L’Enseignement agricole à propos d’un décret récent

L’Enseignement agricole à propos d’un décret récent
Revue des Deux Mondes4e période, tome 149 (p. 338-354).
L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE
A PROPOS D'UN DÉCRET RÉCENT

Un rapport de M. le Ministre de l’Agriculture, adressé au Président de la République, a provoqué le 25 mai 1898 la création d’un Conseil supérieur de l’enseignement agricole. Ce rapport, écrit sans réticences, avec la plus entière bonne foi, mérite une sérieuse attention. Il énumère d’abord avec complaisance les nombreux établissemens agricoles existans en France.

« Nous avons actuellement :

« 1° Un enseignement supérieur des sciences appliquées à l’agriculture, l’institut national agronomique, qui correspond à l’enseignement des Facultés ;

« 2° Un enseignement secondaire, représenté par trois Ecoles nationales d’agriculture, à Grignon, à Montpellier et à Rennes ; l’Ecole des industries agricoles à Douai ; et l’Ecole d’horticulture à Versailles ;

« 3° Un enseignement du 3e degré ; ce sont les écoles pratiques au nombre de 44, lesquelles correspondent, dans l’ordre universitaire, aux collèges et aux écoles primaires supérieures ;

« 4° Un enseignement du 4e degré constitué par les écoles d’apprentissage et comprenant 14 fermes-écoles, 13 fromageries-écoles, 2 écoles d’aviculture, 2 écoles de laiterie pour jeunes filles et 1 magnanerie-école ;

« 5° Un enseignement spécial donné dans les écoles normales primaires, collèges, écoles primaires supérieures et dans les centres agricoles, par 256 professeurs départementaux et spéciaux, sous forme de cours d’adultes ou de conférences appuyées de démonstrations pratiques sur le terrain.

« Le Gouvernement de la République a ainsi voulu organiser un enseignement qui offrît aux cultivateurs des écoles répondant aux conditions culturales de toutes les régions agricoles de la France ; ainsi, l’agriculture générale, les cultures industrielles, la viticulture, l’horticulture, l’arboriculture, la laiterie, la sucrerie, la distillerie, le drainage et les irrigations, la sériciculture, la pisciculture, l’élevage et l’engraissement des volailles, etc., ont leurs écoles particulières ; d’un autre côté, toutes les classes de la population rurale ont la possibilité de faire acquérir à leurs enfans une instruction professionnelle, en rapport avec leur condition et appropriée à leurs futurs besoins. L’ouvrier rural a la ferme-école pour s’initier au maniement de l’outillage perfectionné, aux méthodes de bonne culture ; le petit cultivateur trouve à sa portée les écoles pratiques où le temps des élèves est partagé par moitié entre les leçons théoriques et les travaux des champs et de l’intérieur de la ferme ; la moyenne et la grande culture ont les Ecoles nationales, dont l’objectif est d’instruire leurs élèves en vue de l’exploitation des fermes et des domaines ruraux ; les jeunes gens les mieux doués et qui veulent se consacrer à la haute direction, à l’enseignement, ou aux recherches scientifiques, ont l’Institut agronomique pour se préparer à leur destination…

« Pris dans son ensemble, notre enseignement agricole, tel qu’il fonctionne actuellement, ne comprend pas moins de 82 écoles de tous degrés, ainsi qu’un enseignement nomade qui s’appuie surplus de 3 000 champs de démonstration et dont les conférences sont suivies par plus de 200 000 cultivateurs. Le budget affecté au fonctionnement de ce service, en y comprenant les Ecoles forestières et l’Ecole des haras, atteint le chiffre de 4 millions de francs. Le moment est venu de juger dans son ensemble et dans ses résultats cette œuvre immense d’instruction et d’éducation agricole, entreprise depuis près de trente ans.

« Il n’est pas douteux qu’elle a créé partout un courant de progrès très profitable à l’Agriculture et dont elle recueille aujourd’hui les fruits ; c’est grâce à cet entraînement puissant et à l’émulation générale qu’il a provoquée, que nous avons vu mettre de plus en plus en valeur les portions stériles et improductives de notre territoire, dans des proportions considérables, tout en améliorant sans cesse la qualité de nos produits.

« D’une façon générale, notre enseignement agricole a donc porté ses fruits et a profité largement à tous les producteurs. Mais quand, au lieu de regarder du côté du monde agricole, on examine attentivement le fonctionnement de nos écoles elles-mêmes, on y découvre des imperfections qu’il est temps de corriger. On est frappé d’abord du petit nombre d’élèves qui les fréquentent et qui est hors de proportion avec l’effectif des professeurs ; celui-ci, en effet, est de 651, quand celui des élèves est de 2 850 seulement. Dans beaucoup d’établissemens il n’y a guère que des boursiers et, sans eux, il faudrait presque fermer l’école.

