L’Encyclopédie/1re édition/TROIE
TROIE, (Géog. anc.) Troia ou Ilium, ville de l’Asie mineure, la capitale de la Troade. Voyez Ilium.
Horace appelle cette ville sacrée sacrum Ilium, & Virgile la nomme la demeure des dieux, divûm domus, non-seulement, parce que ses murailles avoient été bâties de la main des dieux, mais encore parce qu’il y avoit dans son enceinte un grand nombre de temples.
Troie immortalisée par les poëtes, étoit bâtie sur le fleuve Scamandre ou Xanthus, en Phrygie, à 3 milles de la mer Egée. Cette ville n’a eu que six rois, sous le dernier desquels elle fut prise & brûlée par les Grecs, deux cens cinquante-six ans après sa naissance.
Dardanus l’a fondée l’an du monde 2524, & régna trente-un ans ; Erichthonius en régna soixante-cinq ; Tros soixante-dix ; c’est de lui que cette ville prit le nom de Troie ; elle se nommoit auparavant Dardanie. Julus qui lui succeda, régna cinquante-quatre ans ; c’est de son nom que la forteresse de Troie s’appelle Ilium. Laomedon régna trente-six ans ; il bâtit les murailles de Troie des trésors de Neptune & d’Apollon. Priam régna quarante ans. L’an du monde 2794. Patis, fils de Priam, enleva Hélene, femme de Ménélaüs, roi de Lacédémone. Les Grecs après avoir demandé plusieurs fois qu’on rendît Hélene, déclarerent la guerre aux Troïens & commencerent le siege de Troie, qui fut prise & brûlée dix ans après, l’an du monde 2820. avant l’ere vulgaire 1184 ans, & 431 ans avant la fondation de Rome.
On prétend que cette guerre si cruelle prenoit son origine de plus haut. On dit qu’il y avoit une guerre héréditaire, entre la maison de Priam & celle d’Agamemnon. Tantale, roi de Phrygie, pere de Pélops, & bisaïeul d’Agamemnon & de Ménélaüs, avoit enlevé il y avoit long-tems Ganimede, frere d’Ilus. Cet Ilus, grand-pere de Priam, pour se venger d’une injure qui le touchoit de si près, dépouilla Tantale de ses états, & l’obligea de se réfugier en Grece, où s’établirent ainsi les Pélopides qui donnerent leur nom au Péloponnèse. Paris, arriere-petit-fils d’Ilus, enleva Hélene par une espece de représailles, contre Ménélaüs, arriere-petit-fils du ravisseur de Ganimede.
Il faut cependant se souvenir toujours qu’il y a mille fables mêlées dans tout ce que les poëtes nous disent du siege de Troie & des premiers héros de cette guerre, & qu’ainsi il ne faut pas trop compter sur ce qu’ils débitent d’Achille, d’Ajax, d’Ulysse, de Paris, d’Hector, d’Enée, & de tant d’autres. Quant au fameux cheval de bois, dit Pausanias, l. I. c. xxiij. c’étoit certainement une machine de guerre, inventée par Epeus & propre à renverser les murs, telle que celles auxquelles on donna dans la suite le nom de bélier ; ou bien, continue Pausanias, il faut croire que les Troïens étoient des stupides, des insensés, qui n’avoient pas ombre de raison.
Il ne reste aucuns vestiges de cette ancienne ville ; on voit à la vérité dans le quartier où elle étoit des ruines considérables ; mais ce sont les ruines de la nouvelle Troie, & non celles de l’ancienne. En approchant de ces ruines, on trouve quantité de colonnes de marbre rompues, & une partie des murailles & des fondemens le long de la côte. Il n’y a rien d’entier, tout est renversé ; ce qui est le moins ruiné se trouve sur le bord de la mer, rongé par l’air, & mangé des vents salés qui en viennent.
Un peu plus loin, on voit le bassin du port, avec une muraille sur la côte ; elle étoit sans doute ornée de colonnes de marbre qui sont à présent toutes brisées sur la terre, & dont les piés qui restent autour, font juger que le circuit du port étoit d’environ quinze cens pas. L’entrée de ce port est aujourd’hui bouchée de sable.
On ne sauroit dire que ce soit le port de l’ancienne Troie, ni que les antiquités que l’on voit soient de plus vieille date que le tems des Romains. Belon & Pietro della Valle assurent avec beaucoup de confiance que ce sont les ruines de la fameuse Troie : mais ils se trompent, ce sont les ruines de l’Ilium moderne qu’Alexandre le grand commença à bâtir, & que Lysimaque acheva ; il l’appella Alexandrie, & elle fut ensuite une colonie des Romains.
Un peu au-delà du port, on trouve divers tombeaux de marbre, avec la tête d’Apollon sur quelques-uns, & sur d’autres des boucliers sans aucune inscription. M. Spon a remarqué que ces tombeaux sont de la même forme que ceux des Romains qui sont en France dans la ville d’Arles, ce qui prouve que ce ne sont pas les tombeaux des premiers Troïens, comme Pietro della Valle se l’est imaginé.
