L’Encyclopédie/1re édition/ZEMBLE, la nouvelle

◄  ZELL
ZEMBROW  ►

ZEMBLE, la nouvelle, (Géog. mod.) vaste pays situé dans l’océan septentrional, au nord de la Moscovie, dont il est séparé en tout ou en partie par le détroit de Weigats. Le mot nouvelle zemble, qui veut dire nouvelle terre a été donné à ce pays par les Russes. La découverte en a été faite en 1642, par le navigateur Abel Tasman.

L’an 1725, la czarine Catherine envoya le capitaine Béering, qui navigea vers l’Océan septentrional, & qui étant de retour de Kamtschatka, dans la mer du Japon, à Pétersbourg, en 1730, rapporta qu’il avoit trouvé un passage au nord-est, par lequel on pourroit aller du détroit de Weigats au Japon, à la Chine, & aux Indes orientales, si les neiges n’y mettoient un obstacle invincible pendant la plus grande partie de l’année ; ce rapport a été confirmé par des relations postérieures. Comme la nouvelle Zemble n’est pas jointe à la terre ferme, du moins dans sa partie méridionale, on croit qu’elle tient par les glaces au Spitzberg, & que les premiers habitans de l’Amérique, peuvent y avoir passé de notre continent par cette voie.

Quoi qu’il en soit, la nouvelle Zemble s’étend dans sa partie méridionale, le long des côtes septentrionales de la Russie & de la Tartarie moscovite, ou pays des Samoyèdes, dont elle est séparée par le détroit de Weigats, qui est presque toujours glacé, ensorte qu’on peut y aller sur la glace.

Dans cette partie méridionale, près des bords où l’Oby a de la peine à rouler ses flots glacés, l’humanité revêtue de la forme la plus grossiere, privée du soleil, n’est qu’à demi animée. Là, cette race brute, retirée dans des caveaux, à l’abri de la saison terrible de l’hiver, prend une triste nourriture près d’un feu languissant, & sommeille entourée de fourrures. Ces êtres infortunés ne respirent ni la tendresse, ni les chants, ni le badinage ; ils ne connoissent dans la nature que des ours leurs alliés, qui errent au dehors de leurs tanieres, jusqu’à ce qu’enfin un jour ressemblant à l’aurore, jette un long crépuscule sur leurs champs, & appelle à la chasse ces sauvages armés de leur arc.

Les habitans de cette partie méridionale de la nouvelle Zemble, sont des hommes de petite taille, & qui ont les cheveux noirs ; ils sont basanés & vêtus de peaux de veaux marins, ou de pingoins, qui sont de grands oiseaux ; ils vivent de chasse & de pêche, & adorent le soleil & la lune ; ils se retirent l’hiver dans de petites huttes sous terre, & sont visités en été par les Samoyedes qui habitent le long de la côte de la mer Glaciale, au nord de la Sibérie.

Voila pour la partie méridionale de la nouvelle Zemble. La partie septentrionale est absolument inhabitée, parce qu’elle est couverte de neiges & de glaces éternelles ; ce n’est même que dans la partie méridionale qu’on voit des ours blancs ; mais les curieux seront bien aises de trouver ici quelques remarques que firent les Hollandois, lorsqu’ils navigerent dans cette partie de la zone glaciale.

Le 13 Juin 1594, à environ six milles de la nouvelle Zemble, où le soleil ne se couchoit point, ils mesurerent sa moindre hauteur à minuit, & trouverent 73 degrés 25 minutes de latitude.

D’autres observerent le même jour, mais à 77 degrés 20 minutes de latitude, quantité de glaces dont la mer sembloit couverte, autant que la vue pouvoit s’étendre du haut du mât de perroquet.

Le 21 Août, ils ne purent passer le détroit de Weigats, à cause de la quantité de glaces qui venoient de la mer de Tartarie pendant tout l’été ; de sorte qu’ils furent obligés de revenir sans rien faire.

Dans un autre voyage ils trouverent le 5 Juin la hauteur méridienne d’un degré au nord, d’où leur latitude étoit de 74 degrés, & la mer étoit couverte de glaces.