« Il faut ajouter que la plupart de ces boursiers, au lieu d’aller à l’agriculture comme cela devrait être, demandent presque toujours des emplois de l’Etat, surtout des places de professeurs ; la liste des candidats à ces diverses fonctions ne s’élève pas à moins de 500, pour une moyenne de 15 à 20 places par an. »

Le reste du rapport passe en revue les réformes à accomplir ; pour les exécuter judicieusement, le Ministre demande l’appui du Conseil supérieur de l’Enseignement agricole.

On a bien voulu me désigner pour faire partie de ce conseil, qui n’a pas encore été réuni. Je crois donc être autorisé à exposer ici les réflexions que suggère le rapport ministériel et à indiquer dans quel sens, à mon avis, devraient porter les réformes, nécessaires pour utiliser le mieux possible les sommes importantes consacrées, chaque année, à l’Enseignement agricole.


I. — LES ÉCOLES PRATIQUES

« Dans beaucoup d’établissemens, dit M. le Ministre, il n’y a guère que des boursiers, et sans eux il faudrait fermer l’école. » Ces paroles découragées ne s’adressent ni à l’Institut agronomique, ni aux Ecoles nationales qui ont dû se défendre contre l’affluence des candidats par de sérieux examens d’admission, mais elles visent quelques-unes des écoles pratiques ; non toutes certainement, car il en est qui fonctionnent régulièrement depuis de nombreuses années et reçoivent d’autres élèves que des boursiers.

Comment donc se fait-il que beaucoup d’entre elles ne se soutiennent que grâce aux libéralités de l’Etat et que les cultivateurs ne montrent aucun empressement à faire profiter leurs enfans de l’instruction qui leur est offerte ?

Le rapport ministériel nous dit que ces écoles pratiques sont au nombre de quarante-quatre et, bien que la population agricole de la France soit considérable, on conçoit, en y regardant de près, que leur clientèle soit restreinte, insuffisante pour fournir des élèves à tous les établissemens.

Un cultivateur aisé, exploitant un grand domaine, envoie d’abord son fils au lycée, ou au collège de la ville voisine ; puis il le dirige vers une des Ecoles Nationales dont la réputation est bien établie, et non vers les écoles pratiques, qui n’ont pas été faites pour instruire les enfans de la grande culture, mais bien pour les fils des petits cultivateurs. Ceux-ci sont très nombreux ; notre territoire étant très morcelé, ils ne tiennent que des parcelles de faible étendue ; ce sont des hommes laborieux, habiles dans le travail de la terre et très attachés aux traditions ; ils se les transmettent de père en fils ; elles les guident plus sûrement que les notions générales un peu flottantes et ne s’appliquant pas exactement aux conditions du domaine exploité, que leurs enfans pourraient acquérir dans une école. Les petits cultivateurs croient, et peut-être avec raison, que leurs fils apprendront plus vite et plus sûrement leur métier, en tenant les mancherons de la charrue qu’en écoutant des leçons dans un amphithéâtre. En outre, la vie est rude, le labeur incessant, la main-d’œuvre rare et coûteuse ; très vite, les jeunes gens rendent des services, et le père de famille ne consent à se priver de leurs bras qu’à la condition qu’il ne lui en coûte rien et que les enfans seront entretenus, qu’ils seront boursiers.

Si, en distribuant largement ces bourses, on était certain de faire de bons praticiens, on pourrait encore s’y résoudre, mais sur ce point le rapport ministériel ne laisse aucune illusion : « Il faut ajouter que la plupart de ces boursiers, au lieu d’aller à l’agriculture, comme cela devrait être, demandent presque toujours des emplois de l’Etat et surtout des places de professeurs. »

Les bourses des écoles pratiques sont obtenues au concours par des jeunes gens à l’esprit ouvert, qui se sont distingués sur les bancs de l’école primaire ; on leur a reconnu de l’intelligence et on les a poussés ; les voilà à l’école pratique, ils y travaillent, s’y instruisent, et les mieux doués deviennent capables d’affronter les examens aux Ecoles nationales. Là encore, ils trouvent des bourses ; le milieu dans lequel ils pénètrent est bien supérieur à celui dont ils sont sortis ; ils ont pour camarades des jeunes gens de familles aisées : l’enseignement est élevé, ils en profitent largement, car, déjà initiés aux pratiques agricoles, ils sont heureux d’en connaître les raisons déterminantes ; ils prennent la tête des promotions et à la sortie obtiennent les premiers diplômes. Les voilà diplômés, mieux que cela : réellement instruits ; que peuvent-ils faire ? Le manque de capitaux leur interdit l’espoir de prendre à leur compte une exploitation importante. Rentrer dans le petit domaine paternel et tourner indéfiniment dans un cercle étroit, où ils ne pourront mettre en œuvre aucune des notions qu’ils viennent d’acquérir ? Au début de la vie, à l’époque des grandes espérances, des illusions, se condamner pour toujours à une existence restreinte ? Ils s’y refusent et demandent à entrer dans l’enseignement. Il y a, nous dit le rapport, 500 demandes pour 15 ou 20 vacances annuelles.

