L’Encyclopédie/1re édition/VIDUCASSIUM civitas
VIDUCASSIUM civitas, (Géogr. anc.) ancienne ville des Gaules, & la capitale des peuples Vadiocasses ou Badiocasses. La plûpart des commentateurs ne sachant ce qu’étoit devenue cette ville, ont pensé que les Viducasses de Pline étoient les mêmes que les Vadiocasses ou Badiocasses que cet auteur nomme immédiatement après, & qui sont ceux de Bayeux, peu éloignés de-là ; mais la découverte que l’on fit en 1704 du véritable endroit où cette ancienne ville étoit située, doit faire changer de langage.
Il y a à deux lieues de Caën en basse Normandie un village qu’on appelle Vieux, où l’on trouve depuis long-temps une si grande quantité de restes d’antiquité, que le savant M. Huet, ancien évêque d’Avranches, auteur des origines de Caën, n’a pas douté que les Romains n’eussent eu en ce lieu-là un camp considérable : il avoit même cru que le nom de Vieux pouvoit venir de Vetera Castra, comme celui de Coutances, ville peu éloignée, vient de Constantia Castra, qui s’est toujours conservé dans les titres du pays.
Enfin en 1704, l’intendant de la province eut la curiosité d’examiner de près ces ruines, dont les plus apparentes étoient un aqueduc, un reste de chaussée, quelques débris de colonnes, des fragmens d’inscriptions, &c. Il fit fouiller aux environs, & découvrit ainsi plusieurs autres édifices dont les fondations étoient encore entieres. Entre ces édifices, le plus remarquable est un gymnase, avec des bains, dont la disposition, l’étendue & toutes les dépendances sont conformes aux regles de Vitruve.
Ces témoignages d’une ancienne ville se trouverent confirmes par les inscriptions que l’on déterra parmi ses ruines, & par celles qui avoient deja été découvertes aux environs. Elles sont presque toutes d’une espece de marbre rouge veiné, dont la carriere subsiste encore à Vieux. Dans ces inscriptions, & sur-tout dans celle qui, suivant la traduction du pays, fut transportée de Vieux à Thorigny du tems de François I. par les soins de Joachim de Matignon, il est parlé de la ville des Viducassiens, civitas Viducassium, que l’on trouve aussi nommée dans Ptolomée, & dont Pline fait mention dans le dénombrement des peuples de la seconde Lyonnoise, Parrhisii, Trecasses, Andegavi, Viducasses ou Vadiocosses, suivant d’anciens manuscrits.
La plus considérable de ces inscriptions est certainement celle qu’on a transportée de Vieux au château de Thorigny. Elle se trouve dans les mélanges d’antiquités de M. Spon, à qui elle avoit été communiquée. C’est une base de marbre de cinq piés de haut sur deux de large, dont les trois faces sont écrites. La premiere qui manque dans M. Spon, apprend que cette base soutenoit la statue d’un P. Sennius. Solemnis, originaire de la ville des Viducassiens, à qui les trois provinces des Gaules avoient d’un commun consentement déféré cet honneur dans sa ville, où l’on avoit assigné pour cela un certain espace sous le consulat d’Annius Pius & de Proculus, qui tombe à l’an de Rome 902, qui est celui où l’empereur Maximien fut tué à Aquilée.
Tres. Prov. Gall.
Primo. V. Monum. In Sua Civitate
Posuerunt Locum Ordo Civitatis
Vidue. Libenter Ded. P. XVIIII.
An. Pio Et Proculo Cos.
En voici une qui est écrite sur une base quarrée & taillée en forme d’autel.
Deo Marti
C. Victorius
Felix Pro Se Et
Junio Filio Suo
Et Maternæ Vic-
toris Conjugis
Meæ V. S. L. M. Diale
Et Basso Cos. Idibus
Martis.
On a remarqué que le mot meæ de cette inscription a sans doute été mis au-lieu de suæ pour éviter l’équivoque, & que dialis le premier des deux consuls, nommé dans l’inscription, ne se trouve point dans les fastes qui nous restent, où l’on voit des consuls du nom de Bassus sous Néron, sous Sévere, sous Valerien, sous Gallien & sous Constantin. Dialis fut apparemment un de ces consuls substitués, consules suffecti, qui sont presque toujours omis dans les fastes.
On a trouvé dans les ruines de la ville des Viducassiens plusieurs médailles antiques du haut & du bas empire, depuis les premiers Césars jusqu’aux enfans du grand Constantin, d’où il est naturel de conclure que cette ville des Viducassiens n’a été entierement détruite ou abandonnée que dans le quatrieme siecle par quelque révolution, dont l’histoire a négligé de nous instruire.
La plus rare de ces médailles est greque. Le jeune Diaduménien y est représenté avec cette inscription, Μ. ΟΠΕΛ. ΔΙΑΔΟΥΜΕΝΙΑΝΟΣ. On voit au revers le philosophe Héraclite avec cette légende, ΗΡΑΚΛΕΙΤΟΣ ΕΦΕΣΙΩΝ.
Toutes les médailles de Diaduménien sont rares, mais les médailles greques de ce prince sont encore plus rares que les latines, & le revers de celle-ci est unique. Il resteroit à savoir si c’est par l’océan des bords duquel la ville des Viducassiens étoit si proche, ou si c’est à-travers l’espace immense des terres que les peuples de cette contrée entretenoient commerce avec les Grecs. Peut-être que la curiosité a suffi pour faire passer des monnoies de l’Asie à une des extrémités de l’Europe, quand ces deux parties du monde étoient presque soumises à la même domination.
Au reste M. l’Abbé Belley croit que l’ancien nom de la ville des Viducasses étoit Arigenus dont parle Ptolomée, & que la table théodocienne appelle de même. La cité de Bayeux, civitas Bajocassium, contenoit dans le bas empire le territoire des peuples bajocasses & des peuples viducasses. (Le chevalier de Jaucourt.)