L’Encyclopédie/1re édition/TIBUR

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TIBUR, (Géog. anc.) en grec Τίϐουρις ; ville d’Italie, dans le Latium, à 16 milles de Rome, & bien plus ancienne que Rome. Elle fut bâtie sur le fleuve Aniénus, aujourd’hui Tévéronne, 1513 ans avant J. C. ou par les Aborigenes, Selon Denys d’Halycarnasse, l. I. c. xvj. ou par une troupe de Grecs qui étoient venus du Péloponnèse, selon quantité d’auteurs, qui s’accordent sur l’origine grecque de cette ville. Horace dit, ode vj. l. II.

Tibur Argeo posita colono,
Sit meæ sedes utinam senectæ !

« Veuillent les dieux, que Tibur, cette belle colonie d’Argos, soit le séjour de ma vielliesse ». Ovide n’en parle pas moins clairement, liv. IV. Fastorum, v. 71.

Jam mœnia Tiburis udi
Strabant Argolicæ quæ posuere manus.

Enfin Strabon, l. V. p. 175. Martial, égigr. 57. l. IV. & Artémidore cité par Etienne de Byzance, tiennent pour la même opinion.

Tibur, aujourd’hui Tivoli, fut bâtie par un grec nommé Tibur ou Tiburnus, qui avec ses deux freres Catillus & Coras, mena-là une colonie. Virgile le dit dans son Enéide, l. VII. v. 670.

Tum gemini fratres, Tiburnia mœnia linquunt,
Fratris Tiburti dictam de nomine gentem,
Catilusque, acerque Coras, Argiva juventus.

« Alors les deux freres Catilus & Coras sortis de la ville d’Argos, quitterent les murailles, & le peuple qui portoit le nom de leur frere Tibur ».

Cette ville étoit déjà bien florissante lorsqu’Enée débarqua en Italie. Virgile, l. VII. v. 629. la compte parmi les grandes villes qui s’armerent contre les Troïens.

Quinque adeo magnæ, positis incudibus, urbes,
Tela novant, Atina potens, Tiburque superbum,
Ardea, Crustumerique, & turrigeræ Antemnæ.

L’histoire nous apprend qu’elle résista vigoureusement & assez long-tems aux armes romaines, avant que de subir le joug de cette victorieuse république. Elle y fut enfin contrainte l’an de Rome 403 ; mais comme elle avoit de la grandeur d’ame, elle reprocha une fois si fierement aux Romains les services qu’elle leur avoit rendus, que ses députés remporterent pour toute réponse, vous êtes des superbes, superbi estis ; & voilà pourquoi Virgile dit dans les vers que nous venons de citer, Tiburque superbum.

Cette ville eut une dévotion particuliere pour Hercule, & lui fit bâtir un temple magnifique. Stace, silv. j. l. III. a placé Tibur au nombre des quatre villes où Hercule étoit principalement honoré ; ce sont, dit-il, Némée, Argos, Tibur & Gadés.

Nec mihi plus Nemeæ, priscumque habitabitur Argos

Nec Tiburna domus, solisque cubilia Gades ;

C’est pour cela que Tibur fut surnommée Herculeum ou Herculea, ville d’Hercule. Properce, l. II. éleg. 23. le dit :

Cur ve te in Herculeum deportant esseda Tibur ?

On apprend aussi la même chose dans ces deux vers de Silius Italicus, l. IV.

Quosque suo Herculeis taciturno flumine muris
Pomifera arva creant, Anienicoloeque Catilli.

On voit en même tems ici, que Tibur portoit le nom de Catillus, & c’est pour cela qu’Horace, ode xviij. l. I. dit mænia Catilli.

Il y avoit dans le temple d’Hercule à Tibur, une assez belle bibliotheque, Aulugelle le dit, l. XIX. c. v. promit è bibliothecâ Tiburti quæ tunc in Herculis templo satis commodè instructa libris erat, Aristotelis librum.

