Callmann-Levy (p. 13-27).

II

LE NOUVEAU DIOGÈNE

La maison de Diogène était d’une élégance un peu précieuse. Ce philosophe avait fait monter sa philosophie en diamant et la portait avec ostentation.

Il logeait la misanthropie de Byron, la haine d’un cénobite contre les femmes dans le logis d’un petit maître, et ce sanctuaire d’un misogyne était paré comme pour des rendez-vous galants.

Diogène vivait seul, avec un vieux domestique petit-russien, et un cuisinier français.

Sa maison n’avait qu’un étage, avec un large balcon dominant la promenade. Le rez-de-chaussée se composait d’une salle à manger confortable, d’un salon oriental, d’un fumoir parisien, et d’une salle de jeu cosmopolite. Un jardin, tranquille et souriant, entouré de grands murs garnis de lierre, tamisait à travers des arbres magnifiques les rumeurs du dehors.


La chambre à coucher du cynique était capitonnée comme une chambre de jolie femme. On descendait directement de cette pièce dans le jardin, par un escalier de pierre extérieur. Un autre escalier à l’intérieur desservait la chambre, la bibliothèque et une sorte de musée bizarre, prétentieux, que Diogène avait nommé le greffe de l’amour. C’étaient les archives, l’arsenal, les notes secrètes, mises à sa disposition par un vaste espionnage, et contenant, sur toutes les femmes et jeunes filles du pays, les renseignements indispensables à l’œuvre folle que ce bizarre personnage avait entreprise.

Dès que les trois jeunes gens eurent agité la sonnette d’entrée, un guichet s’ouvrit, et une tête de vieillard apparut.

— Ouvre, Ivan, dit Melbachowski, d’un ton amical.

Avant d’ouvrir, Ivan examina les trois visages, et pointant son regard sur Constantin :

— Quel est ce jeune monsieur ? demanda-t-il d’une voix de basse-taille, légèrement fêlée.

— C’est un ami de ton maître.

Cette réponse, faite avec assurance, persuada Ivan. C’était un petit homme trapu, solide, en costume de cosaque, bleu foncé. Il ouvrit la porte, et, après l’avoir soigneusement refermée, gravit devant les nouveaux venus un large escalier de quatre marches, couvert de tapis, et orné à chaque marche d’une statue de nymphe antique.

Les visiteurs furent introduits dans le salon de réception.

Diogène s’y trouvait, comme un souverain toujours prêt à donner des audiences. La présentation se fit dans les formes usuelles.

Constantin n’était pas précisément un grand observateur. Il était d’ailleurs dans des dispositions sentimentales qui rendent l’émotion facile et rapide ; les récits enthousiastes que ses deux amis avaient faits de l’omniscience et de l’omnipuissance de Diogène lui donnaient une timidité que le philosophe comprit et aspira comme un premier hommage.

Diogène était de taille moyenne, mais avait une façon de se tenir et de se redresser qui le parait, à certaines minutes, d’une véritable majesté. Sa taille était svelte, sa tête d’une rectitude de lignes presque agaçante ; l’œil brun et brillant avait une curiosité vague, un peu inquiète, mais qui passait pour la préoccupation d’un contemplateur toujours aux aguets. Le front était élevé, la bouche bien dessinée ; une moustache et une barbiche accentuaient cette physionomie agréable un peu pâle. On se sentait en présence d’un homme d’esprit malicieux, abusant de l’esprit et de la malice, ayant la fatuité de son ironie, et jouant avec lui-même, comme avec les autres ; gesticulant d’une main fine, ecclésiastique, dont les ongles étaient toujours soigneusement maintenus à la même ligne que la chair, pour mieux éloigner l’idée de griffes dans un homme dont la langue égratignait sans cesse.

En se reculant devant les nouveaux venus qu’il saluait, il s’appuya nonchalamment sur le rebord d’une table d’ébène incrustée de nacre, et, après qu’on lui eut nommé Constantin :

— Monsieur est amoureux ? demanda-t-il gaiement.

— Comme il a deviné cela ! s’écria Jaroslaw en battant des mains.

