L’Encyclopédie/1re édition/TOBIE, livre de

TOBIE, livre de, (Critiq. sacrée) ce livre de l’Ecriture que le concile de Trente a déclaré canonique, finit à la destruction de Ninive. Il fut d’abord écrit en chaldaïque par quelque juif de Babylone. C’étoit originairement, selon les apparences, un extrait des mémoires de la famille qu’il concerne, commencé par Tobie lui-même, continué par son fils, mis ensuite par l’auteur chaldéen dans la forme que nous l’avons maintenant.

S. Jérôme le traduisit du chaldaïque en latin, & sa version est celle de l’édition vulgate de la bible. Mais il y en a une version greque qui est beaucoup plus ancienne ; car nous voyons que Polycarpe, Clément d’Alexandrie & d’autres peres plus anciens que S. Jérôme s’en sont servis. C’est sur celle-ci qu’a été faite la version syriaque, aussi-bien que l’angloise. L’original chaldaïque ne subsiste plus. A l’égard des versions hebraïques de ce livre, elles sont, aussi-bien que celle de Judith, d’une composition moderne.

Comme il est plus facile d’établir la chronologie de ce livre, que celui de Judith, il n’a pas essuyé autant de contradictions de la part des savans. Les Juifs & les Chrétiens généralement le regardent comme une véritable histoire, à la reserve de certaines circonstances qui sont évidemment fabuleuses. Telles sont cet ange qui accompagne Tobie dans un long voyage sous la figure d’Azaria, l’histoire de la fille de Raguel, l’expulsion du démon par la fumée du cœur & du foie d’un poisson, & la guérison de l’aveuglement de Tobie par le fiel du même poisson ; ce sont-là autant de choses qu’on ne peut recevoir sans une extrème crédulité. Elles ressemblent plus aux fictions d’Homere qu’à des histoires sacrées, & forment par-là contre ce livre un préjugé où celui de Judith n’est point exposé.

Tel qu’il est pourtant, il peut servir à nous présenter les devoirs de la charité & de la patience, dans l’exemple de Tobie, toujours empressé à secourir ses freres affligés, & soutenant avec une pieuse résignation son esclavage, sa pauvreté, la perte de sa vue, aussi long-tems qu’il plaît à Dieu de le mettre à ces épreuves.

Les versions latines & greques dont j’ai déja parlé, different en plusieurs choses, chacune rapportant des circonstances qui ne se trouvent pas dans l’autre. Mais la version latine doit céder à la greque, car S. Jérôme, avant qu’il entendît la langue chaldaïque, composa sa version par le secours d’un juif, mettant en latin ce que le juif lui dictoit en hébreu, d’après l’original chaldaïque ; & de cette maniere il acheva cet ouvrage en un seul jour, comme il nous l’apprend lui-même. Une besogne faite si à la hâte & de cette maniere, ne peut qu’être pleine de méprises & d’inexactitudes. Il n’en est pas de même de sa version du livre de Judith. Il la fit dans un tems où par son application a l’étude des langues orientales, il s’étoit rendu aussi habile dans le chaldaïque qu’il l’étoit déja en hébreu ; il la composa d’ailleurs avec beaucoup de soin, comparant exactement les divers exemplaires, & ne faisant usage que de ceux qui lui paroissoient les meilleurs. Ainsi la version que ce pere a faite de ce livre, a un avantage sur la greque à laquelle l’autre ne peut prétendre.

Si S. Jérôme a fait sa version de Tobie sur un bon exemplaire, & s’il ne s’est point mépris lui-même en la traduisant, toute l’autorité du livre est détruite par un seul endroit de sa version ; c’est le v. 7. du ch. xjv. où il est parlé du temple de Jérusalem comme déja brûlé & détruit : circonstance qui rend cette histoire absolument incompatible avec le tems où on la place. La version greque ne donne point lieu à cette objection. Elle ne parle de cette destruction que par voie de prédiction, comme d’un événement futur, & non historiquement comme d’une chose déja arrivée, comme fait S. Jérôme. Malgré cela l’Eglise de Rome n’a pas laissé de canoniser la version de ce pere. Tout ce qu’on peut dire sur ce sujet, c’est que si le fonds de l’histoire de Tobie est véritable, l’auteur du livre y a mêlé plusieurs fictions qui la décréditent. (D. J.)