Le 19 Juin ils trouverent par la hauteur du soleil, qu’ils étoient à 80 degrés 11 minutes de latitude, vers le Groenland ou le Spitzberg. Les Anglois examinerent les côtes à 82 degrés de latitude ; mais ils trouverent la mer bordée de tant de glaces, qu’elle paroissoit être une partie de la terre, quoique dans le milieu de l’été ; & il y avoit au-dessus de la mer une nuée épaisse, ou des vapeurs grossieres, qui les empêchoient de découvrir de loin.

Le 11 Août 1596, à 66 degrés de latitude, vers la nouvelle Zemble, ils trouverent que la glace atteignoit jusqu’au nord de la mer ; & le vingt-septieme jour leur vaisseau étoit tellement environné de glaces, qu’ils furent contraints d’y passer l’hiver sans voir le soleil.

Le 26 Septembre le froid fut si violent qu’ils ne pouvoient le supporter, & les neiges tomboient constamment ; la terre étoit tellement prise par la gelée, qu’on ne pouvoit y creuser, ni même l’amollir avec le feu.

Le premier Octobre le soleil parut un peu sur l’horison, au méridien du sud, & la pleine lune étoit élevée vers le nord, & on la vit faire le tour de l’horison.

Le deux Novembre, on vit le soleil se lever au sud-sud-est, quoiqu’il ne parût pas entierement, mais il courut dans l’horison jusqu’au sud-sud-ouest.

Le 3 Novembre, le soleil se leva au sud-quart-à-l’est, c’est-à-dire en partie seulement, quoiqu’on le pouvoit voir tout entier du haut du grand mât.

Le 4 Novembre, quoique le tems fût calme & clair, on ne vit point le soleil ; mais la lune qui étoit alors dans son plein, fut apperçue pendant des jours entiers ; le froid fut très-violent, & après cela le feu ne pouvoit les échauffer ; les neiges & les vents régnoient avec furie.

Le 9, 10, & 11 Décembre, l’air fut clair, mais si froid que notre hiver le plus rude ne peut pas lui être comparé, & les étoiles étoient si brillantes, que c’étoit un charme de leur voir faire leur révolution.

Le soleil ne parut pas pendant tout ce tems, cependant il y eut du crépuscule, sur-tout du côté du sud : car ils ont une petite clarté à douze heures, ce qui fait le jour en hiver.

Le 13 Janvier le tems fut clair, & depuis ils remarquerent une augmentation sensible dans le crépuscule, & quelque diminution du froid.

Le 24 Janvier, l’air fut encore pur & clair, & alors ils commencerent à voir l’extrémité du disque du soleil au sud, & ensuite il parut tout entier sur l’horison.

Le 2 Mai, il s’éleva un vent violent qui écarta les glaces de certains endroits ; ils eurent en mer un peu de chaleur pendant quelques jours, mais le plus souvent des vents froids, de la neige, & de la pluie.

Ce qu’il y a de remarquable dans ces observations, c’est que le soleil les quitta le 2 Novembre, tandis que, suivant les lois de la réfraction, qui fait paroître le soleil dix-neuf jours plutôt, il n’auroit pas dû les quitter encore. La différence de l’athmosphere peut bien y avoir contribué : car le soleil arrivant à l’horison, après une absence de trois mois, l’air y étoit plus épais & plus grossier qu’il n’étoit l’année précédente, quand le soleil eut été long-tems sous l’horison. Cependant Varénius doute que la diversité de l’air pût le faire disparoître tant de jours trop-tôt ; & ceux qui passerent l’hiver au Spitzberg, en 1634, firent des observations différentes ; car le soleil les quitta alors le 9 Octobre, & après une longue absence, il reparut le 13 Février 1634, & ces deux jours sont presque à égale distance du 11 de Décembre. Dans la derniere de ces deux observations, on a pu se tromper facilement de quelques jours ; car les observateurs étant dans leur lit, ne virent point lever le soleil les 10, 11, & 12 de Février ; ou bien les nuages & les pluies purent les empêcher de le voir. Géog. de Varénius. (Le chevalier de Jaucourt.