— Parbleu ! ce n’est pas difficile à deviner, reprit Diogène ; monsieur a l’œil fiévreux ; et, si vous me l’amenez, c’est probablement pour que je le guérisse.

— Oui.

— Or, je n’ai, comme médecin, qu’une spécialité.

— Devinerez-vous aussi facilement quel est l’objet de sa passion ? demanda Melbachowski.

Diogène parut se recueillir. Il examinait attentivement Constantin.

— Oui, dit-il, au bout de trois minutes, je connais l’héroïne du poème, c’est Petrowna Pirowski.

Pour le coup, les trois jeunes gens le regardèrent comme un paysan galicien regarde un escamoteur qu’il prend pour un sorcier.

Diogène jouit de ce triomphe ; mais il ne lui convenait pas de trop éblouir le nouveau venu.

— Je pourrais vous dire, reprit-il, que j’ai le don de seconde vue ; j’aime mieux vous avouer que M. Constantin porte sur lui la preuve de son amour.

— Moi ! s’écria Constantin, en s’examinant avec attention.

Diogène quitta la table sur le bord de laquelle il était assis, vint droit au néophyte qu’on lui présentait, et, de sa main délicate, tirant un long cheveu blond engagé sous le col de chemise du jeune homme :

— Voilà, dit-il, un fil d’or qui ne peut provenir que de Petrowna.

— À quoi tient la science ? repartit Constantin en riant, tandis que ses deux amis étaient prêts à tomber en extase, — si j’avais changé de linge, cette preuve vous manquait, et l’augure était en défaut.

— Qu’en savez-vous ? reprit Diogène avec vivacité.

— Au surplus, continua Constantin, c’est moins à votre prescience qu’à votre science que je m’adresse. Mes amis m’assurent que vous pouvez me renseigner complètement sur Petrowna.

— Pour que vous la haïssiez ?

— Non, pour que je l’épouse.

— Le cas est encore plus grave que je ne le pensais, dit le philosophe. Ah ! vous voulez vous marier ! et avec mademoiselle Pirowski ! Eh bien, mariez-vous ! Je ne serai pas votre complice.

— Est-ce le mariage en lui-même que vous blâmez ?

— Certainement. Je ne défends pas d’aimer. Properce a dit que c’était le meilleur moyen d’arriver à la haine.

— Qu’est-ce que les femmes vous ont donc fait ? demanda ingénuement Constantin.

À cette question de Constantin : Qu’est-ce que les femmes vous ont fait ? le visage de Diogène s’assombrit. Il secoua la tête, et son sourire était amer et douloureux quand il reprit :

— J’ai été marié trois ans. Pendant trois ans, j’ai connu le martyre d’un amour légitime.

Constantin fit un mouvement, Diogène se hâta d’ajouter :

— Oh ! ne croyez pas que ma femme m’ait été infidèle, qu’elle ait eu même à se reprocher la moindre légèreté. Non ; elle était aussi irréprochable que spirituelle. Une vertu de bronze ! qui brillait au soleil et qui vibrait aux échos, mais qui pour moi restait toujours du bronze. J’ai été le mari d’une statue. Voilà pourquoi je suis devenu un briseur d’images. Ah ! vous ne savez pas ce que c’est que d’épouser un objet d’art ! Ma femme avait un cœur pour les mendiants qu’elle nourrissait le vendredi, pour les moineaux auxquels elle distribuait des miettes de pain, pour les phalènes qu’elle empêchait de se brûler à la lampe, pour le chien auquel elle donnait de petits coups de pied caressants, — un cœur enfin pour toutes les créatures vivantes, — excepté pour moi !

Diogène s’arrêta, parut étonné d’en avoir tant dit et regarda Constantin, qui l’écoutait avec le demi-sourire d’un Pygmalion bien sûr d’attendrir les statues.

Cette attitude dépita le philosophe, qui reprit avec plus d’aigreur :

— Je vous ennuie de mon histoire ?

— Non, mais vous ne m’effrayez pas.

— Vous êtes dans la ferveur du premier enthousiasme. Mais si votre femme indifférente, ne prenant nul souci de se parer, mettait votre poésie à une épreuve de chaque jour ? Si elle vous apparaissait en bonnet de nuit autant de fois que vous souhaitiez de voir ses beaux cheveux relevés sur son front ? si elle se montrait jalouse, sans s’être montrée jamais aimante ?