Un peu plus haut au midi du port, il y a deux colonnes couchées par terre ; elles ont chacune 30 piés de long ; une troisieme en a 35 ; celle-ci qui est rompue en trois morceaux est de marbre granite d’Egypte, & a un diametre de 4 piés 9 pouces. Le grand-seigneur, Mahomet IV. fit enlever de ce lieu une grande quantité de colonnes pour la fabrique de la mosquée neuve de la sultane mere.
En allant encore plus le long de la côte, on passe au-travers de plusieurs débris ; ce sont les restes d’un aqueduc qui conduisoit l’eau au port. A quelque distance de-là, est un canal ou fossé, long, étroit & profond, ouvrage de l’art, & fait apparemment pour laisser entrer la mer, afin que les vaisseaux allassent jusqu’à la ville ; mais il est aujourd’hui à sec. Au-dessus, un peu à la droite, on voit d’autres masures considérables qui découvrent la grandeur de la ville. Il y a un théâtre, des fondemens de temples & de palais, avec des arcades autour, & des voûtes sous terre. On y trouve encore de-bout une partie d’un petit temple rond qui a une corniche de marbre au-dedans. Tout proche sont trois carreaux de marbre, faits en façon d’autel ou de piédestal, avec des inscriptions qui ne different que dans les derniers caracteres, comme vic. vii. vic. viii. & vic. ix. il suffit de rapporter l’une des trois.
DIVI JULI FLAMINI
C. ANTONIO. M. F.
VOLT. RUFO FLAMINI.
DIVI AUG. COL. CL. APRENS
ET COL. JUL. PHILIPENS
EORUNDEM ET PRINCIPI ITEM
COL. JUL. PARIANÆ TRIB.
MILIT. COH. XXXII. VOLUNTARIOR.
TRIB. MIL. LEG. XIII.
GERM. PRÆF. EQUT. ALÆI.
SCUBULORUM VIC. VII.
Ces inscriptions sont à l’honneur de Caïus Antonius Rufus, fils de Marcus de la tribu Vollinie, prêtre de Jule & d’Auguste César, fait chef de la colonie d’Apri, par Claudius ; & de Philippi, par Julius, comme aussi de la colonie Parium, par Julius, & mestre-de-camp de la cohorte 32 des volontaires, commandant de la légion 13 appellée germina, & capitaine de la premiere aîle de cavalerie des scubuli.
La derniere ligne de chacune de ces inscriptions n’est pas aisée à expliquer. M. Spon a cru pourtant que vic. vii. vic. viii. & vic. ix. signifioient vicus septimus, vicus octavus & vicus nonus, c’est-à-dire la septieme, la huitieme & la neuvieme rue, où ces statues avoient été placées, à l’imitation des rues de Rome.
Troie, colonie des Romains, fondée par Auguste, & qui en avoit pris le nom de colonia augusta Troas, avoit apparemment ses quartiers & ses tribus comme la ville de Rome.
Selon les apparences, le quartier le plus habité de la ville, étoit sur le plus haut d’une colline, que l’on monte insensiblement depuis le rivage, environ à 2 milles de la mer. On voit en cet endroit quantité de masures, de voûtes, & un théâtre, mais particulierement trois arcades, & des pans de murailles qui restent d’un bâtiment superbe, dont la situation avantageuse & l’étendue, font connoître que c’étoit le palais le plus considérable de la ville. Je ne veux pas croire, dit M. Spon, comme le disent ceux des environs de Troie, que c’étoit le château du roi Priam ; car je ne le tiens pas plus ancien que le tems des premiers empereurs romains. Ce bâtiment étoit presque tout de marbre, & les murailles ont 12 piés d’épaisseur. Au-devant de ces arcades, qui paroissent avoir soutenu une voûte, il y a une si prodigieuse quantité de quartiers de marbre entassés les uns sur les autres, qu’on peut aisément juger par-là de la hauteur, & de la beauté de ce palais.
Le terroir des environs de Troie est tout inculte, à la reserve de quelques endroits où il croît du coton. Le reste n’est que broussailles, ronces, épines & chênes verds ; & on peut dire aujourd’hui ce que Lucain disoit de son tems :
Jam sylvæ steriles & putres robore trunci
Assaraci pressere domos, & templa deorum
Jam lassâ radice tenent, ac tota teguntur
Pergama dumetis.
Le Pays des environs nourrit des lievres, des cailles & des perdrix qui y sont en abondance. On y voit aussi un oiseau de la grosseur de la grive, ayant la tête & la gorge d’un jaune éclatans, & le dos & les aîles d’un verd gai, comme un verdier, le bec & la tête comme la grive, & aussi gros que les ortolans en France. On y trouve encore un autre oiseau d’une autre espece, mais qui n’est pas beaucoup plus gros. Il est fait comme un héron, & tacheté comme un épervier, avec un long bec, de longues jambes, des griffes, & une crête de plumes sur la tête. (Le chevalier de Jaucourt.)