L’Encyclopédie/1re édition/WHISK, le

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WHISK, le, (Jeux.) ou Whist, jeu de cartes, mi-parti de hazard & de science. Il a été inventé par les Anglois, & continue depuis long-tems d’être en vogue dans la grande Bretagne.

C’est de tous les jeux de cartes, le plus judicieux dans ses principes, le plus convenable à la société, le plus difficile, le plus interessant, le plus piquant, & celui qui est combiné avec le plus d’art.

Il est infiniment plus judicieux dans ses principes que le reversi, & plus convenable à la société, parce qu’on sait d’avance ce qu’on peut perdre dans une partie ; & qu’on ne vous immole point à chaque coup, en vous faisant des complimens que dicte le mensonge. On n’y donne point de prérogative despotique à une seule carte, & l’on n’y connoît point de dictateur perpétuel, comme est le redoutable spadille ou le maudit quinola.

Le whisk est bien éloigné de tendre à aiguiser méchamment l’imagination, comme fait le reversi, par une allure contraire au bon sens. La marche du whisk est naturelle ; ceux qui y font le plus de points & de mains, emportent de droit, & avec raison la victoire. C’est la regle de tous les jeux sérieux, & en particulier celle du jeu des rois, trop connu de leurs sujets sous le nom de guerre.

Le whisk est plus difficile que le piquet, puisqu’il se joue avec toutes les cartes ; que les associés ne parlent point, ne se conseillent point, ne voient, ni ne connoissent réciproquement la force ou la foiblesse de leur jeu. Il faut qu’ils la devinent par leur sagacité, & qu’ils se conduisent en conséquence.

Le whisk est plus intéressant, plus piquant qu’aucun jeu de cartes, par la multiplicité des combinaisons qui nourrissent l’esprit ; par la vicissitude des événemens qui le tiennent en échec ; par la surprise, agréable ou fâcheuse, de voir de basses cartes faire des levées auxquelles on ne s’attendoit point ; enfin, par les espérances & les craintes successives qui remuent l’ame jusqu’au dernier moment.

Ajoutez que la durée de ce jeu tient un juste milieu entre les deux extrèmes : cette durée permet dans une soirée, qu’on renouvelle deux ou trois fois les parties, & qu’on change les acteurs & les associations ; ce qui ranime le courage de ceux qui ont perdu, sans affliger les vainqueurs qui rentrent en lice sur leur gain.

En un mot, le whisk est un jeu très-ingénieusement imaginé à tous égards ; un jeu constamment fait pour les têtes angloises, qui refléchissent, calculent & combinent dans le silence.

Dans ce jeu, comme à la guerre & à la cour, il faut arranger des batteries, suivre un dessein, parer celui de son adversaire, cacher ses marches, hazarder à-propos. Quelquefois avec des cartes bien ménagées, on gagne des levées. Tantôt le plus savant l’emporte, & tantôt le plus heureux ; car les honneurs que donne ici la fortune, triomphent souvent de toute votre habileté, & vous arrachent la victoire, qui s’envole de vos mains sur les aîles de la capricieuse déesse.

Les François ont reçu dernierement tout ensemble de l’Angleterre victorieuse dans les quatre parties du monde, une généreuse paix, & la connoissance de ce beau jeu, qu’ils paroissent goûter extrèmement. Ils l’ont saisi avec transport, comme ils font toutes les nouveautés, hormis celles dont l’utilité est démontrée, & qui intéressent le bonheur ou la vie des hommes : mais en revanche ils s’enthousiasment des modes frivoles, & des jeux spirituels propres à les amuser. Comme le whisk est de ce nombre, ils en ont adopté religieusement toutes les lois, & les suivent ponctuellement, excepté peut-être celle du silence, qui contrarie beaucoup leur vivacité, & le manque d’habitude où ils font de tenir leur langue captive.

Les chances ou hazards de ce jeu, ont été calculés par de grands mathématiciens anglois, & M. de Moivre lui-même, n’a pas dédaigné de s’en occuper, il a trouvé :

1°. Qu’il y a 27 hazards contre deux, ou à-peu-près, que ceux qui donnent les cartes, n’ont pas les 4 honneurs.