— Vous vous êtes séparé d’elle fort à propos, remarqua Jaroslaw avec un regard complaisant.

— Ce n’est pas moi ! s’écria Diogène ; je porterais encore ses chaînes ; je n’aurais jamais eu le courage de la quitter, bien que nous n’ayons pas eu d’enfant, si elle ne s’était pas éloignée de moi… Mais, encore une fois, en voilà assez ! Ce ne fut d’ailleurs ni ma première, ni ma dernière désillusion. Je voulus me consoler, et j’augmentai mes griefs sans satisfaire ma haine. Aujourd’hui, j’ai fait le serment d’Annibal contre les femmes. Si je ne puis empêcher des fous de se marier, je suis toujours prêt à leur fournir la preuve d’une trahison qui légitime une rupture. J’ai amassé des archives qui suffiraient à faire finir le monde, si tout le monde me consultait. Quelques amis convertis à mes idées forment avec moi une société, une espèce de république. On commence à nous redouter dans ce pays. Je suis prêt, monsieur, à vous admettre au nombre des initiés.

— Je suis venu avant tout vous demander des renseignements sur mademoiselle Petrowna, reprit Constantin. S’ils sont de nature à m’empêcher de l’aimer, je me résignerai peut-être à faire un serment comme le vôtre ; permettez-moi de ne vous rien promettre jusque-là.

Diogène s’inclina, et, montrant le chemin, dit à ses trois visiteurs :

— Allons au greffe.

Les sarcasmes d’un homme d’esprit, cruellement blessé dans le vif de son amour et de son amour-propre, s’épanouissaient, avec une exagération bizarre et fantastique, dans la pièce que Diogène nommait le greffe de l’amour.

Il n’était pas un panneau, un meuble, un clou, qui ne fût la déposition d’un témoin irrité contre la perfidie féminine. C’était le musée de la haine composé avec les instruments de l’amour. Des sirènes, des serpents, des Èves impudiques, des Dalilas, des Vénus dans toutes les postures, des Danaés sous toutes les averses, des chaînes, des flèches, des arcs, des bois comme ceux d’Actéon, des devises dans toutes les langues, des blasphèmes contre toutes les grandes amoureuses, étincelaient, rayonnaient, en sculpture, en peinture, en dorure, en ciselure.

Sur une table en mosaïque représentant un chat, probablement une chatte, jouant avec une souris, était placé un encrier fait d’une pantoufle de bronze, et à côté un cendrier taillé dans un cœur en onyx. Des casiers gigantesques appliqués aux murs avec une lettre sur chaque carton, contenaient les archives ; et le squelette brutal d’une courtisane russe ricanait dans ce somptueux cabinet, en face et dans l’attitude de la Vénus de Médicis.

Constantin, choqué d’abord de ce luxe d’un goût équivoque et de cette fantaisie un peu puérile, finit pourtant par en subir l’effet. Le commencement de tout amour est une alternative d’audace et de timidité. Le jeune amoureux se sentait supérieur à cet épouvantail élégant ; mais il avait peur de ce qu’il pouvait apprendre de fâcheux sur la jolie personne entrevue, et à travers le pessimisme de Diogène, il craignait d’apercevoir quelques éléments sérieux d’un scepticisme raisonnable.

Diogène qui observait son sourire et la petite pâleur de ses lèvres souriantes ne voulut pas s’en tenir à la mise en scène ; il résolut d’agir, pour achever de soumettre ce néophyte hésitant.

Il ouvrit un carton et tirant une liasse :

— Voici le dossier de Petrowna Pirowski, dit-il.

Constantin avança la main.