On juge bien que Tibur honoroit avec zèle son fondateur le dieu Tiburnus. Il y avoit un bois sacré, le bois de Tiburne, autrement dit le bois d’Albunée, si célebre dans les poëtes : voici ce qu’en dit Virgile :

At rex sollicitus monstris oracula Fauni
Fatidici genitoris adit, lucosque sub altâ
Consulit Albuneâ, nemorumque maxima sacro
Fonte sonat, sævamque exhalat opaca mephitin.
Hinc Italæ gentes, omnisque Œnotria tellus
In dubiis responsa petunt.

« Le roi inquiet sur ces événemens alla consulter les oracles du dieu Faune son pere. Il les rendoit dans le bois sacré d’Albunée, & près de la fontaine qui roulant ses eaux avec grand bruit, exhale d’horribles vapeurs. C’est à cet oracle que les peuples d’Italie, & tous les pays d’Œnotrie en particulier, ont recours dans leurs doutes ».

Albunée étoit tout ensemble le nom d’un bois d’une fontaine, & d’une divinité de la montagne du Tibur. Cette divinité étoit la dixieme des sibylles ; on l’honoroit à Tibur comme une déesse, & l’on disoit que son simulacre avoit été trouvé un livre à la main dans le goufre de l’Anio.

Strabon parle des belles carrieres de Tibur, & observe qu’elles fournirent de quoi bâtir la plûpart des édifices de Rome. La dureté des pierres de ces carrieres étoit à l’épreuve des fardeaux & des injures de l’air, ce qui augmentoit leur prix & leur mérite. Pline, l. XXXVI. c. vj. rapporte comme un bon mot ce qui fut dit par Cicéron aux habitans de l’île de Chios, qui lui montroient avec faste les murs de leurs maisons bâtis de marbre jaspé. Je les admirerois davantage, leur dit Cicéron, si vous les aviez bâti des pierres de Tibur. Cicéron vouloit leur dire : votre marbre ne vous coûte guere, vous le trouvez dans votre île, ne vous glorifiez donc pas de la somptuosité de vos maisons : vos richesses & vos dépenses paroîtroient avec plus d’éclat, si vous aviez fait venir de Tibur, le matériaux de vos édifices.

Martial dit quelque part, que l’air de la montagne de Tibur avoit la vertu de conserver à l’ivoire sa blancheur & son éclat, ou même de les réparer. Pline & Properce disent la même chose, & Silius Italicus, liv. XII. le dit aussi.

Quale micat semperque novum est quod Tiburis aura
Pascit ebur.

L’air de Tibur étoit sain & frais, les terres étoient arrosées d’une infinité de ruisseaux, & très-propres à produire beaucoup de fruits. Il ne faut donc pas s’étonner que les Romains y aient eu tant de maisons de campagne, tant de vergers, & tant d’autres commodités. Auguste s’y retiroit de tems-en-tems. Ex secessibus præcipuè frequentavit maritima, insulasque Campaniæ, aut proxima urbi oppida, Lanuvium, Præneste, Tibur, ubi etiam in porticibus Herculis templi, persoepè jus dixit. L’empereur Adrien y bâtit un magnifique palais. Zénobie eut une retraite au voisinage. Manlius Vopiscus y avoit une très-belle maison, décrite par Stace. Enfin C. Aronius fit des dépenses énormes à élever dans Tibur un bâtiment qui effaçoit le temple d’Hercule.

Æditicator erat Cetronius, & modo curvo
Litore Cajetoe, summa nunc Tiburis arce,
Nunc prænestinis in montibus, alta parabat
Culmina villarum, Græcis longeque petitis
Marmoribus vincens Fortunoe, atque Herculis ædem.

Je ne veux pas oublier Horace qui avoit une maison où il alloit très-souvent, & qu’il souhaitoit pour retraite fixe de ses derniers jours. Vixit in plurimum in secessu ruris sui Sabini aut Tiburtini : domusqus ejus ostendetur circà Tiburtini lucum, dit Suétone. Il ne faut donc pas s’étonner que ce poëte vante tant la beauté de Tibur, & qu’il préfere cette ville à toutes celles de la Grece.

