L’Encyclopédie/1re édition/WORCESTERSHIRE

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WORCESTERSHIRE, (Géog. mod.) province méditerranée d’Angleterre, au diocèse de Worcester. Elle a 130 milles de tour, & contient environ 544 arpens.

La Saverne la traverse toute entiere, & presque par le milieu du nord au sud, & reçoit en passant les eaux de trois ou quatre rivieres. Elle est encore arrosée de la Stoure, & de la Salvarpe à l’orient, & de la Thame à l’occident, un peu au-dessous de la ville de Worcester : l’Avon venant du côté de Warwick, lave aussi un coin de cette province au sud-est.

Worcestershire est séparé au sud-est de Herefordshire par les montagnes nommées Malvernes, qui s’élevent à la hauteur de sept milles. Cette province est une des meilleures de l’Angleterre. En été on y voit de belles & grandes campagnes couvertes de blé, d’excellens pâturages, & de forêts ; il s’y trouve aussi quelques puits d’eau salée. & quelques fontaines medicinales. Les haies sont bordées de poiriers, dont on presse le fruit pour en faire un excellent poiré. Les rivieres qui l’arrosent lui fournissent beaucoup de poisson. En particulier la Saverne y nourrit quantité de lamproies, qui se plaisent dans les eaux limonneuses, telles que sont celles de cette riviere. L’air répond au terroir : il est sain & temperé. Outre Worcester la capitale, il y a onze autres bourgs ou villes à marché. Enfin les muses ont fleuri de bonne heure dans cette province.

Dès le xv. siecle, Littleton (Thomas) se fit une grande réputation par son livre des tenures, ouvrage dont le chevalier Edouard Coke fait le plus bel éloge. L’archidiacre Nicholson, dans son english historical library, part. III. p. 169, London, 1699, observe que ce livre est entre les mains de tous ceux qui se destinent à l’étude, ou à la profession du droit municipal d’Angleterre, & qu’il a été imprimé plus souvent qu’aucun autre livre de droit. Quantité de ses éditions sont très-fautives ; & il faut s’en servir avec précaution, parce que les ridicules notes marginales de quelques possesseurs ignorans des copies manuscrites, se sont glissées dans le texte, & qu’on y cite sans rime ni raison, des cas auxquels l’auteur n’a jamais pensé… Un grand nombre d’articles de son droit commun, sont à présent changés par des actes parlementaires, & d’autres ne sont plus en usage. Par exemple, tout ce qui regarde les dons en frankemariage, &c. ne sert qu’aux disputes, à fournir quelques questions subtiles pour exercer les jeunes gens dans les colleges, ou inns de cour. A l’égard de quelques endroits qui paroissent obscurs à-cause de la briéveté à laquelle la méthode de l’auteur l’obligeoit, on peut les trouver plus amplement expliqués dans le journal the year-book d’Edouard IV. où l’on verra souvent le sentiment de Littleton sur divers cas épineux, avec les raisons sur lesquelles il étoit appuyé ; d’autres sujets ont été traités plus amplement par Bracton & par Breton, que notre auteur a abrégés en ce qu’il y a de principal.

Habington (Guillaume), naquit dans le comté de Worcester, en 1605, & mourut en 1654. Ses ouvrages sont des poéfies, sous le titre de castara, Londres, 1635, in-8. & en prose, l’histoire d’Edouard IV. roi d’Angleterre, Londres, 1640, en un petit in-fol. Nicholson trouve que l’auteur a donné une assez belle ébauche du regne d’Edouard IV. & qu’il a fait le portrait de ce prince dans un style fleuri, d’une maniere aussi ressemblante qu’on pouvoit l’attendre d’un homme si fort éloigné par le tems, de l’original.

Hooper (Georges), évéque de Bath & de Wells, naquit dans le comté de Worcester, en 1640, & mourut en 1727, a 87 ans. Ses ouvrages sont remplis d’érudition en tout genre ; mais je n’en citerai que deux, peu connus des étrangers, dont je donnerai, par cette raison, un courte analyse ; je veux parler de son traité du carême, & de ses recherches sur les anciennes mesures.

Son traité du carême parut à Londre en 1694, in-8. L’auteur y prouve que dans le iv. siecle, lorsque la religion chrétienne commença d’avoir un plus grand nombre d’écrivains, la quadragésime, ainsi qu’on parloit dans ce tems-là, s’observoit assez généralement par les chrétiens, pendant 40 jours. Si nous remontons vers le milieu du iij. siecle, nous y trouverons déjà quelque détail de l’austérité avec laquelle les chrétiens observoient la semaine de la passion ; détail qui nous vient d’un des plus grands hommes de l’Eglise, qu’on avoit consultes sur l’heure qu’on pouvoit finir le jeûne.

