L’Encyclopédie/1re édition/TEGGIAR-TZAIR

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TEGGIAR-TZAIR, (Géogr. mod.) bourg de Natolie, célebre dans l’histoire turque & chrétienne, parce que Mahomet II. y finit ses jours en 1481. Personne n’ignore que c’est un des plus grands conquérans dont l’histoire fasse mention. Il a signalé son régne par la conquête de deux empires, de douze royaumes, & de deux cens villes considérables. C’est ainsi qu’il a mérité les titres de grand, & de pere de la victoire ; titres que les Turcs lui ont donnés pour le distinguer de tous les autres sultans, & titres que les chrétiens même ne lui ont pas contestés.

Quoique d’un naturel fougueux & plein d’une ambition démesurée, il étouffa cette ambition, & écouta le devoir d’un fils quand il fallut rendre le trone qu’Amurat son pere lui avoit cédé. Il redevint deux fois sujet sans exciter le moindre trouble, & c’est un fait unique dans l’histoire.

Les moines ont peint ce grand conquérant comme un barbare insensé, qui tantôt coupoit la tête à une maîtresse qu’il aimoit éperduement pour appaiser les murmures de ses soldats, tantôt faisoit ouvrir le ventre à quelques-uns de ses ichoglans pour découvrir qui d’eux avoit mangé un melon : toutes ces fables sont démenties par les annales turques.

Ce qui montre évidemment, dit M. de Voltaire, malgré les déclamations du cardinal Isidore & de tant d’autres, que Mahomet étoit un prince plus sage & plus poli qu’on ne le croit, c’est qu’il laissa aux chrétiens vaincus la liberté d’élire un patriarche. Il l’installa lui-même avec la solemnité ordinaire : il lui donna la crosse & l’anneau que les empereurs d’Occident n’osoient plus donner depuis long-tems ; & s’il s’écarta de l’usage, ce ne fut que pour reconduire jusqu’aux portes de son palais le patriarche élu, nommé Gennadius, qui lui dit « qu’il étoit confus d’un honneur que jamais les empereurs chrétiens n’avoient fait à ses prédécesseurs. » Cependant toutes les belles actions de ce grand monarque ont été contredites ou dissimulées par la plûpart des historiens chrétiens. Car il n’y a point d’opprobre ou de titres outrageux dont leur plume n’ait voulu ternir la mémoire de ce prince.

Souverain par droit de conquête d’une moitié de Constantinople, il eut l’humanité ou la politique d’offrir à l’autre partie la même capitulation qu’il avoit voulu accorder à la ville entiere ; & il la garda religieusement. Ce fait est si vrai, que toutes les églises chrétiennes de la basse-ville furent conservées jusque sous son petit-fils Sélim, qui en fit abattre plusieurs. On les appelloit les mosquées d’Issévi. Issévi est en turc le nom de Jésu.

Ajoutons à sa gloire, qu’il fut le premier sultan qui goûta les arts & les sciences, & qui les ait chéries. Il étudia l’histoire, il entendoit le latin, il parloit le grec, l’arabe, le persan ; il savoit ce qu’on pouvoit savoir alors de géographie & de mathématiques. Il aimoit la ciselure, la musique, & la peinture avec passion.

Il fit venir de Venise à Constantinople le fameux gentil Bellino, & le récompensa comme Alexandre avoit récompensé Apelles, par des dons & par sa familiarité. Il lui fit présent d’une couronne d’or, d’un colier d’or, de trois mille ducats d’or, & le renvoya avec honneur.

Il eût peut-être fait fleurir les arts dans ses états s’il eût vécu davantage ; mais il mourut à 52 ans, & lorsqu’il se flattoit de venir prendre Rome, comme il avoit pris Constantinople. Depuis sa mort la langue greque se corrompit, & l’ancienne patrie des Sophocles & des Platons, devint bientôt barbare. (D. J.)