L’Encyclopédie/1re édition/TRANSMIGRATION

TRANSMIGRATION, s. f. (Gram.) transport d’une nation entiere dans un autre pays, par la violence d’un conquérant. Voyez Colonie.

Quelques-uns, en traduisant l’endroit de l’Ecriture où il est parlé du transport des enfans d’Israël à Babylone, se servent du terme de transmigration. Voyez Transport.

Transmigrations des Juifs, (Hist. des Hébr.) on compte quatre transmigrations des Juifs à Babylone, toutes par Nabuchodonosor ; la premiere se fit au commencement du regne de Joakim, lorsque Daniel & autres furent transférés en Chaldée ; la deuxieme sous le regne de Sédécias ; la troisieme & la quatrieme en divers tems ; & dans cette derniere, tout ce qui restoit en Judée fut emmené à Babylone. Les dix tribus furent aussi transférées hors de leur patrie : d’abord par Tiglath-Pilesec, & ensuite par Salmanasar, qui, après avoir pris Samarie, emmena le reste du royaume d’Israël en Médie & en Assyrie, sur le fleuve de Gozan. De ces captifs Israélites, les uns revinrent dans leurs pays, pendant la domination des Perses & des Grecs ; le reste se multiplia, & se dispersa dans toutes les provinces de l’Orient. (D. J.)

Transmigration des ames, (Théol. & Philos.) on peut voir d’abord dans ce Dictionnaire l’article Métempsycose.

Mais qu’il nous soit permis de recueillir en abregé, d’après M. de Chaufepié, ce que l’histoire nous apprend de plus curieux sur cette matiere, & de quelle cause la doctrine de la transmigration des ames, a pu tirer sa naissance. Ce détail ne déplaira peut-être pas à quantité de lecteurs, qui n’ont ni le tems, ni l’occasion de recourir aux sources & aux ouvrages des savans qui y ont puisé.

Il est certain, dit Burnet, que jamais doctrine ne fut plus générale que celle-ci ; elle régna non-seulement par-tout l’Orient, mais en Occident chez les Druides & les Pythagoriciens ; elle est si ancienne qu’on n’en sauroit marquer l’origine, & qu’on diroit qu’elle est descendue du ciel, tant elle paroît être sans pere, sans mere, & sans généalogie.

Les cabalistes gardent encore cette ancienne erreur ; ils prétendent que les ames humaines passent d’un corps dans un autre, au moins trois fois, afin qu’elles n’aient point à alléguer devant le souverain juge de notre vie, qu’elles n’ont point eu de corps propre à la vertu. C’est sur ce principe qu’ils disent que la même ame qui a animé successivement Adam & David, animera le Messie.

Il y a eu chez les chrétiens des docteurs célebres par leur savoir & par leur piété, qui ont adopté cette erreur. M. Huet prétend qu’Origene lui-même a cru que les ames animoient divers corps successivement, & que leurs transmigrations étoient réglées à proportion de leurs mérites, ou de leurs démérites. Un savant moderne doute que l’évêque d’Avranches ait bien interprété les passages d’Origène qu’il cite. Quoi qu’il en soit, il est certain que l’erreur de la transmigration des ames a été adoptée par Synésius. On la trouve en divers endroits de ses ouvrages, & peut-être dans cette priere qu’il adresse à Dieu, Hymn. III. vers. 725. « O Pere, accordez-moi que mon ame réunie à la lumiere, ne soit plus replongée dans les ordures de la terre ».

Νεῦσον δὲ Πατέρ
Φωτὶ μιγεῖσαν
Μηκέτι δῦναι
Ἐς χθονὸς ἄταν

Mais Chalcidius plus ancien que Synésius, se déclare hautement pour la même erreur : « les ames qui ont négligé de s’attacher à Dieu, dit ce philosophe, sont obligées par la loi du destin, de commencer un nouveau genre de vie, tout contraire au précédent, jusqu’à ce qu’elles se repentent de leurs péchés ».

La transmigration des ames fut aussi un des dogmes des Manichéens ; leur doctrine sur ce sujet se réduisoit à ces articles : 1°. que les ames des méchans passent dans des corps vils ou misérables, & attaqués de maladies douloureuses, afin de les châtier & de les corriger ; 2°. que celles qui ne se convertissent pas après un certain nombre de révolutions, sont livrées au démon pour être tourmentées & domptées, après quoi elles sont renvoyées dans ce monde, comme dans une nouvelle école, & obligées de fournir une nouvelle carriere ; 3°. que les ames des auditeurs qui cultivoient la terre, se marioient, négocioient, &c. & qui du reste vivoient en gens de bien, n’étant pas néanmoins assez pures pour entrer dans le ciel au sortir du corps, passent dans des courges, &c. afin que ces fruits étant mangés par les élus qui ne se marioient point, elles ne soient plus liées avec la chair, & qu’elles achevent leur purification avec les élus ; 4°. qu’entre ces ames, il y en a qui sont renvoyées dans des corps mortels, pour vivre de la vie des élus & consommer ainsi leur purification & leur salut : car le privilege des ames des élus, étoit de retourner dans le ciel dès qu’elle sont séparées du corps, parce qu’elles sont parvenues à la perfection requise pour cela.