Naturellement ces demandes de places restent longtemps sans réponse. Les uns se découragent ; combien en ai-je vu de ces jeunes gens sortant diplômés de nos écoles, ayant même passé par l’Institut agronomique, qui, après avoir frappé à bien des portes qui sont restées fermées, ont résolument abandonné une carrière sans issue et se sont engagés dans une autre voie, où leurs longues études agricoles ne leur sont d’aucun secours !

D’autres s’obstinent et, si leurs parens sont des électeurs influens, intéressent à leur sort députés et sénateurs ; leurs demandes sont pressantes, l’administration résiste d’abord, puis un jour vient où un ministre, lassé de ces obsessions, finit par céder ; on nomme des professeurs spéciaux dans les arrondissemens qui n’en sont pas encore pourvus, et quand la poussée est trop forte, on construit une nouvelle école pratique pour y caser quelques-uns des candidats les plus chaudement recommandés.

Sans doute M. le ministre a créé le nouveau conseil pour éclairer ses décisions, pour avoir l’avis d’hommes compétens. Je ne jurerais pas que le conseil ne servît encore… comment dirait-on ? de refuge au ministre contre des sollicitations trop pressantes. « L’avis du conseil sera obligatoire pour toutes les créations d’écoles et de chaires d’agriculture. »

Une large distribution de bourses présente donc les plus grands inconvéniens : pour l’Etat qui est contraint de créer des places nouvelles ; et pour les jeunes gens qui s’engagent dans une voie sans débouchés. Il est clair qu’on ne saurait songer à supprimer complètement les bourses ; il est intolérable de penser qu’un jeune homme intelligent, distingué, appelé à rendre service au pays, sera arrêté, faute d’un peu d’aide au début ; mais ces bourses devraient être peu nombreuses, car s’il est nécessaire de soutenir et d’encourager les natures d’élite, il n’est nullement avantageux de faire sortir de leur milieu des hommes médiocres qui, introduits dans l’enseignement, y végéteront toute leur vie, sans profit pour personne.

Il faut réduire le nombre des boursiers, aucun doute ne subsiste sur ce point ; mais, pour le réduire, il est nécessaire de diminuer le nombre des écoles pratiques. En effet, aussitôt qu’une école est construite et installée, directeur et professeurs ont le désir très légitime d’avoir des élèves et, comme les jeunes gens qui consentent à faire les frais de leur instruction sont rares, on intéresse au recrutement de l’école la commune, le département, qui sont fiers de l’avoir obtenue, et l’Etat même ; on crée des bourses, et chaque année s’augmente le nombre des déclassés.

Si on conserve sans modifications les 44 écoles pratiques ouvertes en ce moment, on verra se perpétuer l’état de choses actuel, si fâcheux, que malgré la tendance secrète qu’a toujours un ministre de louer l’administration qu’il dirige, la droiture, l’honnêteté de M. Méline lui ont arraché le cri d’alarme qui retentit dans son rapport au Président de la République.

Il existe donc de nombreux établissemens qu’on ne peut conserver sans de grands inconvéniens et qu’il est impossible de fermer. Outre qu’il serait inique d’enlever, du jour au lendemain, tout moyen d’existence à un personnel méritant et distingué, il est visible que les intérêts multiples, qui ont été assez puissans pour déterminer la création de l’école, seront assez forts pour détourner les coups qui la menacent. Mais si l’on ne peut songer à fermer les écoles pratiques qui se recrutent mal, on peut essayer de les transformer. C’est dans cette voie, au reste, que M. le Ministre pousse le Conseil. « Il faut, sur nombre de points, réformer nos méthodes ; notre enseignement tend à devenir beaucoup trop théorique, il n’est pas encore suffisamment professionnel. »

Ici, il convient de bien s’entendre ; il ne faudrait pas croire qu’on attirera les élèves dans une école où l’on se bornerait à exécuter sous leurs yeux les travaux habituels de la culture ; les praticiens sont, sur ce point, bien plus habiles que les professeurs, et les jeunes gens ne se dérangeront pas pour apprendre dans une école ce qu’ils peuvent voir chaque jour dans les fermes ; il semble, au reste, que ce serait en spécialisant l’enseignement, plutôt qu’en l’abaissant à ne plus comprendre que des recettes empiriques, qu’on attirerait les élèves. Je prends un exemple pour faire nettement comprendre mon idée. Notre commerce d’exportation de volailles mortes oscille entre 7 et 8 millions de francs ; il est évidemment susceptible de prendre infiniment plus d’extension qu’il n’en présente aujourd’hui. Nous avons déjà deux écoles d’aviculture, et il semble bien qu’on pourrait en installer de nouvelles dans les écoles pratiques qui se recrutent mal. On n’avancerait pas, au reste, dans une voie non explorée, on n’aurait en quelque sorte qu’à développer ce qui existe dans certaines régions de notre pays, où de très petits cultivateurs trouvent à vivre sur quelques hectares, grâce à une basse-cour bien conduite.