— Attendez ! je vais vous détailler chaque pièce, reprit le philosophe. Les matériaux sont peu abondants, parce que la personne est jeune et n’a pas encore d’histoire ; mais elle promet de curieuses découvertes à la science. Voici d’abord son signalement… Inutile de vous le faire lire. Voilà son acte de naissance, des détails sur sa fortune et sur sa famille, une esquisse de son caractère, une biographie qui date du jour où elle brisa sa dernière poupée. Pauvre poupée ! elle lui fendit la poitrine et lui arracha tout le son. Voilà la date de sa première robe longue, avec une lettre — innocente — à une amie, que j’ai pu me procurer. Voilà le compte de sa couturière de l’année dernière ; il est mesquin. Cette jeune fille sera peut-être avare ! Ah ! je trouve le rapport, recueilli par moi, d’un cocher au service de ses parents. Le malheureux avait commis l’étourderie de faire passer sa voiture sur les jambes d’un gamin qui jouait mal à propos sur la route. Il reçut une vingtaine de coups de fouet, par l’ordre de cet ange, et dut garder le lit huit jours de plus que l’enfant à peine écrasé. Voulez-vous lire les communications d’une vieille dame qui fut témoin d’un acte téméraire ? Un jour, Petrowna se jeta dans le Pruth pour sauver… un jeune chien qui allait se noyer ; et quand elle sortit de l’eau, ses vêtements, collés à ses membres, compromettaient à ce point sa pudeur que la vieille dame, passant par là, eut une syncope. — Il paraît que Petrowna s’endort volontiers au sermon. Elle préfère Gœthe et Byron, un païen et un athée, au pur et doux Schiller. Elle tua un jour, de sa main, d’un coup de revolver, le vautour favori de son père, parce que son père le nourrissait de moineaux vivants. — Je possède une lettre de sa mère, se lamentant sur la résistance de cette jeune fille au joug de la mode ; elle s’obstine à porter des nattes et refuse un chignon français… C’est là tout ce que j’ai, jusqu’ici, à votre disposition !

Constantin poussa un grand soupir d’allègement et se mit à rire :

— Vous voulez donc me rendre amoureux fou de Petrowna ?

Il regarda Diogène et ses deux amis comme pour leur demander s’il n’était pas l’objet d’une mystification.

— Je vous remercie, monsieur, reprit-il gaiement, de m’avoir démontré que Petrowna a de l’énergie, de la simplicité, un goût littéraire raisonné, l’horreur de la coquetterie. J’avais cru n’entrevoir qu’un ange ; en essayant de me faire voir un démon, vous me révélez une femme vraie, ingénue, grande. Encore une fois, merci !

Diogène remettait en place ses paperasses avec le sourire mystérieux d’un homme qui fait crédit à l’ingénuité humaine, mais qui est sûr de prendre sa revanche.

Jaroslaw, en ce moment, s’avisa de lui dire :

— En vérité, Constantin, tu parles de Petrowna, comme si elle était une Nadège Ossokhine !

Diogène poussa un cri de colère, et, se tournant vivement vers le poète :

— Pourquoi prononcez-vous ce nom-là, ici !

Jaroslaw parut décontenancé.

— Ce n’est pas la première fois !…

— C’est possible ; mais, cette fois, ce nom arrive mal à propos.

— Quelle est cette Nadège Ossokhine ? demanda Constantin, fort surpris de l’émotion du philosophe.

Jaroslaw et Melbachowski gardèrent le silence. Diogène, qui avait froncé le sourcil, se rasséréna tout à coup et fit un geste qui permettait à ses amis de répondre.

— Comment ? dit Melbachowski, tu oublies le nom d’une des illustrations de notre pays ? Et pourtant, tu n’es amoureux que depuis trois heures ! Tu n’ignores pourtant pas l’existence du journal la Vérité ?

— Je crois en avoir vu le titre quelque part, mais je ne l’ai jamais lu.

— Il y a quinze jours que madame Ossokhine est arrivée ici, reprit Melbachowski ; elle est encore pour nous une étrangère ; elle rédigeait son journal à Przemvsl. Mais les persécutions du parti aristocratique polonais et du gouvernement l’ont décidée à venir ici, au cœur de la population petite-russienne. C’est une ennemie des hommes, comme notre ami Diogène est l’ennemi des femmes. Nous sommes les témoins de ces deux grands champions, qui paraissent impatients de commencer les hostilités. Diogène la hait beaucoup.

