L’Encyclopédie/1re édition/WOODSTOK

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WOODSTOK, (Géog. mod.) ville d’Angleterre, dans Oxfordshire à soixante milles au nord ouest de Londres. Elle a droit de tenir marché, & d’envoyer des députés au parlement.

Henri I. fit bâtir à Woodstok une maison royale, qui fut aggrandie dans la suite par Henri II. & détruite dans les guerres civiles du tems de Charles I. Il y avoit un labyrinthe où la belle Rosemonde, maîtresse d’Henri II. fut, dit-on sans aucun fondement, empoisonnée, par la vengeance d’une reine jalouse (la reine Eléonor). Elle fut enterrée à Godstow, dans le couvent des religieuses, avec cette épitaphe latine, qui montre le goût des pointes de ce tems-là :

Hâc jacet in tumbâ Rosa mundi, non Rosamunda ;
Non redolet, sed olet, quæ redolere solet.

Le tombeau avoit été placé au milieu du chœur de l’église, couvert d’un drap de soie. Un évêque de Lincoln nommé Hugues, trouva contre la décence, que le tombeau d’une femme telle qu’avoit été Rosemonde, fût exposé aux yeux des filles qui avoient fait vœu de chasteté ; il le fit ôter du chœur & transporter dans le cimetiere. Mais les religieuses affectionnées à la mémoire de Rosemonde, tirerent ses os du cimetiere, & les remirent honorablement dans le chœur de leur église.

Woodstok qui étoit un domaine de la couronne, fut aliéné par acte du parlement en faveur du duc de Marlborough, comme une marque publique de reconnoissance pour les services signalés qu’il avoit rendus à l’état, particulierement à la bataille de Bleinheim ; & c’est pour en perpétuer la mémoire, qu’on y bâtit le palais nommé Bleinheim-house.

Près du confluent de la Tamise & de la riviere Evenlode, on voit un monument tout-à-fait singulier ; c’est un rang de grosses pierres de grandeur & de forme inégales, élevées sur leur base & disposées en rond ; comme les habitans appellent ce monument de pierres Rolleric-stones, cette dénomination a donné lieu de croire que c’étoit en effet un monument de Rollo, chef des Normands, qui passa en Angleterre en 876, & qui livra deux batailles aux Anglois dans le comté d’Oxford. Long. de Woodstok 16. 18. latit. 51. 47.

C’est dans la maison royale de Woodstok bâtie par le roi Henri I. que naquit le vaillant Edouard, surnommé le prince noir, à cause de sa cuirasse brune & de l’aigrette noire de son casque. Ce jeune prince, fils d’Edouard III. eut presque tout l’honneur de la bataille de Creci, que perdit Philippe de Valois contre les Anglois le 26 Août 1346. Dix ans après le même prince noir entra en France, soumit l’Auvergne, le Limousin & le Poitou. Le roi Jean ayant rassemblé ses troupes, l’atteignit à Maupertuis, à deux lieues de Poitiers, dans des vignes d’où il ne pouvoit se sauver. Le prince de Galles demande la paix au roi ; il offre de rendre tout ce qu’il avoit pris en France, & une treve de sept ans. Jean refuse toutes ces conditions, attaque huit mille hommes avec quatre-vingt mille, & est défait à la bataille qu’on nomme de Poitiers, le lundi 19 de Septembre 1356. Le prince de Galles le mene à Bourdeaux, d’où il fut conduit l’année suivante en Angleterre.

En 1366, dom Pedre, roi de Castille, étant attaqué par les François, eut recours au prince noir leur vainqueur. Ce prince souverain de la Guyenne, qui devoit voir d’un œil jaloux le succès des armes françoises, prit par intérêt & par honneur le parti le plus juste. Il marche en Espagne avec ses Gascons & ses Anglois. Bientôt sur les bords de l’Ebre, & près du village de Navarette, Dom Pedre & le prince noir d’un côté, de l’autre, Henri de Transtamare & du Guesclin, donnerent la sanglante bataille qu’on nomme de Navarette. Elle fut plus glorieuse au prince noir que celles de Crécy & de Poitiers, parce qu’elle fut plus disputée. Sa victoire fut complette ; il prit du Guesclin & le maréchal d’Andrehen, qui ne se rendirent qu’à lui. Henri de Transtamare fut obligé de fuir en Aragon, & le prince noir rétablit don Pedre sur le thrône. Ce roi traita plusieurs rebelles d’une maniere barbare, mais que les lois des états autorisent du nom de justice. Don Pedre usa dans toute son étendue du malheureux droit de se venger. Le prince noir qui avoit eu la gloire de le rétablir, eut encore celle d’arrêter le cours de ses cruautés. Il est, après Alfred, celui de tous les héros que l’Angleterre a le plus en vénération.