Je crois que, pour achalander une ou deux nouvelles écoles d’aviculture, il faudrait spécialiser absolument l’enseignement et ne lui donner qu’une courte durée. Si on impose à un jeune homme qui veut apprendre à faire éclore des œufs, à élever, à engraisser des poulets, qui veut savoir comment on mène industriellement cette spéculation, une instruction générale ; si on veut lui enseigner l’anatomie et la physiologie, il tournera le dos. Il faudrait essayer de donner en quelques mois les notions précises immédiatement applicables à l’opération entreprise. On procède ainsi en Allemagne pour les écoles de brasserie, où les élèves se succèdent rapidement les uns aux autres.

On multiplierait également avec avantage les écoles dans lesquelles on apprendrait en quelques mois le traitement du lait, sa transformation en beurre par les méthodes nouvelles, ou encore la fabrication régulière, méthodique, des fromages ; là, il faudrait deux enseignemens différens, l’un destiné aux ouvriers fromagers travaillant dans les fruitières de l’Est et de la Savoie, et un autre, plus relevé, s’adressant aux praticiens de Normandie ou des environs de Paris et leur enseignant à conduire la fermentation des fromages à pâte molle dont la réputation est universelle.

Ces établissemens méritant réellement le nom d’écoles pratiques ne garderaient les élèves que pendant quelques mois ; on conçoit au reste que les programmes soient très variés ; tandis qu’en Normandie ou en Bretagne, on appellerait les jeunes gens qui désirent apprendre à conduire les pommiers et à faire le cidre, on enseignerait dans le Centre et le Midi à tailler la vigne et à faire le vin.

Si ces enseignemens absolument spéciaux ne retenaient les jeunes gens que pendant une saison, il n’en serait plus de même pour les écoles d’horticulture. Là, on pourrait largement distribuer les bourses, car les débouchés sont nombreux ; un jardinier peut s’établir à son compte sans posséder de grands capitaux, il se place aisément dans les propriétés particulières ; enfin le commerce des fleurs, celui des légumes, prennent une telle extension, que les grands établissemens déjà créés emploieront aisément un nombre croissant de jeunes gens instruits dans des écoles spéciales ; et, sans faire le moindre tort à l’école de Versailles dont la réputation est bien établie, on transformerait, je crois, avec grand avantage quelques-unes de nos trop nombreuses écoles pratiques en écoles d’horticulture.

Toutes les écoles pratiques actuelles ont été conçues sur le même plan ; leur programme est séduisant ; partager également le temps des élèves entre les travaux pratiques et l’enseignement théorique paraît judicieux… L’expérience enseigne cependant que ces écoles ne répondent pas aux besoins de la culture, qu’elles se recrutent difficilement ; il faut donc essayer autre chose, et, au lieu d’établissemens similaires, avoir au contraire des écoles à enseignemens variés avec les régions. Ces transformations seront délicates, il conviendra de se renseigner auprès des populations, de savoir quels sont leurs besoins et de décider seulement après une enquête minutieuse.

Enfin, et j’aborde là un sujet sur lequel le rapport ministériel est absolument muet, je crois qu’on transformerait avec un immense avantage quelques-unes de nos écoles pratiques en stations agronomiques véritablement dignes de ce nom.


II. — LES PROGRÈS AGRICOLES DECOULENT DES DÉCOUVERTES SCIENTIFIQUES

On estimait à 5 milliards la production agricole annuelle de la France, il y a cinquante ans ; on l’évalue aujourd’hui à 10 milliards. Cet admirable progrès découle pour la plus grosse part des découvertes qui se sont succédé pendant la seconde moitié du siècle qui finit.

J’ai vu M. Boussingault pour la dernière fois en 1884 ; malgré ses quatre-vingt deux ans, il était encore très causant, et au cours de notre entretien, il me dit : « Quand on écrira l’histoire de nos travaux, il faudra se rappeler où l’on en était quand j’ai commencé. On ignorait que le foin renfermât de l’azote ! » et il me raconta l’anecdote suivante, à laquelle est mêlé le grand nom du vénérable doyen des chimistes européens, de M. Bunsen, d’Heidelberg. Un de ses correspondans, assistant à une éruption volcanique, voit la lave couler sur une prairie, il perçoit une forte odeur ammoniacale et, ne sachant à quelle cause l’attribuer, consulte Bunsen, qui répond : « L’ammoniaque vient de l’herbe, Boussingault a trouvé qu’elle renferme de l’azote. » De la découverte de Boussingault sont nés le commerce des engrais et l’alimentation rationnelle des animaux.

Quand, en 1856, Boussingault et Georges Ville trouvent simultanément que les plantes s’assimilent l’azote des nitrates, on aurait pu croire que c’était là une simple expérience de physiologie sans portée agricole, et cependant, en quelques années, l’emploi des nitrates comme engrais a pris une telle extension que toute une flotte traverse constamment l’Océan pour apporter en Europe le nitrate de soude du Chili.

