L’Encyclopédie/1re édition/ZÉLE

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ZÉLE de religion, (Christianisme.) attachement pur & éclairé au maintien & au progrès du culte qu’on doit à la Divinité.

Le zèle de religion est extrémement louable, quand il est de cette espece, plein de douceur, & formé sur le modele dont Jésus-Christ nous a donné l’exemple ; mais quand le zèle est faux, aveugle & persécuteur, c’est le plus grand fléau du monde. Il faut honorer la Divinité, & jamais songer à la vanger. On ne sauroit trop observer, qu’il n’y a rien sur quoi les hommes se trompent davantage, que dans ce qui regarde le zèle de religion. Tant de passions se cachent sous ce masque, & il est la source de tant de maux, qu’on a été jusqu’à dire, qu’il seroit à souhaiter pour le bonheur du genre-humain, qu’on ne l’eût pas mis au nombre des vertus chrétiennes. En effet, pour une fois qu’il peut être louable, on le trouvera cent fois criminel ; il faut bien que cela soit ainsi, puisqu’il opere avec une égale violence dans toutes sortes de religions, quelque opposées qu’elles soient les unes aux autres, & dans toutes les subdivisions de chacune d’elles en particulier.

Abdas, évêque dans la Perse, au tems de Théodose le jeune, fut cause, par son zèle inconsidéré, d’une très-horrible persécution qui s’éleva contre les chrétiens. Ils jouissoient dans la Perse d’une pleine liberté de conscience, lorsque cet évêque s’émancipa de renverser un des temples où l’on adoroit le feu. Les mages s’en plaignirent d’abord au roi, qui fit venir Abdas ; & après l’avoir censuré fort doucement, il lui ordonna de faire rebâtir ce temple. Abdas ne voulut pas s’y prêter ; quoique le prince lui eût déclaré, qu’en cas de désobéissance, il feroit démolir toutes les églises des chrétiens. Il exécuta cette menace, & abandonna les fideles à la merci de son clergé, qui n’ayant vu qu’avec douleur la tolérance qu’on leur avoit accordée, se déchaina contr’eux avec beaucoup de furie. Abdas fut le premier martyr qui périt dans cette rencontre ; il fut, dis-je, le premier martyr, si l’on peut ainsi nommer un homme qui par sa témérité, exposa l’Eglise à tant de malheurs. Les chrétiens qui avoient déjà oublié l’une des principales parties de la patience évangelique, recoururent à un remede qui causa un autre déluge de sang. Ils implorerent l’assistance de Théodose ; ce qui alluma une longue guerre entre les Romains & les Perses. Il est vrai que ceux-ci eurent le désavantage, mais étoit-on assûré qu’ils ne battroient pas les Romains, & que par le moyen de leurs victoires, la persécution particuliere des chrétiens de Perse ne deviendroit pas générale sur les autres parties de l’Eglise ? Voilà ce que le zèle indiscret d’un seul particulier peut produire. A peine trente ans suffirent à la violence des persécuteurs !

Abdas, simple particulier, & sujet du roi de Perse, avoit ruiné le bien d’autrui ; & un bien d’autant plus privilégié, qu’il appartenoit à la religion dominante ; c’étoit une mauvaise excuse, de dire que le temple qu’il auroit fait rebâtir, auroit servi à l’idolâtrie : car ce n’eût pas été lui qui l’auroit employé à cet usage, & il n’auroit pas été responsable de l’abus qu’en auroient pu faire ceux à qui il appartenoit. D’ailleurs, personne ne peut se dispenser de cette loi de la religion naturelle : « Il faut réparer par restitution ou autrement le dommage qu’on a fait à son prochain ».

Enfin, quelle comparaison y avoit-il entre la construction d’un temple, sans lequel les Perses n’auroient pas laissé d’être aussi idolâtres qu’auparavant, & la destruction de plusieurs églises chrétiennes ? Il falloit donc prévenir ce dernier mal par le premier, puisque le prince en laissoit la ressource au choix de l’évêque. Voilà pour le zèle inconsidéré. Si quelquefois il peut être excusé, il ne faut jamais le louer, ce seroit rendre à l’infirmité humaine un hommage qui n’est dû qu’à la sagesse ; la qualité des personnes, & leurs meilleures intentions, ne changent point le mal en bien.

Si maintenant nous suivions l’histoire cruelle des effets du zèle destructeur, nous la trouverions remplie de tant de scènes tragiques, de tant de meurtres & de carnage, qu’aucun fléau sur la terre n’a jamais produit tant de désastres.

Tristius haud illo monstrum nec savior ulla
Pestis, & ira Deum stygiis sese extulit undis.

Æneid. l. III. v. 214.

Les annales de l’Eglise fourmillent de traits apocriphes de ce genre, qui ont fait au christianisme une si grande plaie, qu’il n’en guériroit point, si la main qui l’a fondé ne le sauvoit elle-même. Lisez bien l’histoire, & vous trouverez que les plus grands princes du monde ont eu plus à craindre les passions d’un faux zèle, que les armes de tous leurs ennemis.

Si tout zélateur examinoit bien sa conscience, elle lui apprendroit souvent que ce qu’il nomme zèle pour sa religion, n’est à le bien peser qu’orgueil, intérêt, aveuglement ou malignité. Un homme qui suit des opinions reçues, mais différentes de celles d’un autre, s’éleve au-dessus de lui dans son propre jugement ; cette supériorité imaginaire excite son orgueil & son zèle. Si ce zèle étoit véritable & légitime, il seroit plus animé contre un mauvais citoyen, que contre un hérétique, puisqu’il y a divers cas qui peuvent excuser ce dernier devant le souverain juge du monde, au-lieu qu’il n’y en a point qui puisse disculper l’autre.

J’aime à voir un homme zélé pour l’avancement des bonnes mœurs, & l’intérêt commun du genre humain ; mais lorsqu’il emploie son zèle à persécuter ceux qu’il lui plait de nommer hétérodoxes, je dis, sur la bonne opinion qu’il a de sa créance & de sa piété, que l’une est vaine, & que l’autre est criminelle. (Le chevalier de Jaucourt.)

Zèle, (Critiq. sacr.) ce mot se prend en plusieurs sens dans l’Ecriture. Il signifie une ardeur pour quelque chose. Phinée étoit plein de zèle contre les méchans qui violoient la loi du Seigneur, nomb. xxv. 13. Il désigne l’envie ; les Juifs sont remplis d’envie, Act. xiij. 45. ἐπλήθησαν ζήλου. Il veut dire la jalousie, Prov. vj. 34. la jalousie (zelus) du mari, n’épargne point l’adultere dans sa vengeance. L’oreille jalouse entend tout, Sage, j. 10. c’est Dieu qui s’appelle un Dieu jaloux. L’idole du zèle, Ezech. viij. 5. c’est ou l’idole de Baal, qui avoit été placée dans le temple du Seigneur, ou c’est celle d’Adonis ; quelques interpretes croyent aussi que le prophete Ezéchiel entend par idole du zèle, toutes sortes d’idoles en général, dont le culte allume le zèle de Dieu contre leurs adorateurs. (D. J.)

Zèle, jugement de, (Critiq. sacr.) Voyez Jugement de zèle. (D. J.)