capitales du projet de loi est celle qui est relative aux cours professionnels ou de perfectionnement. Il est connu de tout le monde que l’apprentissage disparaît peu à peu, du moins tel qu’il devrait être, à savoir la préparation complète, théorique et pratique, à l’exercice d’une profession ; la tendance moderne est à la stricte spécialisation. L’enseignement professionnel est le moyen efficace d’y remédier. Les pays étrangers l’ont compris et nous avons montré, au début de cette étude, que les uns comme la Belgique, les États-Unis, la Suisse, ont développé dans des proportions considérables leur enseignement technique élémentaire et que l’on est allé plus loin dans d’autres contrées en édictant l’obligation de l’enseignement professionnel pour les jeunes gens employés dans le commerce et dans l’industrie. Nous avons vu notamment qu’en Allemagne, si les États particuliers et les communes sont encore libres de rendre obligatoire ou non la fréquentation des Fortbildungsschulen, la tendance vers l’obligation s’accentue de plus en plus. L’enseignement professionnel obligatoire pour les apprentis est établi en Danemark, en Norvège, en Autriche, et c’est surtout la Hongrie qui peut servir de modèle par sa loi de 1884. Dans son rapport fortement documenté sur l’enseignement technique à l’Exposition de 1900, M. Jacquemart constatait que dans ce dernier pays il ne restait guère qu’une vingtaine de communes n’ayant pas satisfait à la loi, et que le nombre des apprentis qui ne fréquentaient pas les cours professionnels ne dépassait pas 7 pour 100 ; c’est précisément la proportion inverse à laquelle nous arriverions en France. Nous approuvons donc, en ce qui nous concerne, le projet de loi lorsqu’il dit : « Des cours professionnels ou de perfectionnement sont organisés pour les apprentis, les ouvriers et les employés du commerce et de l’industrie. Ils seront obligatoires dès qu’ils auront été organisés conformément à la présente loi pour les jeunes gens et les jeunes filles âgés de moins de dix-huit ans qui sont employés dans le commerce et l’industrie (et qui ne satisfont pas à certains degrés d’instruction prévus par la loi)... L’organisation de ces cours devra être achevée dans un délai maximum de cinq années à partir de la promulgation de la présente loi. Ces cours sont essentiellement gratuits... Les communes dans lesquelles leur organisation est reconnue nécessaire sont désignées par arrêté du ministre du Commerce et de l’Industrie, après avis du comité départemental et du Conseil supérieur de l’enseignement technique. Ils peuvent être organisés par les chefs d’établissemens industriels ou commerciaux, même à l’intérieur de leurs établissemens. S’il n’existe pas de cours professionnels dans la localité, ou si les cours existans sont jugés insuffisans par la Commission locale, les communes seront tenues de créer les cours jugés nécessaires par ladite commission et de pourvoir aux dépenses de leur fonctionnement. Ces cours pourront être subventionnés par l’Etat, sans que cependant cette subvention puisse dépasser la moitié des dépenses de leur fonctionnement... Le chef d’établissement est tenu de laisser à ses jeunes ouvriers et employés le temps et la liberté nécessaires pour suivre les cours obligatoires communaux ou privés. Ils devront avoir lieu pendant la journée légale de travail, sans que cependant le temps de travail qui y sera consacré puisse excéder huit heures par semaine ni deux heures par jour... Le chef d’établissement est tenu également de s’assurer de l’assiduité aux cours de ses jeunes ouvriers et employés... Dans le cas d’absences réitérées, le chef d’établissement devra en aviser immédiatement les parens ou tuteur de l’enfant, et le professeur en avisera la commission locale professionnelle... Les jeunes gens et les jeunes filles qui suivent les cours professionnels sont admis à la fin de chaque année à concourir pour l’examen d’aptitude dont le certificat dispensera de suivre les cours dans les années suivantes... Les chefs d’établissement qui auront contrevenu aux prescriptions de la présente loi, et les parens qui empêcheraient leurs enfans de fréquenter les cours ou de les suivre assidûment, seront passibles des peines suivantes... »

Après avoir analysé comme nous venons de le faire cet important projet de loi et lui avoir donné toute notre approbation, il nous reste à prévoir ses résultats probables. Ainsi que la très bien dit le rapporteur de la Chambre des députés, M. Astier, la lutte qui se poursuit entre les nations sur le terrain de la production et des échanges, pour pacifique qu’elle soit, est en réalité aussi importante que celle qui pourrait se livrer sur les champs de bataille ; on peut l’affirmer, ici comme ailleurs la victoire appartiendra à celui qui aura le mieux préparé les armes du combat, c’est-à-dire, en définitive, au plus instruit. Comme le disait Jules Simon : le peuple qui a les meilleures écoles est le premier des peuples ; s’il ne l’est pas encore, il ne tardera pas à le devenir. De son côté, M. Carnegie, dont l’expérience paraît décisive, a écrit : « L’instruction a toujours l’avantage, à autres qualités égales. Prenez deux hommes de même intelligence naturelle, de même énergie, de même ambition et de même caractère, celui qui aura reçu l’instruction la meilleure, la plus étendue, la plus avantageuse, aura inévitablement la supériorité sur l’autre. » Enfin, M. Torau-Bayle, dans son rapport au ministre du Commerce sur l’enseignement commercial à ses divers degrés, et le développement économique de l’Allemagne, déclarait qu’il est de toute nécessité que les autres peuples adoptent le système d’éducation commerciale allemand et particulièrement la Fortbildungsschule obligatoire, sous ‘peine d’être irrémédiablement vaincus par l’Allemagne sur tous les marchés d’exportation.

Les indications que, dans le cours de ce travail, nous avons données sur ce qui se fait déjà en France sous le rapport de l’instruction commerciale, et ce qui s’y prépare encore, nous permettent d’affirmer que les jeunes gens bien préparés pour devenir, soit employés, soit chefs de maisons, ne nous manquent déjà pas et deviendront de plus en plus nombreux. La situation est satisfaisante de ce côté-là ; ce qui pourrait plutôt nous préoccuper, c’est le champ d’action que l’avenir leur réserve. Notre prospérité économique se maintient certes, mais nos concurrens étrangers font des progrès plus rapides que les nôtres, inquiétans même pour notre patrie. Notre commerce extérieur qui, en 1890, atteignait 8 milliards 190 millions, s’est bien élevé, en 1905, à 9 milliards 436 millions, mais pendant la même période, celui de l’Allemagne a passé de 9 milliards 340 millions à 15 milliards 924 millions, celui de l’Angleterre de 17 milliards à 22 milliards 300 millions. Au cours des quinze dernières années, les exportations des Etats-Unis ont doublé, celles de l’Angleterre ont augmenté de 26 pour 100, celles de l’Italie de 90 pour 100 ; l’accroissement de la Belgique a été de 52 pour 100, celui de l’Allemagne de 71 pour 100 ; nous n’avons pendant le même temps progresse que de 27 pour 100. Ne serait-il pas temps pour notre Chambre des députés et notre gouvernement de s’occuper moins de politique pure, et de cesser d’effrayer les capitaux qui, de plus en plus, vont à l’étranger y développer les industries auxquelles nous renonçons dans notre propre patrie. Nous avons souffert cruellement de la Révocation de l’Édit de Nantes ; il ne faudrait pas recommencer cette douloureuse expérience dans le domaine économique !


JACQUES SIEGFRIED.