Lorsque Liebig reconnut que les os traités par l’acide sulfurique exerçaient sur la végétation une influence bien plus marquée que lorsqu’ils étaient employés après une simple pulvérisation, personne n’aurait pu se douter de l’immense portée qu’aurait cette expérience. On n’aurait pu deviner que les recherches persévérantes des géologues signaleraient en France, en Angleterre, en Russie, dans l’Amérique du Nord et surtout dans notre France africaine, d’immenses gisemens de phosphate de chaux, que de nombreuses usines s’élèveraient pour traiter ces phosphates par l’acide sulfurique, si bien qu’aujourd’hui la fabrication des superphosphates est devenue une très grande industrie.

C’est grâce à l’emploi de ces engrais de commerce que nos rendemens se sont élevés dans une proportion inespérée. Les découvertes scientifiques ont déterminé un prodigieux mouvement commercial et un admirable progrès agricole.

Au courant du siècle, quelques-unes de nos plantes les plus répandues ont été attaquées par des maladies qui ont failli ruiner leur culture. Il y a cinquante ans, les fines ramifications d’un champignon parasite couvrent les feuilles, les grappes de la vigne ; les récoltes sont détruites par l’oïdium ; c’est Duchartre, professeur à la Faculté des sciences de Paris, qui indique qu’on triomphe de la maladie par des épandages de fleur de soufre. Plus tard, à peine remises des attaques de l’oïdium, nos vignes sont atteintes de nouveau, elles jaunissent, s’étiolent et meurent. C’est une commission présidée par Planchon, professeur à Montpellier, qui découvre l’insecte destructeur, le phylloxéra. Ses ravages s’étendent, bientôt tout notre vignoble est envahi ; c’est encore Planchon qui montre qu’en greffant nos vignes françaises sur des pieds américains résistant au phylloxéra, on peut vivre avec l’ennemi.

Ces maladies ne sont pas les seules qui se soient attaquées à la vigne. En 1885, le mildew a détruit une partie de la récolte en France et on Italie ; comme toujours, c’est d’un laboratoire qu’est parti le remède : M. Millardet, de la Faculté de Bordeaux, prépare la bouillie bordelaise, mélange de chaux et de sulfate de cuivre, qui, répandu sur les feuilles de vigne, les préserve du ravage du mildew, ou peronospora viticola. Cette découverte est féconde ; depuis longtemps déjà, de Bary avait reconnu que la maladie de la pomme de terre est due au phytophtora infestans ; dès 1885, M. Prillieux, professeur à l’Institut agronomique, prévit que le mode de traitement, efficace contre un de ces champignons, devait l’être sur l’autre ; les essais réussirent ; aujourd’hui, on traite à la bouillie bordelaise les champs de pommes de terre et on met ainsi une de nos plus importantes cultures à l’abri des atteintes du parasite redoutable, qui entraîna naguère de si terribles souffrances.

Toutes les fois que des êtres vivans, de même espèce, sont accumulés sur des espaces restreints, les maladies parasitaires ont beau jeu ; aussi bien que les plantes, les animaux sont atteints. Il y a quarante ans, nos départemens méridionaux furent profondément éprouvés par la maladie des vers à soie ; après une existence languissante, ils mouraient, sans pouvoir monter à la bruyère pour Hier leur cocon ; les éducateurs se désespéraient, perdaient courage, on parlait de couper les mûriers. Emu de la détresse de ses compatriotes, J.-B. Dumas demande à Pasteur d’essayer de sauver de la ruine nos magnaneries. « Comment le pourrais-je faire ? dit Pasteur ; de ma vie, je n’ai vu un ver à soie. — Tant mieux ! répond Dumas, vous n’aurez pas d’idées préconçues. » On sait avec quelle ardeur, pendant plusieurs saisons, M. Pasteur étudia cette maladie et comment il en triompha. Il y a trente ans, lorsqu’il s’attaqua à la doctrine des générations spontanées et démontra victorieusement par une série d’expériences rigoureuses, inattaquables, qu’aucune fermentation n’apparaît si on n’introduit dans la matière fermentescible un germe extérieur, on pouvait croire que c’était là encore une étude d’un haut intérêt sans doute, ajoutant à nos connaissances, mais sans portée pratique… Et cependant, ces admirables expériences de laboratoire ont engendré toute une révolution médicale, ont renouvelé l’hygiène et conduit enfin à la préparation de cette série de vaccins auxquels on doit la préservation de bien des vies humaines et d’un nombre incalculable de bestiaux.

Il n’est pas besoin d’insister. Tout le monde sait que Pasteur et ses élèves ont successivement triomphé de la maladie charbonneuse, du choléra des poules, du rouget des porcs, enfin de la rage !

Ainsi, c’est à la science seule que l’agriculture doit, d’une part, la connaissance d’engrais efficaces, capables de doubler les rendemens, et, d’autre part, des remèdes contre les maladies qui attaquent les plantes et les animaux ; il semblerait donc que les administrateurs, chargés d’employer pour le plus grand bien des cultivateurs les ressources du budget, devraient favoriser de toutes leurs forces les recherches scientifiques, encourager les travaux, multiplier les établissemens consacrés à ces recherches. — Point. — Le rapport ministériel n’aborde pas ce sujet. — Il déplore que l’enseignement soit stérile ; mais il ne conclut pas résolument qu’il faut l’engager dans une voie nouvelle, et qu’au lieu de se borner à répéter le peu que nous savons, il faut parcourir le champ immense qui s’étend devant nous, qu’il faut observer et découvrir.