Cette grande austérité de la semaine-sainte, qui ne le cédoit en rien à celle dont on a usé dans la suite, donne tout lieu de penser que les chrétiens de ce tems-là, n’ont pas laissé à la génération suivante, le soin d’y ajouter la dévotion de semaines précedentes ; sur-tout, puisque nous trouvons qu’Origene, maître de Denys, parie en termes exprès de la quadragésime, comme consacrée au jeûne. Il est vrai que nous n’avons ce passage d’Origene que de la version de Russin, qui n’étoit pas le traducteur le plus exact ; mais il n’étoit pas le plus mauvais ; ainsi il y a plus d’apparence qu’il a traduit ici fidellement, que le contraire, n’y ayant aucune raison particuliere de soupçonner de la falsification dans ce terme, plutôt que dans un autre de la période, ni de s’étonner qu’il soit parlé d’une chose si connue assez peu de tems après.

Il paroît par le témoignage de Tertullien (qu’on peut mettre dans le second siecle, ausi-bien que dans le troisieme), qu’au sentiment de l’Eglise de son tems, les jours de la mort de Jesus-Christ, le vendredi & le samedi-saint devoient être consacrés au jeûne, en vertu de l’autorité des apôtres ; qu’on n’étoit point obligé de jeûner d’autres jours, & comme en vertu d’un précepte divin ; mais que cela étoit laissé à la discrétion des fideles, selon qu’ils le jugeoient à-propos. Cette espece d’incertitude ne lui permettoit pas naturellement d’en dire davantage, vu le sujet qu’il traitoit, ni de nous instruire des différentes coutumes des églises sur cette partie arbitraire du carême, quoique l’on puisse receuillir d’ailleurs, même de Tertullien, qu’on observoit dès ce tems-là un espace plus considérable,

Mais pour remonter plus haut, & nous approcher davantage du siecle des apôtres vers l’an 190, après la mort de S. Jean Irénée, évêque vénérable, qui avoit conversé particulierement avec Polycarpe, comme-celui-ci avec S. Jean & d’autres apôtres ; Irénée, dis-je, nous a instruit, quoique par occasion seulement, des pratiques différentes de son tems ; il nous apprend que les uns croyoient devoir jeûner un jour, les autres deux jours, ceux-ci plusieurs jours, ceux-là quarante jours.

Les recherches du savant Hooper sur les anciennes mesures des Athéniens, des Romains, & particulierement des Juifs ont été imprimées à Londres en 1721, in-8°. L’auteur déclare dans sa préface qu’ayant lu avec soin sur cette matiere deux traités curieux, qui parurent presque en même-tems en l’année 1684, l’un du docteur Cumberland, mort évêque de Peterborough, & l’autre du docteur Edouard Bernard, imprimé d’abord avec le commentaire du docteur Pocock sur Osée, qu’ayant aussi examiné les dissertations de M. Greaves sur le pié & sur le denier romain louées avec raison par les deux auteurs dont on vient de parler, il s’étoit attache à rechercher plus exactement les mesures des hébreux ; & qu’ayant bâti sur les principes surs de M. Greaves, ayant suivi la méthode de l’évêque Cumberland & profité des riches matériaux rassemblés par le docteur Bernard, il s’étoit fait le système suivant.

Premierement qu’ayant examiné en général les différentes mesures pour la longueur, la capacité, le poids & le rapport qu’elles ont les unes aux autres, il a fixé les mesures angloises auxquelles il vouloit réduire celles des juifs, afin de s’en faire de plus justes idées. Ensuite, comme il falloit chercher la connoissance des mesures des juifs dans ce que nous en ont dit des écrivains de divers tems & de divers pays, & qu’il falloit réduire leurs différentes mesures à celles d’Angleterre, il a été obligé d’examiner quelques-unes des mesures modernes, mais sur-tout les anciennes mesures des Athéniens & des Romains ; & que muni de ces secours, il a rapporté & comparé ensemble ce que l’on a dit de plus vraissemblable touchant les mesures des juifs, & s’est mis en état d’en donner une connoissance aussi claire & aussi certaine qu’il est possible. Ses recherches sont donc divisées en quatre parties.