Toujours respectueux envers son pere. Brave sans férocité, fier dans les combats, humain au fort de la victoire, affable envers tout le monde, généreux & plein d’équité. Il avoit épousé la plus belle femme du royaume ; on l’appelloit la belle Jeanne, & il eut toujours pour elle l’attachement le plus tendre.

Il possédoit toutes les vertus dans un degré éminent, & sa modestie en particulier ne sauroit trop s’admirer. Il se tint debout auprès du roi Jean son prisonnier, tandis qu’il soupoit, & cherchant pendant tout le repas à le consoler de son malheur, il lui dit qu’il ne négligeroit rien pour l’adoucir, & qu’il trouveroit toujours en lui le plus respectueux parent, s’il vouloit bien lui permettre de se glorifier de ce titre.

Il mourut en 1376, âgé de 46 ans, du vivant du roi son pere. On reçut la nouvelle de sa mort avec un deuil inconcevable, & le parlement d’Angleterre assista en corps à ses funérailles. Le roi de France lui fit faire un service à Notre-Dame. Le roi Edouard décéda un an après son fils, & Richard, fils de cet illustre prince de Galles, succéda à la couronne à l’âge de onze ans.

Chaucer (Geoffroi) le pere de la poésie angloise ; & le maître de Spencer, de plus comtemporain du prince noir, naquit comme lui à Woodstok, selon Pitséus, & à Londres selon d’autres ; mais sans croire la premiere opinion la mieux fondée, je l’embrasse volontiers, parce qu’elle me donne sujet de parler ici de cet aimable poëte, dont les vers naturels brillent à-travers le nuage gothique du tems & du langage, qui voudroient offusquer son beau génie.

Il vit le jour la seconde année du regne d’Edouard III. l’an 1328. Né d’une bonne famille, il fit ses premieres études à Cambridge ; & dès l’âge de dix-huit ans qu’il composa sa cour d’amour, il passoit déjà pour bon poëte par d’autres pieces qu’il avoit faites. Après qu’il eut quitté l’université, il voyagea ; & au retour de ses voyages, il entra dans le temple intérieur (Inn-temple) pour y étudier les lois municipales d’Angleterre.

Ses talens & sa bonne mine l’introduisirent à la cour en qualité de page d’Edouard III. poste d’honneur & de confiance qui ne fut que le premier pas de son avancement. Bientôt le roi en le qualifiant par ses lettres-patentes de dilectus Valetus noster, lui donna vingt marcs d’argent annuellement payables sur l’échiquier, jusqu’à ce qu’il pût le pourvoir mieux. Il fut nommé peu de tems après gentilhomme privé du roi, avec vingt nouveaux marcs d’argent de revenu. Au bout d’un an il fut fait porte-écu du roi, scutifer regis, emploi qui étoit alors très honorable.

Se trouvant par cette charge toujours près de la personne du roi, il se fit aimer & estimer des personnes du premier rang, principalement de la reine Philippe, de la princesse Marguerite, fille du roi, & de Jean de Gand, duc de Lancastre. On sait qu’il eut l’honneur de devenir dans la suite beau-frere de ce prince qui épousa la sœur de la femme de Chaucer ; & c’est aussi par cette raison, que le poëte partagea toutes les vicissitudes de la bonne & de la mauvaise fortune du duc.

Il séjournoit souvent à Woodstok où il demeuroit dans une maison de pierres de taille, proche de Pasck-Gate, qu’on appelle encore à-présent la maison de Chaucer. Sa fortune croissant par la protection du duc de Lancastre, il fut employé dans les affaires publiques qui lui procurerent un bien de mille livres sterling de rente, revenu très-considérable dans ce tems-là, & presque égal à celui de dix fois la même somme dans le siecle où nous vivons.

Le bonheur de Chaucer ne fut pas toujours durable. La ruine du duc de Lancastre entraîna la sienne pour quelque tems. Il se retira dans cette conjoncture à Woodstok, pour jouir des tranquilles plaisirs d’une vie studieuse ; & ce fut là qu’il composa en 1391 son excellent traité de l’Astrolabe.

Cependant au milieu de ses études la fortune se plut à lui sourire de nouveau, & à lui rendre ses bonnes graces ; mais ayant alors près de soixante-dix ans, il prit le parti de se retirer dans un château où il passa les deux dernieres années de sa vie. Il quitta le monde en homme qui le méprise, comme cela paroît par une ode qui commence Flie for the prèse, &c. qu’il composa dans ses dernieres heures. Il mourut le 25 Octobre 1400, & fut enterré dans l’abbaye de Westminster.