2°. Qu’il y en a 23 contre un, ou environ, que les premiers en main n’ont point les 4 honneurs.

3°. Qu’il y en a 8 contre un, ou environ, que de côté ni d’autre, ne se trouvent les 4 honneurs.

4°. Qu’il y en a 13 contre 7, ou environ, que les deux qui donnent les cartes, ne compteront point les honneurs.

5°. Qu’il y en a 25 contre 16, ou environ, que les honneurs ne seront pas également partagés.

Le même mathématicien détermine aussi, que les hazards pour les associés qui ont dejà 8 points du jeu s’ils donnent les cartes, contre ceux qui ont 9 points, sont à-peu-près comme 17 à 11. Mais si ceux qui ont 8 du jeu sont les premiers en main, les hazards seront comme 34 est à 29.

On propose sur ce jeu divers problèmes, & particulierement celui-ci, dont l’exacte solution répandra la lumiere sur plusieurs questions de même nature.

Trouver le hazard que celui qui donne les cartes, aura quatre triomphes.

Une triomphe étant certaine, le problème se réduit à celui-ci ; trouver quelle probabilité il y a, qu’en tirant au hazard 12 cartes des 51, dont 12 sont des triomphes, & 39 ne sont point triomphes, 3 des 12 seront des triomphes.

On trouvera par la regle de M. de Moivre, que le total des hazards pour celui qui donne les cartes, = 92, 770, 723, 800 ; & que le total des hazards pour tirer 12 cartes des 51, = 158, 753, 389, 900. La différence de ces deux nombres, = 65, 982, 666, 100. Les hazards seront donc comme 9277, &c. à 6598, &c.

Or, nous pouvons calculer la chance de trois joueurs qui ont 10, 11 ou 12 triomphes, du nombre de 39 cartes ; donc nous trouverons que le total des hazards pour prendre 10, 11 ou 12 triomphes, dans 39 cartes, = 65, 982, 666, 100 ; & que tous les hazards du nombre de 51 cartes, = 158, 753, 389, 900. La différence=92, 770, 723, 800, = tous les hazards pour celui qui donne, & les hazards seront 9277, &c. à 6598, &c comme ci-dessus.

Les Mathématiciens après avoir trouve la derniere précision du calcul, par un grand nombre de chiffres ont cherché, & indiqué les proportions les plus voisines de la vérité que donne le plus petit nombre de chiffres ; & c’est ce qu’on appelle méthode d’approximation, de laquelle il faut se contenter dans la pratique. Si l’on demande, par exemple, quelle est la parité des hazards qu’un joueur ait à ce jeu trois cartes d’une certaine couleur, ils répondent par voie d’approximation, qu’il y a environ 682 à gager contre 22, ou environ 22 contre 1, qu’il ne les 2 pas.

Comme nous avons présentement dans notre langue, un traité du whisk traduit de l’anglois, & imprimé à Paris en 1764, in-12. sous le titre d’Almanach du whisk, je suis dispensé d’indiquer les termes de ce jeu, ses regles, sa conduite, & l’art de le bien jouer.

On croira sans peine que le petit livre dont je parle, est connu de tout le monde ; qu’il a un grand débit, & se lit beaucoup dans un pays d’oisiveté complette pour les gens du bon air ; un pays où ils éprouvent que les voitures les plus douces brisent la tête, & ils se reposent en conséquence tout le jour sur des sieges renversés, sans avoir eu la peine de se fatiguer ; un pays où les hommes dissertent agréablement de pompons, & font des nœuds comme les femmes, pour tuer le tems qui passe si vîte ; un pays d’ailleurs, où le jeu égale toutes les conditions, & où l’on n’est bon qu’à noyer, si l’on ne joue pas le jeu qui est à la mode ; un pays enfin, où les particuliers n’ayant rien à voir dans le gouvernement, ne désirent, à l’exemple des anciens romains soumis aux césars, que du pain, des cartes, & des spectacles, panem, aleam, & circenses. Eh ! qui peut condamner des mœurs si liantes, & des vœux si modérés ? (D. J.)