Dans la premiere, il examine les mesures en général, & particulierement celles d’Angleterre, & quelques autres dont on se sert de nos jours à Rome, en Espagne, en Hollande & en Egypte. Dans la seconde, il recherche les mesures d’Athènes à cause des auteurs grecs qu’il faut consulter. Dans la troisieme, il examine les mesures anciennes des Romains qui supposent la connoissance de celles d’Athènes, & dont l’intelligence est nécessaire pour se servir avec fruit des auteurs latins. Dans la quatrieme, il s’agit des mesures des juifs.

Vient ensuite un appendix touchant les noms & la valeur des monnoies angloises & des mesures en vaisseaux. Dans cet appendix, il dit que toutes les anciennes mesures angloises de cette espece que nous avons reçues des Saxons, venoient, selon toutes apparences, à ceux ci des Sarrasins, aussi-bien que la monnoie angloise. Il remarque que pour ce qui est des noms des vaisseaux connus en Espagne & en Italie, comme ceux de pipe, de botte, de barril, &c. il en chercheroit l’origine dans la Méditerranée, & de-là chez les peuples orientaux, de qui venoient les choses contenues dans ces vaisseaux : car puisqu’il paroît clairement que tous les poids sont phéniciens d’origine, & que les mesures en vaisseaux, même de l’eau, étoient absolument nécessaires aux Phéniciens pour leur provision dans leurs voyages par terre, aussi-bien que par mer ; qu’entre les liquides, le vin & l’huile étoient des produits de leurs côtes, (le mot vin non-seulement, mais les noms fabuleux de Bacchus, de Sémélé, de Silene avec son âne dénotant cette origine), il est assez naturel de penser que les noms phéniciens des vaisseaux passerent avec ce qu’ils contenoient dans les îles de la Grece ; & que dans la suite lorsque les Sarrasins se furent rendus maîtres de cette mer, ils adopterent d’abord les noms orientaux qu’ils trouverent, & en donnerent encore d’autres du même ordre ; c’est ce qu’on peut conjecturer par rapport à plusieurs vaisseaux du levant, non-seulement de ceux qui contiennent de l’eau, mais de ceux qui servent à naviger, car ils prennent souvent leurs noms les uns des autres. Ainsi il n’est point du tout hors de propos de les rechercher dans le sud-est, quoique les Saxons, les Danois & les Normands ayent été grands navigateurs en leur tems, & qu’on puisse assez naturellement présumer qu’ils ont rapporté leurs noms germaniques en Angleterre.

Le docteur Jean Arbuthnot dans la préface de ses tables des anciennes monnoies, poids & mesures, &c. expliqués en plusieurs dissertations, donne une haute idée des recherches du docteur Hooper, & nous dit que si l’on examine l’unité de vue qui regne dans tout l’ouvrage, l’exactitude des calculs, la sagacité des conjectures, l’habileté à corriger, & à comparer ensemble les passages des anciens auteurs, & l’érudition qui brille dans ses recherches, on est obligé d’avouer qu’elles surpassent tout ce qu’on avoit encore publié sur cette matiere.

Mais l’écrivain le plus fameux du comté de Worcester est Butler (Samuel), auteur d’Hudibras. Il naquit en 1612, selon les uns, ou plutôt vers l’année 1600, selon M. Charles Longueville, qui a pu en être mieux instruit que personne. Butler étoit fils d’un honnête fermier, qui le fit étudier à Worcester, & à l’université. Au goût de la Poésie, il joignit celui de la Peinture ; & l’on ne doit pas s’en étonner, car presque toutes les parties de la Poésie se trouvent dans la Peinture. Le peintre doit animer ses figures, & le poëte prête un corps aux sentimens & aux expressions ; l’un donne de la vie à une belle image, & l’autre de la force & du corps à des pensées sublimes.

Après le rétablissement de Charles II. ceux qui étoient au timon des affaires faisant plus de cas de l’argent que du mérite, notre poëte éprouva la vérité d’une sentence de Juvenal.

Haud facilè emergunt, quorum virtutibus obstat
Res angusta dom

Jamais espérances ne furent plus belles que les siennes lorsqu’il vint à Londres. Devancé par sa réputation, il se vit accueilli de tout le monde, lu avec admiration & nourri de promesses de se voir honoré de la faveur du prince. Mais quelle fût sa récompense ? Il ne gagna par son génie, par l’agrément de sa conversation, par la régularité de ses mœurs, que la pauvreté & des louanges. Il ne retira pas du produit de ses vers de quoi se faire ensevelir ; mais il conserva sa santé jusqu’à la derniere vieillesse, & mourut en 1680 sans plaintes & sans regrets à l’âge d’environ 80 ans.