III. — CONDITIONS DE RÉUSSITE DES STATIONS AGRONOMIQUES

Le rapport de M. le Ministre de l’Agriculture reconnaît que les écoles pratiques sont trop nombreuses ; on ne peut, ni on ne veut les supprimer ; il faut donc les transformer. Or, s’il est établi que les progrès agricoles dérivent toujours des découvertes scientifiques, il est manifeste qu’aucune création ne contribuera davantage à ces progrès que la transformation d’un certain nombre d’écoles pratiques en stations agronomiques, c’est-à-dire en établissemens spécialement destinés à aplanir, par l’expérience, les innombrables obstacles sur lesquels buttent à chaque pas les cultivateurs. La conclusion s’impose, car s’il est certain qu’il ne suffit pas de fonder une station pour qu’il en sorte tout à coup d’excellens travaux, s’il n’est pas sûr qu’en cherchant on trouvera, il est encore plus manifeste qu’en ne cherchant pas on ne trouvera rien. Or, la création de stations agronomiques ne sera pas une occasion de lourdes dépenses, les locaux existent et on n’aura aucune peine à recruter des travailleurs dans le corps enseignant des écoles.

Il s’agit donc seulement de savoir quelles sont les écoles qui seront transformées ou, en d’autres termes, quelles sont les conditions dans lesquelles une station agronomique peut faire œuvre utile.

Il ne faudrait pas objecter, comme fin de non-recevoir, qu’il existe en France des stations agronomiques et qu’on n’en a pas tiré grand profit. Il y aurait là une grande injustice, car il est nombre de stations qui ont rendu des services signalés ; il faut ajouter que la plupart de ces établissemens ne portent que le nom de station agronomique et ne sont que de simples laboratoires d’analyses, dans lesquels le directeur passe tout son temps à déterminer la composition des terres et des engrais que lui envoient les cultivateurs du pays.

Ces analyses doivent être faites, et les chimistes qui les exécutent ont moralisé le commerce des engrais et, par suite, provoqué son extension. En mettant les cultivateurs à l’abri des fraudes dont ils ont été si longtemps victimes, on les a encouragés à utiliser les engrais de commerce et ils en ont tiré grand profit. Mais on m’accordera que ce n’est pas en se bornant à analyser des matières fertilisantes qu’on deviendra capable de guider les praticiens dans leur difficile métier ; pour y réussir, il faut que la station agronomique soit établie dans un domaine où elle trouvera comme sujet d’études : des champs, des vignes, des prairies, des étables. Il faut, en outre, que dans ce domaine existent des laboratoires pourvus des instrumens de recherches indispensables.

Ce sont là des conditions nécessaires à la réussite. Le succès n’est possible que par l’association du laboratoire et des champs d’expériences. Boussingault n’a créé la science agricole que parce qu’il a fait construire des laboratoires dans ses domaines successifs de Bechelbronn et du Liebfrauenberg. Lawes et Gilbert ont élucidé la question des engrais, parce que sir J.-B. Lawes a établi un laboratoire dans son domaine de Rothamsted ; Georges Ville a eu le champ d’expériences de Vincennes. Quand M. Berthelot s’est senti attiré vers la chimie végétale, il ne s’est pas confiné dans son petit laboratoire du Collège de France, il a obtenu la création de la Station de chimie végétale de Meudon, où le laboratoire est environné de jardins. C’est de là qu’est sortie cette grande découverte, grosse de conséquences pratiques, de la fixation de l’azote dans le sol, par action microbienne. Si, depuis trente ans, quelques travaux ont été exécutés à l’Ecole de Grignon, c’est que là encore se trouvent d’admirables moyens d’études.

Nous sommes donc aujourd’hui devant 44 écoles pratiques ; dans le nombre, il en est beaucoup qui ont des champs, des étables, des laboratoires parfois rudimentaires, il est vrai, mais qu’on pourrait approprier sans grandes dépenses. Ces écoles sont disséminées sur tous les points du territoire ; pourquoi ne pas essayer d’en transformer quelques-unes en stations agronomiques ?

On rencontrera des difficultés, je n’en doute pas ; les domaines sont souvent la propriété des directeurs qui, peut-être, ne se prêteront pas toujours aux essais à tenter ; on aura à choisir le personnel avec beaucoup de soin, parmi des jeunes gens qui ont déjà montré le goût de la recherche ; il n’en manque ni dans les écoles, ni parmi les professeurs spéciaux d’agriculture.

La dissémination des stations agronomiques dans diverses régions présente d’autant plus d’importance que les problèmes agricoles ne comportent guère de solutions générales ; pour les résoudre, il faut tenir compte de la richesse du sol et surtout du climat.

