L’Encyclopédie/1re édition/YASSA

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YASSA, s. f. (Hist. mod. Jurisprud.) c’est ainsi qu’on nomme chez les Tartares, un corps des lois, dont le tameux conquérant Gengis-Kan passe pour être l’auteur. Timut-Beg ou Tamerlan les fit observer dans ses vastes états, & elles sont encore en vigueur aujourd’hai chez les tartares de Krimée, & dans plusieurs autres parties de l’Asie, où ces lois sont appellées Yassa J’enghiskani. Quelques orientaux amis du merveilleux prétendent que Gengis-Kan n’en est point l’auteur, mais qu’elles sont dues à Turk qui, suivant les traditions orientales, étoit fils de Japhet, & petit-fils de Noé, fondateur de la nation tartare. M. de la Croix a donné dans la vie de Genghis-Kan un extrait de ces lois, en vingt-un articles.

1o. Il est ordonné de ne croire qu’un seul Dieu, créateur du ciel & de la terre, qui donne la vie & la mort, les richesses & la pauvreté ; qui accorde & refuse ce qu’il veut, & qu’il a un pouvoir absolu sur toutes choses.

2o. Les prêtres de chaque secte, & tous les hommes attachés aux cultes, les médecins, ceux qui lavent les corps des morts, seront exempts de tout service public.

3o. Nul prince ne pourra prendre le titre de grand-kan, sans avoir été élu légitimement par les autres kans généraux & seigneurs monguls assemblés en diete.

4o. Il est défendu aux chefs des tribus de prendre des titres pompeux, à l’exemple des souverains mahométans.

5o. Il est ordonné de ne jamais faire la paix avec aucun souverain ou peuple, avant qu’ils fussent entierement subjugés.

6o. De partager toujours les troupes en dixaines, centaines, milliers, dix milliers, &c. parce que ces nombres sont plus commodes.

7o. Les soldats, en se mettant en campagne, recevront des armes des officiers qui les commandent, & ils les leur remettront à la fin de l’expédition ; les soldats tiendront ces armes bien nettes, & les montreront à leur chef, lorsqu’ils se prépareront à donner bataille.

8o. Il est défendu, sous peine de mort, de piller l’ennemi, avant que le général en ait donné la permission. Chaque soldat demeurera maître du butin qu’il aura fait, en donnant au receveur du grand-kan les droits prescrits par les lois.

9o. Depuis le mois qui répond au mois de Mars, jusqu’à celui d’Octobre, personne ne prendra de cerfs, de daims, de lievres, d’ânes sauvages, ni d’oiseaux d’une certaine espece ; afin que la cour & les armées trouvent assez de gibier pour les grandes chasses d’hiver.

10°. Il est défendu, en tuant les bêtes, de leur couper la gorge ; mais il est ordonné de leur ouvrir le ventre.

11°. Il est permis de manger le sang & les intestins des animaux.

12°. On regle les privileges & les immunités des tarkani, c’est-à-dire, de ceux qui sont exemptés de toute taxe pour les services qu’ils ont rendus.

13°. Il est enjoint à toute homme de servir la société d’une maniere ou d’une autre ; ceux qui ne vont point à la guerre, sont obligés de travailler un certain nombre de jours aux ouvrages publics, & de travailler un jour de la semaine pour le grand-kan.

14°. Le vol d’un bœuf ou de quelqu’autre chose du même prix, se punissoit en ouvrant le ventre du coupable. Les autres vols moins considérables étoient punis par sept, dix sept, vingt-sept, trente-sept, & ainsi de suite jusqu’à 700 coups de bâton, en raison de la valeur de la chose volée. Mais on pouvoit se racheter de cette punition en payant neuf fois la valeur de ce qu’on avoit volé.

15°. Il étoit défendu aux Tartares de prendre à leur service des gens de leur nation : ils ne pouvoient se faire servir que par ceux qu’ils faisoient prisonniers de guerre.

16°. Il étoit défendu de donner retraite à l’esclave d’un autre, sous peine de mort.

17°. En se mariant, un homme étoit obligé d’acheter sa femme. La polygamie étoit permise. Les mariages étoient défendus entre les parens de premier & du second degré, mais on pouvoit épouser les deux sœurs. On pouvoit user des femmes esclaves.

18°. L’adultere étoit puni de mort, & il étoit permis au mari de tuer sa femme prise sur le fait. Les habitans de Kaindu furent à leur sollicitation, exemptés de cette loi, parce qu’ils étoient dans l’usage d’offrir leurs femmes & leurs filles aux étrangers. Mais Genghis-Kan, en leur accordant cette exemption, déclara qu’il les regardoit comme infames.

19°. Il étoit permis pour l’union des familles, de faire contracter des mariages entre les enfans, quoique morts, & l’on faisoit la cérémonie en leur nom. Par-là les familles étoient réputées alliées.

20°. Il étoit défendu, sous des peines rigoureuses, de se baigner, ou de laver ses habits dans des eaux courantes dans le tems où il tonnoit ; les Tartares craignant extraordinairement le tonnerre.

21°. Les espions, les faux témoins, les sodomistes, les sorciers étoient punis de mort.

22°. Les gouverneurs & magistrats qui commandoient dans des provinces éloignées, étoient punis de mort, lorsqu’ils étoient convaincus de malversation ou d’oppression. Si la faute étoit légere, ils étoient obligés de venir se justifier auprès du grand-kan.

Gengis-Kan publia un grand nombre d’autres lois, mais celles qui précedent sont les principales ; elles furent en vigueur sous le regne de ce conquérant & de ses successeurs. Par la premiere de ces lois, on voit que les tartares monguls étoient théistes dans l’origine, ce qui n’empêcha point presque tous les princes de la maison de Gengis-Kan, de tolérer & de favoriser les sectaires de toutes les religions dans leurs états ; ce sont même les seuls souverains dont l’histoire fasse mention, qui aient été assez sensés pour accorder à tous leurs sujets une tolérance entiere.