L’Encyclopédie/1re édition/THYATIRE

THYATIRE, (Géogr. anc.) ville de l’Asie mineure, dans la Lydie, au nord de Sardis, en tirant vers l’orient de Pergame. Cette situation convient à celle que lui donne Strabon, l. XIII. qui dit qu’en allant de Pergame à Sardis, on avoit Thyatire à la gauche. Strabon & Polybe écrivent Thyatira au pluriel, & Pline, l. V. c. xxix. aussi-bien que Tite-Live, l. XXVII. c. xliv. disent Thyatira au nominatif singulier. C’étoit, selon Strabon, une colonie des Macédoniens. Il ajoute que quelques-uns vouloient que ce fût la derniere ville des Mysiens ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle étoit aux confins de la Mysie ; mais Pline, Ptolomée, Etienne le géographe, & les auteurs des notices la marquent dans la Lydie.

Le tems & les changemens arrivés avoient fait perdre jusqu’à la connoissance de la situation de cette fameuse ville. On n’en fit la découverte que fort avant dans le dernier siecle. M. Spon, voyage du levant, l. III. en parle ainsi : il n’y a pas plus de sept ou huit ans qu’on ne savoit où avoit été la fameuse ville de Thyatire, le nom même en ayant été perdu. Ceux qui se croyoient les plus habiles, trompés par une fausse ressemblance de nom, s’imaginoient que ce fût la ville de Titia, à une journée d’Ephese ; mais M. Ricaut, consul de la nation angloise, y étant allé accompagné de plusieurs de ses compatriotes qui négocioient à Smyrne, reconnut bien que Tiria n’avoit rien que de moderne, & que ce n’étoit pas ce qu’ils cherchoient. Comme ils jugeoient à-peu-près du quartier où elle pouvoit être, ils allerent à Ak-Hissar, où ils virent plusieurs masures antiques, & trouverent le nom de Thyatire dans quelque inscription ; après quoi ils ne douterent plus que ce ne fût elle-même, M. Spon s’en est convaincu lui-même par ses propres yeux.

Avant que d’entrer dans la ville, poursuit-il, on voit un grand cimetiere des Turcs, où il y a quelques inscriptions. Dans le kan proche du bazar, on trouve environ trente colonnes avec leurs chapiteaux & piédestaux de marbre, disposées confusément en-dedans pour soutenir le couver. Il y a un chapiteau d’ordre corinthien, & des feuillages sur le fût de la colonne. Sous une halle proche du bazar, on lit une inscription qui commence ainsi, Η ΚΡΑΤΙΣΤΗ ΘΙΑΤΕΙΡΗΝΩΝ. ΒΟΥΛΗ, le très-puissant sénat de Thyatire.

Dans la cour d’un des principaux habitans, appellé Muslapha-Chelebi, on lit trois inscriptions. Les deux premieres font les jambages du portail de la maison, & parlent d’Antonin Caracalla, empereur romain, comme du bienfaiteur & du restaurateur de la ville, & le titre de maitre de la terre & de la mer qui lui est donné est aussi rare que celui de divinité présente des mortels, qui lui est attribué dans une base de marbre à Frascati proche de Rome. Au milieu de la cour de la même maison, on voit un grand cercueil de marbre, où il y a la place de deux corps, & à l’un des côtés l’épitaphe du mari & de la femme qui y avoient été ensevelis, & le nom de Thyatire est répété deux fois dans cette épitaphe.

Dans une colonne qui soutient une galerie du kan, on voit une autre inscription où on lit en grec & en latin que l’empereur Vespanien fit faire à Thyatire des grands chemins l’année de son sixieme consulat.

Les Turcs, après avoir bâti une ville nommée Ak-Hissar ou Eski-Hissar, c’est-à-dire chateau blanc, abandonnerent ce lieu, & vinrent bâtir dans un lieu plus commode sur les ruines de l’ancienne Thyatire, en donnant à leur nouvelle ville le nom du château qu’ils avoient quittés. Les maisons de leur Thyatire ou plutôt d’Ak-Hissar, ne sont que de terre ou de gazon cuit au soleil. Le marbre n’est employé qu’aux mosquées. Les habitans de cette ville sont au nombre d’environ trois mille, dont la plûpart négocient en coton. Ils sont tous mahométans ; on ne voit dans ce lieu ni chrétiens, ni grecs, ni arméniens, & l’ancien évêché de Thyatire n’existe plus qu’en idée. (D. J.)