Il y a une douzaine d’années, nous avons préconisé, M. Porion et moi, une variété de blé, dite à épi carré ; nos expériences avaient été établies, d’une part, dans les départemens du Nord et du Pas-de-Calais ; de l’autre, dans Seine-et-Oise. Les renseignemens recueillis ont montré que cette variété, admirablement adaptée au climat du Nord de la France, où elle couvre d’énormes surfaces, réussit moins bien dans le Centre ; elle ne s’est pas implantée dans les riches terres de la Limagne d’Auvergne et elle a complètement échoué dans le Midi. Or, le choix judicieux des variétés exerce une influence très marquée sur l’abondance des rendemens ; j’ai souvent constaté des différences de cinq à six quintaux de blé par hectare, suivant que j’avais semé une variété ou une autre, et comme les fumures et les conditions climatologiques avaient été identiques, le choix seul de la variété avait déterminé le surcroît de rendement.

Il est manifeste que des stations agronomiques établies dans diverses régions de la France finiraient par découvrir les variétés qui conviennent particulièrement à ces régions, et les avantages qu’on tirerait de ces études se chiffreraient par de très grosses sommes. On en a pu juger d’ailleurs, quand le regretté Aimé Girard a introduit en France de nouveaux semenceaux de pommes de terre ; par cette simple substitution, on a fait monter les récoltes de plus de dix tonnes par hectare.

Toutes nos plantes de grande culture, serrées les unes contre les autres, s’hybrident aisément ; elles présentent sans cesse des variations, dont des observateurs habiles savent profiter. Un des blés les plus répandus actuellement, le Dattel, est un hybride obtenu par M. H. de Vilmorin. Les hybrides que les vignerons ont créés sont déjà nombreux ; parmi eux se sont trouvés quelques cépages qui rendent aujourd’hui de grands services. Les études sur ce point sont bien loin d’être terminées, et on attend toujours une vigne américaine résistant au phylloxéra et prospérant dans les sols calcaires.

Dans certains cas, le mode d’ensemencement a plus d’influence que le choix de la variété. J’ai montré, depuis plusieurs années, que pour obtenir des betteraves fourragères de bonne qualité, il fallait les semer assez rapprochées pour qu’elles restassent petites. Les animaux alimentés par ces racines se sont développés plus vite, ont été préparés pour la boucherie plus rapidement que ceux qui avaient reçu de grosses racines.

Il est évident que des stations agronomiques bien outillées, convoquant les cultivateurs de leur voisinage à venir voir leurs essais, les faisant assister à la pesée des animaux, etc., réussiraient à convaincre les praticiens bien autrement que ne le fait un article de journal ; les transformations utiles, au lieu de ne se répandre que lentement, prendraient une allure plus rapide. La fabrication du fumier de ferme est souvent très mal conduite ; si l’on avait dans chaque station une lumière bien disposée, si l’on faisait publiquement des expériences pour montrer que le fumier abandonné sans soins perd des quantités notables d’ammoniaque qui persistent dans une masse bien arrosée, où la fermentation est énergique, on trouverait de nombreux imitateurs, et c’est par millions que se chiffreraient les pertes évitées.

Dans certaines régions de la France, en Auvergne, en Périgord, on a l’habitude de semer, immédiatement après la moisson, une légumineuse, ou des navets, en cultures dérobées ; l’avantage de ces pratiques est considérable ; j’ai essayé de les préconiser aux environs de Paris, car elles donnent, à très bon compte, un supplément d’engrais ou d’alimens considérable. Les stations qui montreraient l’utilité de ces cultures dérobées rendraient de signalés services.

Il ne s’agit pas seulement de bien cultiver, il faut obtenir de bonnes récoltes, on n’y réussit que par une lutte incessante. Les rongeurs, les insectes, nous livrent une guerre acharnée, et, pour se défendre, il faut connaître les mœurs de ces ennemis et trouver les moyens de les combattre ; ces études sont à peine ébauchées, et ce ne sont pas les naturalistes des facultés des sciences, confinés dans les villes, qui peuvent les poursuivre. Il faut être sur le lieu même du combat, pour accumuler les observations et en déduire les règles à suivre. Combien de millions eussent été épargnés si l’on avait su, dès le début de l’invasion phylloxérique, ce qu’il convenait de faire !

Les cryptogames parasites ne sont pas moins dangereux ; il faut les étudier avec soin, car c’est seulement par des observations répétées qu’on arrivera à se défendre ; certainement, pendant l’année pluvieuse que nous venons de traverser, la rouille qui a couvert de ses taches rouges nos feuilles de blé ; le piétin qui, s’attaquant au bas des tiges, a déterminé la verse, ont exercé une influence néfaste sur nos rendemens. Or, jusqu’à présent, nous subissons les atteintes de ces champignons sans savoir nous en préserver ; il faut y regarder ; nous nous sommes bien débarrassés de la carie du blé ; en cherchant, nous viendrons à bout de la rouille et du piétin.

L’emploi judicieux des eaux d’irrigation peut rendre d’immenses services et élever la prospérité agricole dans une mesure inespérée. J’ai reconnu que des terres sans engrais, mais laissées en jachère, abandonnent aux eaux qui les traversent de 100 à 200 kilos, par hectare, d’azote nitrique, correspondant à 700 ou 1 400 kilos du plus efficace de tous les engrais, du nitrate de soude.

