L’Enfer du bibliophile, vue et décrit
Jules Tardieu, éditeur (p. 63-65).

XIII

RÉSURRECTION


En rouvrant les yeux, j’aperçus près de moi Conrad G., un de mes meilleurs amis.

— Oh ! lui dis-je, vous êtes bon, vous ! mais vous arrivez trop tard,… ils m’ont tout pris !

— Trop tard ou trop tôt ? répondit Conrad, qui se mit à entamer le récit de ses succès auprès d’une demoiselle Rodolfa, dont je n’avais jamais entendu parler.

— Trop tard, repris-je.

— Je vous dis qu’elle est charmante ; et je veux vous faire déjeuner avec elle aux Champs-Élysées : la voiture est en bas.

— Quoi ! ne saviez-vous pas ? Et je commençai à lui raconter mon aventure. Mais lui se remit de plus belle à me parler de sa nouvelle connaissance. Et la conversation continua ainsi quelque temps parallèlement, moi parlant livres, ruine, etc., et Conrad parlant Rodolfa, sans plus songer à mêler nos eaux que si nous eussions été lui la Loire et moi la Vistule.

À la fin Conrad, frappé de mes affirmations, me pria d’être précis.

J’entrepris alors de lui faire un peu moins longuement que je ne viens de l’écrire pour vous le récit de mes infortunes.

Avant que j’eusse fini, Conrad me prit le bras :

— Vous avez la fièvre, me dit-il. Et tenez, il a venté et plu toute la nuit, et vous avez dormi la fenêtre ouverte.

Je restai comme hébété en apercevant sous les rideaux la fenêtre entre-bâillée.

L’eau avait ruisselé sur le tapis ; et les livres, et les papiers, et le catalogue de la vente X… avaient volé jusqu’au pied de mon lit.

— Mais alors… dis-je en sautant sur mes pieds.

D’un élan je fus devant la bibliothèque, je l’ouvris d’un geste fou… tout y était en ordre !

Je m’habillai prestement et je montai en voiture avec Conrad. J’ai déjeuné avec lui et Mlle Rodolfa.

C’est une personne fort comme il faut.