Il demeura sans tombe jusqu’à ce que l’Alderman Barber, depuis maire de la ville de Londres, eut la générosité d’honorer la mémoire de cet homme illustre, en lui érigeant un tombeau dans l’abbaye de Westminster.

C’est le poëme d’Hudibras qui lui acquit sa grande réputation ; & quoiqu’il s’en soit fait plusieurs éditions, il n’y en a aucune qui égale le mérite de l’ouvrage. M. Hogarth, dont le génie semble avoir beaucoup de rapport avec celui de Butler, a gravé à l’eau-forte une suite de tailles-douces, contenant les aventures d’Hudibras & de Rodolphe son écuyer, qui ont tout le grotesque qui convient au sujet.

On a fait quantité d’imitations de cet agréable poëme, parce qu’un ouvrage original n’a pas plutôt paru, que les barbouilleurs en font de mauvaises copies. Dès que Guilliver eut publié ses voyages, il se vit d’abord une multitude de parens qui naissoient comme autant de champignons, & qui fatiguerent le public de leurs fades aventures. Le Beggar’s opera a été accompagné d’une longue suite d’opéras insipides. Le bon Robinson Crusoé lui-même n’a pu se sauver des mains de la gent imitatrice. Je regarde de semblables productions comme autant d’avortons disgraciés, destinés par Apollon à servir de mouche aux beautés virginales.

On peut donner plusieurs raisons pourquoi des imitations on des suites des pieces originales en approchent si rarement pour la beauté. En premier lieu, les écrivains d’un génie supérieur dédaignent d’être copistes ; comme ils trouvent en eux un riche fonds d’invention, ils ne cherchent point à emprunter des autres. Secondement, un auteur qui travaille dans un goût nouveau est si plein de son idée, il la combine sans cesse de tant de manieres, qu’il l’envisage-sous toutes les faces où elle peut paroître avec avantage.

Les essais qu’on a fait pour traduire Hudibras en latin, on en d’autres langues, n’ont point eu de succès ; & l’on ne doit pas le flatter que ce poëme réussisse dans une traduction, parce que le sujet & les diverses parties qui y entrent sont burlesques, ne regardent que l’Angleterre dans un petit point de son histoire, & n’ont du rapport qu’à ses coutumes. On raconte dans ce poëme (qui tourne en ridicule la guerre civile) une suite de petites aventures pour se moquer des têtes rondes qui faisoient cette guerre. Or tout cela n’a point de grace dans une langue étrangere.

Il manque un commentaire complet sur ce poëme, dont quantité d’endroits perdent de leur beauté, de leur force & de leur feu faute d’être bien entendus aujourd’hui par les Anglois mêmes. On pourroit joindre à ce commentaire des observations sur l’économie, la conduite, les comparaisons & le style de ce poëme, ce commentaire donneroit au plus grand nombre de lecteurs une connoissance plus juste des beautés qui s’y trouvent. Je voudrois aussi qu’on en remarquât les défauts, car l’auteur d’Hudibras a trop souvent affecté d’employer des images basses, & les expressions les plus triviales pour relever le ridicule des objets qu’il dépeint. Il ressemble souvent à nos bateleurs, qui croient donner de l’esprit à leurs bouffons par les haillons dont ils les couvrent. La bonne plaisanterie consiste dans la pensée, & naît de la représentation des images dans des circonstances grotesques.

Butler a pris l’idée de son Hudibras de l’admirable don Quixote de Cervantes ; mais à tous les autres égards, il est parfaitement original par le but, les sentimens & le tour. Voici quel a été son but. Comme le tems où l’auteur vivoit étoit fameux par le zele affecté qui regnoit pour la religion & la liberté, zele qui avoit bouleversé les lois & la religion d’Angleterre en introduisant l’anarchie & la confusion, il n’y avoit rien de plus avantageux dans cette conjoncture aux yeux de tous les royalistes, que d’arracher le masque à ceux qui s’en étoient servi pour se déguiser, & de les peindre des couleurs les plus ridicules ; c’est ce qui fait qu’il ne les censure pas d’un ton sérieux, mais toujours en plaisantant pour mieux frapper au but qu’il se propose.