— Moi ! interrompit violemment Diogène, je ne la hais pas. Je l’ai vue seulement une fois, de loin et encore à cheval ! Une amazone est si peu une femme qu’on n’a pas de raisons de lui en vouloir. Je ne sais rien de plus sur elle. Pourquoi la haïrais-je ?

— Est-ce qu’on sait ? Peut-être elle ressemble à une femme que vous haïssez ?

— À ma femme ? repartit Diogène. Qu’en savez-vous ? Non, je ne la hais pas encore. J’ai seulement pour elle une défiance instinctive. Si elle n’est qu’un bas-bleu, je lui pardonnerai d’ajouter un ridicule à son sexe ; si elle prétend mettre au service de l’émancipation des femmes les ressources d’un vrai talent, j’applaudirai peut-être.

— Comment ?

— Eh ! sans doute ! vous ne voyez donc pas que, dans l’état actuel des choses, c’est l’homme qui a besoin d’émancipation, et non la femme. Cette prétendue infériorité des femmes nous tient sous le joug par la pitié, nous particulièrement, Polonais et Russes, au cœur tendre. L’égalité des droits de la femme signifie la délivrance.

— Alors vous êtes l’allié de Nadège ? il n’y paraissait guère !

— Je crains qu’elle ne soit qu’une femme plus jolie, plus coquette, plus dangereuse, par conséquent, que les autres. Mais si elle emploie son prestige à faire triompher des utopies, je n’entraverai pas son œuvre. Tout ce qui virilise la femme la diminue. Le jour où les femmes prétendront plaider, légiférer, commander un régiment, nous serons sauvés de leurs griffes ; ce ne seront plus que des hommes imparfaits.

Diogène acheva la tirade par un éclat de rire bruyant et forcé ; cette conversation le gênait. On parla d’autre chose, c’est-à-dire qu’on médit autrement des femmes.

Constantin se demandait ce qu’il devait penser de ce cynique si facile à troubler. Était-ce un fou ? était-ce un malheureux, trop fier pour laisser voir une douleur profonde, et tordant ses spasmes douloureux en grimaces narquoises ? S’il débitait avec conviction ses lieux communs et ses paradoxes usés, il n’était qu’un sot ; mais si, derrière cette fatuité de sceptique, se cachait un homme de grande intelligence, tourmenté de quelque amer souci, il fallait le plaindre comme un malade.

De toute façon, ce personnage élégant, prétentieux, visant à la domination, et soumis à des rancunes qui dénonçaient un reste d’illusions, était intéressant à étudier, s’il n’était pas tentant à aimer. En outre, cette police jésuitique, qui lui servait à garnir son greffe, pouvait servir Constantin. L’amoureux résolut donc de paraître charmé plus qu’il ne l’était.

Il aura beau faire, — se disait-il intérieurement, — il ne m’empêchera pas d’aimer Petrowna, et je veux qu’il me serve à me la faire épouser !

Peut-être, de son côté, Diogène, mécontent de lui, ce jour-là, se disait-il :

— Voilà un néophyte difficile à conquérir. Mais il ne me résistera pas toujours. J’en ferai peut-être l’amant de Petrowna ; mais je jure bien qu’il ne l’épousera jamais.

Quand, après une longue conversation, Diogène reconduisit ses hôtes jusqu’au péristyle de sa maison, il dit gravement à Constantin :

— Voulez-vous m’aider à compléter le dossier de Petrowna ?

— Comment ?

— J’ai la description de toute sa personne, moins celle de son pied. C’est là une lacune formidable. Le pied en dit plus que la main. Les chinois ont raison de vouloir rendre leurs femmes fidèles, en leur mutilant les pieds. Jusqu’ici, malgré toutes nos ruses, il n’a été possible à aucun de nous de voir le pied de Petrowna. Tâchez d’être plus heureux. Je pourrais vous demander de découvrir les sources du Nil ; ce serait plus facile. Prenez-y-garde ! Petrowna est fille à défendre son pied jusqu’à la dernière extrémité.

Constantin accepta comme une plaisanterie la recommandation de Diogène, et le quitta avec l’agacement nerveux d’un homme qui sort d’une mystification, mais qui veut s’y prêter encore pour ne pas paraître susceptible.