Ne nec tam patiens Lacedoemon ;
Nec tam Larissæ percussit campus opimæ,
Quam domus Albuneæ resonantis,
Et præceps Anio, & Tiburni lucus, & uda
Mobilibus pomaria rivis.

« Je suis enchanté des bocages de Tibur, & de ses vergers couverts d’arbres fruitiers, & entrecoupés de mille ruisseaux distribués avec art. J’aime à entendre tantôt l’Albula rouler ses eaux avec bruit du haut des montagnes ; tantôt le rapide Anio se précipiter au-travers des rochers. Non, Lacédémone, si recommandable par la patience de ses habitans, & Larisse avec ses gras paturages, n’ont rien à mon gré qui approche de ce charmant séjour ».

Rien n’est plus heureux que le mobilibus rivis d’Horace ; c’est le ductile flumen aquæ riguæ de Martial, les petits ruisseaux que l’on mene où l’on veut pour arroser les jardins & les vergers : pomaria sont des vergers de pommiers. La campagne de Tibur en étoit couverte comme la Normandie : de-là vient que Columelle dit en parlant : pomosi Tiburis arva.

Munatius Plancus, dont nous connoissons d’admirables lettres qu’il écrivoit à Cicéron, & qui joua un grand rôle dans les armées, avoit aussi une fort belle maison à Tibur ; Horace le dit dans la même ode

…… Seu te fulgentia signis
Castra tenent, seu densa tenebit
Tiburis umbra tui.

Enfin les poëtes ne cessent de faire l’éloge des agrémens de Tibur. On connoît les vers de Martial, épigr. lvij. liv. V. sur la mort d’un homme qui n’avoit pû sauver sa vie en respirant le bon air de cette ville.

Cùm Tiburtinus damnet Curiatius auras
Inter laudatas ad stiga missus aquas,
Nulla fata loco possis excludere : cum mors
Vencrit, in medio Tibure sardinia est.

Voici d’autres vers que le même auteur adresse à Faustinus qui jouissoit de la fraîcheur de ce lieu-là pendant les chaleurs de la canicule.

Herculeos colles gelidâ vos vincite brumâ,
Nunc Tiburtinis sedite frigoribus.

La Rome chrétienne n’a pas moins couru après les délices de Tivoli. Léandre Alberti rapporte que les prélats de cette cour alloient passer tout l’été à la fraîcheur de ce lieu-là. Voyez Tivoli.

Mais qu’est devenu le tombeau de l’orgueilleux Pallas, qui étoit sur le chemin de Tibur, & dont Pline parle si bien dans une de ses lettres à Fontanus, let. xxix. liv. VII.

Vous rirez, lui dit-il, vous entrerez en colere, & puis vous recommencerez à rire, si vous lisez ce que vous ne pourrez croire sans l’avoir lû. On voit sur le grand chemin de Tibur, à un mille de la ville, un tombeau de Pallas avec cette inscription : Pour récompenser son attachement & sa fidélité envers ses patrons, le sénat lui a décerné les marques de distinction dont jouissent les préteurs, avec quinze millions de sesterces (environ quinze cens mille livres de notre monnoie) & il s’est contenté du seul honneur.

Je ne m’étonne pas ordinairement, continue Pline, de ces élévations où la fortune a souvent plus de part que le mérite. Je l’avoue pourtant, j’ai fait réflexion combien il y avoit de momeries & d’impertinences dans ces inscriptions, que l’on prostitue quelquefois à des infames & à des malheureux. Quel cas doit-on faire des choses qu’un misérable ose accepter, ose refuser, & même sur lesquelles il ose se proposer à la postérité pour un exemple de modération ? Mais pourquoi me fâcher ? il vaut bien mieux rire, afin que ceux que le caprice de la fortune éleve ainsi ne s’applaudissent pas d’être montés fort haut, lorsqu’elle n’a fait que les exposer à la risée publique. (Le chevalier de Jaucourt.)