L’Encyclopédie/1re édition/ZIRCHNITZERSEE

ZIRCHNITZERSEE, (Géog. mod.) lac d’Allemagne dans la basse Carniole, vers les confins de Windischmarck, & au nord de la forêt appellée communément byrpamerwaldt. Ce lac est si remarquable, qu’il mérite que nous en tirions la description des Trans. philos. n°. 54. 109. 191.

On l’appelle Zirchnitzersea, de Zirchnitz, bourgade d’environ 200 maisons, qui est sur ses bords. Ce lac a près de deux milles d’Allemagne de longueur, & une de largeur. Il est environné par-tout de montagnes, & n’a aucun écoulement. En Juin, Juillet & quelquefois jusqu’en Août, l’eau se perd sous terre, non-seulement par la filtration, mais encore en se retirant sous terre par de grands trous qui sont au fond : le peu qu’il en reste dans la partie qui est pleine de rochers, s’évapore ; mais en Octobre & Novembre l’eau revient communément (quoique le tems n’en soit pas fixe) & recommence à couvrir le terrein. Ce retour est prompt, & l’eau monte par les trous avec tant de force, qu’elle s’élance hors de terre de la hauteur de quelques piés.

Les trous sont en forme de bassins de largeur ou de profondeur différentes, depuis vingt jusqu’à trente coudées de largeur, & de huit jusqu’à quinze de profondeur. Au fond de ces trous il y en a d’autres où l’eau & les poissons se retirent, quand le lac se perd ; ces trous ne sont pas dans une terre molle, mais communément dans le roc solide.

Le lac étant ainsi plein & à sec tous les ans, sert aux habitans à plusieurs usages. Premiérement quand il est plein d’eau, il attire plusieurs sortes d’oies, de canards sauvages & autres oiseaux aquatiques qui sont un fort bon manger. 2°. Sitôt que lac est vuide, les gens du pays coupent les roseaux & les herbes pour faire de la litiere à leurs bestiaux. 3°. Il est entiérement sec vingt jours après, & ils y recueillent beaucoup de foin. 4°. Quand le foin est enlevé, ils y sement du millet, qui communément a le tems de mûrir. 5°. Il s’y trouve beaucoup de gibier ; car il y vient des bois & des montagnes voisines des liévres, des renards, des daims, des ours, des sangliers, &c. aussi-tôt que l’eau est écoulée. 6°. Quand le lac est plein, on peut y pêcher. 7°. Tout le tems que l’eau s’écoule, on y prend beaucoup de poissons que l’on attrape dans des fosses, & dans les lieux où les trous ne sont pas assez grands pour qu’ils puissent y passer.

Enfin quand les eaux reviennent, elles attirent une sorte de canards qui se nourrissent sous terre & qui, quand ils en sortent, nagent assez bien, mais ils sont aveugles & n’ont presque point de plumes. Ils voient bientôt après qu’ils sont exposés à la lumiere, & en peu de tems ils acquierent des plumes ; ils ressemblent aux canards sauvages, sont d’un très-bon goût & faciles à attraper. On suppose que la cause, ou plutôt la raison de tous ces phénomenes surprenans, vient d’un lac souterrein qui est au-dessous de celui-ci, avec lequel il communique par les différens trous dont j’ai parlé.

Il y a un ou plusieurs lacs sous les bords de la montagne Javornick ; mais dont la surface est plus haute que celle du lac Zirchnitz. Ce lac plus haut est peut-être formé par quelques-unes des rivieres qui dans ce pays se perdent sous terre. Quand il pleut, sur-tout par des orages subits, l’eau se précipite avec beaucoup de violence dans les vallées profondes, dans lesquelles sont les canaux de ces petites rivieres ; desorte que l’eau étant augmentée dans ce lac par l’arrivée subite des pluies en plus grande quantité qu’il ne peut en vuider, il enfle sur-le-champ ; mais trouvant plusieurs trous ou cavernes dans la montagne, plus haut que n’est sa surface ordinaire, il se dégorge par-là dans le lac souterrein qui est sous celui de Zirchnitz, dans lequel l’eau monte par les différens trous ou fosses qui sont au fond, ainsi que par les passages apparens qui sont sur la terre. (Le chevalier de Jaucourt.)