L’Encyclopédie/1re édition/VAUDEVILLE

◄  VAUDEMONT

VAUDEVILLE, s. m. (Poésie.) le vaudeville est une sorte de chanson, faite sur des airs connus, auxquels on passe les négligences, pourvû que les vers en soient chantans, & qu’il y ait du naturel & de la saillie.

Despréaux dans son art Poëtique, a consacré plusieurs beaux vers à rechercher l’origine, & à exprimer le caractere libre, enjoué & badin, de ce petit poëme, enfant de la joie & de la gayeté.

Si on l’en croit, le vaudeville a été en quelque sorte démembré de la satyre ; c’est un trait mordant & malin, plaisamment enveloppé dans un certain nombre de petits vers coupés, & irréguliers, plein d’agrément & de vivacité : Voici comme il en parle, après avoir peint l’esprit du poëme satyrique.

D’un trait de ce poëme, en bons mots si fertile
Le François né malin, forma le vaudeville
Agréable, indiscret, qui conduit par le chant
Passe de bouche en bouche, & s’accroît en marchant.
La liberté françoise en ces vers se déploie ;
Cet enfant de plaisir veut naître dans la joie.

Cependant le vaudeville ne s’abandonne pas toujours à une joie boufonne, il a quelquefois autant de délicatesse qu’une chanson tendre, témoin le vaudeville suivant qui fut tant chanté à la cour de Louis XIV, & dont Anacréon pourroit s’avouer l’auteur.

Si j’avois la vivacité
Qui fit briller Coulange ;
Si j’avois la beauté
Qui fit régner Fontange ;
Ou si j’étois comme Conti
Des graces le modele ;
Tout cela seroit pour Crequi,
Dût-il m’être infidele !

On dit qu’un Foulon de Vire, petite ville de Normandie, inventa les vaudevilles, qui furent d’abord nommés vaudevires, parce qu’on commença à les chanter au Vau de Vire.

André du Chesne, après avoir parlé de ce pays, dans ses antiquités des villes de France, dit que « d’icelui ont pris leur origine ces anciennes chansons qu’on appelle communément vaudevilles pour vaudevires, desquels, ajoute-t-il, fut auteur un Olivier Basselin, ainsi que l’a remarqué Belleforest ».

M. Ménage, qui a cité ces paroles, cite aussi celles de Belleforest, qui se trouvent au II. Vol. de sa cosmographie ; & il conclut de ce passage, & de quelques autres qu’il rapporte, que ceux-là se sont trompés, qui ont cru que ces chansons sont appellées vaudevilles, parce que ce sont des voix de ville, ou qu’elles vont de ville en ville. De ce premier sentiment ont été Jean Chardavoine, de Beaufort, en Anjou, dans un livre intitulé : Recueil des plus belles & des plus excellentes Chansons, en forme de voix de ville ; & Pierre de Saint-Julien, dans ses mélanges historiques. M. de Callieret est pour le second sentiment, car il fait dire à son commandeur dans ses mots à la mode, que les Espagnols appellent passe-caille, une composition en musique, qui veut dire passe-rue, comme, dit-il, nous appellons en France des vaudevilles, certaines chansons qui courent dans le public.

M. d’Hamilton, si connu par les mémoires du comte de Grammont, s’est amusé à quelques vaudevilles, dans lesquels régnent le sel, l’agrément, & la vivacité. Haguenier (Jean) bourguignon, mort en 1738 en a répandu dans le public qui sont gais & amusans ; mais Ferrand (Antoine) mort en 1719, âgé de quarante-deux ans, a particulierement réussi à faire des vaudevilles spirituels, & pleins de la plus fine galanterie. La plûpart ont été mis sur les airs de clavessin de la composition de Couperin. On trouve dans les vaudevilles de M. de Chaulieu, comme dans ses autres poésies négligées, des couplets hardis & voluptueux ; tous ces poëtes aimables n’ont point eu de successeurs en ce genre.

Je crois cependant que notre nation l’emporte sur les autres dans le goût & dans le nombre des vaudevilles ; la pente des François au plaisir, à la satyre, & souvent même à une gaieté hors de saison, leur a fait quelquefois terminer par un vaudeville les affaires les plus sérieuses, qui commençoient à les lasser ; & cette niaiserie les a quelquefois consolés de leurs malheurs réels.

Au reste, dit l’auteur ingénieux de la nouvelle Héloïse ; quand les François vantent leurs vaudevilles pour le goût & la musique, ils ont raison ; cependant à d’autres égards, c’est leur condamnation qu’ils prononcent ; s’ils savoient chanter des sentimens, ils ne chanteroient pas de l’esprit ; mais comme leur musique n’est pas expressive, elle est plus propre aux vaudevilles qu’aux opéra ; & comme l’italienne est toute passionnée, elle est plus propre aux opéra qu’aux vaudevilles. (Le chevalier de Jaucourt.)