Les fermons nitriques ne travaillent que dans une terre humide ; or, dans les conditions normales, une terre couverte de végétaux est desséchée par les plantes qu’elle porte, et la fermentation nitrique s’arrête. On n’assiste ordinairement à la formation de grandes quantités de nitrate que dans les terres en jachère, précisément parce que, ne portant pas de végétaux, elles restent humides. Il n’en serait plus de même pour une terre arrosée, qui recevrait assez d’eau pour ne pas être desséchée par la végétation et en conserverait une proportion suffisante pour assurer le travail des fermens.

La construction des canaux d’irrigation sera l’œuvre grandiose du XXe siècle, correspondant à la création des chemins de fer pendant le XIXe. Mais pour décider les pouvoirs publics à entreprendre ce grand travail, il faut que l’opinion soit saisie. Il existe dans nombre de domaines un peu accidentés des sources qui permettent des irrigations partielles ; les stations agronomiques rendraient encore un grand service en employant ces eaux et en montrant quel surcroît de récoltes est déterminé par des irrigations faites à propos.

La transformation de quelques-unes de nos écoles pratiques en stations agronomiques serait donc du plus grand intérêt. Pour que cette réforme s’accomplisse, il faut que les idées se modifient. Si, jusqu’à présent, l’administration a surtout porté ses efforts vers l’enseignement, c’est qu’elle y a été entraînée par des sollicitations pressantes ; on a cru faire œuvre utile en multipliant les écoles, et personne ne s’est avisé de réclamer des établissemens de recherches.

Or l’expérience prouve qu’on a mal compris les besoins des cultivateurs ; ils n’envoient pas d’élèves aux écoles pratiques. C’est donc qu’ils n’en reconnaissent pas l’utilité ; et, d’autre part, ils sont très désireux de s’instruire ; tous les journaux agricoles ont fait une place, souvent très large, aux questions des praticiens. Quand, par l’intermédiaire des journaux populaires, on entre en relations avec les cultivateurs, on est accablé de demandes de renseignemens, demandes souvent très judicieuses, émanant d’hommes qui réfléchissent et qu’on a grand plaisir à guider.

Les travailleurs des stations agronomiques seraient, à côté des professeurs départementaux, ces guides attitrés, et les demandes elles-mêmes leur indiqueraient dans quelle voie doivent être dirigées les recherches.

Jusqu’à présent, on n’a pas fait grand effort pour encourager les travaux originaux. Sans doute, il est des natures privilégiées qui, entraînées par le désir de savoir, n’ont nul besoin d’encouragemens ; indifférentes aux bruits extérieurs, tout entières à leur labeur, elles ne cherchent d’autre satisfaction que la joie de la découverte. À ces travailleurs d’élite, il convient seulement de ne pas ménager les moyens d’études. Or, souvent, ceux-ci sont insuffisans, ou même font défaut. Quand, dans nos écoles nationales, se présentent quelques difficultés budgétaires, c’est au chapitre « Frais de cours » qu’on s’en prend d’abord ; mais ces frais de cours sont en même temps des frais de laboratoire ; les réduire est déplorable. Non seulement, vous émoussez les armes, mais vous montrez que la poursuite des travaux, le succès des recherches entreprises, grâce aux maigres subventions accordées, vous sont indifférens.

Les esprits vigoureux surmontent ces difficultés, elles abattent les natures vacillantes ; j’ai vu bien souvent des jeunes gens se mettre au travail avec ardeur, se livrer à de longues et patientes recherches, écrire un bon mémoire et… n’en recueillir aucun fruit… ni avancement, ni récompense d’aucune sorte, pas même un mot d’encouragement… Il leur semble, dès lors, qu’ils font un métier de dupe, ils s’arrêtent, se bornent à accomplir leur besogne quotidienne, et abandonnent les recherches, qu’on ne leur sait aucun gré de poursuivre.

Il existe cependant, au budget du ministère, un chapitre : « Encouragemens à l’agriculture. » Si un mince filet de cette grosse rivière était dirigé vers les chercheurs heureux, il doublerait leur ardeur et ferait surgir d’utiles observations. Quand un homme consacre tous ses loisirs à l’étude patiente des phénomènes naturels, il mérite d’être soutenu, encouragé, car il ajoute au patrimoine de l’humanité. On l’a dit depuis longtemps : « Un fait bien observé compte pour l’éternité. »

Sur la demande du Ministre de l’Agriculture, le Président de la République a créé un Conseil supérieur de l’Enseignement agricole ; si ce conseil est réuni, il aura une belle mission à remplir. Il devra dire que rien n’est plus utile que de savoir, et que pour savoir il faut chercher ; que, si enseigner est bon, découvrir est meilleur ; que le progrès agricole suit pas à pas la marche de la science ; et qu’il vaut mieux créer des centres d’observations que de soutenir à grands frais des écoles désertes.


P.-P. DEHERAIN.