Son humeur étoit un mêlange de gaieté, de modestie & de gravité. Sa gaieté paroissoit plus dans ses écrits que dans ses manieres ; & c’est là-dessus que Marguerite, comtesse de Pembroke, disoit que l’absence de Chaucer lui plaisoit plus que sa conversation. Il étoit trop libre dans sa jeunesse ; mais vers la fin de sa vie, le poëte badin fit place au philosophe grave.

Il fut lié avec les hommes les plus célebres de son tems. Il avoit eu des relations avec Petrarque, & quelque liaison avec Bocace, duquel il a emprunté quantité de choses, & qui dans ce tems-là travailloit à perfectionner la langue italienne, comme Chaucer le faisoit de son côté par rapport à la langue angloise.

Ses ouvrages sont nombreux ; mais l’on ne doit point douter qu’il n’y en ait une grande partie de perdue. Le poëme intitulé Troilus & Chriséide, est de ses premieres années. Il en faut dire autant de son Conte du laboureur, qui scandalisa tant de monde, & qui se trouve dans si peu de manuscrits. C’est de sa demeure de la Renommée, que M. Pope a emprunté en partie l’idée de son temple de la Renommée. Il fit le testament d’amour (qui est un de ses meilleurs ouvrages) vers la fin de sa vie. Dryden, dans ses fables imprimées en 1700, a mis en langage moderne la légende de la femme dévote, le conte du chevalier, celui de la femme de Bath, & le poëme de la fleur & de la feuille. Il a fait aussi avec quelques additions, le caractere du bon curé, à l’imitation de la description du curé, par Chaucer dans son prologue. M. Pope a aussi habillé à la moderne le conte du marchand, & le prologue de la femme de Bath ; c’est ce que plusieurs personnes d’esprit ont fait à l’égard de quelques autres ouvrages de notre auteur. Sa vie publiée par M. Jean Urry, est à la tête de ses œuvres imprimées en 1721 à Londres, in-folio, édition supérieure à celle de 1602.

Tous les gens de goût en Angleterre donnent de grandes louanges à Chaucer. Le chevalier Philippe Sidney dit qu’il ignore ce qu’on doit le plus admirer, ou que dans un siecle si ténébreux Chaucer ait vu si clair ; ou que nous, dans un siecle si éclairé, marchions si fort en tâtonnant sur ses traces. Son style est en général familier, simple & semblable à celui des comédies, mais ses caracteres sont parlans. Son pélérinage de Cantorbery est entiérement à lui. Son but est de dépeindre toutes les conditions, & de dévoiler les vices de son siecle ; ce qu’il fait d’une maniere également juste & vive. Milton, dans le poëme intitulé il penseroso, met Chaucer au rang des maîtres de l’art.

Pour enrichir utilement & agréablement sa langue, il adopta tous les mots provençaux, françois & latins qu’il trouva convenables, leur donna une nouvelle forme, & les méla spirituellement avec ceux de la langue angloise ; il en bannit aussi tous les termes rudes ou surannés pour leur en substituer d’étrangers plus doux & plus propres à la poésie. Du tems de la reine Elisabeth, la langue commença à s’épurer davantage, & elle prit sous Waller de nouvelles beautés.

Il faut cependant convenir que les vers de Chaucer ne sont point harmonieux ; mais ses contemporains les trouvoient tels : ils ressemblent à l’éloquence de cet homme dont parle Tacite, auribus sui temporis accommodata. Du reste, Chaucer a prouvé dans ses contes de Cantorbery, qu’il savoit peindre les différens caracteres ; & toutes les humeurs (comme on les nomme aujourd’hui) de la nation angloise de son siecle. Il n’y a pas jusqu’aux caracteres graves & sérieux où il n’ait mis de la variété ; car ils ne sont pas tous graves de la même maniere. Leurs discours sont tels que le demande leur âge, leur vocation, & leur éducation ; tels qu’il leur convient d’en tenir, & ils ne conviennent qu’à eux seuls. Quelques-uns de ses personnages sont vicieux & d’autres sont honnêtes-gens ; les uns sont ignorans & les autres sont bien instruits. Le libertinage même des caracteres bas a ses nuances, qui y mettent de la variété. Le bailli, le meûnier, le cuisinier, sont autant d’hommes différens, & qui different autant l’un de l’autre, que la dame prieure affectée & la femme de Bath, brechedent. (Le chevalier de Jaucourt.)