Dans cette vue, le poëte suppose que les maximes presque impraticables des puritains sur la rigide administration de la justice ont tourné la cervelle à son chevalier, de la même maniere que la lecture des livres de chevalerie avoit dérangé l’esprit de don Quixote. Le chevalier d’Hudibras se met donc en campagne pour rétablir chacun dans ses droits ; & il étend même sa protection à des ours qu’on mene à la foire, non pour leur profit, mais pour celui de leurs conducteurs, supposant que ces animaux ont été privés arbitrairement de leur liberté naturelle, sans qu’on leur ait fait leur procès dans les formes & par-devant leurs pairs. Comme tout le poëme est sur le ton plaisant, les différentes aventures du pieux chevalier & de son ridicule écuyer sont dans le même goût, & finissent toujours plaisamment. L’économie & le tour du poëme dans son tout ont quelque chose de si neuf, qu’on y a donné le nom de gout hudibraslique. Les uns l’appellent poeme burlesque, les autres heroi-comique, & d’autres épi-comique ; mais ce dernier nom ne lui convient ni pour la mesure du vers, ni pour la maniere brulque de finir par les deux lettres du chevalier & de la veuve.

Quoi qu’il en soit, le poëme Hudibras a été souvent cité & loué par les plus illustres écrivains de son siecle & du nôtre, par le comte de Rochester, Prior, Dryden, Addisson, &c. Le héros de ce poeme est un saint don Quixotte de la secte des Puritains, & le redresseur de tous les torts imaginaires qu’on fait à sa Dulcinée ; il ne lui manque ni rossinante, ni aventures burlesques, ni même un Sancho ; mais l’écuyer anglois est tailleur de métier, tartuffe de naissance, & si grand théologien dogmatique, que, dit le poëte,

Mysteres savoit déméler
Tout comme aiguilles enfiler.

On a sur-tout loué dans Hudibras les parodies du merveilleux (Machinery) poétique ; telle est entr’autres la description de la renommée, dont on sentira encore mieux le plaisant, si l’on veut la comparer avec la description serieuse de la renommée par Virgile. Il ne se peut rien de plus bisarre que la figure & l’habillement de la renommée dans Hudibras : ses deux trompettes & les avis qu’elle vient donner sont d’un excellent comique.

Il est vrai que la versification du poëte n’est pas harmonieuse, & qu’elle doit déplaire à ceux qui n’aiment que des vers nombreux & coulans ; ceux au contraire qui ne s’arrêtent qu’aux choses & aux idées, prendront un grand plaisir à la lecture d’Hudibras. Ce plaisir, dit un anglois, peut être comparé à celui que sait une jolie chanson, accompagnée d’un excellent violon ; au-lieu que le plaisir qu’on éprouve à la lecture d’un poeme épique sérieux est semblable à celui que produit le Te Deum de M. Handel lorsqu’il touche lui-même l’orgue, & qu’il est accompagne des plus belles voix & des plus beaux instrumens.

Hudibras est l’idole du parti de la haute-église, dont il est, pour ainsi dire, le breviaire, tandis que le gros des non-conformistes regardent ce poëme comme une piece fort odieuse. M. Fenton, dans sa belle épître à M. Southerne, faisant allusion au tems qui fait le sujet d’Hudibras, suppose plaisamment que lorsque les théatres furent fermés, la comédie prit un autre habit & parut ailleurs, les conventicules lui servant de théatres. La réforme qui suivit la mort du roi Charles I. ayant été aussi rigide qu’elle le fut, il étoit naturel à un poëte d’un esprit aussi enjoué que M. Fenton, d’en railler ; mais c’est ce qu’il fait avec noblesse.

Ce tems, dit-il dans le langage des dieux, fut suivi d’un autre plus abominable encore, souillé du sang d’un grand monarque : la tragédie n’eût pas plutôt vu sa chûte, qu’elle s’enfuit, & céda sa place aux ministres de la justice. La comédie, sa sœur, continua toujours ses fonctions, & ne fit que changer d’habillement. Elle commença par composer son visage, & apprit à faire passer des grimaces pour des signes de régénération. Elle se coupa les cheveux, & prit un ton tel que celui d’un tambour de basque ou d’un bourdon. Elle instruisit ses yeux à ne s’ouvrir qu’à demi, ou à s’enfuir en-haut. Bannie du théatre, elle prit gravement une robe, & se mit à babiller sur un texte …… Mais lorsque par un miracle de la bonté divine l’infortuné Charles remonta sur le trône de son pere, lorsque la paix & l’abondance revinrent dans nos contrées, elle arracha d’abord son bonnet de satin & son collet, & pria Wycherley de soutenir ses intérêts, & de faire paroître hardiment de l’esprit & du bon sens ; Etheridge & Sidley se joignirent à lui pour prendre sa defense, ils mériterent tous, & reçurent des applaudissemens. (Le chevalier de Jaucourt.)