Quand on refléchit sur l’ancienneté & l’universalité de cette doctrine de la transmigration des ames, il est naturel de se demander ce qui peut y avoir donné lieu. M. de Beausobre croit qu’elle tira son origine des opinions suivantes.

I. La préexistence des ames établie au long par Platon, dans le dixieme livre des lois. Cette opinion fut très-générale parmi les philosophes, & elle a été très-commune parmi les peres grecs ; elle leur a paru même nécessaire pour maintenir l’immortalité de l’ame.

II. Ce sentiment qui est une suite du premier, parut aussi suffisamment lié avec la métempsycose. Delà vient que les Egyptiens, si l’on en croit Hérodote, l. II. p. 123. furent les premiers qui immortaliserent les ames, & établirent en même tems la transmigration.

III. La nécessité de la purification des ames avant que d’être reçues dans le ciel, d’où elles étoient descendues. « Ce sentiment, dit l’historien du Manichéïsme, qui ne fait point de deshonneur à la raison, a paru conforme à l’Ecriture, a été embrassé par plusieurs peres, & a fourni l’idée du purgatoire ». Platon est formel sur la nécessité de cette purification. « Les ames, disoit ce philosophe, in Tim. §. XXVIII. p. 252. ne verront point la fin de leurs maux, que les révolutions du monde ne les aient ramenées à leur état primitif, & ne les aient purifiées des taches qu’elles ont contractées, par la contagion du feu, de l’eau, de la terre, & de l’air ».

IV. Enfin les philosophes jugerent que la justice & l’équité de Dieu ne lui permettant pas de livrer aux démons les ames vicieuses, à la fin d’une seule vie & d’une seule épreuve, crurent que la Providence les renvoyoit après la mort en d’autres corps, comme dans de nouvelles écoles, pour y être châtiées selon leurs mérites, & purifiées par le châtiment.

Les Juifs bornoient ces transmigrations à trois, imagination qu’ils paroissent avoir prise de Platon, qui ne permettoit l’entrée du ciel qu’aux ames qui s’étoient signalées dans la pratique de la vertu pendant trois incorporations. Observons cependant que cette opinion que les ames ne parviennent à la souveraine félicité qu’après avoir vécu saintement pendant trois incorporations, étoit reçue chez les Grecs plus d’un siecle avant Platon ; c’est ce qui paroît par ces vers de Pindare, Olympien, Od. II. v. 122.

Ὅσοι δ’ ἐτόλμησαν ἐστρίς
Ἑκατέρωθι μείναντες
Ἀπὸ πάμπαν ἀδίκων ἔχειν
Ψυχάν, ἔτειλαν Διός
Ὀδὸν παρὰ Κρόνου
Τύρσιν.

Qui valuerunt ad tertiam usque vicem utrobique manentes animam ab injustis omninò abstinere, perrexerunt Jovis viam ad saturni urbem. Tels étoient les fondemens de la métempsycose. C’est au lecteur à juger si ces principes sont assez solidement établis pour en conclure ce dogme : exceptons pourtant l’immortalité de l’ame, dont la métempsycose n’est rien moins qu’une conséquence nécessaire.

A l’égard de la préexistance des ames, on pourroit tout-au-plus la regarder comme possible, & non comme prouvée. La nécessité de la purification des ames paroît prouver trop ; car en la supposant, il s’ensuivra que les ames humaines ne pourront être admises dans le ciel ; qu’on les fasse passer par autant de corps qu’on voudra, elles ne seront jamais exemptes de défauts dans cette vie, & par conséquent jamais bien qualifiées pour le séjour des bienheureux. Enfin, par rapport à la justice de Dieu, il s’agit de savoir si le tems d’épreuve que Dieu accorde aux hommes pendant une seule vie, n’est pas suffisant pour mettre l’équité du souverain juge à couvert ; d’ailleurs, outre le tems accordé à chaque homme, les secours qu’il a eus, les talens qu’il a reçus, en un mot les circonstances de son état, doivent entrer en ligne de compte. (D. J.)