L’Encyclopédie/1re édition/TANNÉ

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TANNÉ, participe du verbe tanner. Voyez Tanner.

Tanné, s. m. (terme de Tanneur.) c’est du tan mêlé de chaux, tel qu’on le retire des fosses lorsqu’on les vuide, & qui a servi à préparer les cuirs. Le tanné n’est pas perdu, pour avoir servi ; on en fait des mottes à brûler.

Tanné, en termes de Blason, se dit d’une couleur brillante, faite de rouge & de jaune mêlés ensemble. Les Graveurs l’expriment par des lignes diagonales, qui partent du chef senestre, comme le pourpre dont ils distinguent cette couleur par un T. Voyez Pourpre.

Dans les cottes d’armes de tous ceux qui en Angleterre sont au-dessous du degré des nobles, cette couleur s’appelle tanne, dans celles des nobles hyacinthe, & dans celles des princes, tête ou sang de dragon.

Tannée couleur, (Teinturerie.) sorte de couleur qui ressemble à celle du tan ou de la chataigne, & qui tire sur le roux obscur. Une étoffe tannée, un drap tanné sont une étoffe, un drap de cette couleur. (D. J.)

Tannée fleurs de la, (Botan.) les ouvriers employés au tan ont donné le nom de fleurs de la tannée à plusieurs touffes d’une espece de gazon de belle couleur jaune matte, dispersées en differens endroits sur le haut des monceaux de tan qui ont servi plusieurs mois à tanner & couvrir des cuirs de bœufs, qu’on range par lits l’un sur l’autre dans des fosses faites à cet usage ; ensuite de quoi ce tan retiré des mêmes fosses est mis en gros tas.

Ce tan, après avoir servi, est alors appellé par les ouvriers de la tannée, & cette matiere ne sert plus qu’à faire des mottes, dont on sait que les pauvres se servent, faute de bois, pendant l’hiver.

Les touffes en maniere de gazon dont on vient de parler, sont donc la végétation connue chez les Tanneurs sous le nom de fleurs de la tannée. Cette végétation sort de la substance de la tannée en une espece d’écume, qui peu-à-peu s’épaissit en consistance de pâte molle, de couleur jaune-citron, & de l’épaisseur de six à huit lignes.

A mesure que cette plante végete, sa surface devient porreuse & spongieuse, bouillonnée, remplie d’une infinité de petits trous de différent diametre, dont les interstices forment une espece de rézeau plus ou moins régulier, & souvent interrompu par des bouillons qui s’élevent un peu au-dessus de la superficie de cette matiere ; quand elle est à son dernier point d’accroissement, elle a plus de rapport à la surface d’une éponge plate & fine, qu’à toute autre végétation. Sa couleur augmente toujours jusqu’au jaune doré, & alors elle devient un peu plus solide en se desséchant en l’air.

On n’apperçoit dans la matrice de cette végétation aucunes fibres qu’on puisse soupçonner être ou faire les fonctions de racine pour la production de cette végétation qui a d’abord une légere odeur de bois pourri, laquelle augmente par la suite. Sa saveur a quelque chose du stiptique.

La tannée sur laquelle elle croît, est alors de couleur brune, dure, foulée & plombée, quoique fort humide, & dans l’instant de cette production, la tannée a une chaleur aussi considérable depuis sa surface jusqu’à un demi-pié de profondeur, que si elle avoit été récemment abreuvée d’eau tiede.

Pendant le premier jour de la naissance de la végétation, elle paroît fort agréable à la vue, légere, & comme fleurie, lorsque les portions de gazon qu’elle forme, s’étendent circulairement en façon de lobes, jusqu’à dix ou douze pouces de diametre ; mais si par hazard elle se trouve naître en un lieu exposé au midi (ce qui lui est favorable pour sa production, & non pour sa durée), les rayons du soleil la résolvent dès le second jour en une liqueur bleue jaunâtre, laquelle en peu de tems se condense, & se convertit entierement en une croute seche épaisse d’environ deux lignes.

La végétation ayant ainsi disparu, on trouve quelques jours après sous cette croute, une couche, ou lit de poussiere noire, très-fine, qui a assez de rapport à la poussiere qu’on découvre dans le lycoperdon, & qui ici pourroit être de la tannée dissoute, puis desséchée, & enfin convertie en une espece de terreau réduit en poudre impalpable.

La fleur de la tannée paroît tous les ans vers le commencement du mois de Juin, ou quelquefois plutôt, suivant la chaleur du printems. Il est donc assez vraissemblable que le tan qui a servi à tanner les cuirs, est la matrice de cette végétation. En effet la chaux qu’on emploie pour faire tomber le poil des cuirs, les sels, les huiles & les soufres contenus dans les cuirs, joints à l’acide du tan, macérés ensemble dans des fosses pendant plusieurs mois, & dont le tan a été parfaitement imbibé, contient des substances qui aidées de l’air, sont toujours prêtes à produire la végétation dont il s’agit.

Il semble que si l’on compare cette végétation à l’éponge reconnue pour plante, & dans laquelle on n’apperçoit presque ni racines, ni feuilles, ni fleurs, ni graines, on pourroit la ranger sous le genre des éponges, & la nommer, en attendant de plus amples découvertes, spongia fugax, mollis, flava, in pulvere coriario nascens. Mém. de l’acad. des Sciences, année 1727. (D. J.)