L’Enfer des femmes/Comment on cherche un mari

H. Laroche et
E. Dentu, éditeur. A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie (p. 61-64).


COMMENT ON CHERCHE UN MARI


Les parents, en général, et les gens riches, en particulier, veulent pour leurs enfants les établissements qui doivent satisfaire leur goût et leur ambition à eux. Il y a aussi des gens qui font des mariages, soit parce que les circonstances les y obligent, soit par goût ; ceux-là se bornent à chercher un jeune homme pour une demoiselle et réciproquement. Ces unions ne leur suscitent pas d’autres préoccupations que le rapport des dots et des convenances. M. de Cournon était de ces derniers. Il n’avait pas, pendant vingt ans, construit des châteaux d’ambition sur le mariage qu’il devait conclure, aussi voulait-il tout simplement se débarrasser de sa cousine, le plus tôt et le mieux possible ; promptement pour lui, convenablement pour le monde.

En quittant l’hôtel pour faire sa promenade, le comte, contre son habitude, avait une pensée ; il voulait trouver un homme à marier. En arrivant au bois, il mit le titre de cousin sur toutes les figures de célibataires qu’il rencontra, quel que fût leur âge. Il s’étonna de trouver un si grand nombre de partis vacants qui pussent s’accommoder de la dot de sa cousine. Il vit qu’il n’aurait que l’embarras du choix.

Deux calèches s’étant accrochées, un encombrement de voitures et de cavaliers se forma. Le comte fut obligé de s’arrêter. Les deux cochers se lancèrent des invectives au dessous de leur condition de valetailles aristocrates, et les assistants furent forcés d’entendre jusqu’au bout le vocabulaire des expressions énergiques qu’on ne trouve dans aucun dictionnaire. M. de Cournon était près d’un jeune homme qu’il rencontrait souvent au bois, au club ou aux courses.

— Savez-vous à qui sont ces gens qui crient si fort, monsieur le comte, dit le jeune homme ?

— Mais oui, l’un est à la vieille duchesse de Novailles et l’autre à lord Salisbury. Ils sont magnifiques ces laquais rougissants sous leur perruque blanche.

Les tricornes survinrent, et la circulation se rétablit.

— Vous avez aujourd’hui l’air bien sérieux, Monsieur le comte.

— Oh ! mon cher, ne m’en parlez pas ; des affaires de famille, une petite cousine à marier.

— Combien a-t-elle ?

La conversation engagée sur ce point, Adolphe Dunel, c’était le nom du jeune homme, proposa tous les partis qui pouvaient convenir à mademoiselle de Cournon.

Le comte faisait un petit signe négatif à chaque nom qu’il entendait, et les repoussait tous ne sachant lequel choisir.

— Je vous offre mes services. Vous savez que je suis bien avec la banque et la bourse, si vous avez besoin de renseignements précis sur tel ou tel, ne vous gênez pas, disposez de moi.

— Merci, vous êtes mille fois aimable ; peut-être serais-je assez indiscret pour user de votre complaisance ; mais le temps presse, il faudrait causer de cela bientôt.

Dunel vit clairement que le comte, ennuyé d’avoir quelque chose à faire, ne serait pas fâché de trouver un aide.

— Allez-vous bientôt avenue de Neuilly ? dit M. de Cournon.

— Oui, peut-être.

— Eh bien, je vous y verrai, nous reparlerons de cela, adieu.

Adolphe mit son cheval au galop et s’éloigna.