L’Encyclopédie/1re édition/VOIERIE
VOIERIE, s. f. (Gram. & Jurisprud.) viaria ou viatura seu viatoria, & par corruption voeria, voueria, lesquels sont tous dérivés du latin via, qui signifie voie, se prend en général pour une voie, chemin, travers, charriere, sentier ou rue commune ou publique & privée.
On entend aussi quelquefois par-là certaines places publiques, vaines & vagues, adjacentes aux chemins, qui servent de décharge pour les immondices des villes & bourgs. C’est ainsi que la ville de Paris a au-dehors une voierie particuliere pour chaque quartier, dans laquelle les tombereaux qui servent au nettoiement des rues & places publiques, conduisent les immondices. Anciennement les bouchers y jettoient le sang & les boyaux des animaux : ce qui causoit une puanteur insupportable ; c’est pourquoi on les enferma de murailles ; on y jettoit les cadavres des criminels qui avoient été exécutés à mort, & singulierement de ceux qui étoient trainés sur la claie. Il y a encore quelques lieux où l’on jette ainsi les cadavres des criminels, comme à Rouen, où il y a hors de la ville une petite enceinte de murailles en forme de tour découverte destinée pour cet usage.
On entend plus communément par le terme de voierie, la police des chemins, & la jurisdiction qui exerce cette police.
Cette partie de la police étoit déja connue des Romains qui la nommerent viaria ; & c’est sans doute d’eux que nous avons emprunté le même terme, & celui de voierie qui en est la traduction, & l’usage même d’avoir un juge particulier pour cette portion de la police générale.
On trouve dès le dixieme siecle des chartes qui mettent la voirie, viariam, au nombre des droits de justice.
Quelques autres chartres font connoitre que la vicomté ne différoit point de la voirie, vicecomitiam idest viariam : ce qui doit s’entendre de la grande voierie ; car suivant les établissemens de S. Louis & autres anciens monumens, la voirie simplement s’entendoit de la basse justice.
Le terme d’advocatio pris pour basse justice, est aussi employé dans d’autres chartres comme synonyme de viatura.
Les coutumes distinguent deux sortes de voieries, savoir la grande ou grosse, & la petite qui est aussi nommée basse voirie ou simple voierie.
La grande voierie a été ainsi nommée, parce qu’elle appartenoit anciennement à la haute justice, du tems qu’il n’y avoit encore en France que deux degrés de justice, la haute & la basse ; mais depuis que l’on eut établi un degré de justice moyen entre la haute & la basse, la voierie fut attribuée à la moyenne justice ; & les coutumes la donnent toutes au moyen justicier ; c’est pourquoi le terme de vicomte ou justice-vicomtiere, qui est la moyenne justice, est en quelques endroits synonyme de voierie : ce qui s’entend de la grande.
La coutume d’Anjou dit que moyenne justice, grande voierie & justice à sang est tout un ; & celle de Blois dit que moyen justicier est appellé vulgairement gros voyer.
De même aussi la petite voierie, ou basse & simple voierie est confondue par les coutumes avec la basse justice. Celle de Blois dit que le bas justicier est appellé simple voyer.
Quoique les coutumes donnent au gros voyer ou grand voyer tous les droits qui appartiennent à la moyenne justice, & au simple voyer tous ceux qui appartiennent à la basse justice, ne n’est pas à dire que tous les différens objets qui sont de la compétence de ces deux ordres de jurisdictions, soient des attributs de la voierie grande ou petite proprement dite, la moyenne & basse justice s’exerçant sur bien d’autres objets que la voierie, & n’ayant été nommée voierie qu’à cause que la police de la voierie qui en dépend, & qui est de l’ordre public, a été regardée comme un des plus beaux apanages de ces sortes de jurisdictions inférieures.
En quelques endroits la voierie est exercée par des juges particuliers ; en d’autres elle est réunie avec la moyenne ou la basse justice.
Le droit de voierie en général consiste dans le pouvoir de faire des ordonnances & réglemens pour l’alignement, la hauteur & la régularité des édifices, pour le pavé & le nettoiement des rues & des places publiques, pour tenir les chemins en bon état, libres & commodes, pour faire cesser les dangers qui peuvent s’y trouver, pour empêcher toutes sortes de constructions & d’entreprises contraires à la décoration des villes, à la sûreté, à la commodité des citoyens & à la facilité du commerce. Ces attentions de la justice par rapport à la voierie, sont ce que l’on appelle la police de la voierie.
Les autres prérogatives de la voierie consistent dans le pouvoir d’imposer des droits, d’ordonner des contributions perpétuelles ou à tems préfixe, en deniers ou en corvées, & d’établir des juges & des officiers pour tenir la main à l’exécution des ordonnances & réglemens qui concernent cette portion de l’ordre public.
Les charges de la voierie consistent dans les soins & l’obligation d’entretenir le pavé & la propreté des rues, des places publiques & des grands chemins, & même quelquefois les autres chemins, selon les coutumes & usages des lieux.
Les émolumens & revenus de la voierie sont de deux sortes.
Les uns sont des droits purement lucratifs qui se payent en reconnoissance de la supériorité & seigneurie par ceux qui font construire ou poser quelque chose de nouveau qui fait saillie ou qui a son issue tant sur les rues que sur les places publiques ; ces droits sont ce que l’on appelle le domaine de la voierie, & qui compose le revenu attaché à l’office de grand voyer.
Les autres droits sont certains tributs ou impôts qui se levent sous le titre de péage & de barrage, sur les voitures & sur les marchandises qui passent par les grands chemins & par ceux de traverse ; ces droits sont destinés à l’entretien du pavé & aux réparations des chemins, des ponts & chaussées.
Il n’appartient qu’au souverain qui a la puissance publique, de faire des ordonnances & réglemens, & d’imposer des droits sur ses sujets ; c’est pourquoi la voierie en cette partie est considérée comme un droit royal que personne ne peut exercer que sous l’autorité du roi.
A l’égard des rues & places publiques & des grands chemins, quoique la jouissance en soit libre & commune à tous, le souverain en a la propriété, ou au-moins la garde & la surintendance.
Ainsi la police des grands chemins appartient au roi seul, même dans les terres des seigneurs hauts justiciers.
Du reste la voierie ordinaire ou petite voierie étant une partie de la police, elle appartient à chaque juge qui a la police, dans l’étendue de son territoire, à moins qu’il n’y ait un juge particulier pour la voierie. Voyez le traité de la police de la Mare, tome IV. liv. VI. tit. 15, & le code de la voierie, celui de la police, tit. 6, & ci-après le mot Voyer, & les mots Chemins, Peage, Places, Rues. (A)